Until my sun and yours are no more
Jungkook avait l'impression d'être au fond de l'océan. Ses oreilles bourdonnaient des claquements, froissements, de la respiration erratique de l'inconnu, de la sienne, des battements de son cœur qui résonnaient jusque dans sa tête. Dans sa chambre, inerte et glacial, il y avait le corps de Vernon. Sur son canapé, il y avait celui de Taehyung, brûlant comme la surface du soleil.
Jungkook se tenait la tête dans le coin de la pièce, à l'écart de deux nouveaux arrivants. Il n'entendait rien de ce que le type lui disait. Les mains crispées dans ses cheveux et le regard jeté sur le sol, il ne savait plus où il en était. Tout n'était qu'un rêve. Il avait se réveiller, il allait ouvrir les yeux.
Une main insistante sur son épaule le fit sursauter.
- Hé... viens m'aider.
Jungkook n'eut pas d'autre choix que de l'écouter, ce type qui avait ramené Taehyung chez lui, sans qu'il ne sache comment, ni pourquoi. Avec sa blouse blanche souillée de sang, par-dessus son costume hors de prix. Et des cheveux d'un blond terne, comme on en voyait qu'au Centre.
- Tiens-le.
Tremblant, Jungkook eut un moment d'hésitation. Ses pupilles apeurées croisèrent celles, déterminées et assurées, de son vis-à-vis. Un peu plus tard, il attrapait Taehyung sous les épaules et le hissait sur ses jambes. Avec toutes les maigres forces qu'il lui restait, il le maintint contre son torse.
- Jungkook, c'est ça ? Tu peux m'appeler Namjoon.
Tout en disant ces mots, Namjoon tira de sa poche un petit sachet en plastique, duquel il sortit une seringue. Puis, la piquant dans une petite fiole, il l'emplit d'un liquide translucide. Jungkook fixa l'épaisse aiguille une seconde, puis ses yeux rougis se reportèrent sur le visage blafard de Taehyung.
A quoi était-il en train de prendre part ?
- Tends son bras.
Jungkook sursauta de plus belle, ses mains se crispant autour du corps frêle dans ses bras. Namjoon, bien que patient, haussa les sourcils pour lui signaler de se dépêcher. Il obtempéra sans comprendre pourquoi. Sans avoir le courage ni la force de demander ce qu'il y avait dans cette seringue, il dégagea le bras de Taehyung de son abdomen et le tendit tant bien que mal.
Ses yeux s'attachèrent aux centaines de petits points rouges dans le creux de son coude, à ses veines gonflées, à l'énorme hématome qui s'était formé sous la peau. Il eut envie de vomir. Quand Namjoon approcha l'aiguille, il ferma les yeux.
Quand il les rouvrit, le corps de Taehyung s'était relâché contre le sien, et la souffrance sur son visage semblait s'être légèrement dissipée.
Il releva la tête vers Namjoon, qui, parfaitement à l'aise comme s'il était dans sa propre maison, partait jeter la seringue dans le vieux sac poubelle de la cuisine. Quand il revint, visiblement plus décontracté lui aussi, il esquissa un faible sourire.
- On devrait le coucher dans ton lit.
Les pupilles de Jungkook se détachèrent des siennes, et aussitôt l'image de Vernon lui revint à l'esprit. Son visage se froissa de douleur. Il sentit sa mâchoire se crisper, ses yeux s'inonder de ses larmes. Avec tout cette commotion, il en avait presque oublié qu'il venait de perdre son ami.
Il remarqua à peine les paupières de Taehyung s'ouvrir, et ses iris trouver ses traits tirés par la peine.
- Non... il y a déjà quelqu'un.
Namjoon ne put retenir sa surprise. Ses yeux s'écarquillèrent légèrement.
Jungkook détacha son corps tremblant de celui de Taehyung, et s'isola dans un coin, totalement anéanti. A peine deux mois plus tôt, il n'aurait jamais cru que voir Vernon mourir lui aurait fait autant de mal. Même quand il lui avait annoncé qu'il était malade, ce jour où il avait démissionné, il n'avait rien ressenti de spécial.
Il ne s'en était pas rendu compte, mais peut-être qu'il s'était plus attaché à Vernon qu'il ne voulait l'avouer. Pendant ces deux courtes semaines où ils avaient vécu ensemble, où il avait pris soin de lui, sa présence lui avait certainement apporté un peu du réconfort dont il avait besoin. Il avait l'impression d'avoir perdu un petit frère. Un membre de sa famille.
Vernon avait remplacé Taehyung après qu'il l'ait abandonné. Et désormais c'était l'inverse.
Jungkook versa quelques larmes en silence, sans remarquer les deux paires d'yeux sur sa silhouette brisée.
Après de longues secondes de mutisme total, durant lesquelles Taehyung sembla complètement émerger, le regard figé sur lui, Namjoon se leva. Sans un bruit, sans déranger le silence immuable de l'appartement, il marcha jusqu'à la porte de la chambre, et l'ouvrit doucement.
Les gonds et le parquet grincèrent. A peine un coup d'œil à l'intérieur et Namjoon se reculait, la main devant son nez et sa bouche. Son regard, un peu horrifié, trouva aussitôt le visage larmoyant de Jungkook. Puis, le ton voilé de peine, et comme pour ne pas perturber le repos de Vernon, il lui chuchota :
- Il faut le sortir d'ici, Jungkook. S'il reste comme ça, il va tous nous contaminer.
Jungkook se tourna aussitôt dans sa direction, les yeux rougis et voilés de colère.
- Ne le touche pas.
Le corps de Taehyung frémit sur le canapé. Il n'avait toujours rien dit. Jungkook tenta de reprendre son calme. Une respiration fébrile quitta ses lèvres sèches.
- Je vais m'occuper de lui... ne le touchez pas.
Sa voix, brisée, se perdit dans sa gorge.
Plusieurs heures s'écoulèrent, au cours desquelles Jungkook ne bougea pas du coin de son salon, debout entre sa fenêtre et son vieux fauteuil. Comme s'il ne savait plus quoi faire de sa propre personne. Comme s'il avait oublié comment fonctionner.
Dehors, la nuit avait commencé à tomber. Namjoon continuait de s'occuper de Taehyung, de soigner son corps meurtri. Jungkook n'avait pu s'empêcher de le regarder. Il était couvert de petits points rouges, dans le cou, entre les cuisses, dans le creux de ses bras et sur ses mains.
Quand il le voyait, il ne pouvait qu'imaginer toutes les horreurs qu'on lui avait fait subir. Secouant la tête, il chassait ces pensées sombres de son esprit, parce qu'il n'était pas assez fort pour continuer à y réfléchir. Parce que la mort de Vernon était déjà bien trop à supporter.
Bientôt, le cadavre déjà bien décomposé dans sa chambre commença à envahir l'espace de sa senteur putride. Jungkook sentait le parfum amer l'atteindre et ses larmes n'en redoublaient que davantage, parce qu'il savait ce qu'il devait y faire quelque chose. Il ne pouvait pas le laisser comme ça.
Et c'est au moment où son chagrin se fit plus fort encore qu'il se traîna faiblement jusqu'à sa chambre, comme si c'était son déclencheur. Il s'aventura dans l'obscurité, sans allumer la lumière. Faiblement il se dressa aux côtés du corps inanimé, rigide. Tremblotant, il attrapa le vieux drap et l'enroula autour de Vernon, dissimulant et ses membres putréfiés, et son visage craquelé de toutes parts.
Entre ses bras affaiblis par la peine, il souleva la silhouette frêle et inerte, encore plus de larmes s'échappant de ses paupières irritées, se perdant dans le tissu qui enroulait le corps. Peinant à respirer correctement, les poumons comprimés, il sortit Vernon de la chambre.
Il vit les iris brillants de Taehyung s'attacher aux siens, et tout de suite il détourna le regard.
- Je peux t'aider, proposa Namjoon dans un murmure.
Jungkook refusa sans le regarder.
Vernon gouttait d'un liquide noir sur le parquet, laissant dans ce monde injuste sa toute dernière trace. Jungkook le porta jusqu'à la porte de derrière, et descendit les quelques marches jusqu'au jardin carré. Doucement, comme pour ne pas déranger son sommeil, il le déposa dans l'herbe humide.
Quand il se retourna, Taehyung se tenait dans l'embrasure de la porte. Jungkook resta figé une seconde. Namjoon apparut et lui tendit un vieux briquet. Il l'attrapa entre ses doigts tremblants et ne prit pas la peine de le remercier. Les lèvres serrées, il s'accroupit auprès de son ami.
Tout ce qu'il espérait, désormais, c'était qu'il ait trouvé cet océan de lumière dont il lui avait parlé.
Il mit feu au drap. Le tissu ne mit que quelques secondes à totalement s'embraser. Tout en versant ses dernières larmes, Jungkook regarda Vernon s'envoler. La fumée et tout le reste partirent rejoindre les nuages.
Plusieurs jours s'écoulèrent. Namjoon allait et venait, vivait plus ou moins chez lui, même s'il lui arrivait de disparaître pendant des heures et de ne pas revenir avant le lever du jour. Taehyung passait son temps à dormir. Il ouvrait les yeux pendant quelques heures, puis retombait de fatigue.
L'inquiétude de Jungkook n'avait fait que grandir au fil des jours, au fur et à mesure que son deuil s'apaisait. Et même s'il avait toujours du mal à croire que Taehyung était revenu, il semblait pourtant qu'il était bel et bien de retour. Il se demandait même s'il n'était pas en train de rêver. S'il ne finirait pas par se réveiller, tout seul dans l'obscurité de son appartement, comme il l'avait toujours été.
Un jour il trouva enfin le courage de rentrer dans la chambre où Taehyung se reposait. Tout avait été nettoyé. Namjoon y avait passé toute une journée, à tout désinfecter, tout remettre en état, jeter ce qui avait déjà été trop touché par la moisissure.
Taehyung était allongé entre les draps. Son corps peinait à se remettre de toutes les tortures qu'on lui avait fait subir. Et Jungkook ne savait pas exactement ce qu'il s'était passé, dans le Centre, pendant qu'ils avaient été séparés. En fait, il n'avait jamais demandé.
Il s'assit au bord du lit, aussi loin de Taehyung qu'il pouvait l'être. Aussitôt qu'il sentit le poids à ses côtés, celui-ci ouvrit les yeux. Jungkook sursauta, ramenant ses mains à lui.
- Jungkook...
La voix un peu éraillée de Taehyung l'appela doucement. Il se tourna vers lui, vers ses deux grands yeux mi surpris mi suppliants.
Depuis combien de temps ne s'étaient-ils pas observés d'aussi prêt ?
- Jungkook...
Une seconde fois, le prénom familier résonna dans la pièce vide. Taehyung se redressa sur le matelas.
- Jungkook.
Au troisième appel, Jungkook ferma les yeux. Son cœur déjà meurtri était en train de s'émietter. Dans le noir total il sentit Taehyung se rapprocher de lui, ses sourcils se fronçant face à la sensation trop familière. Il discerna un premier baiser sur ses lèvres, et alors ses paupières se rouvrirent.
De sa main droite il repoussa Taehyung, qui retomba sur le matelas, confus. Il n'avait pas oublié. Il se rappelait de ce jour-là, ce jour où Taehyung l'avait laissé derrière. Ce jour où il l'avait abandonné pour retrouver le Centre. Il se souvenait de la vision de son dos qui s'éloignait dans le brouillard, des portes qui se refermaient sur sa silhouette fragile. Et de lui, qui restait derrière.
Il n'avait rien désiré d'autre que lui. Il n'avait pas souhaité une vie de luxe, il n'avait pas demandé à vivre dans le Centre, il n'avait jamais voulu regarder le monde mourir au cœur d'une enceinte d'ivoire et de cristal.
Tout ce qu'il avait voulu, peut-être même dès le premier regard, c'était Taehyung. Rien que lui. Et ce, même s'il devait pourrir dans ce vieux quartier infesté pour le restant de ses jours.
Il se leva et quitta la pièce sans un mot. Comme un automate programmé dans un seul but, il rejoignit sa fenêtre et passa la journée à regarder dehors.
Namjoon rentra dans la soirée, un grand sac blanc rempli de nourriture sous le bras. Il largua tout sur la table. Jungkook jeta un coup d'œil curieux à l'intérieur. Dedans, il y avait tout un tas de choses dont il avait même oublié l'existence. Des gâteaux sucrés, du riz, de la viande. Le genre d'aliments qu'il était impossible de se procurer en dehors du Centre.
Au fond du sac, de l'eau en bouteille.
Jungkook était pétrifié. Tous ces paquets le mettaient mal à l'aise. Est-ce que c'était ça, que les habitants du Centre ressentaient quand quelque chose de l'extérieur pénétrait leur enceinte ? Cette sensation glaçante ?
En remarquant son malaise, Namjoon referma doucement le sac.
- Ce n'est pas volé, si ça te rassure.
Jungkook sortit de sa stupeur, et son visage se décontracta. Dans son quartier on survivait grâce au vol. Tout le monde cherchait constamment à dérober les biens des autres. Comment Namjoon s'était procuré autant de nourriture et où l'importait peu.
Tout ce qu'il arrivait à se dire, c'était que les gens du Centre vivaient en s'empiffrant en abondance de tous ces plats hors de prix, avec tous ces goûts inimaginables, pendant que les gens de son quartier mourraient de faim dans les rues recouvertes de leurs déchets. Et ça le rendait dingue.
Il y eut un long moment de silence.
- Tu vas où, tous les jours ? Lâcha enfin Jungkook.
Le ton un peu plus méfiant qu'il ne l'aurait voulu, Jungkook questionna Namjoon. Ce dernier, un sourire apparaissant sur ses traits, déposa la bouteille d'eau en face de lui, et lui fit signe de boire. Jungkook refusa d'un geste de main pressé, se reculant d'un pas. Comme si prendre une seule gorgée ce cette eau allait le transformer en vieux bourgeois égocentrique fraîchement sorti du Centre.
- Je retourne au labo.
.Jungkook soutint le regard indescriptible de Namjoon qui l'observait.
- Je m'occupe de chercher un vaccin.
Ses mains se crispèrent et il le regarda s'asseoir sur la chaise. Jungkook s'installa sur celle d'en face.
- Je fais partie des scientifiques qui sont venus chercher Taehyung, le jour où tu nous l'as amené.
Le visage de Jungkook se crispa. Il ne savait pas exactement ce qu'il ressentait en entendant ces mots. De la tristesse, peut-être. De la rancœur, sûrement. Après tout, ils étaient tous responsables de ce qui leur était arrivé, à Taehyung et lui. Les scientifiques, les soldats, les aristocrates du Centre, le gouvernement élitiste. Même si certains ne faisaient qu'obéir aux ordres des autres.
- Donc t'es l'un des malades qui l'ont mis dans cet état.
Les sourcils de Namjoon se relevèrent un instant sur son front, avant de s'abaisser définitivement. Il acquiesça, un peu maladroitement, se sentant visiblement coupable.
- Quand on a confirmé qu'il était immun... on a tous cru à l'impossible. On s'est tous dit qu'il y avait un espoir, même infime, de trouver un vaccin grâce à lui.
Namjoon joignit ses mains entre elles, et son regard se fixa sur ses doigts.
- On voulait tous tellement sauver nos familles... que j'imagine qu'on a oublié qu'il était humain, lui aussi.
Jungkook eut un rictus amer, ses joues se crispant douloureusement. Pendant une seconde sa tête se mit à tourner. Il ne savait pas si c'était la colère ou la fatigue. Après avoir légèrement toussoté, il fronça les sourcils à son tour.
- Et donc vous l'avez transformé en rat de laboratoire.
Les lèvres de Namjoon se pincèrent, et sa mâchoire se crispa.
- Je ne voulais pas qu'on en arrive là. Mais comme on peinait à obtenir les résultats, il a fallu redoubler d'efforts.
Son regard, voilé de honte, se figea dans le sien.
- Taehyung persistait. Il me disait qu'il allait bien, au départ. Qu'on pouvait continuer.
Jungkook se mit à rire un peu, lui déclenchant une énième toux.
- Au départ ?
Le ton plein de reproches de Jungkook fit taire Namjoon pendant une minute. Il le vit déglutir, et serrer ses mains plus fort entre elles.
- Les traitements sont forts... à partir d'un moment, il n'a plus eu la force de dire quoi que ce soit. Je me suis demandé si on pouvait vraiment continuer. Mais l'équipe ne voulait pas s'arrêter là, on y était presque. Alors on ne s'est pas stoppés.
Namjoon avisa l'air grave de Jungkook, toute l'aversion sur ses traits.
- A chaque fois qu'il se réveillait entre deux sessions, il me parlait de toi.
Le scientifique pensait certainement l'apaiser, en disant ces mots. Il ne remarqua pas ses poings se serrer, ses jointures blanchir sous la pression.
- Il m'a dit comment vous vous êtes rencontrés, comment tu l'as aidé. Comment tu as pris soin de lui, chuchota-t-il, comme s'il était sur le point d'éveiller un animal sauvage.
Jungkook sentait son corps se mettre à trembler, la peine et la colère se mélangeant en une toute autre émotion, indicible. Il ne savait pas à qui il en voulait. A Taehyung, pour l'avoir abandonné alors qu'il ne pouvait décemment pas vivre sans lui ? A Namjoon, pour avoir fait souffrir la seule personne pour qui il aurait pu donner sa propre vie ?
- Il voulait à tout prix trouver le vaccin. Il me disait que si on parvenait à en créer un, il voulait que tu sois le premier à en profiter.
Les poings de Jungkook se relâchèrent brusquement. Son souffle resta bloqué dans sa gorge, comme une masse coincée dans son œsophage, impossible à avaler.
Peut-être que finalement c'était à lui, qu'il devait en vouloir.
Il se leva soudainement, faisant crisser la chaise en bois sur le sol. Namjoon sembla comprendre et ne chercha pas à le retenir.
Il se rua jusqu'à sa chambre. A la volée, sans aucune délicatesse, il ouvrit la porte et la referma derrière lui dans un claquement. Taehyung, brusquement réveillé par tant de bruit, se redressa sous la couette.
- Jungkook... quelque chose ne va pas ?
Jungkook resta planté là, dans le noir, à le regarder. Taehyung était un idiot. Il avait certainement eut peur qu'il attrape l'infection. Il s'était sacrifié et était retourné au Centre pour se faire examiner, tout cela pour le protéger ? Pour lui procurer un vaccin avant qu'il ne soit trop tard ?
Il lui en avait voulu. Il avait vécu chaque seconde après son départ dans le ressentiment. Et même s'il n'avait jamais vraiment pu le haïr, il s'était bien convaincu qu'il en serait capable, un jour.
Taehyung était un idiot.
Jungkook passa ses mains sur son visage, épuisé. Taehyung peinait à garder les yeux ouverts, encore léthargique, le corps toujours affaibli par tout ce qu'on lui avait fait subir. Comme il l'avait fait plus tôt dans la journée, il s'assit au bord du lit.
Taehyung ne perdit pas une seconde pour se rapprocher de lui, insistant. Cette fois-ci, Jungkook le laissa faire. Il le laissa se blottir contre lui et soupirer tout contre sa peau, comme si le moindre contact lui apportait le plus grand des bonheurs, comme s'il n'avait attendu que cet instant depuis qu'ils avaient été séparés. Il l'entoura de ses bras marqués, le serra, le respira.
Jungkook était brûlant, sa tête lui tournait. Il n'arrivait pas à croire qu'une seule étreinte lui fasse autant d'effet.
- Je vais bien, murmura-t-il.
Il sentit le corps de Taehyung trembler tout contre le sien, son poids réconfortant dans son dos.
- Je ne vais pas mourir, le rassura-t-il. Tu n'as pas besoin de te faire du mal.
Il glissa ses mains sur les bras de Taehyung, enroulés autour de sa taille. Sans un mot, il entremêla ses doigts avec les siens.
- Je suis là.
Il se laissa tomber sur le matelas, emportant Taehyung avec lui. Le plus vieux le maintint fermement dans son étreinte, le forçant à lui faire face, se calant confortablement contre sa poitrine. Jungkook expira doucement contre ses cheveux, puis s'imprégna de son odeur en inspirant. Il avait l'impression de ne pas l'avoir senti près de lui depuis des années.
Il s'était senti comme un puzzle, auquel il aurait manqué plusieurs pièces. Comme une carcasse vide laissée derrière pour une autre, comme l'ombre de quelqu'un qui aurait voulu être. Il avait eu l'impression d'avoir perdu tout ce qui faisait de lui une personne.
Quand Taehyung était près de lui, et seulement là, il pouvait se sentir humain.
Il laissa sa main parcourir les bras nus de Taehyung, sentant sous la pulpe de ses doigts tous les petits points douloureux qu'on lui avait laissé.
- Tu as mal ?
Taehyung secoua la tête pour lui assurer que non, les paupières lourdes. Il était encore trop faible pour rester éveillé plus de dix minutes. Jungkook embrassa son front, le sentit sourire contre son cou, et ne put empêcher ses propres traits de se crisper à leur tour en une grimace satisfaite.
- Tu as vu ta famille ? Ils sont au courant pour ta situation ?
Son protégé nia de plus belle. Il n'avait pas l'air pour le moins attaché à ses parents. Il était fils unique et il avait grandi tout seul dans sa gigantesque maison. Il avait rarement pu voir sa mère, quant aux apparitions de son paternel, elles étaient encore plus rares. Il n'avait aucune attache, aucun lien qui le rendait émotionnellement dépendant du Centre. Il y avait vécu comme un objet, une poupée. Forcé d'être constamment parfait, pour ne pas embarrasser la famille. Abandonné aussitôt qu'il avait présenté le moindre signe d'infection.
Dans son cas également, Jungkook lui donnait l'humanité qu'on lui avait toujours refusée.
- Ne t'inquiète pas, tu m'as moi, maintenant.
Jungkook ne comprenait pas quel genre de force le poussait à dire des choses pareilles, mais les réactions satisfaites de Taehyung ne l'encourageaient que davantage. S'il pouvait le rendre heureux, il lui dirait tout ce qu'il voulait entendre. Il lui raconterait toutes les inepties auxquelles il pouvait penser. Il irait jusqu'à lui dire qu'ils seraient ensemble pour toujours, si ça le faisait sourire.
Pour toujours. Peut-être que cette idée n'était pas si désagréable, finalement. Peut-être qu'il pouvait y croire, lui aussi.
Il avait envie d'y croire.
Il serra le corps de Taehyung contre lui, lui ordonna gentiment de dormir, et ferma les yeux.
Ils passèrent plusieurs jours seuls, tous les deux. Namjoon semblait être occupé à ses recherches, dans le Centre, et n'était pas rentré depuis un moment. Tous les deux, ils passaient leur temps à ne rien faire, enlacés dans le lit comme deux corps en fusion. Jungkook lui racontait son enfance, lui parlait de sa mère, de sa famille. Ils n'abordaient jamais les sujets qui leur faisaient du mal. Au contraire, ils se contentaient de se rendre heureux l'un l'autre, de se faire rire, de s'étreindre, de s'embrasser.
Jungkook laissa Taehyung le toucher, lorsqu'il parvenait à trouver la force de se soulever du matelas. Il lui donnait l'accès à la moindre partie de son corps. Taehyung ne se retenait pas de s'emplir de son odeur, de lui grimper dessus, de le déshabiller pour l'examiner tout entier.
Jungkook se surprenait à rire, des fois, quand Taehyung était tellement absorbé par son exploration qu'il commençait à paraître obsessionnel. Et peut-être que c'était ça, finalement. Peut-être qu'il était obnubilé par lui.
Sûrement étaient-ils tous les deux envoûtés l'un de l'autre.
Taehyung mit du temps à reprendre ses forces. On lui avait tellement détraqué le système, au Centre, que son organisme peinait à se suffire à lui-même. Comme s'il avait perdu l'habitude de vivre sans être attaché à tout un tas de machines, sans aide respiratoire, sans drogues pour le maintenir dans un état second.
Jungkook toussa, appuyé sur le comptoir de la cuisine, une pomme de terre brûlante entre les doigts. Taehyung, éternellement accroché à lui, la joue appuyée contre son épaule, ouvrit légèrement la bouche. Il refusait de le lâcher plus de deux minutes. Jungkook souffla sur le féculent fumant et le nourrit, un sourire accroché aux lèvres.
Ces quelques jours ne se résumèrent qu'à ça. Manger, dormir, être ensemble. Comme s'ils cherchaient tous les deux à rattraper le temps qu'ils avaient perdu, loin de l'autre.
Et le jour où Taehyung retrouva toutes les fonctions de son corps, la force de ses membres, il n'attendit pas une seconde de plus et pour se ruer sur lui.
Jungkook eut à peine le temps de sentir le rythme de son cœur s'affoler, la température grimper en flèche, que Taehyung l'attrapait déjà par les vêtements et le poussait contre le mur de leur chambre. Il le laissa le couvrir de baisers, sur son front, ses yeux, ses joues, son nez. Il ne bougea pas non plus quand il commença à glisser ses mains sous son sweat à capuche, à agripper le tissu et le tirer vers le haut pour le lui retirer.
Jungkook s'extirpa de la masse de coton, retrouvant la lumière du soleil. Pas celle venant de dehors, où il faisait gris, mais celle venant de Taehyung.
En glissant ses mains sous son t-shirt, Taehyung ne se retint pas de parcourir la surface de son torse, comme il le faisait incessamment depuis des jours. Dans ces instants-là, c'était lui, le plus assuré des deux. A la recherche du contact de sa peau, il abaissait son visage vers son cou et glissait sa langue dans chaque creux, contre chaque muscle.
Jungkook lui retira son haut à son tour, encore une fois émerveillé par sa silhouette délicate. Comment le monde avait-il pu créer deux êtres aussi différents qu'ils l'étaient ?
La seule chose qu'ils avaient en commun, c'était leur obsession pour l'autre.
Il ne tarda pas à retirer son t-shirt, interrompant le plus vieux une seconde dans son exploration, seulement pour lui donner encore plus de peau à embrasser et marquer. Il sentit Taehyung descendre petit à petit, les yeux fermés, les lèvres rougies. Jungkook inclina la tête en arrière, alors que ses baisers humides faisaient chemin jusqu'au bouton de son vieux jean. Ses mains un peu hésitantes trouvèrent les cheveux argentés et soyeux de son protégé.
Il abaissa la tête pour voir son visage. Leurs deux regards, embrumés, se croisèrent tandis que Taehyung déboutonnait son pantalon.
Puis ils brisèrent le contact visuel, et tout se stoppa. Le corps de Taehyung se figea. Ses pupilles, tremblantes, se fixèrent sur le torse marqué de Jungkook.
Au milieu des vieilles cicatrices sur son flanc. Une nuée de veines noires.
Les yeux de Taehyung s'embuèrent et une seconde plus tard, il hurlait. Jungkook ne prit pas le temps de comprendre sa propre situation. Aussitôt il s'agenouilla sur le sol, attrapa le visage de Taehyung entre ses mains et lui lança tous les mensonges auxquels il pouvait penser.
Il lui assura qu'il allait bien, qu'il allait s'en sortir. Il lui jura qu'ils resteraient tous les deux.
Taehyung continuait de crier. Son corps semblait s'être enfermé dans un cocon de tristesse et de douleur, impénétrable. Jungkook ressuyait ses larmes au fur et à mesure qu'elles tombaient, au fur et à mesure qu'elles inondaient son visage.
Il y eut un claquement de porte, et une dizaine de pas saccadés plus tard, Namjoon pénétrait la chambre. Quand il les vit tous les deux agenouillés au sol, et qu'il remarqua les craquelures sombres sur le torse de Jungkook, il n'eut pas besoin de poser de questions.
Jungkook était brûlant, et le monde tournait, autour de lui. Les sanglots et les cris, la panique visible dans les yeux débordants de larmes de Taehyung. Encore une fois, il avait la tête sous l'eau.
Et soudain, il faisait noir.
Quand il rouvrit les yeux, il était allongé dans le lit. Dégoulinant de sueur. Le t-shirt qu'il portait lui collait à la peau, totalement imbibé autour du col. Il s'extirpa difficilement du lit, non sans être pris d'une horrible quinte de toux. La main devant la bouche, il toussa pendant une dizaine de secondes.
Il la retira et elle était parsemée de petites éclaboussures noires.
Il serra le poing pour s'empêcher de trembler.
En sortant de la chambre, le premier visage qu'il aperçut fut celui, dévasté, de Taehyung. Assis sur le fauteuil face à la fenêtre, il regardait le sol. Ses yeux, rougis et irrités, retenaient de grosses larmes de toutes leurs forces. Ses lèvres sèches étaient pincées entre elles.
Assis face à lui, il y avait Namjoon. Il lui parlait doucement, pas assez fort pour que Jungkook puisse discerner ce qu'il racontait.
Quand Taehyung perçut sa silhouette du coin du regard, il sursauta, et les larmes qu'il retenait s'écoulèrent à sa vue. Jungkook le rejoignit et glissa sa main dans ses cheveux. Sans un mot, il appuya sa tête contre son torse, et le laissa sangloter silencieusement.
- Salut, lover boy.
Jungkook redressa la tête, les traits de Yoongi se dessinant dans l'ambiance terne de son salon. Son seul ami était venu pour constater les dégâts. Il avait quitté son appartement, il s'était déplacé, s'était mis en danger. Jungkook sourit malgré lui.
Yoongi le fixa un moment sans rien dire, un sourire figé sur le visage. Peu à peu son expression sereine sembla se dissiper, laissant place à une peine que Jungkook ne lui avait jamais connu.
- Je t'avais dit de faire gaffe, crétin...
Jungkook regarda sa mâchoire se serrer, et bien que son propre torse se soit comprimé et que ses yeux aient menacé de laisser monter quelques larmes, il eut un léger rire.
- Je suis désolé.
Ce fut tout ce qu'il put articuler.
Peut-être parce qu'il n'arrivait pas à se rendre compte. Ou alors parce qu'il avait toujours su que ça finirait par lui arriver, un jour ou l'autre. Il avait vécu toute sa vie en attendant cet instant. En le redoutant. En le repoussant.
Il était infecté.
Et peut-être que quelque part, il était soulagé de ne plus avoir à vivre dans la terreur.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro