Un Étrange Jour de Juillet - Partie 1/4
Enfoui profondément dans une forêt de grands pins, esseulé sur une rivière sans cesse embrumée et ce même par beau temps, se trouve un îlot solitaire. Englouti dans un éternel brouillard, on n'entraperçoit de l'île que les hautes et sinistres silhouettes du petit nombre de résineux, seuls et uniques habitants du lopin insulaire.
Cet îlot ne figure sur aucune carte. Aucun sentier n'y mène et seule une poignée de mémoires s'en souviennent : quelques promeneurs égarés ou autres kayakistes aventureux. En vérité, la plupart de ceux qui ont connaissance de cette île sont, ou ont été, les propriétaires de la petite cabane nichée dans une orée donnant sur la rivière.
Bien que séparée de seulement une centaine de mètres, la chaumière tient autant du mystère que l'îlot. Nul ne saurait dire qui avait construit la cabane, ni même de quand elle datait. Souvent laissée à l'abandon, rarement habitée plus d'une semaine par an, elle demeure le plus souvent tout aussi négligée que l'île voisine.
Bien qu'inconnues de la vaste majorité de la population, ceux qui par le passé ont daigné nommer cette cabane et cette île l'ont toujours fait exactement de la même manière, sans jamais se concerter et peu importe l'époque. On nommait l'une simplement « Cabane des Pins » et l'autre « Île aux Brumes ».
☆☆☆
La famille de Tobias venait de temps à autre dans la Cabane des Pins, bien qu'elle ne leur appartienne pas. Le garçon n'avait aucune idée de comment ses parents en avaient eu connaissance et c'était là vraiment le cadet de ses soucis.
Ils atteignaient la cabane sur deux gros quads autant recouverts de boue que de rouille. Dans les bois, les parents de Tobias exultaient de faire pétarader les engins autant que moteur se peut. Ce trajet était de loin la meilleure partie du séjour, car après quelques heures de rallye à travers forêts et vallées, ils arrivaient et le désarroi de Tobias débutait.
Il n'y avait rien à faire. Ses parents venaient pour « prendre le grand air ». En vérité, ils passaient leur temps à fumer et à engloutir des litres d'alcool, soit la majorité des vivres emportés. Le carnage pouvait durer trois jours sans interruption, puis ils s'effondraient inévitablement. S'ils n'avaient pas tout fini lors de la première offensive, ils récidivaient, jusqu'à épuisement intégral des munitions.
Plus que le restant de l'année, Tobias, du haut de ses douze printemps, endossait alors le rôle de parent vis-à-vis de sa sœur cadette, Lisa. Il la nourrissait avec ce qu'il trouvait et la mettait au lit en lui racontant des histoires qu'il inventait sur le moment. La journée, il jouait avec elle à tout ce qu'elle voulait. N'importe quoi du moment que cela détournait l'attention de Lisa.
C'était un jour de juillet plutôt chaud. Au loin, provenant de l'intérieur de la cabane, Tobias entendait à l'occasion le rire ivre ou les râles gutturaux de ses parents et les occasionnels fracas qui venaient rythmer l'ensemble. Puis le calme. Tout au plus quelques précieuses minutes de silence. Et le vacarme reprenait.
Tobias, les poings bien enfoncés dans le creux des joues, regardait Lisa barboter dans l'eau de la rivière. Elle s'amusait des petits poissons qui se frayaient un chemin entre ses jambes. Lorsque l'un d'eux, téméraire ou suicidaire, venait se frotter contre le pied de la fillette, Lisa poussait un petit cri suraigu. Elle bondissait, éclaboussant le bas de sa robe et effrayant la nuée d'alevins. La mémoire leur faisant cruellement défaut ou peut-être tout autant amusés, les poissons revenaient et le jeu reprenait.
Le garçon soupira. Selon sa dernière estimation de bouteilles, il restait environ deux jours avant de repartir. Il commençait à être à court d'idées pour distraire sa sœur. Quant à son occupation personnelle, cela faisait bien longtemps qu'il ne s'en préoccupait plus. Fut un temps, il aurait taillé des dessins dans des galets à l'aide d'un morceau de verre ou il serait allé nager avec sa sœur dans la rivière. Peut-être même l'aurait-il défiée de rejoindre l'Île aux Brumes. Tobias aimait lancer ce genre de défi à sa sœur qu'il savait trop trouillarde. Dans le cas de l'Île aux Brumes, ça l'arrangeait bien, puisqu'il partageait sa peur. C'était instinctif : le simple fait de porter son regard sur le mur de brume qui dissimulait l'île contractait les tripes tout entières d'une crainte inexplicable.
À plusieurs reprises, Tobias avait tenté d'atteindre l'îlot à la nage. Au plus loin, il parvenait à mi-chemin, ne faisant que frôler les premières volutes de brume. Il cédait à ce moment volontiers aux implorations de sa sœur. Même là, alors que Tobias était assis dans l'herbe ensoleillée, la haute silhouette de l'île enveloppée dans sa cape de fumée ténébreuse lui faisait froid dans le dos. La brume, qui à première vue paraissait uniforme, dévoilait à l'occasion, à l'œil qui s'attardait trop longtemps dessus, une trémousse furtive. Un remous invisible. Le mirage d'un tourbillonnement imperceptible, qui provoquait à coup sûr un clignement impulsif. Une fois les yeux rouverts, impossible de savoir si on avait rêvé ou non.
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