Chapitre 3
Parfois, dans l'herbe d'un vert éclatant, on pouvait voir une ou deux fleurs, radieuses. La rivière coulait à côté, si limpide que l'on pouvait voir les rochers polis qui se trouvaient en dessous. Les immenses arbres créaient des zones d'ombre un peu partout dans ce paysage tout droit sorti d'un conte de fée. Et c'était dans ce décor majestueux que Gabriel et Clara marchaient. Le jeune homme maintenait la conversation animée tandis que son amie observait les lieux avec un regard triste.
Soudain, elle s'arrêta et attrapa le bras du garçon qui continuait à avancer. La jeune fille inspira profondément avant de se mettre à parler :
-C'est ici qu'il est... tombé. Il a glissé en voulant voir un oiseau de plus près et il s'est cogné la tête. Il a perdu connaissance et...
-Il n'est pas remonté.
Clara hocha la tête et s'assit dans l'herbe. Une larme glissa le long de sa joue.
-Tu sais, tu me le rappelle affreusement. Il était comme toi, toujours à sourire, à voir le bon côté des choses... Il était stupidement optimiste.
-Vraiment ?
-Oui, il trouvait toujours les bons mots, la plupart du temps agrémentés de commentaires sur les oiseaux. Ça le passionnait, les oiseaux.
-Personnellement il y en a un qui a élu domicile juste en face de ma fenêtre. C'est assez énervant quand je veux dormir il qu'il se met à piailler à tout va. Du coup, j'ai pas un grand amour pour les volatiles.
Clara éclata alors de rire. Un rire franc, sincère, qui résonna loin. Jamais elle n'avait vu Gabriel aussi rayonnant. Le jeune homme l'entoura de ses bras en s'esclaffant, manquant de l'étouffer.
-J'ai réussi ! s'exclama-t-il, Je l'ai fait !
.•.
Le soleil commençait doucement à décliner tandis que les deux adolescents étaient allongés sur le sol, discutant de tout et de rien. Le ton était bien plus léger que la première fois qu'ils s'étaient adressés la parole. Clara avait longuement remercié Gabriel. Elle avait presque fait son deuil mais il lui manquait la dernière pièce du puzzle.
Pouvoir penser à autre chose.
Elle avait également mentionné les nombreux messages qu'elle continuait d'envoyer à son défunt frère pour lui donner un semblant de réalité. Ce à quoi Gabriel avait répondu qu'il faudrait mieux arrêter. Clara lui avait promis qu'elle le ferait. Mais seulement lorsqu'elle serait prête, la jeune fille ne souhaitait pas précipiter les choses et perdre toutes ses réussites.
La fatigue les prenant de court, ils décidèrent finalement de rentrer chez eux. En se relevant, Gabriel s'approcha de la rivière, il voulait simplement boire un peu, sa bouteille d'eau était vide. Mais le bord était extrêmement glissant. Le jeune homme sentit le sol se dérober sous ses pieds et l'eau froide venir frapper violemment sa peau.
Clara observa avec effroi la scène. Elle était figée, revivant encore et encore la mort de son frère. Une deuxième lumière venait encore de s'éteindre sous ces yeux. Cette fois-ci, elle ne le supporterait pas.
C'est alors que des cris la sortirent de sa transe. Gabriel était toujours vivant ! Mais il peinait à lutter contre le courant et menaçait de se noyer à tout instant. Sous l'effet de l'adrénaline, Clara surmonta son traumatisme et se précipita sur la berge de laquelle elle tendit une main que le jeune homme saisit. Usant de toute son énergie, elle le remonta sur la terre ferme avant de l'enlacer avec force. Puis, la jeune fille se releva et son expression changea radicalement.
-Qu'est-ce qui t'es passé par la tête ?! hurla-t-elle, Je t'ai dit que mon frère était mort parce qu'il avait glissé et c'est quoi la première chose que tu fais ? Tu vas à l'endroit glissant ! Mais est-ce que tu réfléchis des fois ? Et si... tu... tu étais...
Sa voix se brisa en un sanglot et elle s'effondra. Gabriel tenta de s'approcher d'elle mais Clara le repoussa.
-Je suis désolé, vraiment. Je n'ai jamais voulu ça. C'était stupide de ma part, je le reconnais. Je... merci. Sincèrement. Je ne sais pas ce que j'aurais fait si tu n'avais pas été là. Et je comprendrai si... tu ne veux plus me parler...
-Tu es quelqu'un de génial, Gabriel, commença la jeune fille d'une voix tremblante, stupide et borné mais tu es la personne la plus incroyable que j'aie rencontré. Il te manque juste de la perspicacité pour être un humain parfait. Fais attention à l'avenir, c'est facile de blesser les gens, surtout quand on ne le veux pas. Et un traumatisme est vraiment lourd. Je ne sais pas combien de fois j'ai... revécu ce moment, encore et encore, avant de... de réagir...
Gabriel resta silencieux, tout comme Clara. Aucun des deux n'émit le moindre son ou mouvement avant plusieurs minutes. C'est dans une atmosphère lourde qu'ils quittèrent la vaste étendue d'herbe pour aller retrouver leurs rues bétonnées.
.•.
Gabriel courait à en perdre haleine. Clara venait de lui envoyer un message lui demandant de venir le plus vite qu'il le pouvait. Et il fallait bien évidemment que ce soit le jour où il avait prêté son vélo à son frère. Lorsqu'il arriva à destination, il peinait à reprendre son souffle. C'était une affreuse idée de courir ainsi en plein mois d'Août. Au moment où il releva la tête, le regard du jeune homme se heurta à un immense camion. Son visage se décomposa d'un coup. Se pourrait-il que... ?
-Salut...
Il tourna la tête. Clara se tenait là, et elle semblait légèrement mal à l'aise. Gabriel ouvrit la bouche pour parler mais elle le fit taire.
-Écoute, voilà, je déménage. Je ne t'en avais pas parlé parce que... je ne trouvais pas les mots. Et je ne voulais pas que tout devienne étrange. Tu m'as aidée, et je t'en serais éternellement reconnaissante mais... tu me rappelle trop mon frère pour que je puisse enfin passer à autre chose. Surtout depuis... cet épisode, il y a presque deux mois... Je ne veux pas que tu croies que c'est de ta faute, parce que ce ne l'es pas. Je... je pense juste que j'ai besoin de tout reprendre à zéro. De réinitialiser ma vie.
Le jeune homme lui sourit. Évidemment qu'il comprenait. Mais cela ne l'empêchait pas de se sentir affreusement triste. Il restait une heure à Clara avant de partir définitivement et de laisser derrière elle toute sa vie. Alors ils en profitèrent pour discuter une dernière fois.
Ça y est. On va déménager. Je suis enfin décidée à reprendre ma vie en main. C'est pourquoi c'est le dernier message que je t'envoie, après, je les efface tous. Alors merci d'avoir été si génial tout au long de ta vie. Merci de m'avoir nourrie d'informations inutiles sur les oiseaux. Merci d'avoir existé tout simplement. Tu sais, Gabriel connais des tas de mots anciens. C'est sa passion bizarre à lui. Et il m'en a appris un dernier aujourd'hui : « vésanie ». C'est un terme médical désignant la folie. Il n'est plus utilisé, mais je trouve qu'il décrit bien l'état que j'ai frôlé.
Je te dis simplement au revoir, le temps que je vive ma vie
Je t'aime très fort
Clara
17:54
.•.
Ils y étaient. Le moment fatidique. Ni Gabriel ni Clara ne voulait se dire au revoir. Les mots étaient coincés dans leurs gorges serrées. Le jeune homme se contenta d'offrir une dernière étreinte, des larmes coulant doucement sur ses joues.
-Tu es le meilleur ami que j'aie jamais eu, dit Clara, ne change jamais. J'aimerais pouvoir te revoir dans quelques dizaines d'années et voir exactement la même personne que celle que j'ai en face de moi. Ne laisse rien ni personne te changer. Jamais.
-Et de ton côté, fais tout l'inverse. Ne laisse pas la jeune fille qui ne sourit jamais reprendre la contrôle. Et surtout, vis.
Les deux adolescents s'éloignèrent lentement après avoir finalisé leurs au revoir. Clara monta dans la voiture avec un dernier signe de main et le moteur vrombit dans la rue silencieuse. Gabriel se retrouva soudainement seul. Il essuya les larmes qui tentaient de s'échapper de ses yeux rougis. Puis, le jeune homme se remit à sourire. C'était un sourire triste mais c'en était un. Clara était partie vivre une vie merveilleuse et ça l'emplissait de joie. Et puis, après tout, ce n'était qu'un au revoir. Leur amitié n'était pas prête de s'éteindre.
Car la lumière et l'ombre ne peuvent exister l'une sans l'autre.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro