Chapitre 2 ( nouvelle version )
Engy
J'habite à Williston, dans le Dakota du Nord, aux États-Unis. On est au début de l'été. Il ne se passe jamais rien d'intéressant dans cette ville. Enfin, jusqu'à l'arrivée de ces nouveaux venus qui se sont installés dans la maison juste en face de chez moi.
Ils m'intriguent.
Sur la boîte aux lettres près de la rue, on pouvait lire autrefois le nom de madame Claire O'Niell, qui a subitement été remplacé par « Somber Jann ». Dans ce quartier résidentiel, toutes les maisons sont semblables : des habitations entourées d'arbres matures sur tous les terrains aux pelouses bien taillées. Seules les couleurs des bâtisses les différencient les unes des autres. Ormis que dernièrement, la maison d'en face est la seule qui n'est pas bien entretenue. Le gazon est haut et recouvert de mauvaises herbes. Les fleurs sont mortes et les fenêtres sont toujours bien fermées, les stores également.
Je me souviens parfaitement de l'arrivée de mes nouveaux voisins, il y a de ça quelques semaines. Il n'y avait pas de camion de déménagement. Aucun meuble à transporter. Ils allaient juste vivre en face de chez moi en ayant avec eux qu'une Challenger dans l'allée. Oh, et un fourgon noir qui passe une fois de temps à autre, la nuit. On dirait même qu'ils ont acheté la baraque toute meublée avec les effets de mon ancienne voisine, madame O'Niell, qui avait quatre-vingt-neuf ans. Je ne l'ai plus jamais revue. Elle doit être morte de vieillesse et tout a été vendu tel quel, puisqu'elle n'avait pas de successeur ou de famille.
J'ai pu apercevoir celui qui doit être le père : le crâne chauve, très grand et costaud. On dirait un motard dangereux. Avec son regard frigide, il surveille toujours ses arrières quand il prend son courrier. Si le compte est bon, je crois qu'il a trois fils. Des jumeaux non-identiques : l'un avec les cheveux d'un blond polaire, l'autre sont bruns. Le troisième est un peu plus vieux, et très différent : une tignasse aussi noire que les ténèbres, un regard sombre et l'une de ses mains et l'un de ses avant-bras sont remplis de tatouages. Même s'il semble sinistre, il est plutôt mignon. Mais sa foutue bagnole me réveille toutes les nuits. Son moteur gronde, assez pour provoquer des vibrations jusque dans mon lit. Je l'entends arriver dès qu'il tourne le coin de la rue. Ma chambre, à l'étage, a une vue directe sur mes voisins et... plus les nuits passent, plus je note des comportements étranges. Mes parents sont urgentistes. Ils bossent la nuit, alors ils n'ont pas connaissance de nos nouveaux voisins, et le week-end, ils sont toujours partis en voyage d'affaires pour faire de la recherche médicale.
Quand le camion des éboueurs passe, cette maison est la seule à n'avoir rien au bord du trottoir. C'est peut-être ridicule, mais tout humain produit des déchets un jour ou l'autre, il me semble... Ce qui m'indique qu'ils jettent leurs affaires ailleurs, pour que rien ne finisse au dépotoir ou ne tombe sous la main d'autrui. Peut-être est-ce une famille placée sous la protection des témoins ? Ou ce sont des clandestins avec un faux nom sur la boîte aux lettres ? Le père a l'air d'un motard avec un accent russe que j'ai perçu une fois en l'entendant parler au téléphone. Il trafique peut-être de la drogue, d'où les activités nocturnes.
Je jette rapidement un coup d'œil par la fente du rideau dans ma chambre. Leur chien, un doberman, surveille l'entrée de la cour arrière. Seule une clôture l'empêche d'attaquer les passants.
— T'es trop sexy dans ta tenue, Engy, minaude Beverly. Ah, mais t'es encore en train de mater ton voisin mystérieux ?
— Non, pas du tout. Je regardais juste... s'il n'allait pas pleuvoir.
Je me retourne et vois mon amie dans l'encadrement de la porte. Elle vient de se maquiller dans la salle de bain.
— Mais bien sûr... la « température », Engy...
Elle ravale un demi-sourire.
À quelques rues d'ici, il y a un domaine avec un terrain de golf, et les propriétaires ont un manoir majestueux. Leur fils, Fred, qui va en cours avec nous, organise des fêtes démentes pratiquement tous les vendredis soirs quand ses parents ne sont pas là. Beverly et moi, on essaie de toujours y aller.
Elle tente d'ajuster la jupe qu'elle m'a prêtée, qui est vraiment courte. Elle rentre le bas de mon t-shirt blanc sous la ceinture.
— Tu es parfaite. Je savais qu'elle t'irait bien.
Je me retourne pour me voir dans le miroir de ma chambre. Ce n'est pas mon style habituel ; je suis plutôt du genre à porter des Converse, des jeans noirs troués et des pulls. Mais quand je sors avec Bev, elle veut que je fasse un petit effort. Bev est plutôt féminine, toujours en talons, portant des robes, des jupes, des décolletés plongeants. C'est une belle blonde avec un corps de mannequin pour maillot de bain, alors que je suis plutôt menue, pas très grande, cheveux ternes, foncés, presque noirs, et je crois n'avoir jamais mis de maquillage. Mes yeux couleur émeraude ornés de grands cils sont les seuls éléments qui se démarquent sur mon visage.
Beverly sort de son sac à dos rempli de vêtements une bouteille de Jack Daniel's qu'elle avait dissimulée.
— J'ai piqué ça dans la réserve de mon père. Ça te dit de picoler un peu avant qu'on parte ?
Elle ouvre sa bouteille de gnole et commence à boire à grandes gorgées directement au goulot. Une grimace barre ses traits lorsqu'elle avale de travers.
— Tiens.
Je fais de même et approche l'alcool de mes lèvres pour laisser le liquide remplir ma bouche et me brûler l'œsophage.
— Alors, commence Beverly, le couple Dustin et Engy va se former quand ?
Je lève les yeux au ciel. Les parents de Dustin et les miens sont amis depuis des années, et je ne sais pas pourquoi, mais nos familles ainsi que nos amis croient que c'est écrit dans le ciel que Dustin et moi sommes faits pour finir ensemble. Ça fait déjà douze ans qu'on se connaît, on a grandi ensemble et de mon côté, il n'y a aucune attirance. Il le sait, mais insiste. Le pauvre... Il est mignon, social et hyper gentil, mais il est comme mon frère.
— Tu sais que ça n'arrivera jamais.
— Tu lui plais tellement. Dustin est parfait pour toi. Il te connaît mieux que personne. Oh, merde, t'as vu l'heure ? Faut partir !
Mon amie se hâte de sortir de la maison et je la suis. Seules quelques minutes de marche nous séparent de la fête. Durant le trajet, on s'échange la bouteille pour la vider rapidement. Je sens déjà les effets d'une douce ivresse, mais rien comparé à elle, qui boit bien plus et bien plus vite. Bev va même en plein milieu de la rue pour commencer à danser avec son Jack Daniel's à la main. À ce moment, on se fait aveugler par des phares. Beverly s'écarte de la route en brandissant une main devant son visage pour mieux voir le véhicule s'approcher et ralentir puis... s'arrête juste à côté de nous.
— J'espère qu'il ne va pas nous prendre pour des prostituées, marmonné-je, mal à l'aise en tirant sur le bas de ma jupe beaucoup trop courte.
Le conducteur de ce pick-up rouge baisse sa vitre et nous sourit. Il porte un costard ringard et ses phalanges sont ornées de bagues en or. Je distingue d'autres voix : des rires d'hommes plutôt joyeux de nous voir.
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