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Deva prit le temps de relire une nouvelle fois le dossier qu'elle avait. Elle avait la sensation d'être face à un mur. Aucune nouvelle information, rien qui ne faisait avancer l'affaire. Même les paroles du jeune Saint-Clair ne l'aidaient pas. En même temps, l'adolescent semblait tellement chamboulé et perdu, qu'il n'avait pu apporter aucune indication sur les événements survenus. Rien d'anormal lorsqu'on vivait un tel traumatisme. Mais ce « choc émotionnel » ne l'aidait pas dans son affaire.
Elle avait deux corps sur les bras, du sang en abondance et un gosse sortant de la forêt. Elle n'avait pas de suspect, pas d'empreintes autre que celles de la famille Saint-Clair et pas de raison pour commettre un tel acte. Il n'y avait que ces blessures aussi étranges que sauvages, présentes sur des victimes que tout le monde semblait apprécier de leur vivant. Cette enquête n'en était qu'à son début, mais déjà, elle semblait mener nulle part.
Quelqu'un frappa à sa porte, lui faisant relever les yeux du dossier.
- Entre Gaspard !
Le jeune homme referma la porte du bureau derrière lui. Il jeta un rapide coup d'œil au dossier ouvert, avant de tendre une simple feuille à l'inspectrice.
- Qu'est-ce que c'est ?
- Les résultats des tests sanguins.
Deva survola la feuille rapidement et releva les yeux vers son second.
- Le jeune Saint-Clair était couvert du sang de ses parents, mais pas une goutte du sien ? En conclut-elle.
- C'est ce que les analyses montrent.
L'inspectrice reposa la feuille, par-dessus les quelques autres composant le dossier.
- Qu'est-ce qui peut justifier qu'un adolescent soit recouvert du sang de ses parents ? Osa demander Gaspard.
- Il a peut-être essayé de les aider. Sans y parvenir au vu de la gravité...
- Un fou furieux massacre les Saint-Clair et le fils s'en sorte sans la moindre égratignure ?
- C'est plausible, s'il est arrivé après les faits.
Gaspard détourna le regard.
- Tu ne sembles pas convaincu par cette théorie Gaspard.
- Cette théorie n'explique pas l'état de la chambre de l'enfant, la fenêtre cassé, et surtout pourquoi on retrouve Jeskary sortant dans la forêt.
- Beaucoup d'éléments nous manquent Gaspard. Et l'amnésie de Jeskary Saint-Clair ne nous aide pas.
- Envisagez-vous la possibilité que l'adolescent soit responsable des faits ?
Deva leva des yeux plein d'interrogations vers son second.
- Au point où nous en sommes, aucune théorie ne doit être mise de côté. Mais tu as bien vu l'état des victimes. Comment un adolescent peut infliger de telles blessures ? Regarde.
Elle lui sortit les photos des parents Saint-Clair. Ces genres de clichés étaient écœurant à voir. Ce n'était pas le genre qu'on accrochait à un mur pour embellir son salon. Gaspard avait le cœur assez accroché pour supporter de voir ce genre de chose. Dire qu'il en voyait tous les jours était exagéré. En revanche, avec le métier qu'il faisait, il devait s'y attendre.
- La peau semble avoir été déchirée et arrachée à d'autres endroits. Et là, les incisions sont imprécises et en même temps, forment des lignes parallèles, reprit l'inspectrice.
- Des griffures : c'est ce que vous aviez supposé la première fois en voyant les corps.
- Exactement. J'imagine mal notre adolescent se transformer en Wolverine pour assassiner ses parents !
- Alors quoi ? Une bête ?
L'inspectrice se contenta de hausser les épaules. Comme elle le disait : à ce stade-là de l'enquête, tout était possible et aucune théorie ne devait être mise de côté.
- Est-ce que la scientifique a terminé son relevé d'indices à la demeure des victimes ?
- Pas encore. Elle doit terminer dans la journée, normalement.
Deva allait libérer Gaspard pour se plonger de nouveau dans un dossier mille fois lu, lorsque la porte s'ouvrit avec fracas. La personne – un agent au crâne rasé, essoufflé par la course qu'il venait visiblement d'effectuer – resta accroché à la poignée de la porte pour reprendre son souffle.
- Oui ? Parla Deva en premier, surprise par cette interruption.
- Jeskary Saint-Clair a disparu de l'hôpital !
***
Une telle agitation régnait dans l'hôpital, que Deva retrouva sans problème la chambre que le jeune Saint-Clair était censé occuper. Des agents s'étaient réunis, des infirmières couraient dans tous les sens, autant pour essayer de retrouver l'adolescent disparu, que pour s'occuper des autres patients du couloir.
Avant de poser la moindre question, l'inspectrice analysa la scène qui se déroulait devant elle. La chambre n'avait pas changé, le lit toujours a sa place, la fenêtre était ouverte, pas brisée, les machines avaient été éteintes. À première vue, il n'y avait rien d'alarmant.
Son regard alla ensuite jusqu'à la jeune fille assise dans la chambre. Elle reconnaissait ses cheveux roux et cette petite mine douce et innocente. La copine de Jeskary n'avait pas quitté la chambre depuis la veille, et elle semblait bouleversée. Son regard était bas, elle était confuse. Deva voyait même ses épaules tremblaient. Retenaient-elles des sanglots ? Son état se comprenait. Son petit ami avait disparu, en pleine nuit, alors qu'elle-même se trouvait dans la chambre.
- Bonjour Emy, tu te souviens de moi ?
Deva essaya de prendre un air rassurant et un sourire réconfortant. Elle ne voulait pas brusquer une jeune fille déjà perturbée.
Emy se contenta d'acquiescer, sans lâcher le moindre mot.
- Bien. Tu as entendu quelque chose cette nuit ?
Un simple « non » de la tête.
- Est-ce que Jeskary t'a envoyé un message ?
Emy jeta un rapide coup d'œil au portable qu'elle tenait dans ses mains. Sa réponse, toujours silencieuse, fut négative elle aussi.
- Ne t'inquiète pas, tu n'es pas responsable. On va retrouver ton copain !
Deva se redressa et s'éloigna de la jeune fille, pour se tourner vers Gaspard.
- Je veux les vidéos de surveillance de cette nuit. Je veux savoir si quelqu'un est rentré et par où et comment et sortit cet adolescent !
Gaspard affirma et n'attendit pas plus d'une seconde pour aller récupérer les informations demandées. Une infirmière en profita pour s'approcher de l'inspectrice. Elle semblait toute timide elle aussi, et tendue. Ses mains étaient crispées sur la petite tablette qu'elle tenait.
- Excusez-moi.
- Oui ?
- La jeune fille présente dans la chambre a dit dormir profondément cette nuit et n'a rien entendu.
- C'est ce que j'ai cru comprendre.
- Elle ne se souvient pas s'être endormis non plus. Nous avons fait quelque analyse pour s'assurer de sa santé. On a retrouvé des traces de somnifères dans son sang. On a vérifié son dossier médical. Elle n'en prend habituellement pas et personne dans le service ne lui en a donné. Elle ne se souvient pas non plus d'en avoir pris d'elle même.
Une jeune fille endormie, un adolescent qui disparaissait, encore une fois, le tout lié à deux parents dormant dans la morgue. Cette histoire se perdait en complexité. Chaque nouvel élément apportait son lot de question et il y avait encore trop peu de réponses.
- Où est l'agent qui devait surveiller la chambre ? Demanda-t-elle tout haut.
La personne en question s'approcha. Un agent ayant raté une information et ayant perdu l'objet de sa surveillance, se serait fait tout petit. Pas lui. Il approchait, un air presque fier sur son visage. Il n'avait aucune honte et gardait le regard haut.
- Où étiez-vous cette nuit ?
- Dans les couloirs de l'hôpital, j'ai eu besoin d'un café pour rester éveillé. L'enfant est certainement parti à ce moment-là.
Un café ? C'était son excuse pour avoir quitté son poste ? C'était là, la pire des raisons qu'elle avait pu entendre. Deva connaissait bien cet agent. Il avait toujours fait son travail sérieusement, sans chercher à monter en grade. Il se contentait de son petit poste tranquille et d'obéir aux ordres. Pourquoi une telle erreur ? Sans le moindre regret ?
L'inspectrice n'eut pas le temps de se poser plus de questions à ce sujet et de lui faire remarquer, son second revenait déjà. L'efficacité était toujours présente chez Gaspard.
- J'ai récupéré les vidéos de cette nuit, je les ai déjà fait transmettre au bureau pour de meilleures analyses.
- Et qu'est-ce que ça donne pour l'instant ?
- Deux personnes sont rentrées dans la chambre cette nuit. Il faisait sombre, mais à priori, ce sont deux femmes. Elles sont ressorties quelques minutes après. Aucune trace de Jeskary Saint-Clair. Ni avec elles, ni dans aucun couloir. S'il est sorti, ce n'est pas par la porte de sa chambre.
L'inspectrice porta automatiquement son regard vers la fenêtre de la chambre, toujours ouverte. Elle était en parfait état, mais elle avait une impression de déjà-vu. À la maison des victimes aussi quelqu'un – ou quelque chose – était sorti par la fenêtre, sans se soucier de se trouver au premier étage. Coïncidence ou répétition de l'histoire ?
- Il faut retrouver Jeskary Saint-Clair au plus vite. Je veux que tous les moyens soient mis à disposition. Ces femmes sont très certainement liées à sa disparition, je veux qu'elles soient identifiées !
Elle se tourna vers l'agent au sourire presque inquiétant et cet air toujours aussi fier.
- Toi, tu viens avec moi. On retourne au bureau.
Deva jeta un dernier regard vers la fenêtre de la chambre, essayant de tout mettre en ordre dans sa tête. Des parents sauvagement assassiné, un adolescent qui réapparaît couvert du sang de ses parents, pour de nouveau disparaître moins d'un jour après. Un agent qui quittait son poste, permettant cette disparition, deux inconnues qui venaient s'ajouter au tableau.
Qu'est-ce qu'il se passait réellement ? Et pourquoi tout semblait tourner autour d'une seule personne ? Qu'est-ce que le jeune Saint-Clair avait bien pu faire ?
L'inspectrice devait retourner à son bureau au plus vite. Elle avait besoin de voir les vidéos de surveillance de ses propres yeux et de se replonger dans ce début de dossier lu mille fois. Un détail lui avait sans doute échappé. Un détail important.
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