deuxième heure
Seungmin
Le nom de ce parent perdu résonnait en Hayun, il ne l'avait jamais connu, mais son nom dans la bouche de Jisung semblait lui souffler tout ce qu'il avait été, des sentiments purement positifs envahirent les entrailles du jeune homme.
"Alors vous viviez ici ?"
"Oui."
D'aussi loin qu'il s'en souvienne, Hayun avait toujours vécu dans ce petit village du nord-est, c'était la toute première fois qu'il mettait les pieds à Busan. Alors apprendre que ses deux parents étaient originaires de cette ville l'étonnait, il ne comprenait pas vraiment comment ils avaient pu en arriver là.
"Nous sommes nés tous les deux à Busan, comme toi d'ailleurs. Ton père est parti pendant ma grossesse, mais j'ai préféré attendre d'accoucher et d'avoir l'argent nécessaire pour partir, comme il me l'avait demandé."
"Il te l'avait demandé ? Pourquoi ?"
Les yeux de Jisung s'embuèrent de nouveau de larmes, il posa alors son regard sur les vagues face à eux. Il redoutait énormément cette partie du récit, celle qui expliquerait pourquoi Seungmin était parti, il savait que même après dix-huit ans, il n'avait pas réussi à digérer tout cela. C'était une partie bien sombre du récit de la famille qu'ils auraient pu être.
"C'est pour un peu plus tard tout cela, notre histoire ne s'est pas arrêté à notre rencontre tu sais."
Hayun se mura dans le silence, voyant que sa question avait perturbé son père. Il sentait bien que quelque chose clochait, que Seungmin et Jisung c'était plus que juste une histoire d'amour, et qu'il était né au milieu de tout ça, au milieu de la peur et de la tristesse de deux hommes qui s'étaient aimés passionnément. Mais ce n'était pas encore le moment de comprendre, la lune n'était pas encore assez haute dans le ciel et les étoiles ne brillaient pas assez pour que de tels secrets soient dévoilés.
"Parle moi d'ici, de Busan."
Cette demande eut le don de rendre le sourire à Jisung, les étoiles dans ses yeux auraient pu être jalousées par le ciel nocturne, de toute évidence son père adorait cette ville. Pour sa beauté, mais sûrement aussi pour les jolis souvenirs qu'elle avait gardés.
"Pour être tout à fait honnête, j'aime beaucoup les collines et les lumières de la ville. Mais ce que je préférais, et préférerais toujours, c'est la plage et les bidonvilles."
"Les bidonvilles ?"
"Ils ne ressemblent plus tant que cela à des bidonvilles, mais c'est là où ton père vivait, ils détiennent de magnifiques souvenirs à mes yeux..."
Toute la joie et l'amour qu'il pouvait lire dans le regard de son père réchauffa le cœur de Hayun, il ne l'avait jamais vu comme cela, et ce serait un euphémisme de lui dire que ça lui plaisait. Il avait l'impression de voir son père revivre à travers ces souvenirs explorés ensemble.
"La plage aussi ?"
"Surtout la plage..."
Il caressa le sable du bout des doigts, fixant les grains fins et froids tomber d'entre ses pulpes, rejoignant le sol immaculé.
"Tu sais, l'océan a vu notre rencontre certes mais également nos premiers rapprochements, et surtout nos fiançailles.."
Et encore une fois, le cœur d'Hayun se réchauffa à la vue du regard lumineux de Jisung, ces souvenirs-là, ils n'avaient jamais été entachés par le départ de son père. Seungmin devait être quelqu'un de bien, il avait dû faire naître tant de sourires sur les lèvres de son père. Jusqu'ici, la mention de son géniteur disparu n'évoquait que de la colère à Hayun, mais petit à petit, c'était comme si un peu de son amour transpirait entre les mots prononcés, l'enveloppant dans une étreinte rassurante. Alors, malgré tout sa méfiance, il ne put s'empêcher de sourire en imaginant à quoi pouvait bien ressembler son père, la forme de son sourire, l'odeur de ses étreintes ou le son de sa voix.
"C'est étrange si je te dis que je commence à l'apprécier à travers tes mots ?"
"Je ne pense pas"
Le sourire qu'ils s'échangèrent à cet instant valait tout l'or du monde. Et là, sur cette plage, Jisung vit le fantôme de Seungmin à travers leur fils, plus qu'à n'importe quel moment.
Et il sourit d'autant plus.
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"Jisung !"
La voix de Félix résonna de nouveau, sortant Jisung de sa torpeur. Il ne savait plus vraiment à quoi il pensait, ça ne devait pas avoir une grande importance. Il se tourna vers son voisin, arrivant de l'autre bout de la rue. A ses côtés, Hyunjin, son ami peintre, observait le paysage, les maisons qui descendaient vers l'océan et le soleil qui se levait à peine à l'horizon. Et puis, il y avait Seungmin, juste là, fixant Jisung comme lui le fixait. Ils se sourirent, et le jeune homme prit enfin l'initiative d'avancer vers eux.
Les quatre garçons avaient prévu une balade ce matin-là, au soleil levant, ils étaient assez d'accord pour dire que la ville silencieuse par la matinée naissante était ce qu'il y avait de plus agréable, sûrement que leurs âmes d'artistes étaient liées à cela.
Alors ils se baladèrent dans le silence, dévalant les rues, passant devant les commerces à peine ouverts. La douceur de l'été matinal leur était bien agréable, et les quelques mots chuchotés avaient du sens, ce n'étaient pas des paroles floues comme Jisung en avait l'habitude. Pour être honnête, il appréciait la vision de la vie de ses nouveaux amis, elle se rapprochait de la sienne, bien qu'au premier abord il avait eu l'impression d'être bousculé, il trouvait dorénavant un semblant de paix intérieure en leur présence, une sérénité et un confort qu'il avait rarement connu.
Hyunjin et Félix s'intéressaient aux gens qui passaient, il leur inventait une vie, un passe-temps, des enfants, un chien. Jisung avait un peu de mal avec ça, déduire une histoire d'un physique lui échappait légèrement, même si il adorait s'imaginer de nouveaux mondes et des personnages fantastiques, penser aux autres n'était pas un passe temps qu'il appréciait. Seungmin avait plutôt l'air de son avis, de là où était le skateur, il semblait que le jeune homme ignorait royalement leurs deux amis, fixant ses pieds, observant ses propres pas défilants, défiants légèrement la gravité dans la pente ardue qu'ils descendaient.
Ce fut assez soudain, mais Jisung fut pris d'une envie de lui parler, de se rapprocher de lui. Depuis qu'ils se côtoyaient, Seungmin l'intriguait encore plus que l'élément de vitrine quotidien qu'il fut auparavant à ses yeux. Alors, il s'approcha de chez lui, tapotant son épaule pour qu'il dirige son attention sur lui. Cela fonctionna, et ses yeux remplis d'interrogations se posèrent sur le skateur.
"Tu admires le sol ? Tu es plutôt pavés ou gravier ?"
"Tout est mieux que la terre sèche de mon quartier, au moins on ne se salit pas si on tombe."
"Tu habites dans les bidonvilles c'est ça ?"
"Oui, il n'y a rien de plus confortable que les matériaux de récupération et les odeurs de tabac.."
"Je veux bien te croire, je n'ai jamais testé après tout.."
Sa réplique eut le don d'arracher un rire léger à Seungmin, et Jisung se dit qu'il appréciait beaucoup ce son. Alors qu'il essayait silencieusement de le mémoriser, Seungmin reprit la conversation, à son grand étonnement.
"Ta planche, c'est un cadeau ?"
"Je l'ai volé à mon père, il n'est jamais là de toute façon.."
"Je vois."
Les questions de Seungmin n'étaient empreintes que de curiosité et d'un intérêt sincère. C'était agréable pour lui qui était toujours effrayé de la face cachée des gens, leurs pensées invisibles et leurs chuchotements vicieux. A côté, Seungmin était presque un être de lumière, bien que Jisung la voyait, cette part sombre et mystérieuse en lui, celle qui le murait bien souvent dans le silence et semblait l'enfermer dans ses pensées..
"Tu m'apprendrais ?"
"Oui, mais certainement pas dans une rue aussi pentue."
"Tu te soucies de ma sécurité ?"
"Mon objectif dans la vie c'est de n'avoir aucun mort sur la conscience."
Et ils rirent tous les deux, amusés par leur conversation sans queue ni tête, maladroite et à l'image de leurs capacités sociales semblables.
Et petit à petit, un pas après l'autre, ils se rapprochaient du tournant de leur histoire.
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