Chapitre 39 - Fausses croyances
Après l'agitation du village, Eleanor accueillit avec plaisir le calme et la relative tranquillité de la rivière. Situé à seulement une lieue de Sankana, le cours d'eau serpentait entre une forêt assez boisée, qui annonçait leur proximité avec la Terre du Diamant. Une charrette les avait déposés près d'un petit embarcadère, où se trouvaient déjà d'autres personnes. Celles-ci commençaient tout juste à monter à bord de jolies barques, avant de se laisser porter par le léger courant.
En attendant leur tour, la louve et les autres avaient décidé de se poser près des berges. Marcus s'était assis dans l'herbe, tandis que Rowan, Philip et Clark avaient trouvé un tronc d'arbre coupé. Quant à Eleanor et Judith, elles s'étaient dirigées vers un unique stand à côté du ponton, qui vendait de petites bougies éteintes. Ces dernières leur seraient utiles un peu plus tard, lors de la promenade en barque.
Dès qu'elles en eurent une pour chacun des membres du groupe, les jeunes filles rejoignirent les loups. Eleanor les distribua, tout en prenant soin d'éviter le regard de Clark. Ils ne s'étaient pas adressé un mot depuis leur danse, ce qui la mettait un peu mal à l'aise.
À présent que l'euphorie du moment était retombée, elle se sentait gagnée par quelques regrets. En dansant ainsi avec lui, avait-elle gâché leur amitié naissante ? En dépit de ce qu'elle avait cru, se pouvait-il que leur proximité ne lui ait pas fait éprouver la même chose qu'elle ? Et s'ils étaient condamnés à ne plus se parler qu'avec une atroce gêne et... Arrête un peu de te donner la migraine.
— Que fait-il ? demanda-t-elle en désignant Marcus.
Le louveteau se tenait à une dizaine de mètres du groupe, la tête levée vers le ciel nocturne. Son père l'appela pour qu'il vienne récupérer sa bougie, mais il l'ignora. Eleanor y vit une nouvelle occasion de s'éloigner de Clark et se dirigea vers le petit garçon. Elle fut presque aussitôt suivie par Rowan, qui l'arrêta.
— Est-ce que je pourrais... vous parler cinq minutes ?
La jeune fille le considéra avec étonnement, puis le laissa l'entraîner à l'écart des autres. Il resta silencieux quelques secondes, avant de déclarer :
— Je crois que je vous dois des excuses. J'aurais dû venir vous parler plus tôt, mais je me sentais vraiment minable et...
Elle fronça les sourcils.
— Des excuses ? Pourquoi ?
S'il s'en voulait d'avoir presque poussé Clark à danser avec elle, elle n'était pas certaine de vraiment lui en tenir rigueur...
— J'ai dit des choses stupides lorsque j'étais complètement soûl. La manière dont j'ai parlé de vous est inacceptable et... Je suis sincèrement navré d'avoir perdu le contrôle à ce point.
Il lui fallut quelques secondes pour se rappeler les termes qu'il avait employés à son sujet. Si elle se souvenait bien, il l'avait qualifiée... d'appétissante.
— Oh, je... J'en ai vu d'autres. C'est plutôt auprès de Clark que vous devriez plaider votre cause. Ce que vous lui avez dit n'était pas franchement digne d'un meilleur ami.
Rowan soupira et baissa la tête, honteux.
— J'ai été le voir dès le lendemain et il m'avait déjà pardonné. Il continue à faire semblant de m'en vouloir, mais je sais qu'il est incapable de garder la moindre rancune. Je crois qu'une part de moi préférerait qu'il soit plus méchant...
Effectivement, après tout ce qu'il avait dit, Rowan aurait mérité un pardon moins rapide. Le Grand Alpha avait déjà expliqué à Eleanor à quel point son ami avait été présent pour lui, or elle ignorait si cela pouvait compenser de tels dérapages.
— Il sait que la situation vous est insupportable, tempéra-t-elle toutefois. Personne ne devrait avoir à traverser ce que vous vivez et... Je regrette que cette enquête ne vous ait pas apporté la conclusion que vous espériez.
Lors de leur expédition dans le désert, juste avant que Sulkin ne mette la main sur eux, Rowan lui avait fait part de son désespoir. Même si elle n'avait pas eu l'occasion d'en reparler avec lui, sa détresse l'avait terriblement touchée. Une part de moi veut croire que découvrir la vérité m'aidera à aller mieux, lui avait-il dit. C'est la dernière once d'espoir qu'il me reste. Ils avaient beau avoir une idée de ce qui était arrivé à Anya, ils ne pouvaient en être certains. Le vampire qui l'avait tuée était déjà mort, alors il ne lui restait plus aucun coupable sur qui assouvir sa vengeance.
— Il va me falloir du temps pour m'y faire, mais je crois que cette issue me sera bénéfique, admit-il. Ma colère ne disparaîtra jamais totalement, malgré tout... Je crois qu'il est préférable d'apprendre à vivre avec, plutôt que de m'en servir pour faire du mal.
La louve le considéra avec surprise. D'où lui venait un tel regain de sagesse ? Peu importe, elle était heureuse que ses réflexions l'aient mené jusqu'à cette conclusion.
— Au fond, je crois que le plus dur est de réaliser à quel point Anya était encore meilleure que je ne l'imaginais, ajouta-t-il. Je ne suis qu'un pitre qui fera sans doute un capitaine de la garde minable, tandis qu'elle... Elle était réellement incroyable.
Entre cette remarque et les reproches qu'il avait faits à Clark, elle croyait comprendre qu'il se sentait inférieur à ceux qui l'entouraient. Il fallait admettre que le Grand Alpha et son ex-femme savaient placer la barre assez haut, or ce n'était pas une raison pour se dévaloriser.
— Je sais que vous avez aidé Clark à tenir quand... Son père se comportait comme un monstre. Rien que pour ça, vous êtes tout sauf un minable.
Il releva les yeux vers elle, surpris qu'elle soit au courant des agissements de l'ancien Grand Alpha.
— Clark m'a raconté ce qu'il a vécu et... Ce qu'il a été obligé de faire, l'éclaira-t-elle. Il m'a dit qu'il avait toujours pu compter sur vous et...
— Il ne faut pas que cela change la manière dont vous le voyez, l'interrompit-il. Je sais qu'empoisonner son père peut apparaître comme le pire des crimes, mais je vous jure qu'il représentait un véritable danger. Anya ne supportait pas de le savoir dans la même pièce que Marcus, elle l'avait surpris en train de le pincer alors qu'il avait à peine un an.
— Le pincer ? Mais quel...
Elle proféra mille et une insultes. Sa haine envers l'ancien Grand Alpha, pourtant déjà énorme, tripla d'intensité. Il aurait mérité d'être écartelé sur la place publique. Au final, son seul mérite était d'avoir permis la naissance de Clark.
— Ce qu'il m'a dit n'a pas changé ma vision de lui, se reprit-elle ensuite. Au contraire, je crois même que...
Elle ne termina pas, peu certaine de ce qu'elle allait dire. Elle doutait aussi que cela concerne Rowan... Le petit sourire taquin qu'il esquissa dans l'obscurité le lui confirma.
— Clark est persuadé qu'il ne vous intéresse pas, déclara-t-il avec un clin d'oeil. Je suis heureux de constater que je ne me trompais pas en affirmant qu'il avait tort...
Eleanor écarquilla les yeux et voulut répliquer quelque chose, mais il la quitta pour revenir vers les autres. Il ferait mieux de se mêler de ses affaires, maugréa-t-elle en silence.
Mettant son trouble de côté, elle marcha en direction de Marcus, qui était toujours assis dans l'herbe. Il se tenait non loin de la rivière, mais ne prêtait aucune attention aux eaux sombres qui s'écoulaient devant lui. Ses yeux scintillants ne regardaient que le ciel noir, où brillaient une demi-lune et des centaines d'étoiles.
— Nous allons bientôt pouvoir monter dans les barques, lui dit-elle doucement. Quelqu'un allumera ta bougie et tu pourras la poser sur l'eau.
Il tourna la tête et observa le petit objet qu'elle lui tendait. Son regard paraissait presque absent, comme s'il s'était perdu trop loin. Cela inquiéta un peu la jeune fille, qui s'agenouilla à son niveau. Heureusement, il retrouva la parole assez vite :
— Pourquoi faut mettre bougie dans l'eau ? Ça va éteindre le feu et elle va couler, non ?
Elle sourit, ravie de constater qu'il ne perdait pas le nord.
— Ce sont des bougies flottantes, elles ne couleront pas lorsque tu les poseras. Quand tu seras sur le bateau, tu pourras regarder la flamme s'éloigner de toi. C'est une tradition de la Terre du Rubis.
— Et pourquoi les pierres rouges ils font ça ? C'est à cause de ce que t'as dit sur lune qui a brûlé ?
Elle acquiesça, puis chercha ses mots pour lui expliquer les choses assez facilement.
— Les bougies représentent les cendres et les braises qui sont tombés du ciel lors de l'incendie. Quand tu déposes ta bougie sur l'eau, tu dois penser très fort à une personne. C'est une manière de te concentrer sur quelqu'un que tu aimes. On raconte que lorsque ta bougie finira par s'éteindre, cette personne pensera à toi.
Cela le laissa pensif et il s'intéressa de nouveau au ciel nocturne.
— Si je pense à elle, tu crois que ma maman elle pensera à moi ?
Cette question, posée de sa petite voix fluette, désempara Eleanor. Elle sentit aussitôt des larmes lui monter aux yeux et s'efforça de les réfréner.
— Tout le monde dit qu'elle est dans les étoiles, ajouta-t-il. Ça a l'air loin, mais... Tu crois qu'elle me voit quand même ?
La gorge nouée, la louve ne répondit pas tout de suite. En réalité, peu importe qui avait orchestré la mort d'Anya, le résultat était le même : Marcus ne reverrait plus jamais sa mère. Il devrait vivre avec ce manque toute sa vie, sans qu'il ne soit jamais comblé par quoi que ce soit. Tout ceci était si injuste qu'elle s'en sentait révoltée, mais à cet instant précis, c'était surtout la tristesse qui primait. Elle n'avait jamais eu l'habitude de côtoyer des enfants, pourtant elle s'était attachée au petit garçon sans même s'en rendre compte.
Quand il se reconcentra sur elle, elle vit qu'aucune larme ne brillait dans ses yeux. Cela la poussa à faire bonne figure et à essayer de se montrer aussi forte que lui.
— Tu... Je... Bien sûr, bégaya-t-elle. Si tu vois les étoiles, alors ta maman te voit toujours.
Le louveteau hocha la tête, puis s'empara de la petite bougie. Eleanor se tourna brièvement, afin de voir où en étaient les autres. Comme ils se dirigeaient vers le ponton en leur faisant signe de venir, elle tendit la main à Marcus pour l'encourager à se lever.
— Tu vas penser à qui, toi ?
Sans qu'elle n'ait besoin de réfléchir, une personne bien précise apparut dans son esprit. Même si elle avait la chance de toujours avoir ses parents, ce n'était malheureusement pas vers eux que ses premières pensées se dirigeaient. Voilà longtemps qu'ils avaient perdu ce privilège.
— Je... Je ne sais pas trop, mentit-elle. Ça me viendra sûrement quand j'allumerai ma bougie.
Le petit garçon ne répondit rien et se hissa enfin sur ses jambes. Il jeta un dernier regard aux étoiles, puis la suivit docilement, une main dans la sienne.
Quand ils arrivèrent près de l'embarcadère, Philip et Judith étaient déjà montés à bord d'une barque. Clark fit mine de s'approcher du petit bateau, mais Rowan le doubla sans lui demander son avis. Une fois installé, il fit signe à Marcus et afficha un grand sourire :
— Tu veux venir avec nous ? Eleanor et ton père vont devoir prendre une autre barque, il y a juste de la place pour toi sur celle-ci !
Le louveteau se précipita vers lui, sans tenir compte des yeux écarquillés de son père. Rowan l'aida à grimper dans l'embarcation, puis s'empara des rames.
— On se retrouve tout à l'heure, fit-il d'un air innocent. J'ose espérer que vous saurez vous débrouiller sans nous...
Il adressa un clin d'oeil aux deux loups, restés à quai. Judith pouffa, tandis que Marcus faisait des signes d'au revoir à son père. S'il n'avait pas été aussi petit, Eleanor aurait presque cru qu'il était de mèche avec Rowan...
Elle et Clark restèrent un instant silencieux, jusqu'à ce qu'un batelier leur présente une nouvelle barque.
— Vous n'êtes que tous les deux ? leur demanda-t-il.
Le Grand Alpha acquiesça avec un temps de retard et lui donna quelques pièces de bronze. Il monta dans le petit bateau sans trop de maladresse, puis tendit la main à la jeune fille pour l'aider. Elle songea que quelques semaines plus tôt, elle se serait fait un plaisir de lui répliquer qu'elle n'avait pas besoin de lui. Or elle s'en empara avec un léger sourire, avant d'enjamber le mince espace entre la barque et le ponton. Comment les choses avaient-elles pu changer à ce point ?
Elle s'installa sur l'un des petits bancs, et Clark se posa face à elle. Le batelier lui donna les deux rames, qu'il fixa avec une légère perplexité. Même si une troublante nervosité la tenaillait, Eleanor ne put retenir un gloussement. Cela lui rappela le jour – chaotique – de leur rencontre, où ils avaient dû emprunter une barque similaire à celle-ci pour quitter sa tour.
— Je peux m'en occuper, si tu préfères, proposa-t-elle.
Il secoua la tête et se démena pour qu'ils s'éloignent du ponton. Une fois au centre de la rivière, il n'eut plus grand-chose à faire, puisque le faible courant les guida dans son sillage. Elle se retourna et vit que le bateau des autres s'était déjà assez éloigné du leur. Comme il ne restait plus d'embarcations, ceux qui patientaient derrière Clark et Eleanor allaient devoir attendre que des canots soient remontés par des charrettes. Ainsi, les deux loups se retrouvaient seuls pour un petit voyage d'une demi-lieue.
— J'espère que tu ne vas pas nous faire chavirer, car je ne sais toujours pas nager, déclara-t-elle lorsqu'il essaya de recentrer leur barque.
— Ce n'est pas dans mes intentions, mais cette rame semble décidée à ne pas m'écouter...
Il parvint toutefois à la manier correctement, puis le bateau n'eut plus qu'à voguer tranquillement sur la rivière, qui ne comptait que peu de virages. Des arbres défilaient sur leur droite et leur gauche, assez maigres pour qu'on puisse apercevoir les lumières de Sankana. Quelques oiseaux s'agitaient dans les branches, tandis que de drôles de rongeurs semblaient s'agiter pour creuser des trous dans la terre. Au loin, ils pouvaient entendre les échos de voix de Judith et les autres loups.
L'air nocturne, chaud sans être étouffant, était parfaitement propice à une telle sortie. Bien que le ciel fût noir, la lune y brillait assez fort pour leur apporter une douce luminosité. La petite lanterne accrochée à leur barque contribuait aussi à les éclairer.
— Quand sommes-nous censés allumer nos bougies ? demanda Clark.
Elle réalisa que comparé à celui qui les précédait, leur canot était jusque-là un peu trop silencieux...
— Peu importe. Nous pouvons le faire dès maintenant, si tu veux.
Cela aurait au moins le mérite de les occuper. Elle sortit la bougie circulaire de sa poche et la donna à Clark, afin qu'il l'approche de la lanterne derrière lui. Il la lui rendit dès qu'elle fut allumée, puis embrasa la sienne à son tour.
— Et maintenant ? Nous devons simplement la... poser sur l'eau ?
Tout comme son fils, cette tradition paraissait le laisser un peu sceptique. Elle s'attendit presque à ce qu'il lui dise que cela allait polluer la rivière.
— Tu dois juste penser à quelqu'un que tu aimes vraiment. Lorsque ta bougie s'éteindra... Soi-disant que cette personne pensera à toi aussi.
Il hocha la tête, les yeux étrangement rivés aux siens. Un léger tournis s'empara d'Eleanor et elle tâcha de l'ignorer en se concentrant sur sa bougie. Elle était si décontenancée par ses propres réactions que cela commençait à l'inquiéter. Même si depuis quelques jours, elle croyait avoir compris l'origine de son trouble, était-ce normal que tout soit si... fort et étourdissant ?
Elle se pencha vers le bord du canot, de manière à pouvoir déposer sa bougie sur les flots. Elle prit soin de bien stabiliser le petit cercle de cire, mais heureusement, le courant était trop doux pour la renverser. Elle n'eut même pas besoin de se concentrer pour songer à quelqu'un en particulier, puisque celui-ci accaparait déjà toutes ses pensées. La tradition des bougies avait plutôt pour but de se remémorer une personne lointaine, or dans son cas... il n'aurait pas pu être plus près.
Dès qu'elle fut redressée, Clark laissa flotter sa bougie à côté de la sienne. Un silence presque solennel s'étira entre eux, pendant lequel la louve fixa les deux flammes. Les petits objets étant plus légers que leur bateau, ils ne tardèrent pas à les dépasser et à voguer devant eux.
Ils les accompagnèrent pendant un petit moment, avant de n'être plus que des points orangés illuminant la surface.
— C'est quand même plutôt triste de se dire que... certains ont besoin d'une bougie pour penser à quelqu'un, murmura-t-il au bout d'un moment.
Elle se détourna des flammes pour lui faire face. Comme tout ce qui avait trait à la Lune et au Soleil, elle trouvait que ces croyances et coutumes avaient quelque chose de mystique et réconfortant. Toutes ces légendes étaient certes un peu exagérées et romancées, mais à défaut d'être fondées, elles ne faisaient de mal à personne.
Cependant, Clark ne paraissait nullement s'y intéresser. Elle avait déjà noté son détachement dans la Galerie Lunaire, et même si elle respectait sa pensée, elle ne manquait pas de l'intriguer.
— Tu n'as pas l'air très... porté sur les croyances, fit-elle remarquer.
Elle espérait que sa voix s'était faite assez douce, car elle n'avait aucune intention de le juger. Elle voulait uniquement comprendre la raison de ce désintérêt.
— Non pas que tu n'aies pas le droit, ajouta-t-elle comme il ne répondait rien. Je pensais juste qu'en tant que Grand Alpha... Tu y accorderais un peu plus d'importance.
Après tout, si l'on s'en fiait aux légendes, c'était la lune brûlée qui avait donné leur pouvoir à chaque alpha. Elle les avait chargés d'épauler leur meute et d'y maintenir l'ordre, en faisant d'eux des dirigeants légitimes et respectés.
Sans elle, Clark et Eleanor n'auraient jamais grandi dans un palais. Elle comprit alors que le problème venait peut-être de là...
— Ce n'est pas que je n'y accorde pas d'importance, répondit-il, le regard perdu sur l'eau. C'est simplement que... J'ai du mal à croire que notre sort soit entre les mains d'une quelconque puissance supérieure.
Il se pinça les lèvres un instant, avant de poursuivre :
— Je ne dis pas que toutes ces traditions ne sont pas belles, ni qu'elles ne racontent pas de jolies histoires, mais... Comment vénérer un astre qui n'en a rien à faire de nous ?
Bien que sensée, cette question étonna la jeune fille.
— Si la Lune est vraiment chargée de nous protéger et d'éviter un second incendie, pourquoi laisse-t-elle tant d'horribles choses se produire ? précisa-t-il. Tu crois vraiment que la lune brûlée aurait permis à certains d'être transformés en loups, tout en laissant les autres être quasiment réduits en esclavage ? Si une prétendue divinité a réellement décidé cela, alors je ne pense pas qu'elle vaille la peine d'être vénérée.
Eleanor essaya de trouver des arguments pour le contredire, or elle se surprit à partager largement son avis.
— Honnêtement, je pense que toutes ces légendes ont juste été inventées pour encourager les enfants à bien se conduire, reconnut-elle.
En effet, beaucoup de parents leur disaient de rester sages, sans quoi la Lune brûlerait et détruirait le monde. Ces croyances servaient aussi à renforcer la supériorité des loups-garous sur les autres espèces, en faisant d'eux de soi-disant "élus".
— Ma... Ma mère était assez croyante, poursuivit-il sans la regarder. Elle adressait une prière à la Lune chaque soir avant d'aller se coucher, pourtant...
Cela ne l'a pas empêchée de finir morte au bas d'un escalier, se dit-elle avec un frisson. La Lune n'avait également rien fait lorsque son mari battait son fils. Plus tard, c'était ce pauvre Marcus qui avait perdu sa mère, alors qu'elle s'échinait à sauver des Neutres. Et Rowan s'était vu arracher celle qu'il aimait.
La liste était infinie.
— Certains disent que la Lune cherche parfois à nous mettre à l'épreuve, afin de voir quels sont ses plus fidèles croyants, répondit-elle sans conviction.
Clark haussa les épaules.
— Dans ce cas, je n'en fais pas partie. Tant pis si je dois prendre feu à cause de ça, mais je préfère nourrir mes propres croyances, plutôt que de vénérer un morceau de roche qui brille dans le ciel.
Il leva les yeux vers elle et Eleanor ne put réprimer un sourire.
— Et... Quelles sont ces croyances, exactement ?
Un éclat dans son regard, s'apparentant presque à une flamme, devint plus intense. La jeune fille serra sa jupe entre ses doigts pour s'obliger à rester calme.
— Je préfère croire en ce que je vois, avoua-t-il. Bien que je n'aie pas franchement la meilleure vision du monde...
Elle laissa échapper un petit rire, avant de sentir son coeur s'emballer de nouveau lorsqu'il poursuivit :
— Je sais simplement que je veux croire en ce qui est devant moi et... En ce qui est vraiment là pour moi. Même si ce n'est pas une vraie divinité.
Ces mots finirent de faire chavirer la louve, qui ne pouvait plus détacher son regard du sien. Son pouls battait si fort qu'elle sentait presque ses veines palpiter. Il lui semblait qu'une tension similaire habitait Clark, et que tous les deux savaient précisément quoi faire pour la dissiper. Ou au contraire, la laisser exploser.
Au moment où elle commençait à se pencher en avant, un brusque cahot agita leur barque.
Elle sursauta plus que de raison et se redressa sur son siège, qui lui paraissait soudain bien bancal. Elle tourna la tête et réalisa que leur canot avait dévié vers le bord de la rivière, jusqu'à se coincer dans un taillis. À force de se déconcentrer, ils allaient littéralement chavirer !
— Et mince, marmonna-t-il. Maudite barque...
Il essaya de dégager le bateau à l'aide d'une rame, en vain. Eleanor s'empara de l'autre pour l'aider, sans plus de succès.
— Je crois que nous allons être obligés de descendre pour la sortir de là, maugréa-t-elle.
Elle se mit sur ses pieds sans faire basculer le canot, puis releva le bas de sa jupe. Elle sauta sur le bord de la rive et tenta de pousser la barque, qui s'était comme embourbée. Clark descendit également, mais même en coordonnant leurs forces, le bateau refusait de bouger.
— La proue est coincée dans le taillis, analysa-t-il. Je crois qu'il faudrait essayer de le dégager et...
— Un coup de pied serait plus efficace.
Elle se rappela néanmoins que ce petit bateau ne leur appartenait pas, et réfréna ses élans de violence. Le Grand Alpha s'aida de la rame afin de dégager les branches et la boue, puis ils se remirent à pousser. Ils durent y mettre un peu trop d'aplomb, car la barque se dégagea brusquement.
Clark manqua de perdre l'équilibre, mais Eleanor attrapa son bras pour le retenir de justesse. Cela la déstabilisa aussi, et ils tombèrent tous les deux en arrière, en plein sur les fesses.
Elle poussa un petit couinement, puis hoqueta en voyant leur barque s'éloigner sur la rivière.
— Elle s'en va !
Tous les deux étaient trop sonnés pour se relever, si bien que le bateau continua à suivre le courant. Hélas, qu'auraient-ils pu faire ?
— On ne va tout de même pas sauter à l'eau, si ? s'enquit-elle en fixant l'embarcation.
Elle aurait sûrement pied, or elle ne tenait pas à finir trempée. Cela ne semblait pas non plus être dans les intentions du loup.
— Nous n'avons qu'à la suivre et... Elle finira bien par s'arrêter quelque part, non ?
Ils se concertèrent du regard, puis éclatèrent de rire en réalisant leur situation. À qui donc arrivait ce genre de choses ?
— Voilà ce qui se passe lorsqu'on se moque de la Lune, le taquina-t-elle.
Elle s'attendit à ce qu'il glousse encore, or son sourire faiblit un peu. Une émotion similaire à celle qui l'avait animé plus tôt se refléta dans ses yeux bleus, instillant un nouveau sérieux entre les deux loups. Elle se rendit compte qu'elle lui tenait toujours le bras, mais ne fit rien pour s'éloigner de lui. Ils étaient là, assis dans l'herbe comme deux idiots et...
— Si la Lune a l'intention de me changer, elle devra en faire bien plus...
Ses paroles n'avaient été qu'un murmure, pourtant elle les sentit résonner dans chaque fibre de son être. Son souffle se bloqua, de même que ses pensées, qui cessèrent soudain de s'agiter. Son regard était ancré au sien, éclipsant la barque, la rivière, la lune...
Tout finit de s'évaporer lorsqu'il ajouta :
— Car j'ai trouvé beaucoup mieux qu'elle.
Et l'instant suivant, leurs lèvres se rencontrèrent.
Elle ne sut exactement qui avait embrassé l'autre en premier, mais cela n'eut bientôt aucune importance. Seuls comptaient sa douceur, le délicieux parfum qui se dégageait de lui, sa main qui vint se poser sur sa joue... Elle en perdit toute notion de réalité, pour s'abandonner complètement à ce baiser.
Il lui semblait l'avoir attendu depuis une éternité, mais en même temps, elle sentait aussi que ce moment était le bon. Ici, perdus au bord d'une rivière déserte, il n'y avait plus que Clark et elle. Elle et Clark. Et elle n'avait besoin de personne d'autre.
Elle ne se détacha de lui que pour ouvrir les yeux, afin de se perdre dans son regard étincelant. Ses lèvres lui manquant déjà, elle referma les paupières et l'embrassa de nouveau.
Mille et une flammes embrasèrent son coeur, tandis qu'au loin, deux bougies s'éteignaient dans le vent.
Note de l'auteure :
Bien... J'espère que ce chapitre vous a plu ! ❤️
Je peux maintenant vous dire de manière à peu près sûre qu'il reste 7 chapitres avant la fin ! J'ai pu bien avancer cette semaine et j'ai écrit des moments que j'avais dans la tête depuis trèeees longtemps, j'étais trop contente ! 😍😂
Certains chapitres sont assez longs et comme je suis gentille et sensible à vos demandes (et surtout que ça casserait un peu l'ambiance) je ne les couperai pas, alors ne vous inquiétez pas, ça ne passera pas trop trop vite ! Il y aura aussi un épilogue et un chapitre bonus, donc au total ça vous fait encore l'équivalent de 9 chapitres, ça vaaa... 😁 (je dis ça mais j'ai pas du tout envie de les quitter non plus 😭💔)
On se retrouve très vite ! 😘❤️
(Et attention pour le prochain chapitre : loups en chaleur 🐺🔥 mais juste un peu hein, on ne s'emballe pas 😇😂)
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