4-
Les rayons de la pleine lune passaient par la fenêtre. Il n'avait pas fermé les volets, le mal de tête l'avait tout simplement cloué au lit. Habituellement les effets de la lune, qu'elle soit pleine ou non, n'avaient jamais eu d'effet sur lui. Contrairement à Emy. La jeune fille se plaignait de ne pas dormir chaque fois que l'astre était parfaitement rond.
Cette fois, c'était différent. Malgré la douleur criante qui accablait son crâne, il le ressentait. La lumière argentée, sa rondeur parfaite, avait une influence sur lui. Il ressentait les effets au plus profond de lui, c'était comme si la lune elle-même lui parlait, lui ordonnait d'agir. Se lever pour quoi ? Il avait bien trop mal.
Dans le silence de la nuit, ses os craquèrent une première fois. Avant même qu'il ait le temps de se remettre de cette nouvelle vague de douleur, il y eut un autre craquement. Tout son corps se tordait, se disloquait. À chaque nouvel os qui se déplaçait, la lune lui disait de continuer. Un grondement monta du plus profond de son être. Depuis quand était-il capable de sortir de telle son ? Il avait la sensation d'être rien de plus qu'un animal.
Il ouvrit les yeux, cherchant à voir l'heure et surtout attraper sa bouteille dos. Il ne pensait pas que son corps se disloquait réellement. Cette sensation n'était due qu'au mal de tête et il ferait n'importe quoi pour le faire passer. Il eut du mal à tendre la main. Tous ses gestes étaient d'une lourdeur terrifiante. Il fit une nouvelle tentative, la table de chevet se brisa, s'écroula. Il ignorait qu'il avait une telle force. Il s'était déjà énervé de nombreuses fois sur son mobilier de chambre, jamais assez pour le détruire de la sorte. Un autre grognement lui échappa. Il fit claquer sa mâchoire d'énervement. Il avait mal, partout, c'était insoutenable. Il avait besoin de prendre quelque chose, de l'eau, un cachet, n'importe quoi capable de le soulager. Tout ce qu'il parvint à faire, ce fut de tomber du lit. Il eut la sensation de n'être qu'une lourde masse que plus rien ne tenait, pas un os, ni même un muscle. Il se redressa, retomba. Tout était flou autour de lui.
Dans cette confusion et cette douleur, la lune lui parla une nouvelle fois. Elle lui murmura de se relever. Elle lui ordonna de bouger. Son corps obéit. Il surpassa la douleur et cette sensation d'avoir perdu chacun de ses os, et se redressa. Il resta à quatre pattes et, aussi étrange que cela puisse paraître, cette position lui parut tout à fait normale. Il fit un premier pas, lourd, incertain. Un second suivit, tout aussi vacillant. Malgré tout, il parvint à se déplacer.
Une odeur arriva jusqu'à son museau. Une odeur familière et terriblement attirante. Il s'en lécha les babines, juste avant de refaire claquer ses mâchoires. La lune n'avait plus rien à voir là-dedans, sa propre volonté était seule responsable. Elle le poussa à agir, à suivre cette odeur alléchante.
- Jessy ? Tout va bien ? J'ai entendu du bruit.
L'odeur devint plus forte, agréable. Une odeur qu'on aimait sentir. L'instinct prit le dessus. Il poussa un petit grognement et sauta au travers de la porte fermée.
***
Jeskary ouvrit grand les yeux. Il était couvert de sueur, sa respiration, haletante. Il mit un moment à se calmer et à se souvenir d'où il était vraiment. L'hôpital s'imposa rapidement à lui. L'odeur des malades et des médicaments, le bip-bip incessant des nombreuses machines, le va-et-vient – mêmes en pleine nuit – des infirmiers. Il était en sécurité, seul dans une chambre.
- Le souvenir du premier changement est douloureux n'est-ce pas ?
Il fit un bond sur place. Il n'était pas aussi seul qu'il le croyait. Son regard se posa d'abord sur Emy. Sa copine dormait profondément sur une chaise, prête du lit. Elle n'était donc pas rentrée chez elle. La jeune fille était vraiment adorable d'autant se soucier de lui.
- Elle ne se réveillera pas si tu te poses la question.
- Qu'est-ce que vous lui avez fait ? S'inquiéta Jeskary, avant même de se demander à qui il parlait.
- On lui a seulement donné un somnifère. Elle n'a pas besoin d'entendre notre conversation.
Les battements de son cœur se calmèrent légèrement. En tendant bien l'oreille, il entendait la respiration de la jeune fille : calme, apaisée. Elle se trouvait sans doute en plein rêve. Jeskary l'enviait ! Il aurait préféré faire un doux songe, plutôt que l'affreux cauchemar qu'il venait de subir.
- On peut dire que tu n'y es pas allé en douceur pour une première fois. Enfin, on ne peut pas t'en vouloir, personne ne nous apprend le contrôle au début ! Normal que ça dérape.
Si son cœur s'était calmé, Jeskary n'en restait pas moins tendu. Il n'était pas rassuré et chacun de ses muscles se tenait prêt à agir. Dans cet état d'alerte, il se tourna enfin vers les occupants mystères de sa chambre. Dans la pénombre, il distingua deux femmes, à peu près aussi grandes l'une que l'autre. L'une avait la peau aussi blanche que la seconde l'avait noire. Deux parfaites opposées qui affichaient de larges sourires. Des sourires qui se voulaient rassurant sans doute.
- Qui êtes-vous ?
Les deux femmes échangèrent un regard. Celle à la peau sombre attrapa une chaise libre et s'assit à côté du lit. Elle affichait toujours ce grand sourire, qui, à bien y réfléchir, avait presque quelque chose d'inquiétant.
- On avait préparé toute une mise en scène pour t'apporter la chose en douceur. On s'était imaginé dire « on est tes psychologues, raconte-nous tes problèmes ! ». Mais en fait, on n'a pas le temps de tergiverser. Alors on va aller droit à l'essentiel. T'es un loup, mon p'tit chou !
- Pardon ?
- Un loup-garou pour être plus précis, un animal de la nuit qui va se mettre à croire que la lune dicte ta vie. Mais ne commence pas à te faire de film. T'es un sang-mêlé, un être impur pour les vrais loups ! C'est la raison pour laquelle tu vas devoir venir avec nous, si tu ne veux pas finir noyé dans le fleuve.
Jeskary passa d'une femme à l'autre. D'un sourire à l'autre. Il ne comprenait rien. Il était plus perdu qu'à son réveil. Il avait la sensation d'être face à deux folles venu déranger sa nuit. Des résidentes de l'hôpital ? Elles venaient peut-être d'une chambre voisine.
Il détourna le regard, préférant fixer sa copine, plutôt que ces femmes étranges.
- Vous êtes folles.
- Certainement. Mais on est la pour te sauver la vie !
- Je n'ai pas besoin d'être... Sauvé.
- Ça, c'est ce que tu crois ! Affirma celle a la peau aussi blanche que la neige.
La seconde femme approcha un peu plus sa chaise du lit de l'adolescent. Jeskary eut un mouvement de recul, craignant tout contact avec cette personne.
- Tes parents sont tous les deux morts n'est-ce pas ? Tu sais de quoi ?
- Non.
- Et tu t'es réveillé, nu dans la nature, complètement déboussolé, je me trompe.
- Non... C'était... Comment vous le savez ?
Ce n'était pas réellement la question qu'il voulait leur poser. Il se demandait surtout pourquoi il était en train de leur parler. C'était encore des inconnus venus lui poser des questions auxquelles il n'avait pas la réponse. Sauf qu'elles, elles venaient en pleine nuit et semblaient plus dérangées qu'un échappé d'asile.
- Est-ce que tu as remarqué l'agent posté devant ta porte toute la journée ? Agent toujours présent dans l'hôpital si tu te poses la question.
Oui, il avait vu cet agent. Un petit homme aux cheveux rasés, qui ne lui avait pas décroché un mot, ni même un regard. L'inspectrice lui avait assuré que c'était pour sa sécurité, tant qu'ils n'en savaient pas plus sur cette affaire.
- Cet agent n'est pas là pour te protéger. C'est un petit toutou à la botte de l'Alpha. Il est chargé de t'éliminer si tu ne viens pas avec nous.
Le jeune homme sentit une goutte de sueur froide couler le long de son dos. Son poil se hérissa. Il sentit le danger. Il était présent au plus profond de son être. Il le ressentait, comme il avait ressenti la douleur et l'envie de sang ensuite. En revanche, il ignorait d'où venait ce danger : de ce fameux agent, ou de ses deux femmes dans sa chambre ?
- Vous êtes complètement dérangé.
Cette phrase lui avait échappé, dans un murmure.
- De quoi tu viens de te souvenir ? Qu'est-ce qui t'as fait paniquer, au point de te réveiller ?
- Tu viens de revivre ta première transformation, n'est-ce pas ? C'était comment ? Douloureux ? Étrange ? Inconnu ? Un parfait mélange de sentiments contradictoires ?
Jeskary plissa les yeux. Ces femmes mettaient parfaitement le doigt sur ce qu'il venait de vivre dans son sommeil. Comment le pouvaient-elles ?
- Il faut que tu saches une chose mon petit chou : tes parents sont morts et tu es le seul responsable.
Il sentit des larmes incontrôlables monter. Leurs mots semblaient insensés et pourtant... Des images tournaient dans sa tête. Des sensations, des goûts, des envies : tout lui revenait. Il n'avait pas seulement fait un cauchemar, il s'était souvenu. Et dans ses souvenirs, il y avait un loup blanc, pur, rassurant. Un animal qui ne pouvait pas être meurtrier.
- Qui êtes-vous à la fin ? Lâcha-t-il dans sa confusion, entre deux larmes silencieuses.
Les femmes se regardèrent une nouvelle fois.
- Nous, on est ta nouvelle famille !
Dicté par un instinct de survie sommeillant en lui, Jeskary se leva d'un bond. Il avait peur, il était perdu, il ignorait qui croire et surtout quel mot croire. Il était resté tendu, sur ses gardes. Il n'avait pas confiance en ces femmes. Il préféra laisser son corps agir de lui-même. Sans se poser de question, il prit la fuite vers la première sortie qui s'offrait à lui : la fenêtre. Il ignorait à quel étage il se trouvait. En fait, il ne se posait plus de question.
Il avait tué ses parents ?
Il était un meurtrier ?
Avait-il vraiment aimé le goût du sang ?
Il était en danger ?
Il se réceptionna un étage plus bas, sur les pieds, sans douleurs. L'herbe était humide contre sa peau nue, une sensation rafraîchissante, presque bénéfique. Une sensation sur laquelle il ne pouvait s'arrêter. Le sentiment de danger, cet instinct qui l'avait fait sauter par la fenêtre, le poussa à aller plus loin. Il devait fuir, se cacher, rester seul. Il devait comprendre, démêler le vrai du faux. Il ne pouvait faire confiance à personne. Ni à l'inspectrice, ni à l'agent censé le protéger et encore moins à ses femmes. Pouvait-il avoir confiance en lui-même ?
- Deb et Kass n'y sont pas allés par quatre chemins, n'est-ce pas ?
Jeskary sursauta encore une fois. Il se retourna, se retrouva nez à nez avec un parfait inconnu. Encore un. Les rayons de la lune, se reflétaient dans ses cheveux blonds platine.
Qui étaient-ce encore ? L'adolescent n'en pouvait plus des nouvelles rencontres. Elles ne lui apportaient rien de bon.
- Pour un loup, tes sens son vraiment nul ! Enfin bon, t'es tout jeune on va dire que c'est pour ça.
- Je ne suis pas...
- Un loup ? Si ça t'arrange de le croire. Moi je m'en fiche pas mal. Je ne voulais même pas venir, mais je n'ai pas eu le choix. Tu aurais dû simplement écouter les filles, ça aurait été plus simple pour tout le monde. Les jeunes Sombres, vous êtes tous les mêmes...
Le blond n'ajouta rien de plus. Il mit un casque de musique sur ses oreilles et s'éloigna sans accorder plus d'importance à l'adolescent.
Jeskary aurait pu reprendre sa fuite, s'éloigner de tout danger, se cacher. Il aurait dû. Il n'y parvint pas. Son corps s'effondra sans qu'il n'ait le contrôle dessus. Ses yeux se perdirent dans la brume et il s'endormit, plus confus que jamais.
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