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10. Léviathan


22 juin 2019 – 1700 mots


Ils auraient dû voir la lumière céleste vaciller, l'ombre monter des Confins.
Ils auraient dû entendre la souffrance du Peuple Solitaire.
Ils auraient dû se souvenir du premier Fléau envoyé par leurs dieux pour les punir.
Mais qui a décidé de ne pas voir, ne verra rien.
Qui a décidé de ne pas entendre, n'entendra rien.
Qui a décidé de ne pas penser, ne pensera rien.

Caelus, Le Monde Solitaire



La nuit suivante, Livenn décida de rester éveillée le plus longtemps possible ; de percevoir ce fameux instant transitoire durant lequel Morphée prend l'âme dans ses filets. Elle ignorait que nul ne pouvait prétendre à tout contrôler de son esprit, que même les dieux rêvaient et que celle ou celui qui, un jour, irait et viendrait du réel au rêve en toute conscience de soi serait l'ultime voyageur – destiné à devenir, tôt ou tard, le maître des choses.

Livenn plongea donc dans les rêves de Khar.

Les esprits fourmillent de pensées, regorgent de souvenirs, empilés en milliers de niveaux ; le présent-à-soi, le pensé, le conscient, ne sont rien qu'une fine pelure recouvrant le tout, un labyrinthe dans lequel on se perd soi-même. Des pièces entières de ce dédale s'égarent. Elles tombent dans l'oubli ; c'est-à-dire dans les interstices qui séparent les rêves. Bien que non conscients, ces fragments recherchent le lien, suivent les présences, s'accrochent et copient ce qui les entoure. Leur propension à s'assembler engendre une infinité de chimères.

Livenn plongeait dans cet inconscient collectif multidimensionnel, sans doute infini, à tout le moins inexplorable dans son ensemble.

C'est le marché aux puces de l'univers. On y trouve de tout ; des rêveries de jeunesse, des fantasmes d'adolescent, des empereurs déchus fomentant leur retour, qui ignorent encore qu'ils sont morts depuis mille ans ; des idées orphelines de leurs inventeurs, que nul ne peut plus comprendre ; des dieux vaincus, cachés pour échapper à leur exécution.

Le premier rêve qui l'accueillit était, à Khar, d'une grande banalité. Il n'était pas un élève qui ne l'eût vécu, selon un point de vue ou un autre, y laissant à son tour quelques fragments, comme des graines qui voyagent sous les semelles de l'explorateur.

Elle se vit flotter dans les airs.

Livenn se trouvait au sommet d'une parabole, sereine, malgré l'évidence de sa chute inexorable. L'incertitude du sol, disparu derrière une épaisse brume nuageuse, y contribuait. Elle était dans le ciel comme un dauphin dans l'océan, bien que Livenn n'eût jamais connu ni dauphin, ni océan.

Ses mains apparurent dans son champ de vision, tandis qu'elle préparait un nouveau tour de magie d'Arcs. Les gantelets de cuir ébréchés, portant des symboles anciens, lui semblèrent familiers. Elle suivait le fil d'un souvenir et s'y sentait chez elle, installée en cet écho comme dans une bulle. Plus rien de sa véritable personne ne lui parvenait ; son visage lui serait paru étranger. Seul son propre nom, le nom de Livenn en l'occurrence, aurait eu la propriété miraculeuse de la sortir de sa transe.

Dans sa chute libre, Livenn pivota et plongea son regard en direction des nuages. Ceux-ci étaient agités de remous, dont émergea bientôt une masse immense. Une pointe de pierre, puis une deuxième. La crête dorsale du monstre aérien qui s'abattait sur Sol Finis. Léviathan, le Fléau des dieux, l'incarnation de leur colère.

Livenn se rapprochait du colosse. Elle faisait partie d'un cercle d'une centaine de mages d'Arcs, qui se refermait lentement. Le ciel bleu était criblé de tous ces petits points noirs volatiles, agités tels des insectes balayés par la brise. Elle contrôlait sa trajectoire de gestes sûrs, fermement agrippée à la toile de la réalité.

Il était déjà bien tard. Au contact de la plus basse atmosphère, Léviathan s'entourait de ces vapeurs qui roulaient sur son dos comme la brume à la surface d'un lac, une nuit d'automne. Ils avaient échoué à le stopper avant qu'il soit à portée de Sol Finis, et ses mains descendaient sur le monde pour y apporter la ruine.

Les rêveurs qui avaient précédé Livenn dans ses bottes avaient changé Léviathan sans le vouloir, au gré de leurs fantasmagories, jusqu'à ce que le monstre devienne quelque chose de flou, caché derrière la brume, comme si le rêve ne pouvait plus se décider sur sa forme d'origine. Mais les sentiments restaient intacts – ils sont ce qui disparaît en dernier. À chaque encâblure supplémentaire qui la rapprochait du titan, le cœur de Livenn s'emballait davantage. Elle se sentait écrasée par le poids de ce défi, tiraillée entre la probabilité de la défaite et l'impossibilité de renoncer. Elle se savait proche de la mort. Rares sont les solains qui savent réagir parfaitement dans ce genre de situation, et Livenn paniquait.

Des grondements remontaient de la surface du sol, attestant que Léviathan avait commencé son travail de destruction. Peut-être la capitale n'existait-elle déjà plus. Peut-être le monstre déversait-il des poisons qui tueraient chaque solain vivant, jusqu'à ce que la colère des Sermanéens soit consommée.

Toujours en vol, Livenn vit un groupe de mages d'Arcs se poser au sommet d'une écaille. Ils lancèrent des Arcs autour d'eux, de multiples grappins, invitant leurs homologues à se joindre à l'effort. Une toile naissait autour de Léviathan.

Il fallait faire vite. Chaque seconde passée aux côtés du monstre anéantissait un peu plus leur volonté. D'Arcs, Léviathan était comme un trou noir vers lequel les esprits dérivaient, attirés, comprimés et étendus à l'infini, jusqu'à se rompre. Livenn serrait les poings, s'efforçait de rester éveillée et alerte. Elle vit plusieurs mages tomber comme des pierres, atteints par le maléfice.

Une arme à la mesure de Léviathan prenait forme, une épée de Damoclès dont la forme physique trahissait peu sa puissance d'Arcs. Le cercle tracé par les premiers mages devint visible, à mesure qu'ils transcrivaient les propriétés physiques de la lame.

Les plus valeureux d'entre eux lui donnèrent tout, y compris leur propre esprit, s'insinuant dans les contours de l'arme forgée, pour affûter davantage son tranchant. Elle ressemblait à une fine aiguille, faite pour traverser l'armure physique de Léviathan et percer celle de son esprit simpliste.

Livenn fut catapultée de plusieurs lieues en arrière. Quelqu'un venait de la sauver. Des vibrations d'Arcs couraient dans toute la réalité. Elle ignorait si l'univers supporterait tant de modifications apportées à sa structure, s'il ne s'effondrerait pas sous le poids de leur tentative. Mais des mages s'inséraient eux-mêmes dans la toile d'Arcs pour participer à ses efforts !

La lame traversa la peau de Léviathan. Une série de chocs retentit, puis un nouveau grondement. Pour la première fois, les solains se retournaient contre leurs dieux.


***


Le magistère de Khar avait été bâti sur l'enseignement des mages d'Arcs survivants ; la certitude que l'avenir de Sol Finis ne se trouvait plus auprès des Sermanéens, mais qu'il dépendait de la maîtrise de la magie des Arcs.

Passée par un état transitoire de demi-sommeil, Livenn entendit un appel.

Elle fouilla dans ses souvenirs ainsi qu'une bibliothèque emplie de livres poussiéreux, dont elle avait feuilleté la plupart ; et comme dans tous les rêves, saisit un livre qui avait toujours été là, mais qu'elle n'avait jamais vu, et dont le titre et le contenu portaient un profond mystère.

« Livenn... »

Sa mère était allongée sur la terre craquelée, silhouette anonyme entraperçue de dos, mais qu'elle reconnaissait néanmoins.

« Je vais aller chercher de l'eau, dit-elle. Je reviendrai. »

Elle revivait ses souvenirs en les corrigeant. Un sous-titre insidieux s'y incrustait, qui pénétrait son esprit comme un voleur dans une maison assoupie – à ceci près qu'il venait ajouter et non prendre quelque chose, semer la confusion et le doute.

Livenn marcha jusqu'à être arrêtée par une femme aux yeux bandés, vêtue de blanc, qui barrait sa route telle la statue ornant un caveau.

« Où vas-tu ? Viens, suis-moi.

— C'est que...

— Je t'offre un avenir. »

Le marionnettiste à l'œuvre derrière le cauchemar semblait, comme un redoutable rhéteur prenant sa proie dans ses filets, lui demander son assentiment. Chaque nouvelle phrase s'assortissait d'un long moment de silence, assez longtemps pour se dire : cela ne pouvait pas se dérouler autrement.

Elle avait conscience de tirer un trait sur son passé, d'abandonner une part d'elle-même, de laisser ses parents disparaître. D'ailleurs, qu'était devenu leur visage ? Qu'avait-elle fait de son seul héritage ?

« Dis-moi, Nadira. Comment es-tu venue me trouver ici ?

— Je savais que je te trouverais ici.

— Pourquoi ?

— Parce que nous sommes semblables. »

Cela lui parut une réponse tout à fait censée.

« Ton avenir est aussi sombre que le monde, argumenta Nadira. Veux-tu que je te le montre ?

— Je ne suis pas sûre.

— Les souffrances que tu t'apprêtes à connaître, le monde les connaîtra aussi. Il n'y aura pas de voyage vers les Étoiles lointaines. Les dieux reprendront leur dû. »

La solaine aveugle eut un sourire mauvais.

« Il n'y a jamais eu d'étoiles, d'ailleurs. Tu es à l'image des solains de ton temps. Tu veux fuir, sans cesse, mais tu es condamnée à te heurter aux frontières de ton mirage. Un jour, tu tendras la main, car tu croiras voir quelque chose, mais ce ne sera qu'un miroir qui te renvoie ta propre vacuité. Il n'y a jamais eu de « reste de l'univers ». Il ne reste que les solains et les Sermanéens. Rien d'autre. »

Elle se souvenait vaguement d'avoir vécu la chute de Léviathan, le seul embryon de victoire des solains sur l'orgueil des Sermanéens, et la perspective que tout ceci ne servait à rien, que cela allait aboutir à la victoire des dieux, noya sa volonté.

Nadira ôta son bandeau. Ses yeux étaient d'un noir mat, profond, certain, avec la propriété d'ôter toute raison, de nier toute lumière.

Livenn se vit loin, très loin de là. Une chaîne de montagnes bloquait l'horizon derrière elle, dont la seule trouée était murée par une citadelle de défense du royaume. Le sol était uniformément plat, une morne pierre fissurée par le gel. On entendait le bouillonnement de fleuves noirs dans les profondeurs de la terre, dont les effluves suspectes remontaient par ces failles profondes. Là-bas, plus loin encore, grondaient des brumes de la même couleur que les yeux de Nadira.

« Il croît sans cesse, le successeur, il dévore chaque jour mille fois son poids, et quand il sera devenu suffisamment gras et intelligent, il avancera vers la lumière, et la fera disparaître. Ainsi en ont décidé les dieux. »

Nadira posa sa main sur son épaule, ce qu'elle n'avait jamais fait dans le réel. Elle était froide.

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