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52. Le témoin


2200 mots


Vous ne pouvez plus reculer. Vous ne pouvez pas revenir en arrière. Derrière nous, il n'y a plus rien ; je m'en suis assuré. À l'heure où je parle, notre passé achève de se consumer. Séchez vos larmes et suivez-moi. Tel était son discours, ainsi avait-il décidé d'agir.

Caelus, Le Monde Solitaire


Livenn marchait sur un sol de verre épais, couvert de viscosités glissantes, au travers duquel perçaient des lumières ondoyantes.

Une vague parcourut le liquide inhomogène sous ses pieds, comme s'il se retirait, pour être remplacé par une substance blanchâtre d'apparence inorganique. Par réflexe, elle sursauta, même si ce mouvement minéral se déroulait au-dessous et ne la concernait point.

Encore toi ?

Elle comprit alors. Un œil ! Elle marchait sur la surface d'un œil gigantesque, si vaste qu'elle n'en voyait pas les limites. Il aurait pu être sphérique, un immense globe suspendu dans le vide de l'espace, scrutant la voûte étoilée qui surplombait Livenn et qu'elle désirait si ardemment.

L'œil ne pouvait pas la voir – il était trop grand et elle, trop petite. Mais il ne s'agissait que de la lentille agrandissante d'un esprit enchâssé dans la Noosphère, suffisamment ancien et stable pour être devenu son propre rêve.

« As-tu un nom ? »

Découvre-le toi-même, alors je te dirai qui tu es.

« Je suis Livenn, je le sais déjà. »

Ce n'est pas ton premier nom.

Cet esprit vaste avait eu une origine physique. Un être vivant. Une conscience. Il ne pouvait pas s'agir d'un Sermanéen – leur Séjour se situait aux confins des Confins, et non pas dans l'atmosphère noosphérique de Sol Finis. Il devait provenir du Monde Solitaire – Livenn n'avait pas parcouru un tiers du chemin.

« Vous êtes un photosaure » comprit-elle.

La pupille impensable fit une nouvelle vague, elle ne sut si l'œil s'ouvrait davantage ou s'il se fermait.

Depuis leur naissance, leurs premiers pas sur Sol Finis, les solains avaient fait comme ce poussin qui prend pour mère la première chose qu'il voit. Ils avaient attribué aux dieux la pluie et le beau temps, les saisons, les espèces vivantes de Sol Finis, le cycle de la vie et de la mort. Même les photosaures avaient trouvé leur place dans la cosmogonie centrée sur les Sermanéens, dont ils étaient les créations imparfaites, vestiges d'un précédent cycle cosmique.

Nous sommes aussi anciens que vos dieux.

L'une des plus anciennes formes de vie de l'univers, passée par tous les stades de l'évolution, d'abord plaques de cellules photoréceptrices installées au fond de lagunes peu profondes, puis créatures rampantes sans yeux, puis marchantes, puis corps artificiels mi-mécaniques, mus uniquement par la lumière. Les photosaures avaient été construits, reconstruits, rebâtis sur mille nouveaux schémas, car ils étaient une race d'esclaves, enchaînés aux grandes œuvres d'une lignée de dieux primordiaux... dont les Sermanéens avaient fait partie.

« Nous n'avons jamais pu communiquer avec vous » nota Livenn, pour souligner à quel point leur conversation avait quelque chose d'anormal.

Nous avons détourné le regard de ces dieux. Ta présence ici signifie que vous suivez le même chemin que nous.

« Que voulez-vous dire ? »

Les corps qui subsistent sur la surface sont des coquilles presque vides. Nos consciences ont traversé l'écran noosphérique de Sol Finis et nous avons entamé notre transmigration.

« Avez-vous atteint votre destination ? »

Pas davantage que toi, mais à la différence des solains, nous sommes patients.

Elle ne comprenait pas s'ils cherchaient à survivre, ou à mourir avec panache, tels une horde d'éléphants en route pour leur cimetière. Et le photosaure n'aurait peut-être pas compris la question, car il voyait peut-être la différence entre la vie et la mort comme un simple sel dialectique.

« Alors vous aussi, les Sermanéens se sont détournés de vous, et vous vous êtes détournés d'eux. »

Les dieux sont des êtres cupides et jaloux. C'est ainsi qu'ils deviennent dieux.

« Et moi, qui suis-je, et comment le sauriez-vous ? »

Je t'ai rencontrée portant différents noms.

Tu es Livenn, l'arpenteuse de rêves. Mais ce n'est pas ton premier nom.

Tu es Nadira, l'arpenteuse de rêves. Mais ce n'est pas ton premier nom.

Tu es Shani, l'arpenteuse de rêves. Cela est ton premier nom.

« Je suis née sur Sol Finis, se défendit-elle.

— Un corps s'est formé là-bas, à partir de la terre de ce monde. Mais plus tu progresses dans la Noosphère, plus tu te libères du superflu. Aurais-tu vécu mille vies sur Sol Finis, que sur ce chemin, tu redeviens celle que tu étais à l'aller, lorsque tu recherchais le Monde Solitaire. Tu ne cherchais pas encore à t'en enfuir. Tu étais en quête de savoir.

— Et vous, si vous avez commencé votre migration, pourquoi êtes-vous encore là ? »

Question inutile, dont elle devina aussitôt la réponse. Il ne s'agissait pas d'un photosaure, mais de tous les photosaures. En quittant leur monde, ils laissaient chacun quelque chose, une somme de souvenirs abandonnés qui devaient forcément s'agglomérer pour construire un témoignage vivant.

« Ton esprit provient de l'univers lointain. Tu désires les étoiles et tu ne les crains pas, parce que tu reviens vers elles. Tu es un faisceau d'Arcs ; ton origine est le Cercle de Lumière ; ta destination Sol Finis. Tu accomplis maintenant ton trajet de retour.

— Non, je suis née là-bas...

— Tu es née plusieurs fois, Livenn. Nadira est venue te trouver parce que vous êtes la même personne. Deux âmes cohabitent dans ton esprit. L'identité première s'est quasiment effacée – que t'en reste-t-il ? En revanche, ton nom véritable bat plus fort.

— Ça n'a pas de sens.

— Si tu ne l'acceptes pas, tu feras la même erreur que Nadira.

— Nadira a omis de poser une question » se souvint-elle.

L'œil du photosaure cligna. Ce fut comme une vague noire, suivie d'un reflux d'un blanc brillant.

« Quelle était cette question ? Gronda-t-il.

— As-tu un nom ? Toi, as-tu un nom ?

— Je n'ai pas besoin de nom. »

Elle ne sut s'il s'agissait d'une réponse acceptable ; en tout cas il n'avait pas essayé de la tuer. Le photosaure se montrait même perspicace. Il avait percé Shani-Nadira-Livenn à jour grâce à ses multiples passages, chacun d'eux lui offrant comme un nouveau point de vue, qui permettait de compléter un dessin d'ensemble. Livenn en savait moins sur elle-même que cette créature spirituelle sertie dans les sphères les plus hautes de la Noosphère solaine.

Les échos de tous les photosaures, rassemblés en une seule présence englobante et rassurante. Une présence convaincue de la nécessité de la transmigration, de ses bienfaits, et qui encourageait Livenn à suivre ce chemin.

« Qui suis-je ? Reprit la jeune solaine. Quel nom m'as-tu donné ?

— Shani, l'arpenteuse de rêves.

— Je viens d'ailleurs ?

— Tu es tombée sur Sol Finis, pour une des obscures raisons qui président aux destinées d'un arpenteur de rêves. Peut-être échappais-tu à des dieux. Peut-être voulais-tu les renverser. Peut-être voulais-tu prouver la grandeur de ton âme. Ou recherchais-tu la vérité.

— Admettons. »

Elle cherchait du regard le centre de la pupille, ce lac noir de dimensions incertaines.

« Dans ce cas, comment ai-je oublié qui j'étais et ce que je faisais ici ?

— Tu es allée trop loin. Ton âme a migré d'un corps à l'autre. Le courant t'a jetée sur le rivage. Une fois quitté l'océan, tu es devenue solaine.

— Mais ce corps... le mien... peut mourir à nouveau si je ne rebrousse chemin.

— Ce corps est celui de Livenn. Il est condamné, de toute façon. »

Si deux, trois jours venaient de s'écouler, elle commencerait à se déshydrater. Peut-être maître Wei la forcerait-il à boire, de son coma méditatif. Mais son cœur finirait par lâcher. Jetée dans l'océan des rêves, Livenn n'aurait d'autre solution que de garder la tête hors de l'eau. Des créatures tenteraient de la happer, de l'entraîner vers les profondeurs. Elle surnagerait jusqu'à la rive d'un monde quelconque et anonyme, ou son âme se déposerait comme une vague d'écume. Elle se grefferait sur le premier corps venu. Une réincarnation forcée, artificielle, le seul instinct qu'il reste à un esprit dans ces conditions : changer de corps, devenir autre, en espérant pouvoir un jour se réveiller de nouveau à soi.

« Partir a toujours été mon rêve » dit-elle.

La voûte étoilée ne la quittait plus. Les rêves semblaient tous s'ouvrir sur le Cercle de Lumière. Une Noosphère locale entourait Sol Finis, comme une atmosphère invisible. Elle se trouvait à son extrême limite. Quelque part, entre elle et les Étoiles, naviguait la horde des photosaures.

Cette certitude lui redonna des forces. Les Sermanéens n'étaient donc que des créatures attentistes, qui s'étaient accaparées un pouvoir pour en distribuer les fruits en tyrans raisonnables. La preuve que les photosaures accomplissaient, eux aussi, le grand voyage, fut ce dont elle avait besoin pour se persuader qu'elle avait une chance de franchir le tunnel. Elle n'était pas seule.


***


Livenn était demeurée assise, les yeux fermés. Elle inspirait toutes les demi-minutes ; ses battements de cœur retentissaient toutes les quatre secondes, comme le rythme régulier d'une musique tribale. Maître Wei emballa quelques affaires. Il venait d'ouvrir une torsion permanente autour de la jeune voyageuse, une bulle d'espace qui lui permettrait de la déplacer sans déranger son corps en état catatonique.

Elle était sans doute déjà très loin. Plus loin que Nadira ?

Au début de sa carrière, Maître Wei pensait, comme beaucoup d'autres, traverser l'espace et rejoindre les Étoiles lointaines. Il avait tenté des centaines de fois. Les longues méditations, jusqu'à cinq jours, avaient laissé des séquelles sur son corps et son esprit, jusqu'à le convaincre que les solains n'étaient pas les bienvenus dans la Noosphère supérieure ; que ce n'était pas leur place.

« Sol Finis se trouve au fond d'un puits, avait expliqué Nadira. La personne la mieux placée pour monter vers la lumière est celle qui a accompli la descente ; qui sait où se trouvent les prises, quel chemin suivre pour ne pas glisser. »

Et c'était elle, cette personne tombée des Étoiles.

Maître Wei n'avait pas voulu y croire, mais à mesure que Nadira remontait, elle accédait à de nouveaux souvenirs. C'était une âme forte, rompue à ces exercices, spécialiste de ces voyages astraux, qui avait franchi de grandes distances par le passé. Une arpenteuse infatigable, prise au piège de la toile de Sol Finis. Ils n'étaient pas à l'écart de l'univers pour rien, mais par la jalousie des Sermanéens, qui avaient exercé leur orgueil durant des millénaires, jusqu'à s'en lasser, s'empoisonnant par leur vanité.

« Je me demande quel était ton premier nom » dit-il à haute voix.

La torsion permanente était une copie de son bureau. Si elle avait été éveillée, Livenn n'aurait pas eu l'impression de se déplacer dans l'espace.

Wei avait honte de l'envoyer ainsi affronter des cauchemars qu'il ne pouvait pas imaginer. Les solains méritaient-ils le sacrifice d'une étrangère à leur monde ?

Il se servit un thé, s'assit en face d'elle et attendit. Le moindre dérangement pouvait la mettre en péril. Elle se trouvait bien au-delà des sphères basses des rêves, là où évoluent les esprits ordinaires. Là-haut, entourée par des dieux engloutis et leurs anges malheureux, par des esprits imbus et des démons retors, Livenn évoluait dans une jungle de dangers inimaginables.

Les murs de Khar craquaient maintenant, dans un intimidant grondement choral, tel le chant d'un glacier en période de fonte. Le magistère s'effondrait. Wei ne pouvait nier cette réalité ; Khar était à l'image de Sol Finis, seulement maintenu debout par ceux qui avaient encore rêvé entre ses murs. Lorsque les solains quitteraient ce monde, car tel était leur destin, il n'y demeurerait plus rien que des ruines.

Maître Wei réduisit la torsion permanente qui contenait Livenn endormie, jusqu'à un point infime de l'espace, invisible pour qui ne percevait pas les Arcs. Cette prison le suivit lorsqu'il traversa une dernière fois le couloir attenant à son bureau et rejoignit la cour intérieure où s'étendait son jardin botanique personnel. Sur son chemin, des lézardes parcouraient les murs comme si quelque monstre caché dans la pierre le poursuivait.

Il soupira.

Quelque chose le retiendrait toujours en arrière. Ce sentiment qu'il éprouvait à présent, cette aversion à la perte, c'était le dernier obstacle qui s'opposerait aux solains. Ils devaient se séparer d'un monde qui avait constitué, jusqu'à présent, leur seul horizon. De même Wei devait-il quitter Khar.

Je suis prêt, songea-t-il.

Il caressa une de ces plantes remarquables qu'il hébergeait ici depuis deux siècles, saluant une vieille amie qui ne pouvait le suivre. Là où partiraient les solains, était le règne de l'esprit. Le végétal semblait le comprendre. Ou peut-être se faisait-il des idées.

Adieu, jardins. Adieu, magistère de Khar. Je n'ai pas réalisé ici tout ce que j'escomptais. J'ai commis beaucoup d'erreurs. Néanmoins, fort peu de cette vie s'est entachée de regret.

Maître Wei claqua des doigts. Une flamme prit son envol au-dessus de sa main, hésitante puis franche ; un petit phénix resplendissant. Il tournoya autour du jardin. L'air chaud, la terre sèche prirent feu aussitôt. Le vieux mage d'Arcs contempla cette réalisation avec fatalisme, comme s'il se déchargeait de toute responsabilité. Après son départ, tout ceci n'aurait aucune existence. Il n'y aurait nul port d'attache vers lequel regarder en arrière, nul point d'ancrage des doutes et des hésitations. Rien !

La flamme grandit, bouillonnante, tourbillonnante. Des fumées boursouflaient maintenant les toits du magistère. La grande porte d'airain en était ouverte ; les golems-gardiens s'étaient arrêtés pour l'éternité. Maître Wei regagna son bureau, inattentif aux braises qui tombaient maintenant des poutres et du plafond.

Il ouvrit la porte qui menait à Méra.

Ils pensent que je suis vieux et impotent, se souvint-il, pensif. Mais ma véritable puissance dépasse toutes leurs prévisions. Je deviendrai un monstre si nécessaire. Je ferai pont de mon corps si cela permet aux solains d'atteindre les étoiles. Mais surtout... surtout ! Je mettrai le feu à cette terre si cela nous oblige à avancer.

Voir Khar partir en fumée lui laissait un goût amer ; il se savait misérable, mais il n'avait encore aucun regret.

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