51. Cette fois
Une fois, oui ; deux fois, non. Je n'allais quand même pas passer ma vie à me faire indirectement sauver par les solains, à être redevable à d'autres d'avoir restauré la paix dans l'Omnimonde. Tremblez, dieux de pacotille, voici le grand Barfol !
Barfol, La fois où j'ai porté la moustache
« Tu crois que cette planète a un nom ? » demanda le capitaine Barfol en désignant le gros disque zébré de blanc et de rouge.
Sa bouteille refusa de lui répondre ; en punition, il la vida jusqu'à la dernière goutte. Désœuvré, Barfol essaya ensuite de se plonger dans le mode d'emploi de son vaisseau, en particulier des diodes rouges qui le paniquaient toujours lors de leurs clignotements groupés et intempestifs. Arrivé à la huitième page, il jeta le manuel.
Naglfar, silencieux, faisait semblant d'être un satellite de la planète. Sa croûte crevassée avait l'apparence d'une roche grisâtre, mais sa masse volumique, trop faible, ne trompait personne. L'Armada Magna, séparée en trois bataillons de dimensions inégales, avait facilement repéré l'intrus. On attendait maintenant le bon moment pour frapper.
« Le bon moment, le bon moment, grogna Barfol. Je parie qu'on attend surtout qu'il fasse le premier mouvement.
— Capitaine ! »
Il sursauta. Comment saluer l'amirale E'ptal alors qu'il avait remisé son chapeau ? Il opta pour un geste de la main ; par extension, de la bouteille.
« Euh, salutations, le bonjour, la santé, les enfants. Que faites-vous là ?
— On m'a dit que vos vaisseaux avaient été remis à neuf, je voulais voir ça de l'intérieur.
— Vous avez raison, c'est exceptionnel. »
Barfol manqua de se cogner la tête.
« C'est du solide, dit-il en frappant une cloison du poing, dont la marque resta encastrée dans le fer-blanc. Regardez, par exemple, si je tire sur ce levier... eh bien, il est amovible, notez comme c'est bien fait. »
Le capitaine fit disparaître la pièce dans un carton déjà rempli de bouts de métal qui s'étaient révélés inutiles.
« Je constate, dit l'amirale.
— L'efficacité des légionnaires de l'empire. Si vous saviez ce qu'ils arrivent à faire voler. On dirait des machines à vapeur dans l'espace ; c'est à peine si les gars ne sont pas en train de pelleter leur charbon pour que le vaisseau avance.
— Un peu comme vous.
— Exactement. On s'est donc très bien compris. »
Barfol avisa Segonde, qui se joignait à eux.
« Amirale, je crois que je ne vous ai jamais présenté ma seconde. Elle se nomme Segonde, ce qui est très pratique. Elle est aussi capitaine. S'il m'arrive quelque chose, c'est elle qui prend les commandes. Ça ne servira à rien, puisqu'on est tout le temps sur le même vaisseau, et qu'on s'écrasera donc tout pareil.
— Pourquoi êtes-vous ici ? demanda Segonde.
— L'amirale est venue nous complimenter sur la bonne tenue de notre flotte ; ça impressionne les remsiens, paraît-il.
— En vérité, j'étais aussi venue vous poser une question.
— Deux raisons différentes ! Ça, c'est de l'efficacité.
— Que pensez-vous d'Aarto ?
— Aarto, le vampire ? Eh bien, il est grand, il est maigre, il a des lunettes et, si vous voulez mon avis, il est plutôt mal habillé.
— Pensez-vous qu'on puisse lui faire confiance ?
— Je fais confiance à tout le monde, c'est d'ailleurs un de mes plus gros défauts. Et c'est comme ça que je me suis retrouvé en exil, d'ailleurs. Le roi m'avait dit : ramène-moi un diamant gros comme l'ongle et je te donnerai ma fille en mariage ; j'ai ramené le diamant ; il m'a dit : finalement, ramène-moi un diamant gros comme le pouce et je te donnerai ma fille en mariage ; j'ai ramené le diamant, il m'a dit : finalement, ramène-moi un diamant gros comme le poing et je te donnerai ma fille en mariage, j'ai ramené le diamant ; il m'a dit : finalement, va voir ailleurs si j'y suis, je suis parti ailleurs et ne suis jamais revenu.
— Vous êtes surprenant, capitaine Barfol.
— Pourquoi ? Vous aussi, vous êtes surprenante, je vous dis pourquoi juste après.
— Votre foie est une ruine, vos vaisseaux sont des rebuts, vous êtes le fou du roi ; pourtant vous avez des convictions inébranlables que je vous envie.
— Olà, je prends ça comme un compliment. Quant à vous, eh bien, je n'ai jamais compris qu'on puisse aimer la pêche. Je veux dire, c'est nul, c'est ennuyeux, il ne se passe rien.
— Je vous invite à venir pêcher à Rems, capitaine. C'est une planète sauvage ; mon village natal n'est pas encore raccordé à l'électricité. Nous chassons les grands poissons piégés par la marée dans les lagons, ou qui s'approchent trop près des côtes. J'en ai harponné un, une fois, qui faisait la moitié de mon poids ; il a manqué de m'arracher le bras.
— Oui, donc c'est bien ce que je disais, c'est nul, c'est dangereux, on risque de se faire arracher le bras. »
C'était la différence entre leurs deux groupes. Les remsiens avaient un monde où s'en retourner ; le capitaine et sa troupe exilée ne semblaient pas pressés de repartir chez eux, où que cela puisse se trouver et quoi qui les attende là-bas.
« Que ferez-vous lorsque la bataille aura pris fin ?
— Je verrai ça plus tard, amirale. Il y aura certainement des bricoles à faire. J'irai boire un verre avec Catius, par exemple, ils font un vin très sympa à Neredia. Et vous ?
— Je prendrai des vacances dans mon village.
— Eh bien, je penserai bien à vous, en train de pêcher dans votre lagon et de vous fatiguer à ramasser du poisson mort, tandis que je profiterai du soleil en découvrant tous les cépages nérédiens.
— Au revoir, capitaine.
— Au revoir. La sortie est par là... la même que l'entrée, oui. »
Avec ses yeux noirs et sa voix envoûteuse, l'amirale ressemblait à une diseuse de bonne aventure, dont les paroles cryptiques faisaient philosopher chacun sur sa propre existence. Troublé, Barfol se reprit et demanda Segonde en mariage, qui lui répondit qu'il le faisait avant chaque bataille, qu'elle avait déjà dit oui et qu'ils étaient même déjà mariés.
« On ne pourrait pas se re-marier, pour être sûrs ? » avança-t-il.
Il préparait une salve d'arguments dans ce sens lorsque Kaldor entra dans le système Sol.
À cet instant, et comme l'avaient prévu les solains, Naglfar s'éveilla.
Le capitaine cessa alors d'être Barfol de T'schnizta, ou T'schnitza, selon les sources. Il était ici pour une bonne raison.
« J'ai fait mon passager clandestin une fois ! lança-t-il à la cantonade. Pas une de plus ! Cette fois, j'y suis, au milieu de la tempête. Si j'ai un grain ? Pour sûr, je suis un grain ! Le grain de sable dans l'Histoire, le grain de blé dans la crêpe, le grain de sel dans la soupe de moules ! »
Il serra la main de Segonde, sauta dans son siège de pilotage et hurla des ordres dans sa radio de bord.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro