Elle s'est ramassée sur elle-même, puis a sauté au dessus de son adversaire, un autre membre de l'Abri numéro douze, profitant de la souplesse de la tenue qu'elle portait. Elle ne connaissait pas son nom, ni son histoire, mais sa tâche était simple : les examinateurs lui avait ordonné de le vaincre.

Kléo a dix-sept ans, et elle est arrivée au bout de son apprentissage. Elle avait grandi dans un réseaux de tunnels aménagés, autrement appelé Abri. Dès leurs trois ans les enfants de l'Abri douze devaient être entraînés sans relâche afin de pouvoir affronter des Augmentés lorsqu'ils seront lâchés dans la nature. En effet, chaque Abri avait sa spécialité, et celle de l'Abri douze lui donnait son surnom: l'Abri des Chasseurs.

Kléo était une exception au sein de cet abri, une exception qui effrayait tous les gens de son âge et même certains adultes : elle n'était pas née dans l'Abri. En effet, les habitants l'avait découverte, un matin, devant la porte de l'Abri, enveloppée dans une couverture avec un message suppliant que l'on prenne soin d'elle. Elle avait un an. Heinreich, le gérant de l'Abri à l'époque, avait accepté de la garder sous son aile, mais était décédé mystérieusement quand elle n'avait que neuf ans. Les habitants, ne voulant pas prendre de risques, l'ont confiée au doyen, un gros bonhomme nommé Jakob, qui n'était pas réellement un père aimant. Il avait passé la majeure partie de la vie de Kléo à la maltraiter, à l'insulter et à se plaindre qu'elle était un fardeau pour ses vieux os. Quand il est décédé à son tour, Kléo ne s'est pas faite prier pour cracher sur son cadavre.

Malheureusement, à partir de ce moment, c'est allé de mal en pis : personne n'a voulu la prendre sous sa charge, tous la craignaient. Même son physique criait sa différence : petite, menue, peau pâle, cheveux noirs profonds et traits semblables aux anciens Asiatiques alors que tous les habitants de l'Abri étaient grands, musclés, avaient la peau cuivrée et des cheveux blonds ou roux. Elle portait même des vêtements blancs, par ordre du gérant de l'Abri, alors que les autres avaient l'habitude d'être vêtus de noir voire de jaune. Elle avait grandi sous les regards méfiants, la peur ou même la haine, mais elle n'avait pas abandonné la lutte pour autant. Elle avait réussi à survivre grâce à Aurelius, un garçon de l'Abri qui l'avait acceptée comme elle était. Il était parvenu à convaincre ses parents de la laisser habiter chez eux en échange de travaux manuels.

Finalement, après tout cela, elle avait décidé de s'endurcir. Elle était devenue la meilleure de sa promotion en combat à mains nues et avec armements divers, grâce notamment à sa petite taille qui lui permettait d'esquiver plus facilement les coups. Elle ne cessait jamais de travailler, dans l'espoir d'obtenir un jour le droit d'aller à l'extérieur.

Son adversaire, se contorsionnant avec difficulté, a esquivé son coup et lui a attrapé le poignet. Avec un hurlement, elle s'est défaite d'une prise qui aurait facilement pu la mettre à terre et lui faire perdre le duel, puis a enchaîné d'un coup de coude dans le visage de son adversaire. ce dernier, massif, a à peine bronché, mais son nez s'est mis à saigner.

A la vue du sang, Kléo s'est sentie...bizarre. Une sorte  de voile rouge est tombé sur ses yeux, et elle s'est sentie...puissante. Elle a plongé sur son adversaire, a brandi ses griffes et...minute...depuis quand avait-elle des griffes ? Ce petit instant d'inattention a failli lui être fatal. Voyant qu'elle s'était arrêtée dans son élan, son adversaire lui a envoyé son poing dans la figure avec toute la force dont il pouvait faire preuve. Le coup aurait dû être létal, mais Kléo, à son grand étonnement, l'a encaissé en ne sentant qu'une légère douleur. Elle a immédiatement riposté en se glissant à une vitesse surhumaine derrière son ennemi et en le plaquant au sol. Il a grogné de douleur, mais elle sentit en elle une envie de le faire crier plus fort. Avant même de se demander pourquoi elle faisait ça, un des examinateurs s'est approché d'elle, pistolet à la main, et a murmuré :

- Ne bouge plus, ou je te fais éclater la tête, monstre.

Le dernier mot l'a secouée. Il avait été prononcé avec le dégoût et le mépris le plus profond, comme si ce qu'il avait en face de lui était une Augmentée. Elle a marqué un temps d'arrêt, et le voile rouge a déserté ses yeux, emportant avec lui la force surhumaine et les pensées sadiques dont elle avait fait preuve. L'examinateur s'est approché avec prudence, le pistolet toujours braqué sur la temps de la jeune fille, tandis qu'un autre la contournait et lui attachait des menottes aux poignets. Il a marmonné :

- Kléo, vous êtes en état d'arrestation pour tentative de meurtre et pour trahison.