43. Le capitaine
(1400 mots)
Je me réincarne en humain à l'autre bout de l'univers, je change subtilement de nom, et là, j'entends dire que Kaldor lève une armada interstellaire. À ce moment, je n'ai ni argent, ni troupes, ni vaisseaux, mais je sens quand même que je vais y participer. Ne fût-ce que pour rencontrer de nouveau les solains.
Ces sagouins ne m'ont même pas reconnu ! Peut-être à cause de la moustache.
Barfol, La fois où j'ai porté la moustache
« Capitaine...
— Ouais, c'est moi.
— Nous arrivons. »
Je suis né à T'schnitza, avait expliqué Barfol aux généraux de Lazarus et de Rems, mais il n'y a rien là-bas, juste des moutons. Il a fallu faire quelques détours et rouler ma bosse un peu partout pour constituer ma flotte car, comme disait l'autre, bosse qui roule amasse mousse. Ce sont des gens formidables, passionnés de voyages spatiaux, tous aussi cinglés que moi, ce qui est primordial quand on s'engage dans une telle entreprise...
Comme les officiers ne croyaient même pas à l'existence de T'schnitza, et soupçonnaient avoir affaire à un quelconque pirate, il leur avait ensuite servi d'autres variantes.
Voyez-vous, je voulais épouser la princesse du royaume voisin, et d'abord le roi m'a dit : eh, Barfol, pars donc en croisade avec Kaldor. Je lui ai dit : comme si c'était fait. Le soudard s'imaginait sans doute se débarrasser de ma peau. Mais j'ai fait un détour, je suis revenu enlever la princesse, j'ai donc été condamné à l'exil. Non, attendez, je suis revenu d'exil, mais le roi était mort, tombé de son balcon dans son bassin à poissons, tandis que je lui récitais une sérénade en me faisant passer pour une sirène. Mais ce n'est pas de ma faute, il a glissé !
À vrai dire, Barfol avait tendance à se perdre dans ses propres histoires.
« Et donc, où sont-ils ? »
Sa seconde désigna un écran comportant une grande quantité d'informations. Elle pointait du doigt quelques signaux lumineux qui lui évoquèrent un ballet de lucioles.
« Là, une légion impériale. Là, une autre légion impériale.
— Qui est qui ?
— C'est bien la question. »
Le capitaine engloutit une pleine rasade d'alcool pour y voir plus clair.
Cela ne l'aida pas. Cela n'aide jamais.
« Lorsque je me donne un objectif, dit-il d'un air résolu, je l'atteins. Et mon objectif présent est de finir cette bouteille. À la vôtre ! »
Le tri des déchets, dans un vaisseau spatial, est primordial. À condition de disposer de sas prévus à cet effet, on pourrait se permettre de tout jeter par-dessus bord comme les flibustiers des océans ; cependant, ceux des vaisseaux de Barfol étaient cassés, et il jeta donc la bouteille vide dans une poubelle prévue à cet effet.
Le capitaine avança ensuite dans l'habitacle étroit, encombré de caisses d'outils, de seaux spécialement disposés en cas de fuite d'eau du système de survie, de caisses remplies de masques à gaz en cas de fuite d'ammoniac. Il empoigna quelque chose pour se tenir au plafond ; il y eut un crissement métallique et un levier rouillé lui resta dans la main.
Barfol attendit une seconde, constata que le vaisseau tenait encore et conclut que cela ne devait pas servir à grand-chose.
« Bon, comment qu'on fait » lança-t-il au milieu des deux pilotes et du tireur serrés comme des sardines.
Barfol se donna une claque. Il ne commençait jamais une bataille sobre, et l'ampleur que prenait celle-ci justifiait tous les sacrifices de son foie récalcitrant.
« On va y aller doucement. De ce que je vois, on a deux lignes de vaisseaux en train de se disloquer gentiment, des tirs de barrages et des frappes ciblées entre canonnières impériales. Ça tire de partout mais ça ne casse pas beaucoup pour le moment. Ces petits singes connaissent l'exacte portée de leurs adversaires, ils se mettent tout le temps en sécurité. »
Ses pieds quittèrent le sol ; il fut propulsé de nouveau en place, comme si le vaisseau venait de faire un brusque saut. Ce n'était que le générateur de gravité qui connaissait de nouveau ratés. Moins important que le système de retraitement des eaux usées.
Barfol transportait dans sa veste de cuir tout un univers de poches. De la deuxième doublure intérieure, cachée derrière une couture, il extirpa une boîte en fer contenant ses comprimés, prescrits dix ans plus tôt par un médecin pirate deT'schnitza. Les rouges soulageaient le mal des transports, les bleus donnaient bonne haleine et il avait oublié le rôle des jaunes ; il en prenait donc toujours un de chaque, par précaution.
« Tout ceci me donne mal à la tête. Passez-moi la radio. Crachez toutes les ondes qu'on a, criez fort.
— Bien, capitaine. »
Barfol essuya sa main noire de suie sur son pantalon parsemé de taches de pétrole et d'huile de moteur. Il saisit le micro qu'on lui tendait, concentré tel le roi récitant son discours.
« Olà, légions ! meugla-t-il.
— C'est pas encore branché, indiqua la seconde.
— Ah. Un, deux, un, deux, test, test. »
Il appuya sur le bouton en espérant recevoir une réponse. Par exemple, quelque chose comme : enfin, quelqu'un venant me sauver ! Je suis votre homme, Catius machin-chose, je suis à tant de gradients en position relative, etc.
« Attendez, hum, je réessaie. Olà, légions ! Je suis le capitaine Barfol de T'schnitza, ou T'schnizta selon les sources. Dites-moi où se trouve monsieur Catius, et puis, cessez le combat immédiatement ! »
Barfol parlait le même latin que l'Imperium, quoi que la combinaison de l'accent et de la mauvaise qualité de transmission fit ressembler son discours au chorus d'une baraque à frites en pleine saison estivale.
« Les tirs continuent, remarqua la seconde.
— Ah ! Quelle bande de sagouins ! Bon, lesquels sont en train de perdre ? C'est toujours les gentils qui perdent.
— Attendez, il y a une Arx devant nous.
— Une quoi ?
— Une Arx. Une forteresse impériale. Il suffit de voir sur qui elle tire.
— À moins que Catius soit aux commandes de l'Arx.
— C'est moins probable. D'après les solains, il venait tout juste d'arriver dans le système. Il a dû être cueilli par une autre légion encore fidèle au Sénat.
— Mouais. J'ai une illumination, là. Donnez-moi les commandes. Puis passez-moi la radio, aussi. »
À cinquante ans passés, pas un gramme de graisse en trop, peut-être un léger surplus d'alcool dans le sang, Barfol avait exactement la largeur d'un siège de pilotage dans sa flotte – c'est-à-dire pas grand-chose. Un sifflement plaintif retentit lorsqu'il se laissa choir dans le fauteuil. Plusieurs diodes clignotaient rageusement devant lui comme des fonctionnaires en grève qui agitent des pancartes en réclamant un meilleur traitement. Barfol donna un coup de poing dans le moniteur ; cela fonctionnait toujours. Pour toute réponse, une autre diode se joignit au mouvement.
« Il y a des surpressions de partout, dit-il. On ne devrait pas avoir déjà explosé ? Quelqu'un pour décongestionner les soupapes pendant que je tiens la barre ?
— Qu'est-ce que vous comptez faire ? » demanda sa seconde en se penchant près de lui.
De tout l'équipage hétéroclite de ces vieux rafiots, sans uniforme, ni symbole, ni langage commun, Barfol était peut-être le seul homme sensé, ce pourquoi il diluait toujours son sang dans l'alcool avant de partir au combat. Les autres le suivaient aveuglément et ne discutaient jamais ses ordres. Hormis sa seconde, opportunément nommée Segonde, dont le rôle était de lui donner des claques.
« On n'a pas toujours été des tendres, dit le capitaine, mais aujourd'hui, c'est la tournée des bonnes actions.
— Quel rapport ?
— Vous allez voir ce que vous allez voir. »
Barfol tira sur le cordon de la radio ; mais il se trompa de câble et un fil électrique arraché lui tomba dessus – à sa grande satisfaction, plusieurs diodes récalcitrantes s'éteignirent alors. Au deuxième essai, il parvint à mettre le micro devant sa bouche, tout en tenant la barre, espérant que celle-ci ne lui resterait pas en main.
« Eh, les copains ! Ici le capitaine Barfol de T'schnitza, ou T'schnizta, selon les sources. Le camp de Kaldor, c'est nous. J'ai besoin de savoir qui est Catius. Vous ne me répondez pas. Je vais m'approcher pour que vous m'entendiez mieux.
— Nous allons bientôt être à portée des deux flottes, nota Segonde.
— Oui, mais cette vieille guimbarde est toujours plus rapide qu'eux, se rassura Barfol en donnant une tape amicale à la tôle. Hop, c'est parti. Moteurs, action. Je vais injecter un peu de carburant dans les fusées. Préparez deux ou trois bombes EM, pour quand on aura décidé sur qui taper. Est-ce qu'il reste une bouteille ouverte quelque part ? »
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