Chapitre 9 ( nouvelle version )
Engy
Je croyais que ce Jaylen m'avait sauvée d'un maniaque alors qu'au final, ce sont mes voisins les vrais psychopathes. Le truc, c'est que je ne peux rien dire ; la vie de Dustin en dépend désormais, ainsi que la mienne. Je regrette d'avoir passé autant de temps à les espionner. Il y avait bien un truc qui clochait chez eux. Si j'ai bien compris, je dois éliminer de ma mémoire la soirée où Jaylen a tué mon agresseur. Et d'après ses frères, c'est un truc qui semble plutôt habituel : il a parlé de contrat... son « travail » tourne autour des meurtres ? C'est ça le secret familial que je compromets ? Le père, qui a prévu de me tuer si Jaylen ne le fait pas, me terrorise.
Jamais je ne pourrai vivre normalement après ça. J'aimais bien être seule à la maison la nuit, mais honnêtement, je donnerais tout pour que mes parents soient toujours là à présent.
Je franchis la porte du garage et pénètre chez moi. Il y a une partie de mon être qui est soulagée de retrouver ces murs familiers, mais une autre qui ne se sent plus en sécurité. En me dirigeant vers la buanderie, je dégote un pull propre dans le sèche-linge. J'enlève celui qui contient des gouttes de sang et prends la peine de me regarder dans le petit miroir derrière la porte. Avec une serviette, j'essuie la coulée de sang sur mon front qui cascade jusqu'à mon nez. Le coup porté à ma tête a laissé une légère bosse et ma peau commence déjà à se colorer d'une lueur bleutée qui va devenir plus importante dans les heures à venir.
Je ne me suis jamais sentie aussi vulnérable. Faible comme jamais. La rage brûle en moi. J'ai voulu me défendre, m'opposer à mes voisins, ne pas me laisser menacer ou toucher. Mais cette nuit, ils ont réussi à me tétaniser. Je ne pouvais pas me défendre, je ne pouvais rien faire. L'impuissance fait naître une colère amère en moi. Une rancœur et une furie qui traversent mes veines.
En me regardant dans le miroir, je me dis que j'aimerais bien aller dans la chambre de ma mère et piquer son fond de teint pour dissimuler la blessure.
On cogne à la porte de la buanderie et je sursaute :
— Engy ?
— Heu... ouais ? Je t'ai réveillé, Dustin ?
— Je te cherchais, t'étais pas dans ta chambre. Je... je voulais juste... Je cherchais des cachets pour la migraine, t'en as ?
Je suis perplexe. Je ne crois pas qu'il ait vraiment mal à la tête. J'ai la conviction qu'il voulait se faufiler dans mon lit. Il a vu que je n'étais pas là, il m'a cherchée et là il cherche une excuse. Après tant d'années, je connais vraiment Dustin : quand il dort ici, il essaie subtilement de venir me rejoindre sous les draps.
— Les comprimés sont probablement dans la pharmacie de la salle de bain.
J'ai remarqué un trémolo dans ma voix, mais il est facile de mettre cela sur le compte que nous sommes la nuit et que je suis fatiguée. Je pose mon oreille contre la porte et j'entends Dustin s'éloigner.
J'ouvre et disparais dans ma chambre pour me faufiler sous la couette. Je l'entends se prendre un verre d'eau pour avaler les cachets et une minute plus tard, je distingue le bruit de sa respiration dans l'encadrement de la porte.
— Toi non plus t'arrives pas à dormir ? me demande Dustin.
Je me tourne dans le lit pour le regarder.
— J'ai fait un cauchemar. Je me suis réveillée en sueur, alors je suis allée me changer.
— Tu t'es réveillée toute mouillée...
J'arrive à voir son sourire niais dans la pénombre grâce au reflet de la lune.
— Arrête, c'est pas marrant.
Il se rapproche de mon lit et, habituellement, j'aime sa proximité. On a cours ensemble, c'est mon binôme, on étudie régulièrement, on mate des films presque collés, je m'assois sur le guidon de son vélo, on partage presque tout, même notre nourriture. Mais ce soir, le voir approcher de mon lit, poser un genou sur le matelas et se faufiler sous le drap m'embarrasse. Je n'accueille pas sa présence. Je suis encore en état de choc. Je me tourne, dos à lui, regardant par ma fenêtre, là où je vois la maison de mes voisins en face.
Dustin m'enlace, non de manière sexuelle ou pour espérer coucher avec moi, juste en ami, pour me réconforter alors que je lui ai dit avoir fait un cauchemar. Il sent mon corps froid qui tremble de plus en plus.
— Hé... ça va, susurre-t-il contre mon oreille. Ce n'était qu'un mauvais rêve, Engy. Rendors-toi, je veille sur toi.
— Je sais...
Même si je ne voulais pas être touchée, au bout d'un moment, mes tremblements cessent et la chaleur de Dustin calme mon état de panique, comme une couverture chauffante et réconfortante. Grâce à cette étreinte venant de mon ami d'enfance, j'arrive à m'assoupir.
+ + +
Au matin, j'ai une sale migraine et je meurs de faim. Dustin me prépare le p'tit dej. Œufs, croissants, bacon et fruits. Ma mère, qui est revenue du travail, a volé quelques bouchées de mon assiette avant de se mettre au lit.
Après que j'ai englouti tout mon repas, Dustin me propose de sortir et de profiter du soleil. Il travaille dans les cuisines d'un restaurant deux soirs par semaine et il doit justement y aller en fin de journée. Il souhaite profiter au maximum du beau temps. J'accepte sa demande, en insistant pour qu'on n'utilise pas sa voiture. Des images montrant Jaylen en train de faire exploser le véhicule de mon ami viennent hanter mon esprit. Que ce soit vrai ou non qu'il ait installé un dispositif, je préfère ne pas l'utiliser.
Dustin bronche un peu, mais se ravise en me proposant d'aller au skatepark près de chez moi. Il emprunte ma vieille planche que je n'ai pas utilisée depuis plus d'un an et nous marchons sur le trottoir. J'évite tout regard en direction de la maison de Jaylen et ses frères. Je ressens une certaine joie de voir que la Challenger n'est pas dans l'allée. En revanche, l'expression du visage de mon ami est étrange quand il pose les yeux sur moi. Quelque chose le tracasse.
— Qu'est-ce que tu as ? Tu me regardes bizarrement.
Il se contente de hausser les épaules, pinçant les lèvres comme s'il retenait une irritabilité.
Je lui donne un faible coup de coude et il m'ignore. Je lui bloque le chemin en me plaçant devant lui.
— Allez, crache le morceau. J'ai fait quelque chose ?
Est-ce qu'il boude parce qu'il ne s'est rien passé entre nous durant la nuit ? Non, qu'est-ce que je raconte, c'était une étreinte amicale.
Après avoir laissé quelques secondes s'écouler, il parle enfin.
— J'ai un problème avec celui qui t'a fait ça... Je ne sais pas encore comment réagir ni ce que je vais faire, mais je te jure Engy, je me retiens pour ne pas tout casser autour de moi.
— De quoi tu parles ?
Il pointe mon visage, plus précisément mon front.
Ah merde ! J'ai oublié en me levant de mettre du fond de teint pour le cacher.
— Je l'ai remarqué seulement quand on est sortis dehors ; avant ça, tes cheveux le cachaient. Tu m'as demandé de te protéger, et moi j'y suis pas arrivé ! T'as été frappée quand ? Durant la nuit, t'es allée dehors ? C'était pas vrai le truc du cauchemar, alors ? Il est venu devant la maison ? Tu m'as pas appelé ? Tu t'es laissée faire ? Donne-moi le nom de celui qui t'a touchée, et tout de suite !
Son débit s'accélère et son agacement augmente.
— Du calme, Dustin. J'ai réellement fait un cauchemar. Je me suis réveillée précipitamment et... je suis tombée. Mon front a percuté le coin de ma table de chevet.
Je ris nerveusement et il fronce les sourcils. On dirait une excuse bidon, pourtant plausible puisque de nature, j'ai deux pieds gauches et qu'il m'a souvent vue maladroite ou me blesser.
— Allez, soufflé-je, le sourire aux lèvres. Ne fais pas cette tête, viens.
Je reprends la marche et il hésite un peu avant de me suivre.
Au bout d'un moment, on arrive au parc, direction les modules de skate. J'en faisais moi aussi l'année dernière. Ça, et du dessin. J'avais un cahier où je dessinais un peu de tout ; Remington, le chanteur de Palaye Royal. J'écoutais sa musique jour et nuit. Des personnages de mes romans favoris. Des beaux mecs qui traînaient au parc. Et puis j'ai stoppé cette passion quand j'ai commencé à fréquenter Ethan Hammond, un des gars les plus beaux et branchés du lycée. J'ai arrêté de me tenir au côté des marginaux et dans cet endroit. J'allais aux fêtes de Fred avec les gens populaires, j'ai aussi perdu ma virginité avec Ethan... Je me suis éloignée de Dustin qui ne l'appréciait pas. Mes centres d'intérêt ont changé.
Cependant, ça n'a pas duré longtemps lui et moi...
Dustin sort de sa poche arrière un vieux calepin qu'il a pioché dans ma chambre. Celui dans lequel je dessinais jadis.
— Ça va te faire du bien une journée où tout redevient comme avant, non ? Et tu comptes toujours aller à la faculté des arts.
— J'en sais rien, Dustin.
Mon avenir est incertain et je ne songe pas vraiment à ça en ce moment. Je ne sais même pas si je serai encore vivante demain.
Il me donne un crayon avant d'aller retrouver deux de ses amis sur place qui font du skate : des gens avec qui je flânais avant, moi aussi. Je grimpe sur l'estrade, fais défiler les pages de beaux gosses que je griffonnais et mordille ma lèvre en esquissant un sourire. Ça faisait longtemps que je n'avais pas vu ça. Et que j'ai dessiné quoi que ce soit.
J'essaie d'abord de faire un premier croquis, mais à la seconde où la mine touche la feuille, mon esprit se laisse aller et je dessine avec entrain, sans m'arrêter. Ma main s'active comme si ça faisait des années que je n'avais pas créé. Je suis concentrée et je ne vois pas le temps filer. Ce n'est que lorsque j'ai presque terminé que je réalise ce que j'ai dessiné : Jaylen, couteau à la main, avec un corps à ses pieds, celui de mon agresseur. Il y a une mare de sang. J'ai dessiné aussi les jumeaux et la Challenger.
Soudain, je lève les yeux du calepin et... je vois un des jumeaux en bas de l'estrade. D'après ce blond polaire, il s'agit de Jonas. Je ferme le livre et le dépose près de moi.
— Salut, ma beauté, raille-t-il d'une voix mielleuse qui me glace le sang.
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