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Poisoned apple or...
Assise dans le froid qu'elle supportait de moins en moins, Blanche tentait d'apercevoir le paysage qui s'offrait à elle. Le peu qu'elle voyait ne valait pas la vue de sa tour, mais elle devait s'en contenter. Dans ses mains tenait son petit livre fétiche qu'elle gardait toujours sur elle, même quand l'homme l'avait attaqué et qu'elle...l'avait tué. La jeune fille caressait la couverture de cuir qui recouvrait les pages, ne pouvant rien faire d'autre, dans l'obscurité de la nuit et la lune qui ne déniait l'éclairer.
Loin de la triste Blanche qui restait dans la forêt, les nains savouraient leur repas. Le sanglier trônait au centre de la table, laissant son odeur embaumer la pièce et frôler les diverses salades qui l'entouraient. Dormeur s'empressa de prendre le dernier radis juteux que son frère tentait d'attraper également. Après une légère querelle, les deux partagèrent le légume pour ne pas gâcher le repas. Et quand celui-ci toucha à sa fin, les nains se mirent à débarrasser, toujours en chantant, à leur habitude de siffler en travaillant.
— Eh ! Lequel d'entre-vous a préparé une tarte ? demanda joyeux, déjà envieux de la gouter.
— Tu as bien vu que personne n'a fait de tarte, imbécile !
Tout en grondant sur leur colérique de frère, et lui en marmonnant dans sa barbe grisonnante, les frères s'approchèrent de Joyeux qui admirait toujours la tarte. Si aucunes de leurs grossières mains n'avaient cuisiné de dessert, cela ne pouvait qu'être Blanche-Neige.
— Tu vois, elle n'est finalement pas si mauvaise que ça.
— Non, elle a juste failli tuer ton frère.
Mais malgré cette remarque, la fratrie décida de manger la tarte. Prof la déposa délicatement sur la table et attrapa le couteau que Simplet lui tendait. Quand la lame trancha la croûte qui recouvrait les prunes enrobées de sucre, une odeur vint chatouiller les narines des sept nains. Enthousiastes, ils attendirent que l'ainé dépose une part dans leur assiette, puis une fois tous servis, ils prirent une bouchée, à l'unisson. Le croquant de la tarte se mélangea aux prunes qui fondaient sur leur langue, dans un tourbillon sucré qui mettait leur palais en joie. Jamais ils n'avaient rien goûté de si bon. L'explosion de saveur toucha à sa fin ; et une nouvelle dispute commença.
Les voix s'entremêlaient, se cognaient, sans pouvoir se faire entendre. Cependant, le raffut s'arrêta lorsque la porte d'entrée claqua violemment. Blanche, de retour à la chaumière, monta directement dans ce qui était devenu sa chambre, laissant les regards curieux de ses hôtes derrière elle.
❀❀❀
Des mois s'étaient écoulés, comme la neige qui continuait de tomber sur le petit royaume. Blanche vivait encore avec les sept bons hommes qui se cachaient derrière leur bonté pour supporter la princesse. Malgré les crises et les colères de celle-ci, les nains parvenaient à voir une part de bon, cachée sous sa méchanceté.
Cependant, certains jours rongeaient leurs nerfs et leur patience, surtout quand Blanche s'en prenait à l'un d'eux. Comme quand, en lavant leurs chopes, elle s'était coupée avec celle de Timide et qu'elle l'avait brisé sous ses yeux, ou quand elle avait transformé Prof en livre, avant de lui rendre sa forme de nain suite aux engueulades de Grincheux.
Si déjà avant cette arrivée soudaine dans leur vie les nains aimaient se rendre à la mine, désormais c'était un moment dont ils ne voulaient plus être privés, une délivrance...
— J'espère que cette nuit elle nous laissera dormir...se plaint Dormeur.
Silencieusement, la princesse espérait la même chose. Chaque nuit depuis...le chasseur, ses cauchemars et ses souvenirs se rencontraient, plongeant Blanche dans une vésanie certaine dont elle ne pouvait sortir, à moins de se réveiller. Alors qu'elle pensait que dormir l'apaiserait, les griffes de la nuit la noyaient dans une rivière de tourments. La torturant et lui écrasant le coeur, comme elle l'avait fait à l'homme dont elle avait retiré la vie.
— Doucement elle arrive...
Descendant les escaliers en chêne, Blanche observa les nains passer le balai ou nettoyer les vitres. Fatiguée, le visage cerné, la jeune fille alla s'asseoir.
— Vous savez que, en un claquement de doigt, je peux nettoyer cette maison ?
— Mais on a des mains, et des jambes, ça fonctionne aussi...
— Simplet, ce n'est pas le moment.
— Oui, ce n'est pas le moment de contredire la sorcière, coupa Blanche, parce que c'est ce que vous voyez en moi ? Une sorcière.
— Mais non, tu n'es juste pas...facile à vivre. Personnes ne pensent de telles choses sur toi Blanche...tenta de la rassurer Joyeux.
— Mais vous avez raison ! Tout le monde l'a toujours pensé...du moins, ceux qui comptaient pour moi. Je-je sais que je suis méchante avec vous, et vous avez le droit de savoir pourquoi je le suis. Avec vous ou tout le monde d'ailleurs.
S'étant rapproché de la princesse durant son récit, les nains se mirent assis, prêt à écouter.
- Alors que j'allais souhaiter mon quatorzième hiver, le fils de notre jardinier m'avait offert un poème. À côté de tous les cadeaux qui m'attendaient, ça n'était rien, sauf un bout de papier...mais pour moi c'était tout. Parce qu'il venait de celui que j'aimais. Nous vivions une idylle charmante, magique...jusqu'à ce qu'il apprenne que je possédais des pouvoirs magiques. Ce don me venait de ma mère qui nous avait tragiquement quitté. J'en étais fière, jamais je ne pensais qu'ils m'éloigneraient de celui qui détenait mon coeur. Son regard envers moi avait changé, ainsi que ses sentiments. Je doutais même qu'ils aient été sincères un jour. Ce misérable tailleur de plantes me voyait comme un monstre, une sorcière. Alors lui et son père ont quitté le château et je ne l'ai plus jamais revus. Quand mon père a commencé à me chercher un futur roi pour prendre place sur le trône, j'ai décidé de devenir...une sorcière ; comme le fils de jardinier me l'avait dit. J'étais devenu ce qu'il redoutait et ce qui me l'avait, en un sens, fais perdre. Et pour ne plus souffrir à nouveau, j'ai...transformé ou menacé tous mes prétendants. Odieuse j'étais, oui, mais avec une limite. Une limite que j'ai franchie lorsque ce chasseur a voulu me tuer et a parlé de ma mère...Je l'ai tué, devenant un réel monstre.
La tirade touchant à sa fin, les nains se regardèrent, ne sachant quoi dire. Ils abritaient une meurtrière depuis tout ce temps ! Et malgré son passé douloureux, une peine de coeur ne justifiait en rien le meurtre de cet homme. Ni le mal qu'elle avait causé à ses prétendants.
Grincheux se leva, lança un regard noir à Blanche-Neige et s'en alla en claquant la porte. Rapidement, Timide l'imita. Ainsi que Simplet...et ce fut de même pour tous les autres. Bientôt, la princesse se trouva seule avec sa peine et ses regrets. Du moins, ses sois-disant regrets.
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— Alors vous êtes sûrs ? N'oublions pas qu'elle a tué un homme...
— C'est toi qui dis ça maintenant ? Je croyais que tu ne voulais pas être un odieux personnage !
— Là c'est elle l'odieux personnage. Pourquoi en doutes-tu maintenant ?
— Je ne doute pas, mais je veux être certain que je n'ai pas gâché mon temps en pensant voir du bon en elle.
D'un geste de tête, les frères se dirent oui et avancèrent vers le coeur de la forêt. Si les arbres avaient perdu leurs feuillages, les fleurs elles gardaient leurs pétales : et là où il y avait des fleurs, il y avait des fées. Celles-ci aideraient volontiers les nains qui leur offraient des diamants de temps en temps.
Remerciants les créatures ailées, les petits hommes rebroussèrent chemin afin de regagner leur chaumière. Le soleil commençait à disparaitre derrière les nuages brumeux n'offrant que peu de temps aux nains qui redoutaient une fugue de Blanche. Après tous ces aveux, ils ne seraient pas restés non plus.
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Arrivés devant leur porte, comme le jour où Blanche avaient surgi à travers le bois, essoufflée et perdue. Grincheux poussa la poignée, la porte suivit le mouvement, et une Blanche, toujours assise sur une chaise, se dessinait.
— Tiens croques ça ma p'tite !
À l'entente de son prénom, la princesse attrapa le fruit que le nain lui lançait, bien trop rapidement pour que ce geste soit naturel.
La pomme, aussi verte que ses pouvoirs , titillait son désir de la croquer. Elle avait l'air juteuses et acidulée, un régal que la princesse voulait s'offrir. Mais elle n'oublia pas qu'elle venait d'avouer un meurtre...
— Je vous annonce que j'ai retiré la vie d'un pauvre homme...et vous vous m'offrez une pomme ?
— J'ai dit croques, qu'est ce que ta royale cervelle ne comprend pas ?
— Elle comprend, et elle trouve cela étrange. Vous tentez de m'amadouer ? Ou...nan, vous voulez me piéger ! Comment ? C'est magique, c'est...du poison ?
— On n'est pas des meurtriers nous, alors tu le manges ce fruit.
Méfiante, Blanche décida d'écouter Grincheux. Elle approcha la pomme de sa bouche et la croqua, laissant son jus cascader le long de son cou. Le gout qu'elle découvrait fut de loin la meilleure chose qu'elle avait mangée. Mais quand elle s'apprêta à reprendre une deuxième bouchée de ce fruit merveilleux, la morsure qu'avait laissée la première la fit sursauter. La chair beige de la pomme était devenus moisie, noire et pleine de moisissures.
Dans l'incompréhension, la jeune fille se tourna vers les sept nains qui l'observaient sans un mot, dans un silence de mort.
— Pourrie...tu avais raison, cette pomme était magique. Mais la seule qui est empoisonnée, c'est toi. Une morsure devait révéler ta véritable nature, car malgré tes aveux, nous voulions espérer qu'une part de bonté reposait quelque part en toi. Même minime...mais tu es aussi sombre que ta morsure, un poison...Ce jardinier avait raison : tu es mauvaise.
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