quatrième heure
La lune brillait de sa lumière la plus pure, un vent frais venait sécher les larmes de Jisung, blotti dans le silence et les bras de son fils. Ces souvenirs contés à voix haute semblaient lui faire revivre sa jeunesse, mais également lui faire réaliser, une fois de plus, qu'il avait vraiment tout perdu le jour de la disparition de Seungmin. En réalité, il ne restait plus qu'Hayun, ça n'avait toujours été que Hayun ces dix-huit dernières années. Il était intimement convaincu qu'il serait prêt à mourir et tuer pour défendre sa chair, son enfant, la dernière relique de son amour perdu. Une partie de lui était heureuse de lui conter tout cela, c'était comme lui présenter son père, d'une certaine façon, et ça, ça faisait naître en lui des papillons dans le ventre, ces mêmes papillons déjà présents quand Seungmin ne faisait que poser son regard sur lui il y a trop longtemps.
"Donc si je m'appelle Hayun c'est grâce à lui ?"
Le jeune homme avait fini par briser le silence, de plus en plus impatient d'en savoir plus, cet intérêt honnête réchauffait encore un peu plus le cœur de Jisung. Si Hayun avait été perplexe à l'idée de connaître l'histoire d'amour de ses parents au début, maintenant il était sûr d'y être accro. Jisung sourit, relevant son regard dans celui de son fils.
"Il n'a jamais su si tu étais une fille ou un garçon, mais je savais que ça lui tenait à cœur de te nommer comme ça peu importe qui tu serais, même s'il n'en parlait pas...."
Hayun hocha la tête, satisfait de cette réponse. Des milliers de questions se bousculaient dans son esprit, à cet instant, il voulait vraiment tout connaître sur son père. Il se rendait compte à dix-huit ans seulement, du peu d'informations qu'il détenait sur l'homme qui l'avait chéri et élevé, et ça le touchait.
"Tu es tombé amoureux de lui rapidement ?"
L'homme secoua la tête, dessinant des formes dans le sable du bout du doigt. Les questions du jeune homme faisaient s'évader son esprit un peu plus loin à chaque seconde, dans le passé ou la tristesse, ils étaient presque synonymes à ses yeux depuis qu'il était parti. Il essayait alors de se raccrocher à cette lueur de joie pour ne pas sombrer, garder la face malgré tout ce qui l'accablait lors de son récit.
"Non, au départ on était vraiment de bons amis, et puis un matin tu te lèves et tu vois les choses différemment, tu comprends qu'il fait battre ton cœur un peu trop fort..."
"C'est vrai ?"
"Oui, en tout cas c'est comme ça que je l'ai vécu."
Et pendant quelques secondes, il tenta de les attraper, les quelques souvenirs de leur amitié.
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Le soleil apparaissait à l'horizon, la ville se réveillait seulement, mais eux étaient bien éveillés. Jisung avait bu, un peu trop, mais peut-être pas assez. Ils étaient là, sur la plage, entre âmes folles, ignorées et rejetées, "marginaux" qu'on les appelait. Sûrement que fêter à cette heure-ci, sur le sable frais confirmait tout cela, mais mieux valait en rire qu'en pleurer. Mains liées avec Félix, Jisung dansait, se dévoilait comme il ne l'avait jamais fait. Et étrangement, il ne le regretterait pas, ça lui faisait trop de bien de baisser sa garde, c'était beaucoup trop jouissif et enivrant tout comme l'alcool qui coulait dans son sang. Alors il tournoyait avec son ami, sous les yeux de ceux qu'il chérissait, ne serait-ce qu'un peu.
Il n'était pas arrivé, le sujet de ses pensées, il avait du retard ce matin-là, cet ami un peu trop spécial. Mais après un énième verre, Jisung n'y faisait plus tant attention, quelque chose hurlait en lui que ce n'était pas normal, mais c'était un tout petit quelque chose dans un tout petit coin de sa tête à cet instant.
Et finalement il le vit, la démarche tremblante, le visage mutilé. Mais il était trop joyeux pour s'alarmer et s'inquiéter comme il aurait fallu, à la place de cela, il prit ses mains dans les siennes, abandonnant immédiatement Félix.
Seungmin rit, ils coururent vite, les pieds à moitié dans l'eau. Jisung voulait juste sauver Seungmin à cet instant, le sauver des questions et des inquiétudes un peu trop grandes, il savait que son ami les détestait. Alors ils s'éloignèrent de leur petit groupe, mains liées et leurs cœurs battant sur un même rythme.
Six mois s'étaient écoulés depuis leur première rencontre, et c'est comme si à cet instant, leurs deux âmes s'étaient finalement entièrement synchronisées, vibrant en symbiose totale.
Et ils finirent par s'arrêter, parce qu'il le fallait, parce que Jisung était un peu trop bourré et Seungmin un peu trop essoufflé.
"C'est encore ces gars ?"
Les mains de Seungmin se posèrent sur les hanches de Jisung, il tanguait un peu trop à ses yeux, c'était un peu dangereux. Il avait entendu les mots de Jisung, il était le seul à qui il s'était confié sur ces hommes à qui il devait beaucoup, la vie principalement. C'était eux qui lui permettaient de respirer encore dans le monde dans lequel il baignait, c'était eux qui faisaient de sa vie un tourbillon de violence, mais qui en échange lui donnait une chance de s'en sortir. Un silence s'installa, mais le jeune homme se fit une raison, et répondit finalement à la question du garçon entre ses mains.
"Ouais, ils sont un peu durs à satisfaire.."
Le skateur hocha lentement la tête, passant ses bras autour de la nuque de son ami dans un même mouvement. Il lui semblait avoir été effrayé quand Seungmin lui avait expliqué, cette soi-disant loi du plus fort dans les quartiers où il survivait, ce qu'il endurait, sans en dévoiler trop. Mais à cet instant, il était un peu trop loin pour réfléchir et le rassurer véritablement. Alors, se dandinant d'un pied à l'autre, il se contenta de plonger son regard dans le sien.
"Mais c'est pour survivre."
Il hocha la tête à son tour.
"C'est pour survivre."
Un câlin, c'était ce qu'hurlaient les pupilles de Seungmin, c'était ce que l'esprit embrumé de Jisung décryptait dans son regard. Alors il le serra un peu plus contre lui, le berçant au rythme de son corps qui se balançait. Et ça fit du bien au garçon mutilé, un peu trop de bien, tant de bien qu'il baissa sa garde pour la première fois depuis longtemps.
S'il te plaît, sauve moi
C'était un souffle dans le vent, ou un murmure, Jisung ne le saurait sûrement jamais. Mais ça l'avait intrigué, et il brisa leur étreinte pour regarder Seungmin dans les yeux.
"T'as dis quoi ?"
"Rien, on danse ?"
Et ils dansèrent, les pieds dans l'eau, son regard dans le sien et leurs esprits bien loins.
Et le cœur de Jisung battit fort, un petit peu beaucoup trop fort.
Et peut-être qu'il n'y avait jamais eu d'amitié.
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