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Faithless, moonless nights


Une matinée d'été, le soleil à peine levé, voilé par une pluie battante, qui déformait le paysage à sa fenêtre. Jungkook ne trouva rien d'exceptionnel à ce matin-là.

Il quitta l'appartement vers dix heures. La pluie avait cessé, pour un moment. Il savait qu'il allait pleuvoir de nouveau, dans peu de temps. Elle ne partait jamais pour longtemps.

Il avait le bas du pantalon trempé, les chaussures et les chaussettes imbibées d'eau. Ce sentiment désagréable d'humidité grimpant le tissu, se collant un peu plus à sa peau au fil de son ascension. Il haïssait la pluie. Il la haïssait, mais il ne pouvait rien faire pour l'arrêter. Plus maintenant.

Les bouches d'égout dégueulaient d'eau sur les trottoirs. Assis à même le sol, trois enfants infectés se traînaient pour s'en écarter. Ils étaient trempés, et crasseux. Ils s'abreuvaient en récupérant la pluie qui s'écoulait des gouttières, dans leurs mains sales et écorchées. Ils étaient probablement orphelins depuis un bout de temps.

Ils se jetèrent à ses pieds en le voyant passer. Il les esquiva sans leur accorder un seul regard. Il les entendit supplier, mais ne fit pas demi-tour.

C'était comme ça. Il ne fallait jamais s'arrêter. Il ne fallait jamais faire demi-tour.

Les mains dans les poches, il poursuivit sa route. Quand quelques gouttes tombèrent dans ses cheveux, il dressa sa capuche sur sa tête. Il tourna au coin de la rue principale du quartier. Là, par terre, sur les routes, contre les bâtiments, allongés sur le béton, il y avait d'autres gosses. Des adultes, des animaux et des déchets aussi. De la misère étalée sur le bitume. Il ne cessa pas d'avancer. Tous se lamentèrent sur son passage, s'agrippant faiblement à son pantalon. Ils ne le retenaient jamais longtemps. Ils étaient bien trop faibles.

Alors qu'il était forcé de ralentir, la foule d'infectés s'amassant auprès de son corps sain, il leva les yeux, le regard au loin.

Au bout de la rue qui descendait, le Centre, le quartier riche. Bâtiments blancs, rues propres, aristocrates faisant du lèche vitrines. Jungkook n'eut plus la force de les mépriser. Il aurait bien voulu les ignorer, aussi bien qu'eux ignoraient ce qu'il se passait là, mais il ne put détacher ses pupilles du luxe de leur vie quotidienne.

Il eut un léger rictus. Une fois infectés, ils finiraient tous ici. Ils seraient rejetés et isolés dans les quartiers pourris entourant le Centre, comme tous les autres avant eux.

C'était comme ça. Ce monde, aussi injuste pouvait-il être, suivait avant tout la loi du plus sain.

Un cri retentit entre les immeubles délabrés. Jungkook se tourna dans sa direction, une brise glaciale hérissant le duvet de sa nuque alors qu'une jeune femme se tordait au sol, un peu plus loin. Il se dégagea rapidement des mains qui le retenaient. Il ne fallait pas rester ici plus longtemps.

Il quitta la rue. Les hurlements de la jeune femme se firent de plus en plus lointains. S'il y avait bien quelque chose qu'il fallait fuir, c'était ça. Le second stade après l'infection.

Une période d'incubation de quelques jours, pas plus d'une semaine, avant de passer au premier stade de la maladie : on l'appelait le Répit. La trop courte période avant le début du martyr ; ce moment où l'infecté sait qu'il est touché, et que le pire est à venir.

Jungkook baissa les yeux sur ses chaussures trempées. Il préférait ne pas y penser. Il avait depuis longtemps décidé qu'il valait mieux ignorer tout ça.

Il pénétra son lieu de travail. Une vieille boutique, l'une des seules qui n'avait pas été fermées, qui fonctionnait toujours. Avant que le monde change, c'était un petit tabac, où les gens achetaient leurs cigarettes et repartaient en général avec un ticket de loto à gratter, en espérant peut-être avoir un peu de chance, pour une fois. Désormais, tout était vide de cigarettes et de tickets malchanceux.

Il vendait des antis douleurs. Bien sûr, illégalement, puisque le gouvernement ne permettait à personne de se procurer des médicaments ailleurs qu'au Centre, où ils coûtaient une véritable fortune. En bref, Jungkook vendait des pilules aux gens. Des cachets trafiqués, passés par la frontière, le genre de truc qu'il voyait dans les films quand il était gamin. Il se rappelait de sa mère qui lui racontait à quel point c'était mal, comme si ça s'était passé la veille.

Les seules personnes qui avaient les moyens de se procurer des pilules labélisées, achetées dans l'unique pharmacie du centre, n'étaient que les aristocrates. Les nobles qui vivaient au-dessus de la misère des autres, sans jamais penser à regarder en dessous d'eux. Ils s'en procuraient pour soigner leurs migraines, leurs maux de ventre, et pour quelques exceptions, comme pour soulager les infectés qu'ils gardaient obstinément chez eux, se persuadant qu'ils trouveraient un moyen de les sauver.

Bien sûr, l'espoir de les voir de nouveau en bonne santé ne durait jamais longtemps. On les abandonnait au cours du second stade, en général. Une voiture les larguait dans une des rues des quartiers pauvres, et les laissait découvrir pour la première fois ce que c'était, la vie en dehors du Centre.

Jungkook avait arrêté de porter attention au nombre de nobles qui avaient été abandonnés ici, livrés à eux-mêmes. Ils ne tenaient jamais plus de deux semaines, de toute façon.

Le reste, les pauvres, ceux qui ne pouvaient pas aller jusqu'au Centre et qui, en plus, n'avaient pas les moyens de s'acheter les pilules, étaient destinés à souffrir le martyr. De toute manière, leur douleur n'intéressait personne. Ils n'étaient pas « bénéfiques à la société », alors le gouvernement les ignorait.

Au final, Jungkook n'était pas tellement différent.

Il se changea dans le vestiaire, cette petite pièce étroite avec deux misérables casiers rouillés, du carrelage tâché et un vieux planning accroché au mur sale, à l'arrière du magasin. Il enfila sa tenue de travail, juste un vieux t-shirt et un badge jauni. Puis, il se rendit en boutique et remplaça l'employé déjà présent, s'asseyant à son tour sur le tabouret inconfortable, au fond du magasin.

Jungkook regarda Vernon se diriger vers le vestiaire pour se changer, et rentrer chez lui. C'était un gars sympa, tout aussi pauvre et perdu que lui. Il ne lui parlait pas tant que ça, mais du peu qu'il échangeait avec lui, il ne lui avait rien trouvé de particulièrement désagréable.

Il patienta là, assis, pendant un moment. Personne ne pénétra la boutique dont les murs étaient couverts d'étagères, elles-mêmes envahies par toutes sortes d'objets inutiles qu'ils ne vendaient pas. Ils n'affichaient jamais le stock en boutique, parce qu'il y avait eu de nombreux vols. Des gens désespérés et fauchés, qui brisaient la vitrine et pillaient la pièce principale du magasin à la recherche d'un peu de répit en forme de cachet blanc.

En général, les gens avaient peur d'entrer, parce que c'était illégal. Au bout d'un moment, ils abandonnaient et achetaient sans retenue. C'était le cycle normal. Ils résistaient au début, puis la douleur prenait le dessus. Ils cédaient et laissaient le désespoir les contrôler.

Le grincement de la porte d'entrée le sortit de ses pensées. Il se méfiait toujours, quand quelqu'un rentrait. Il avait ce réflexe étrange, de toujours essayer de deviner dans quel stade de la maladie le client était. A force, il était devenu plutôt bon. Il se trompait rarement.

Ce type-là, il venait d'entrer en quatrième stade. Il pouvait le deviner, rien qu'à l'odeur. Une odeur fétide de moisi, signe que sa peau se putréfiait. Il trouvait ça répugnant.

Il vendit les médicaments, prit l'argent, et laissa l'homme partir. Il n'eut pas pitié. Il n'avait plus pitié.

Il avait l'habitude.

Tout le monde passait par là. Il n'avait pas le temps de s'apitoyer sur le sort de tous les clients qui venaient. Il ne ressentait plus rien depuis longtemps. Son corps s'était juste habitué, il était immunisé à cette peine, il n'était plus le gosse apeuré qu'il était avant.

Avant, quand il avait toujours sa mère pour le protéger du monde.

Il passa quelques heures de plus au comptoir, à gribouiller sur un bout de papier gondolé par l'humidité, le bruit de la pluie sur le toit l'accompagnant dans sa solitude, brisant le mutisme du magasin. De temps en temps, il jetait un coup d'œil aux enfants qui venaient s'abriter sur la devanture de la boutique, et les chassait d'un regard après plusieurs minutes.

La pluie cessa de nouveau. Deux fois, ce jour-là. C'était rare. Il eut cette étrange impression que quelque chose se préparait. Il n'eut pas le courage de se lever pour aviser l'état du ciel. Il se contenta de faire un tour sur sa chaise, et de se remettre à dessiner.

De temps à autre, d'autres cris résonnaient entre les rues sombres, toujours dépravées de rayons de soleil. Il vit des passants fuir à travers la vitrine. A leur poursuite, un type, les bras ballants, les yeux injectés de sang, les veines de son cou gonflées de sang noirci.

Il se leva, s'avançant jusqu'à la vitrine, le regard porté sur cet homme qui n'avait plus rien d'humain. Il aurait dû crier et s'enfuir, comme les autres. Cependant il resta là, à le regarder se tordre, s'arracher les cheveux et se recroqueviller comme un animal. Il l'observa, sans aucune curiosité, parce qu'il savait. Parce que ce genre de chose faisait partie de son quotidien depuis trop longtemps pour toujours lui faire de l'effet.

Il vit l'infecté hurler, son rugissement étouffé par la vitre qui les séparait, et Jungkook se sentit comme si, un court instant, il n'avait plus à faire partie de ce monde atroce. Et au stade où même son subconscient ne réagissait plus aux horreurs qu'il voyait constamment, il ne trouva pas cette idée si absurde.

Protégé dans l'enceinte de la boutique, Jungkook ne bougea pas d'un poil quand il vit l'infecté se tourner dans sa direction. Pendant un court instant, il croisa son regard, et constata une fois de plus que ça ne lui faisait absolument rien.

Il l'entendit hurler encore, ses yeux exorbités fixés sur les siens, la lueur humaine qui les avait autrefois habités aujourd'hui noyée dans ses orbes ensanglantés. Il le regarda faire quelques pas saccadés vers lui, immobile. Alors ils se retrouvèrent à moins d'un mètre l'un de l'autre, séparés uniquement par la vitrine de la petite pharmacie de fortune.

Brusquement, l'infecté abattit ses avant-bras couverts de veines noires sur le verre, et soudainement, fut pris d'une crise de folie qui le rendit absolument incontrôlable. Jungkook l'observa, aucunement affecté par sa frénésie, incapable même d'éprouver une once de pitié pour le monstre qui se trouvait devant lui.

Parce que c'était ce que tout le monde devenait, une fois infecté. Un monstre.

Et pendant que l'infecté était occupé à s'acharner contre la devanture de son magasin, Jungkook remarqua un petit groupe de personnes, qui profitait du fait qu'il soit distrait et qui essayait de passer discrètement.

Il aurait pu les aider. Il aurait pu s'arranger pour que le malade ne détourne pas son attention de lui. Il aurait pu le provoquer, l'inciter à le haïr davantage, faire en sorte qu'il ne voie et ne déteste que lui. Cependant il avait cessé d'aider les gens depuis longtemps.

Il n'avait aucune raison de secourir qui que ce soit. Et mettre sa propre vie en danger pour sauver quelqu'un était absolument hors de question.

Dans ce monde, il fallait survivre seul, et se battre uniquement pour soi-même.

Il vit la seule femme du groupe s'écraser au sol. Le bruit de sa chute sur les pavés fut suffisant pour attirer l'attention de l'infecté, qui perdit aussitôt son intérêt pour lui. Le reste de son groupe continua d'avancer sans elle, bien qu'elle les supplie de lui venir aide. Ils n'étaient pas stupides, eux non plus.

Il se détourna et retourna s'asseoir sur sa chaise, alors que les plaintes de la jeune femme devenaient des hurlements, et que, comme un écho, l'infecté répondait à chacune de ses lamentations. Il ne voulut pas assister à ça.

Quelques minutes plus tard, le silence avait de nouveau pris possession de la ruelle.

Jungkook ferma la boutique quelques heures plus tard. Il abaissa le grand volet de métal, qui plongea toute la pièce dans le noir en un crissement strident. Il sortit par la porte arrière, dissimulant la clé sous le rideau de fer, comme d'habitude.

Il avait récupéré un vieux paquet de cigarettes dans le stock du magasin, l'un des seuls qui restaient de l'ancien tabac, datant de l'époque où le monde était encore un endroit vivable. Les cigarettes, tout comme de nombreux autres objets, comme les bouteilles d'eau ou les barres de chocolat, étaient devenues un luxe que seuls les habitants du Centre pouvaient s'offrir.

Pour les plus jeunes qui n'avaient jamais connu la liberté, ça ne semblait pas si dur que ça. Cependant Jungkook se rappelait de son enfance comme si ça s'était passé la veille, et chaque souvenir de sa douce vie d'auparavant ne faisait que le désespérer davantage quant au monde d'aujourd'hui.

Il aurait tout donné pour revivre rien qu'une seule de ces journées. Un de ces après-midis ensoleillés dans le jardin de sa petite maison d'enfance, à poursuivre les insectes, entendre les oiseaux chanter, écouter sa mère chantonner des chansons se perdant dans la brise légère. Juste une journée, à sentir l'air frais, l'herbe verte sous ses pieds, voir les gens sourire.

Désormais, il n'y avait plus rien de tout ça. Plus de soleil, plus d'insectes, plus d'oiseaux, plus de brise légère. Plus d'air frais, ni d'herbe verte, ni de sourires amicaux.

Sa mère, non plus.

Il fit un détour sur le chemin menant chez lui. Tournant dans une ruelle couverte de sacs poubelles, il se fit un chemin entre les déchets qui jonchaient le sol humide. Il s'apprêtait à sortir, quand soudainement une main attrapa sa cheville et le força à s'arrêter.

Un peu pris de court, il se tourna vers la vieille dame agenouillée au sol, faiblement agrippée à lui, et fut pris d'un profond dégoût en constatant qu'elle était en quatrième stage. Les deux jambes visiblement inutilisables, elle était incapable de se lever et se traînait au sol dans un froissement moite. La peau de son visage était noircie, glissant de sa joue comme si elle fondait. Elle pourrissait. C'était absolument répugnant.

Jungkook se dégagea brutalement de son emprise et se détourna de son apparence misérable. S'il restait trop longtemps, elle allait tenter de lui voler ses cigarettes, ou pire encore, de lui voler un de ses membres.

Il continua son chemin, la sensation ignoble des mains humides sur sa cheville le faisant frissonner. Il s'arrêta devant une rangée d'escaliers, l'eau dégoulinant des gouttières, se déplaçant tortueusement le long de chaque marche, faisant route vers les trottoirs pour inonder la rue. Les pieds trempés, il franchit le perron et sonna plusieurs fois à la porte, impatient.

Un jeune homme décoiffé vint lui ouvrir, les yeux à moitié ouverts, et il put deviner sans grand mal qu'il avait passé la journée à dormir dans son appartement humide. Il entra sans attendre d'y être invité, retirant ses chaussures et les larguant dans l'entrée, abandonnant ses chaussettes mouillées par la même occasion. Il s'aventura jusqu'au salon, connaissant bien les lieux, ignorant le désordre qui régnait dans absolument toutes les pièces de l'habitation. Il s'assit sur le canapé après avoir retiré son manteau, suivi par son ami, qui se laissa tomber dans son fauteuil.

- Tiens, lâcha Jungkook, lui envoyant le fameux paquet de cigarettes.

Yoongi, paresseusement appuyé sur l'accoudoir de son sofa, le réceptionna d'une main experte. Il en tira immédiatement une du paquet, l'allumant sans attendre avec son vieux briquet presque à bout.

Il le laissa la consommer en silence, volutes de fumée s'élevant dans l'air putride de l'appartement, les enrobant tous les deux de nuages blafards.

Il avait rencontré Yoongi deux ans auparavant, après avoir perdu sa mère. Leur relation était relativement simple. Ils n'attendaient rien de l'autre, à part un paquet de cigarettes et quelques billets en échange. Jungkook savait que s'il venait à être en danger, Yoongi ne ferait rien pour l'aider. Et l'inverse était valable également.

Ils étaient tous les deux bien conscients de la façon dont ce monde fonctionnait. Et bien que, à chaque fois qu'ils se voyaient, Yoongi passait plus de temps à fumer et à rester assis en silence qu'à lui parler, Jungkook appréciait les courts instants qu'il passait avec lui.

Peut-être parce qu'il le comprenait, peut-être parce qu'il était l'une des seules personnes saines qu'il connaissait et qu'il n'était pas répugné à l'idée d'approcher. Sûrement parce que, malgré ses airs de type froid et détaché de tout, Yoongi était attentif à ses sentiments et ne le brusquait jamais. Il ne disait rien de travers, il ne demandait aucune explication quand ça n'allait pas, et il restait là, en silence, à le conforter avec sa seule présence.

Jungkook se persuadait qu'il s'en sortait parfaitement bien tout seul, mais il ne pouvait nier que la présence apaisante de Yoongi l'avait bien aidé, tout ce temps.

Le fait de savoir qu'il n'était pas le seul, à être dans cette galère.

Il partit au bout d'une heure. Ils n'avaient échangé que quelques mots, largement suffisants pour Jungkook, qui avait laissé son ami profiter de sa solitude et des cigarettes qui l'accompagnaient dans sa mélancolie, pour l'atténuer ne fût-ce qu'un tout petit peu.

Il faisait noir, dehors. La différence de luminosité entre le jour et la nuit n'était jamais flagrante, de sombres nuages couvrant vicieusement le ciel à chaque fois que le soleil daignait se lever.

Remontant sa capuche sur ses cheveux, Jungkook s'aventura sous la pluie battante, frappant ses vêtements de grosses gouttes glacées, qui faisaient leur chemin jusqu'à sa peau à travers la matière imbibée.

Il se trouva chez lui quelques minutes plus tard. Il enfonça la clé rouillée dans la serrure en tout aussi mauvais état, faisant crisser le fer alors qu'il déverrouillait l'entrée. Il s'engouffra à l'intérieur, à l'abri de la pluie, larguant ses vêtements dans l'entrée et se jetant sous la douche.

Il profita à peine de l'eau chaude. Il n'eut que quelques secondes pour sentir le liquide brûlant, avant qu'il ne devienne glacé. C'était toujours pareil.

Il sortit, les cheveux dégoulinant d'eau, un courant d'air achevant de le frigorifier pour la soirée. Il fit chemin jusqu'à sa chambre, et se laissa lourdement tomber sur son lit. Il resta là, à fixer le plafond pendant quelques minutes, à tenter d'oublier sa vie monotone pendant ne fût-ce qu'un instant, à abandonner le faible espoir qu'il avait qu'un jour tout puisse changer.

Quand il se réveilla le lendemain, le soleil brillait par sa fenêtre.

Il resta plusieurs minutes devant la vitre traversée de rayons brillants, une douce chaleur sur son visage, à contempler le monde extérieur qui séchait ses larmes, qui cessait de dégouliner de chagrin. Et alors, il sut quelque part au fond de lui que cette journée n'allait pas être banale.

Il quitta son appartement dans la matinée. Vernon et lui alternaient leurs horaires pour éviter les accidents. Comme tous les jours, il traversa la ville en ignorant tous les infectés. Arrivé sur place, il récupéra la clé dissimulée et ouvrit la boutique. Déjà quelques personnes attendaient en ligne devant l'entrée. Il les vit se précipiter vers la porte, la plupart d'entre eux particulièrement hargneux, se poussant les uns les autres comme des animaux.

Il ouvrit, tentant de dissimuler son dégoût quand il les vit tous se presser contre la vitrine, puis envahir le magasin en une fraction de seconde. L'odeur lui donna un haut-le-cœur. Il ne savait pas lequel, mais l'un d'eux n'en avait plus pour longtemps.

Ils partirent tous après avoir obtenu ce qu'ils voulaient. L'horrible senteur quitta la boutique avec eux.

Jungkook triait les billets depuis une bonne demi-heure sous le bureau, quand tout à coup la vieille clochette tinta. Il cacha l'argent dans un des plis du meuble usé, relevant la tête pour regarder qui venait d'entrer.

Vernon se tenait sur le pas de la porte, un masque médical sur le visage. Jungkook regarda l'heure machinalement. Il n'était pas du tout temps pour son service. Il le vit s'approcher, déposer les clés de son casier sur le comptoir, le regard vitreux.

Il n'eut pas besoin de lui expliquer. Jungkook comprit aussitôt.

Il était infecté.

Et l'une des règles pour travailler ici, c'était d'être parfaitement sain. Vernon démissionnait.

Il vit ses yeux inondés de larmes s'attarder sur les siens, comme s'il attendait le signe d'une quelconque compassion. Le visage de Jungkook demeura inexpressif. Alors les paupières du plus jeunes laissèrent échapper quelques perles glacées, qui s'écrasèrent silencieusement sur la surface usée du vieux bureau.

Il le laissa prendre quelques anti douleurs, puis le regarda partir sans un mot. Il ne lui demanda pas comment tout était arrivé, comment il s'était infecté, comment il s'était senti quand il l'avait découvert. Il le vit passer le pas de la porte, sortir sous le soleil brillant, le ciel bleu, la brise légère.

Il se demanda si tout n'était qu'un rêve.

Mais tout était bel et bien réel. Et il vivait dans cet affreux cauchemar depuis trop longtemps.

Il jeta un coup d'œil dans la boutique, Sans Vernon, tout était fini. Il n'y avait aucun moyen qu'il puisse gérer ça tout seul. Il n'avait pas vu son patron depuis des mois. Le vieux type qui lui servait de boss ne pointait jamais son nez dans le quartier et se contentait de récupérer tout le profit.

C'était injuste, profondément injuste. Et pour la première fois depuis qu'il avait commencé à travailler dans ce trou, il eut envie de le faire payer.

Il n'avait plus rien à perdre, de toute façon.

Il ne lui fallut pas une seconde de plus pour se décider. Précipitamment, il attrapa l'un des sacs poussiéreux dans la réserve, et il récupéra tout ce qui lui tombait sous la main. Tous les bandages, tous les anti douleurs, antiseptiques, désinfectants, les compresses et les bouteilles d'alcool, les récipients vides, les vieux paquets de cigarettes. Il y fourra tout ce qu'il put, puis le jeta sur son épaule. Dans son sac à dos personnel, il récupéra l'argent de la caisse, les stylos sur le bureau, la petite calculatrice, les billets cachés dans les rainures crasseuses. Tout avait une valeur.

Et il n'avait plus rien à perdre.

Il allait s'enfuir, cependant, en voyant qu'il en restait tellement, dans la boutique, il se sentit comme s'il perdait une occasion en or. Il s'arma d'un autre sac. En quelques minutes, tout était vide. Il ne restait plus rien.

Il partit sans rien fermer. Il quitta cet endroit qu'il avait toujours détesté, mais dont il avait toujours eu besoin. Il sentit la satisfaction former un sourire sur son visage. Il s'enfuit sous la lumière éblouissante de l'énorme étoile brûlante dans le ciel.

La respiration erratique, ses jambes hurlant leur douleur à chaque foulée, il traversa les rues à toute allure. Le poids des sacs sur ses épaules comme le monde accroché à son dos. Son souffle brûlant s'évaporant en une brume moite dans l'atmosphère humide, le froissement incessant de ses vêtements dans le vent, les cheveux imbibés de sueur qui se collaient sur son front.

Il fuyait.

Et pour une fois, ça faisait tellement de bien d'être le voleur, et pas d'être volé.

Il accéléra l'allure, en reconnaissant les bâtiments autour de lui. Au bout de la rue, illuminant son visage d'une douce chaleur, le soleil jetait un œil curieux sur sa course effrénée. Aveuglé, Jungkook leva une main faible devant ses yeux.

Soudainement son corps frappa une masse, et il s'écrasa au sol dans un craquement effrayant. Un grognement échappa ses lèvres alors qu'il réalisait qu'il venait de tomber.

Ses yeux, fermés à cause du choc, s'ouvrirent d'un coup quand il réalisa que ses sacs n'étaient plus sur ses épaules. Et alors, à quelques mètres de lui, accroupi à côté de ses affaires qui s'étaient vidées sur le sol, Jungkook vit un type.

Il avait l'air d'avoir son âge. A l'expression terrorisée sur son visage, il lui aurait même donné cinq ans de moins que lui.

Il fut incapable de se lever pendant quelques secondes, le bassin endolori par la chute brutale de quelques secondes auparavant. Il continua de surveiller l'autre du regard, l'appréhension crispant ses muscles, le faisant souffrir encore plus.

Il vit le garçon se redresser, regarder dans sa direction, puis attraper le sac et remettre les médicaments qui s'en étaient échappés à l'intérieur. Tout en le fourrant de ce qui ne lui appartenait pas du tout, il continua de lui jeter des regards furtifs. Jungkook voulut lui hurler de lâcher ses affaires. Cependant, ça ne lui appartenait pas vraiment, à lui non plus.

L'inconnu se leva, et Jungkook crut bien qu'il allait s'enfuir avec le pactole. Les yeux fixés sur ses pieds, il mit quelques secondes à remarquer qu'il marchait dans sa direction.

Il se vit mourir. Il crut que c'était fini. Il allait l'achever, ou pire encore, l'infecter, le laisser pourrir lamentablement. Il finirait comme tous ces gens affalés dans la rue, incapable de se dresser sur leurs jambes, à arracher petit à petit les lambeaux de leur peau putride pour espérer se débarrasser de l'odeur abominable qui accompagnait la pourriture. Il crut dire adieu à son corps sain.

L'inconnu s'accroupit en face de son visage, et alors seulement Jungkook daigna relever les yeux vers lui.

Il voulait voir son visage.

- Tu vas bien ?

Le garçon n'avait rien de ce qu'il avait jamais vu dans cet endroit miteux. Des cheveux brillants, soyeux, d'une couleur rare, reflétant la lumière du soleil en d'étincelants rayons argentés. Des yeux scintillants et grands ouverts, noyés d'innocence, qui n'avaient visiblement jamais eu affaire aux atrocités de leur monde. La peau claire, le teint frais, les joues colorées, le genre de chose que plus personne n'avait, ici.

Sur ses lèvres, d'un rose vif, comme un témoin de sa bonne santé, il y avait une minuscule coupure écarlate.

- Tu as mal quelque part ?

Bouche bée, Jungkook le regarda étendre sa main vers lui. Ses pupilles se fixèrent sur sa paume, lisse, sur ses doigts fins et délicats, sur ses ongles bien dessinés, sous lesquels aucune crasse ne s'était glissée.

Ce n'était pas difficile à remarquer. Ce type ne venait pas d'ici. Et à la vue de son costume immaculé, blanc comme neige, il ne pouvait venir que d'un seul endroit.

Jungkook repoussa brusquement sa main, et son vis-à-vis sursauta légèrement, effrayé. Il se redressa, ignorant la douleur dans son bassin, la tornade dans sa tête.

- Ne me touche pas.

Il vit le garçon ramener sa main à lui, apparemment blessé.

Il venait du Centre. C'était évident, pour bien des raisons. Et l'épingle en or qui tenait le foulard en soie à son cou n'était pas des plus discrètes. Il n'avait rien de ces jeunes gars paumés et fauchés qu'on trouvait dans les rues de ce quartier. Il n'avait rien d'un jeune gars paumé et fauché tout court.

Et s'il était ici, c'était pour une seule et unique raison. Il était infecté.

Au mieux, sa famille l'avait abandonné sans que le gouvernement soit mis au courant. Au pire, il avait été persécuté, puis chassé. Mais à la vue de ses vêtements encore en parfait état, Jungkook aurait plutôt opté pour la première option.

- Je m'appelle Taehyung.

Jungkook leva un sourcil, ses yeux se fixant sur le sac que Taehyung tenait fermement dans sa main.

- Je t'ai pas demandé.

Taehyung hocha la tête, le regard toujours rivé sur lui. Il attendit que Jungkook ait fini de s'épousseter, de remettre ses vêtements abîmés en place, sagement. Quand il eut terminé, il lui redonna le sac, comme si de rien n'était. Jungkook tourna la tête vers lui, ses yeux accrochant à son expression naïve, la gentillesse qui couvrait ses traits. Ce type était un idiot. Il ne connaissait rien de ce monde.

Jungkook reprit le sac, profitant sans aucune honte de la naïveté de son vis-à-vis. Il fit volte-face pour s'enfuir à toute allure, en espérant qu'il n'aurait jamais à revoir son visage, en espérant qu'il ne le suivrait pas. Fuir avant qu'il ne change d'avis.

- Attends !!

Il sentit Taehyung s'agripper à son poignet, et le maintenir en place par la force du désespoir. Un frisson lui remonta l'échine. Il agrippa la lame dans sa poche.

Pas moyen qu'il se fasse racketter par un gosse de riche fraîchement sorti du Centre.

- J'ai besoin d'aide, supplia Taehyung, la voix tremblante.

Jungkook ferma les yeux pour calmer sa frustration. Il se retourna vers lui, libérant le couteau dans sa poche. Il n'en aurait peut-être pas besoin, finalement. L'autre n'avait pas l'air de vouloir lui faire quoi que ce soit.

Il le regarda de haut en bas. Taehyung avait l'air en parfaite santé. En fait, il n'avait même pas l'air d'appartenir à ce monde. Ses vêtements étaient si blancs qu'ils semblaient renvoyer la lumière divine, il n'avait aucun signe de pourriture sur sa peau diaphane, et dieu, il n'avait même pas de cernes.

Tous les gens normaux avaient des cernes.

- Qu'est-ce que t'as ?

Il vit ses yeux scintiller et il crut qu'il allait vomir. Il n'avait même pas accepté de l'aider.

- Tu es médecin ?

Jungkook, incrédule, ne put s'arrêter de fixer Taehyung. Ce type n'avait vraiment aucune idée de l'endroit où il se trouvait. Des médecins, ici ? Tous les médecins étaient morts depuis longtemps. Et pour les quelques-uns qui avaient survécu, ils s'étaient tous enfuis vers le Centre.

Taehyung n'avait-il vraiment aucune idée de ce qu'il se passait ? Etait-ce au moins possible, d'ignorer une chose pareille ?

- Je vais te montrer.

Jungkook n'eut pas le temps de répondre à sa question. Taehyung, de ses maigres forces d'enfant élevé dans le plus paisible des quartiers, l'entraîna à sa suite. Il aurait pu se débattre, s'il avait voulu. Mais peut-être parce que l'autre était absolument inoffensif, il ne pensa pas à s'enfuir plus longtemps.

Ils ne marchèrent que quelques minutes. Taehyung semblait ne pas savoir par où il se dirigeait, mais aucune hésitation ne troublait ses pas. Contre toute attente, ils arrivèrent à destination rapidement. A ce moment-là seulement, Jungkook sentit la prise de son vis-à-vis se relâcher sur son poignet. Il le regarda s'éloigner dans l'obscurité d'une ruelle humide. Plissant les yeux, il chercha à s'habituer à son environnement sombre. Il fit quelques pas sur les sacs plastiques mouillés qui jonchaient le sol, jusqu'à ce que ses pupilles épuisées soient capable de discerner Taehyung, dans le noir.

Agenouillé auprès d'un petit corps maigre et faible, Taehyung lui fit signe de s'approcher davantage. Jungkook, quoiqu'à contre cœur, obtempéra. Chaque souffle qu'il lâchait faisait monter en lui une nausée atroce. L'air était irrespirable.

Adossé contre le mur dégoulinant d'eau sale, recouvert d'algues noires, il y avait un enfant. Il avait peut-être huit ans, ou dix. A son âge, Jungkook vivait encore dans sa petite maison à la campagne, avec sa mère, son père, son frère. Il jouait encore à la balle dans le jardin, sous le soleil, avec son chien.

Qu'est-ce qu'il aurait donné, pour pouvoir revenir en arrière rien que pour quelques heures.

Sentir le soleil sur sa peau, l'air dans ses cheveux, la voix réconfortante de sa mère, les chocolats chauds en rentrant de l'école, les quelques minutes qu'elle passait à lui caresser le dos avant qu'il ne s'endorme.

Ce gamin n'avait sûrement jamais rien eu de tout ça. Il avait toujours vécu dans ce monde répugnant, ce monde où on ne pouvait compter sur personne, ce monde où rester seul était le seul et unique moyen de rester en vie.

Ce monde où on ne vivait plus.

On survivait.

Il s'accroupit à ses côtés, sans s'en rendre compte. Les yeux de l'enfant étaient fermés. Ses paupières, bleuies, étaient fermement closes, ses cils douloureusement collés entre eux. Sur sa peau, la trace de plusieurs veines noircies, comme des ronces grimpant sur son visage, signe de l'infection, Sa respiration, fébrile et brûlante, ne laissait rien présager de bon.

Un bruissement le sortit de ses pensées. Taehyung, à sa gauche, avait l'air d'être sur le point de pleurer. Les pupilles de Jungkook se fixèrent sur ses iris brillants, scintillants au milieu de l'obscurité, sur les perles glacées, bloquées au bord de ses paupières, qui menaçaient de dévaler ses joues roses. Figé, il ne put se détacher de ses traits crispés par la peine, peine qui n'était absolument pas la sienne, mais qu'il ressentait comme telle.

Taehyung était certainement l'être le plus pur qu'il ait jamais connu.

- Il était réveillé quand je l'ai laissé, sanglota-t-il, ses mains s'agrippant à son visage. Je lui ai dit que j'allais chercher de l'aide. Je lui ai dit que tout allait bien se passer.

Jungkook inspira l'air putride, qui se coinça dans ses poumons comme une fumée toxique.

- Tout ce qu'il m'a dit, c'est qu'il a mal à la jambe, souffla Taehyung, la voix tremblante.

Se penchant vers ses pieds, recouverts d'une sorte de serviette humide, Jungkook eut un moment d'hésitation. Il savait ce qu'il allait trouver, là-dessous. Il savait qu'il ne pourrait rien y faire.

Il savait que ça ne lui ferait plus rien.

Il ne lui fallut pas plus de temps pour enlever le tissu des mollets du garçon. Le silence se fit, pendant quelques secondes. Taehyung semblait avoir cessé de respirer. Jungkook, accablé par l'odeur, se recula des plaies en décomposition.

- Tu peux l'aider ? Demanda Taehyung, les traits tirés par la terreur.

Jungkook se tourna vers lui, muet. Il prit plusieurs secondes pour réfléchir. Il n'avait vraiment pas à faire ça. Il pouvait s'enfuir. Pousser Taehyung de toutes ses forces et courir. L'autre ne pourrait probablement rien faire contre lui.

Il serra la mâchoire et ses veines gonflèrent dans son cou.

- Ça dépend... t'as une scie ?

Taehyung, confus, fit non de la tête.

- T'en as pas vu une dans le coin ?

Il nia de nouveau. Ses yeux horrifiés se reportèrent sur la jambe putride de l'enfant. Il ne semblait pas comprendre.

- Alors je peux rien faire pour lui.

Il se leva, prêt à partir. Il n'eut pas le temps de bouger davantage. Soudainement, il sentit Taehyung s'agripper à son poignet, à genoux à ses pieds, et alors ses mains tremblèrent tout contre lui.

- Tu as des médicaments, murmura Taehyung, la voix suppliante.

Il aurait pu donner tous les médicaments du monde à ce gamin, ça n'aurait rien changé. Ça l'aurait juste transformé en junkie, accroc à toutes les pilules capables d'atténuer, ne fût-ce que pour quelques secondes, une douleur qui ne partirait vraiment jamais. Tout ce qu'il pouvait faire, c'était lui couper la jambe. Ralentir l'infection pendant peut-être quelques heures, quelques jours s'il était chanceux.

Mais au final, la maladie reprendrait le dessus. Parce que rien ne pouvait l'arrêter.

- Sa jambe est pourrie, expliqua Jungkook, l'impatience se peignant sur son visage. Le seul moyen de le soulager, c'est de la couper, mais ça ne changerait rien.

Dans les yeux étincelants de Taehyung, la terreur noya ses iris d'une obscurité horrifiée. Il baissa aussitôt le regard. Jungkook pouvait voir toute l'angoisse qui émanait de lui, comme un halo sombre, prêt à s'emparer de son corps pour y semer le chaos.

- Tu veux couper la jambe de ce pauvre garçon ? Répéta Taehyung, comme s'il avait du mal à y croire. Il ne pourra plus jamais marcher, ou courir.

Il le regarda se tourner dans la direction de l'enfant, de nouvelles larmes perlant à ses paupières. L'idée même semblait lui faire du mal.

- C'est bien ce que je dis, ça ne changera rien.

Dans l'état où il était, il n'était, dans tous les cas, déjà plus capable de faire ce genre de chose. Il ne pouvait plus se déplacer pour se procurer de la nourriture. Il n'était même plus capable de s'enfuir en cas de danger. S'il croisait un infecté en deuxième phase, c'était fini.

- Laisse-le. Il ne vivra pas longtemps de toute façon.

Taehyung lui jeta un regard désapprobateur, visiblement choqué par son affirmation. Il n'y prêta pas beaucoup d'attention. Il le vit serrer les dents, puis se dresser sur ses jambes. Jungkook savait que s'il avait pu lui en donner une, il l'aurait très certainement fait. Ce type ne savait pas à quel point ça coûtait cher, de risquer sa vie pour les autres.

- Je vais chercher une scie.

Jungkook, un peu surpris, ne put que remarquer la détermination sur son visage.

- Si c'est le seul moyen pour le sauver-

Taehyung aurait continué sa phrase, si Jungkook ne l'avait pas coupé avec un grognement dédaigneux.

- Ça ne le sauvera pas, clarifia Jungkook.

Le cerveau hanté par des images qu'il aurait préféré oublier, il ferma un moment les yeux. Un léger sourire aux lèvres, sans jamais comprendre comment il faisait pour sourire dans ce genre de situation, il sentit son cœur battre dans sa poitrine.

- Tout ce qu'il va gagner, c'est quelques heures.

Il ne mentionna pas le fait que ces quelques heures seraient sûrement les plus désagréables et douloureuses de toute sa courte vie.

- Il est encore jeune, et déjà infecté. Ses extrémités ont déjà commencé à pourrir. Je lui donne, allez, une semaine.

Taehyung couvrit son visage de ses mains, le menton pris de spasmes incontrôlables, alors que ses larmes se remettaient à perler à ses paupières.

Il trembla, encore. Il était faible. Il ne tiendrait pas deux jours, si Jungkook le laissait tout seul. Encore moins s'il s'acharnait à perdre son temps pour aider un gosse qui était déjà mort.

- Il est déjà mort, Taehyung.

Le nom résonna dans sa tête, prononcé par ses lèvres pour la première fois. Il eut le tournis quelques secondes.

Il déglutit. Il était temps qu'il parte. Qu'il s'enfuie, loin de Taehyung,

Partir avant qu'il ne s'attache à lui.

Il tourna les talons pour quitter les lieux. Et alors, soudainement, d'une rapidité déconcertante et sans que Jungkook puisse faire quoi que ce soit pour l'arrêter, Taehyung avait déjà dérobé son sac et le tenait fermement entre ses bras.

Il avait baissé sa garde.

- Rends-le-moi, ordonna Jungkook, encore sous le choc.

Il vit les bras de son vis-à-vis se resserrer autour de son bien.

- Non, refusa catégoriquement Taehyung. On reste avec lui, ajouta-t-il en se tournant vers l'enfant.

Jungkook s'avança pour lui arracher le sac des bras, mais Taehyung se défila. Irrité, il pinça les lèvres.

- Tu restes avec lui si ça te fait plaisir, mais moi je m'en vais.

Il le vit hausser un sourcil, et l'air moqueur qu'il eut à cet instant lui hérissa le poil.

- Sans ton sac ?

Il tenta une nouvelle fois de s'emparer de ce qui lui appartenait, en vain. Taehyung continuait de se démener pour l'en empêcher.

Avec un soupir, il fut forcé de rester auprès de l'enfant. Celui-ci, de la sueur au front, ne s'était toujours pas éveillé. Il n'allait très certainement plus jamais ouvrir les yeux. Jungkook connaissait trop bien l'histoire qui allait se dérouler devant leurs yeux, il connaissait trop bien à quel point ça faisait mal, de voir quelqu'un s'éteindre sans pouvoir rien faire.

Il haïssait cette maladie, cette vie, la fatalité. Mais ce qu'il abhorrait plus que tout au monde, c'était la bourgeoisie du Centre.

Bourgeoisie dont Taehyung faisait partie.

Et même si Taehyung n'avait rien de ce qu'il avait pu imaginer, venant d'un gosse de riche tout droit sorti du quartier privilégié, il restait tout de même un gosse de riche. Il restait tout de même un bébé élevé dans un cocon, à l'abri de tout, au point qu'il ne savait même pas ce qu'il se passait, à l'extérieur de sa petite enveloppe chaleureuse.

Cette naïveté, c'était sûrement ce que Jungkook détestait le plus, chez lui. Ça, et le fait qu'il lui ait volé son sac, aussi.

Il passa la nuit dans la ruelle toujours plus sombre où se trouvait l'enfant. Il ne ferma pas l'œil une seule fois. Si le quartier était dangereux de jour, c'était un véritable cauchemar une fois la nuit tombée. Parce que les seconds stages ne se reposaient jamais de leurs terreurs.

Taehyung ne se donna pas une seconde de répit, non plus. Certainement parce qu'il savait qu'à l'instant où il fermerait les yeux pour se plonger dans le sommeil, Jungkook profiterait de son inattention pour s'emparer du sac et s'enfuir. Ses yeux brillants, même dans la nuit, ne cessaient leurs va-et-vient entre lui et l'enfant. Quand ses pupilles, bien qu'évidemment épuisées, se portaient sur les jambes du petit corps dont l'état s'aggravait, son visage tout entier se crispait de cette douleur sourde, cette compassion innocente et intuitive, qu'il portait en lui comme un joyau ancré dans son cœur.

Quand Jungkook crut que rien ne pourrait lui arriver de pire, comme pour le contredire, quelques gouttes de pluie se mirent à tomber du ciel noir, dénué de toute étoile. La lune, fade et jaunâtre, se couvrit d'intimidants nuages sombres, un manteau pour affronter le froid glacial de ces interminables nuits. Pudique, elle disparut derrière son voile, et bientôt, même sa lumière blafarde ne fut plus qu'un lointain souvenir.

Quand un peu de lumière daigna enfin éclairer ses traits tirés, Jungkook réalisa qu'il s'était assoupi. L'angoisse fit monter en lui une incroyable bouffée de chaleur. Silencieusement, il regarda autour de lui. Taehyung, toujours éveillé, était accroupi auprès de l'enfant et essuyait sa sueur du bout de sa manche. Il l'observa, sans un bruit, salir son costume immaculé pour un gosse qui était sur son lit de mort.

Jungkook aurait voulu qu'il meure plus vite. Il aurait voulu que tout ceci s'arrête, que Taehyung cesse de se préoccuper d'un cas désespéré, qu'il cesse de croire qu'il y avait une chance, une infime chance pour un miracle.

Peut-être que les miracles existaient, dans le quartier riche, après tout. Mais ici, il n'existait rien de ce genre. Ici, le miracle, c'était de mourir sans avoir tué personne.

Ils passèrent toute la journée dans cette fichue ruelle. Pendant une seconde, Jungkook tenta de se convaincre qu'il pouvait partir sans les médicaments. Il se dit qu'après tout, il n'en avait pas besoin. Que ça ne valait pas le coup.

Après mûres réflexions, il ne put se résoudre à s'enfuir sans son sac. C'était tout ce qu'il avait pour survivre.

Mais Taehyung s'obstinait. Bientôt, la nuit tomba de nouveau. L'enfant, bien que transpirant et à moitié décomposé, n'était toujours pas mort. Malgré tout, le visage de Taehyung s'épuisait, et la couleur rosée qu'il avait eue sur ses joues la veille commençait déjà à s'estomper. A bout de forces, il ne lui laissait cependant aucune occasion de récupérer ses biens. Têtu, il se levait pour s'occuper de l'enfant et revenait s'asseoir en silence.

S'il y avait bien quelque chose qu'il avait pour lui, c'était sa ténacité.

Mais même en étant tenace, on n'obtenait rien, dans ce monde.

Alors quand Taehyung commença à fermer les yeux, emporté par sa fatigue, Jungkook n'attendit pas une seconde de plus. Il s'empara de son sac, l'arrachant avec force de ses bras exténués, parce qu'il savait qu'il n'avait plus aucune chance de l'en empêcher.

Taehyung s'éveilla dans un sursaut, en sentant qu'on venait de lui dérober quelque chose. Jungkook avait déjà tourné les talons pour s'enfuir.

Il entendit Taehyung crier son nom, le supplier de revenir. Et bien qu'un sentiment de culpabilité atroce se soit attaché à son cœur en entendant ses supplications, il ne se retourna pas. Parce qu'il ne devait pas être faible.

Parce qu'il en avait fini, de s'attacher aux autres. D'espérer. D'être blessé. Et de recommencer à zéro.

Parce qu'il avait trop perdu.

Il tournait au coin de la ruelle, quand un gargouillement horrifiant l'arrêta. Il ne put s'empêcher de se retourner. Taehyung ne lui portait plus aucune attention, accourant dans la direction de l'enfant qui semblait s'être réveillé.

Jungkook savait que ce n'était pas le cas.

Il vit Taehyung s'agenouiller près de lui, l'aider à soutenir son dos, alors que l'enfant continuait de gémir et de grogner, le teint livide. Il regarda les bras minces et osseux du garçon s'agripper à l'épaule de Taehyung.

Il savait ce qu'il allait se passer, s'il ne faisait rien. Il savait qu'au moins, il n'aurait plus à s'en soucier.

Dans un autre gargouillement, l'enfant se pencha vers le sol, et régurgita un liquide noirâtre sur les pavés humides. Soudain pris de convulsions, ses doigts décharnés s'agrippèrent davantage à Taehyung, qui ignora sa douleur pour lui demander où il avait mal.

Alors, les spasmes cessèrent d'agiter la figure gangrenée du garçon, et ses yeux se fixèrent sur le corps sain en face de lui.

Taehyung ne bougea pas, aussi stupide qu'il pouvait l'être.

Il aurait dû savoir. Il aurait dû sentir le danger.

Ou peut-être qu'il en était incapable.

Soudainement l'enfant se mit à crier. Taehyung, chamboulé, resta tétanisé. Et alors, d'une rapidité incroyable, le garçon s'agrippa à son corps, et tira de toutes ses forces sur ses jambes.

Taehyung n'aurait probablement jamais imaginé une chose pareille. Il ne savait rien, après tout. Mais quand il sentit la peau de ses jambes le tirer affreusement, se tendre sous l'emprise cauchemardesque de l'enfant, et les os de ses hanches se mettre à craquer pour résister à la traction...

A ce moment-là, il comprit.

Et bientôt il se mit à se débattre, faiblement, sûrement parce que sa nature trop généreuse lui disait de ne pas blesser quelqu'un d'autre.

Jungkook n'en revenait pas. Même dans ce genre de situation, même s'il était sur le point de perdre ses jambes de la pire manière qui soit, même si cette chose, qui n'était évidemment plus humaine ni consciente, essayait de s'emparer de son corps sain.

Il vit toute la terreur sur son visage, ses muscles en alarme, la pluie et la boue sur ses vêtements autrefois parfaitement blancs.

D'un coup de pied, Jungkook dégagea l'enfant d'au-dessus de Taehyung. Puis, sous son talon, il écrasa son crâne. L'infecté cessa de hurler. La pluie, lourde et froide, meubla seule le silence.

Taehyung, tremblant au sol, ne pouvait détacher son regard du corps inerte à ses pieds. Alors, dans un sanglot, il se redressa, et ses mains s'accrochèrent à celles de l'enfant. Soudainement, un torrent de larmes dévala ses joues. Chacune d'entre elles, poussées sans effort hors de ses paupières, traça un sillon entre les gouttes de pluie sur sa peau.

Taehyung pleura la mort de l'enfant comme s'il avait été le sien. Comme si tout avait été de sa faute. Comme s'il aurait pu l'empêcher.

Et tandis que son visage se crispait douloureusement pour contenir sa peine, que ses yeux se fermaient pour retenir le flot de larmes glacé qui descendait jusque dans son cou, tandis qu'il se penchait sur ses genoux, dans une tentative vaine de retenir les tremblements incontrôlables de son corps terrorisé et blessé...

Jungkook ne fut plus capable de se mentir plus longtemps.

Parce qu'il venait de tuer pour protéger Taehyung. Parce qu'il serait capable de recommencer, s'il fallait.

Parce qu'il était l'âme la plus pure qu'il ait jamais rencontré.

Il ne pouvait plus l'abandonner.

Plus jamais.


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