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55. Jarn


2200 mots


Dans la science des Arcs, il n'est rien de plus important qu'un nom.

Car il s'agit de la capacité de référer à quelque chose.

Si le nom disparaît, tout souvenir finira par le suivre. Il ne demeurera que le vide et la douleur permanente du vide.

Kaldor, Principes


« Je veux savoir exactement ce que nous affrontons. »

Les rescapés avaient suivi Seryn à reculons. Même Tibor n'approuvait pas son expédition. Ils avaient quitté les photosaures, qui ne cessaient d'accélérer leur marche infatigable, comme s'ils sentaient l'ombre avancer dans leur dos.

Les solains s'étaient arrêtés, laissant le front obscur ramper jusqu'à eux. Tout le long de la vague, les fumées semblaient hésiter, puis se jeter voracement sur chaque nouveau rocher à portée. Ceto avançait de manière erratique, suspicieuse, comme un troupeau de prédateurs en marche.

« Au-delà du champ de visibilité, considérez qu'il n'y a plus de monde, indiqua la primagister. Il n'y a donc pas de frontière. Le sol s'effondre, disparaît, se transforme en rêve. Ce sont les Confins qui avancent jusqu'à nous. »

Othon tremblait, les autres n'en menaient pas large. Seryn elle-même serrait son bâton de combat tant que le sang n'affluait plus dans sa main, et une veine sur son front semblait prête à éclater à chaque instant.

L'ombre chantait. Son écho infusait dans les esprits, d'abord imperceptible, puis féroce. Voyant s'approcher des solains, elle ne tenait plus en place, se promettant un véritable festin. Mille influences contradictoires semblaient vibrer dans le monstre, se heurter, résonner sans cesse, pour finalement se décider de ne rien faire, rester coi surtout, peut-être ne m'ont-ils pas vu, peut-être ne savent-ils pas ce qui les attend. L'ombre sondait les cœurs et les esprits, elle attendait.

Seryn avança au plus près. Des exhalaisons de fumée noire rampaient à ses pieds. Personne ne se risqua à la suivre. Les solains étaient crispés, indéfinissables, plongés dans ce moment de doute et de solitude qui précède l'assaut ou la fuite.

Seryn se baissa et plongea un minuscule bocal de verre dans le tourbillon. Une indubitable matière. Elle le referma, fit un pas en arrière pour se libérer de la présence démoniaque, observa le résultat à la lumière. C'était un fluide, à peine plus lourd que l'air. Elle l'agita, le fluide fut parcouru de tourbillons. Un fauve en cage, attentif, qui attendait le meilleur moment pour mordre.

La primagister plongea ensuite son regard dans les ombres. Dans ce chaos de formes émergeait une impression d'ordre supérieur, un dessein terrible et nécessaire. Le calme du bourreau préparant son office, qui affûte son arme avec patience. Elle plissa des yeux. Téralis se trouvait là-bas, toujours agrippée à son horizon ! La cité béait, percée de multiples ouvertures, dans lesquelles se déversait le déluge. Elle ne tenait plus que par quelques fils, accrochée par les souvenirs de milliers de solains. Elle gagnait en transparence. Ses tours s'arrachaient de leur support et se dispersaient sur des distances sans limites, ses murs devenaient d'infinies frontières. Sa pierre ne gardait par endroits que sa consistance, à d'autres que son apparence. Téralis se fragmentait, mais elle était encore là ! Elle tenait toujours ! Et la race des solains, à l'image de sa fière citadelle, ne reculerait qu'au prix d'un affrontement sans merci.

Nous ne vaincrons peut-être pas les dieux, mais nous leur ferons payer le prix de leur haine.

Un froissement, puis un bouillonnement de l'ombre sur sa droite, l'avertirent que quelque chose émergeait du brouillard opaque. Seryn arracha son bâton du sol, le pointa devant elle et enclencha le mécanisme d'ouverture des lames. Elle retrouvait ses marques, son esprit sortait plus fort de l'assaut de Ceto, elle bouillait d'Arcs.

Sans ordre de sa part, les soldats hésitèrent à la rejoindre. Tibor leur intima de ne pas bouger.

Une main sortit du flot à la manière d'un rocher qui perce une cascade d'eau claire ; l'arête d'un corps solain, comme une étrave fendant l'écume, qui se reconstituait atome par atome. Un bras de suppliant se tendit vers elle. Le visage regagna ses traits habituels, si bien marqués dans sa mémoire ; une capeline déchirée flottait. Des blessures se refermèrent, la chair reprenait sa forme. Vaincu par Ceto, il ressuscitait, preuve ultime et écrasante de la puissance des dieux. Jarn.

Ce n'était pas un rêve ; Seryn le sut dans sa douleur, incomparable avec l'instant où elle avait pris conscience de sa mort. Le retrouver face à elle. Ramené par le Fléau lui-même, comme une manière d'entamer des pourparlers, de se montrer sous son plus beau jour. Je suis chargé par les dieux de vous détruire, mais je ne vous hais point ; peut-être pouvons-nous trouver un arrangement...

« N'avance pas » siffla-t-elle, l'obligeant à rester dans les contours du brouillard, où ses pieds disparaissaient dans les volutes les plus lourdes.

Ce ne pouvait pas être lui. Ce n'était pas Jarn, mais un véritable mirage. Elle en fut persuadée jusqu'à ce que le tatouage de sa main s'anime. L'Arc permanent installé entre elle et son second vibrait de nouveau. Son troisième œil, si elle avait eu le courage de l'ouvrir grand, le lui aurait confirmé. Jarn avait été restauré, son esprit remis en place dans un corps reconstruit. Ceto leur avait montré qu'il pouvait tout prendre ; il revenait à la charge, prouvant un pouvoir plus grand encore : celui de leur rendre tout ce qu'il avait pris.

Tibor, interdit, attendait sa réaction. Il s'en remettait à sa décision.

« Seryn... »

Ce seul mot de sa voix valait d'infinis discours. Le suivant contiendrait tout ce qu'ils ne s'étaient pas dits. Seryn sut qu'il devait se taire, sinon elle n'aurait pas la force d'accomplir son devoir – de le laisser partir une deuxième fois. Elle fit un symbole de la main droite, fermant son poing, index levé, écrasant la paume dans laquelle atterrissaient encore les pensées du solain. Elle coupa les Arcs qui les reliaient, abattit ces ponts.

Que l'avenir du monde repose sur ses épaules, soit. Mais la mort d'un seul solain... et celui-ci par-dessus tous les autres...

« Je suis désolée » dit-elle.

Lorsqu'elle leva son bâton, Jarn parut surpris – il ne savait pas qu'il était mort. Il ne remarquait pas qu'il sortait du brouillard. Lorsqu'elle détendit son épaule, il lui sembla qu'il avait saisi son dilemme et approuvait sa décision. Pour eux, il était trop tard. Seryn ne pouvait pas mordre à l'appât laissé par Ceto.

Voici ce qu'il révèle de nous, comprit-elle. Nous sommes tous faits de quelques désirs insatisfaits.

La lame pénétra profondément au niveau du sternum ; la hampe traversa entièrement son torse, étrangement mou. Le sang de Jarn, plutôt que de couler, s'envolait. D'une poignée d'Arcs, Seryn tira son arme en arrière et la ramena dans sa main. Alors il tomba en arrière dans l'ombre et disparut tout à fait, absorbé, digéré de nouveau par ces forces grouillantes qui l'avaient reconstruit.

« Nos vies valent mieux que cela, cracha-t-elle. Nous valons mieux qu'une série de tours et d'artifices. »

Elle tourna des talons et les solains la suivirent en silence. Personne n'osait lui parler, pas même Tibor, qui à ses côtés, semblait partager ses ruminations.

Un peu plus tard dans la journée, Seryn oublia définitivement le nom de Jarn.


***


La lumière du ciel se comportait étrangement – qu'attendre d'autre d'un monde promis à sa fin ? Car au lieu de lentement descendre à l'horizon, comme un rideau, elle restait en place et se concentrait maintenant en taches orangées, reliées par de longues estafilades. Comme si les dieux avaient décidé que Hela devait accompagner Sol Finis dans sa chute et que la déesse, percée au cœur, se mourait ; que son sang se répandait le long de canaux et de nervures jusque-là invisibles.

« Où est Fineas ? »

Ces mots, les trois premiers depuis la mort du second, dits d'une voix inquiète par Othon, furent un détonateur. Plusieurs fois, Seryn avait tenté de mettre en place une distorsion vers la capitale. Chaque nouvel échec l'en éloignait davantage. Elle avait maudit à voix haute sa faiblesse ; désormais elle maudissait son manque de maîtrise de soi. Les solains rescapés de Téralis pouvaient-ils encore lui faire confiance, elle dont tous les échecs s'étalaient au grand jour ?

« Quoi ? s'exclama-t-elle.

— Où est Fineas ? » répéta Othon.

Sa voix sèche ressemblait à un automate brisé, aux gestes saccadés, hésitants. Ils manquaient d'eau. Les maîtres d'Arcs souffraient moins de la faim et de la soif, car ils pouvaient s'imaginer repus et vivre dans ce rêve, pour un peu plus longtemps. Les autres solains du groupe se sentaient inutiles, ils croyaient alourdir leur marche sans but.

Seryn traversa le groupe, visage fermé, d'abord en marchant, puis en accélérant sa course. D'abord chancelante, elle cessa bientôt de toucher le sol, flottant sur des torsions d'espace permanentes qui annulaient son poids.

L'ombre respirait. Un brouillard gris, une simple brume aqueuse, précédait sa course comme pour prémâcher son travail. La primagister fit un geste. Un furieux tourbillon d'air, instantané, une explosion sans flamme, balaya une partie de la fumée. En un instant, elle avait fait les six cent mètres qui les séparaient de l'ombre. Les soldats la regardaient courir.

Le Fléau marqua un temps d'arrêt, comme pris à une réflexion temporaire, savoir s'il fallait plutôt commencer par la droite ou par la gauche. Fineas lui faisait face. Seryn lança des Arcs vers lui, mais ses câbles furent freinés à l'approche du Fléau. Le démon changeait les propriétés de l'espace. Il se protégeait contre la magie d'Arcs, lui et ceux sous son emprise.

« Fineas ! s'exclama-t-elle en atterrissant.

— Avouez-le, vous ne connaissiez même pas mon nom. »

Le jeune solain, une recrue récente, ne la regardait pas. Il avait laissé tomber son arme, un bâton de combat dépliable, sur son chemin d'errance.

« Qu'est-ce que tu essaies de faire ?

— Vous l'avez vu tout à l'heure. Vous l'avez reconnu. Vous saviez que c'était lui. Pourquoi l'avez-vous tué ?

— Je le connaissais mieux que toi. C'était un solain libre. Celui-là était un fantôme au service du Fléau.

— Et maintenant, vous avez tout perdu de lui, même son nom. Vous appelez Ceto « fléau » parce que vous pensez qu'il apporte la mort... mais peut-être que ce n'est pas ça, qu'au contraire, nous ne mourrons plus. Nous avons peur du passage. Nous avons peur de l'ombre, mais l'ombre, ce n'est peut-être qu'une lumière que nos yeux ne savent pas encore voir.

— Ne fais pas un pas de plus » l'avertit Seryn.

Le brouillard rampait maintenant de chaque côté, toujours hésitant, comme s'il s'étonnait que le solain le rejoigne volontairement.

« Je l'ai vu. Il y a un autre monde, là-bas. Une autre lumière. Ils sont tous là. Tous ceux que nous n'avons pas pu protéger, maintenant, ils vivent encore. Si je les rejoins, comme eux, je serai sauvé.

— Ne bouge pas d'ici ! »

Alors, comme le matin même, une silhouette émergea du fléau, une des nombreuses existences qu'il avait absorbées et dont il avait maintenant la propriété. Lunia, une solaine de Téralis. Ses yeux avaient pris d'étranges couleurs. Elle les gardait dans le vague, car elle vivait désormais dans un autre monde, en miroir, et ne voyait rien de Sol Finis. Des gouttelettes noir pétrole perlaient sur son front et coulaient le long de ses tempes.

« Tu as raison, Fineas. Ils sont tous encore là, avec moi. Nous sommes heureux. Ceux qui s'enfuient ne font que retarder l'inévitable.

— Est-ce que... est-ce que tu as souffert ?

— Tous les vivants souffrent, mais moi, je ne sais plus ce que c'est. Tu verras, Fineas. Donne-moi la main. »

Hypnotisé par la promesse de mettre fin à son malheur, quand bien même elle viendrait du démon qui l'avait justement provoqué, Fineas s'exécuta. Il tendit le bras dans la direction de Lunia et attendit que le contact se fit avec la jeune solaine. Sans doute son visage lui apparaissait-il dans ses plus beaux atours – l'esprit est toujours l'acteur le plus zélé de ses illusions. Seryn ne voyait pas cela. Elle voyait la silhouette de Lunia lentement s'effondrer sur elle-même, pour que ne subsiste plus qu'un tentacule de chair carbonisée, grêlé de ventouses et de dards, qui se referma sur le solain innocent.

La primagister tira Fineas en arrière et trancha la matière démoniaque. Le solain se laissait faire. Elle arracha la manche de sa tunique ; une corruption remontait le long de ses veines, inarrêtable, sauf à couper le bras au niveau de l'épaule. Elle hésita une seconde de trop, tournant la tête en arrière, cherchant Tibor du regard. Il n'aurait pas su quoi faire, pas plus qu'elle. D'un geste, Seryn affûta une lame d'air, mais c'était trop tard. Le démon était remonté à son cerveau. Fineas lui cracha au visage et se dégagea. Il ne bougeait plus le bras, zébré de meurtrissures ; ses doigts se recroquevillaient comme s'il se momifiait vivant. Sans un au revoir pour Sol Finis, il marcha dans l'ombre.

Le Fléau se referma sur lui et l'engloutit tout à fait.

Seryn eut juste le temps de se jeter en travers d'un autre solain, qui courait vers le brouillard. Il s'effondra sur la pierre. Ils se battirent au sol, elle lui tordit le bras et le maintint en attendant qu'accourent les autres.

« Les dieux le veulent, disait-il. Il faut faire confiance aux dieux... »

Affamés et sans espoir, ils étaient prêts à tout croire, du moment qu'on promette une issue à leur errance.

« C'est trop tard pour ça, rétorqua Seryn. Les dieux n'apportent plus rien, aujourd'hui, que la mort. »

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