~ Sleep token - Alkaline ~

— Exton —

Quand on m'a parlé de la faction Skiá, qui veut dire ombre en grec, je me suis imaginé débarquer dans un endroit sombre, côtoyer des démons et loger dans les douves. Alors je suis surpris de tomber sur lieu habitable, à l'opposé de ce que je pensais.

Des rideaux sont pendus aux fenêtres d'où s'échappe la lumière du jour, et la salle baigne dans une clarté chaude et rassurante.

Le groupe qui m'accompagne semble être composé de fortes de tête, à première vue. Des regards noirs en passant par des postures foncièrement revêches
encerclent un homme à l'allure volontaire. Crâne rasé et vêtu de noir, il garde les mains derrière le dos tout en observant les nouveaux arrivants. De toute évidence, il a l'étoffe d'un chef.

Parmi la foule, je constate que Tamsin n'est pas là.
Dans le fond, je ne suis pas étonné car elle dégageait une telle aura de gentillesse qu'elle ne pouvait pas se trouver parmi nous. Une douce personne fragile et aimante ne fait pas bon ménage au milieu des récalcitrants.

L'homme s'exprime enfin.

— Bonjour, je m'appelle Emmet et bienvenue dans la faction Skiá, les guerriers de l'ombre. Si vous êtes ici, c'est que vous avez de la volonté. Alors on va vous apprendre à avoir confiance en vous, à être téméraire, mais réfléchi et à être honnête. Parce que ça passe par là. Que vous soyez loups, lycans, vampires ou sorciers, on fera en sorte que vous développez vos dons du mieux possible. Vous apprendrez à accepter que vous n'êtes plus humain et à apprendrez des dons méconnus. Évidemment, il n'est pas prévu que vous alliez dans la faction Phôs sans nous avertir...

Des dons méconnus ?

Là, il m'intrigue carrément. Et pendant que le discours se poursuit, je bloque sur cette idée. Les autres ont l'air autant étonné que moi et les questions fusent. Il a ouvert une interrogative qui suscite l'intérêt, mais il choisit de ne rien dire. Sourire en coin, il s'arrange pour ne rien dévoiler et garder une part de mystère. Une tactique comme une autre lorsqu'on désire conserver l'attention des troupes. Autant que je m'en souvienne, mon père, qui était banquier, utilisait souvent ce procédé.

D'ordinaire, je ne m'arrête pas là. J'aime dévoiler les non-dits, révéler les sillons de la vérité, mais aujourd'hui je suis aux abonnés absents. J'ai tellement accumulé de fatigue ces derniers jours que je pourrai dormir pendant deux jours sans problème.

Lorsqu'Emmet a terminé son laïus, il précise que le premier cours débute demain matin à 7heures et nous propose de visiter le bâtiment et ses alentours. Pour ma part, je n'ai pas tellement la force d'explorer quoi que ce soit. À part être désagréable et contrariant avec tous ceux que je vais croiser, rien n'en sortira de bon. Une migraine atroce commence à grappiller du terrain. L'une des seules qui réussisse à me détendre c'est Rose. Son humour noir finit toujours par me redonner le sourire. La belle vampire s'est éclipsée avec une jeune femme blonde qu'elle semble connaître. Leur discussion acharnée me pousse à ne pas les déranger. Et puis, la fatigue commence à prendre le dessus et il est temps que je me repose. C'est donc en mode zombie que je rejoins mes quartiers. Et la première chambre que je trouve à peu près correcte fera l'affaire.

Le mobilier se compose d'un lit et d'un bureau avec une chaise. Une salle de bains fait parti intégrante du lot. Le tout reste à la fois vide et impersonnel, mais j'y ajouterai mes marques assez vite. Je retire mes chaussures et m'allonge sur le matelas assez confortable. Mes yeux ne tardent pas à se fermer, mais pour quelques heures à peine.

Deux coups rapprochés me tirent de mon sommeil. C'est à peine réveillé que je me traîne jusqu'à la porte et reste surpris devant celui que je trouve sur mon palier : Arthur.

— Hey !

Comment sait-il que je me trouve là ?

Plissant le regard, je le détaille avant d'engager une réponse. Non seulement il vient de me réveiller mais en plus il me surveille.

— Salut, comment tu as su que j'étais dans cette chambre ?
— Je t'ai vu y rentrer. Rien de magique là-dedans.

On ne sait jamais.

En ce moment, je cumule les surprises, alors une de plus ou une de moins ne fait guère la différence.

— Entre, dis-je en m'écartant.

Je n'ai pas vraiment le choix et causer devant la porte n'est pas très confortable.

Il ne se fait pas prier et pénètre dans la pièce. Depuis qu'on l'a libéré avec Tamsin, plusieurs questions sont restées en suspend. Et je ne savais pas que j'allais le revoir si vite.

— Qu'est-ce que tu faisais de l'autre côté ?
— Normalement, je ne devrais pas en parler mais si tu me promets de ne rien révéler, je te dirai ce qu'il en est.

C'est reparti.

— Oui, soit rassuré. Maintenant explique-moi.
— En fait, je suis arrivé ici avec ma copine. On voulait rester ensembles dans la même faction, mais le test en a décidé autrement. Et elle est à Phôs. Alors j'ai voulu lui rendre visite. Je sais que c'est interdit en dehors des heures autorisées et je suis restée bloqué dans cette chambre le temps de pouvoir en sortir.

— Ah parce qu'il y a des horaires ?
— Absolument. Les deux factions sont opposées, donc on ne peut se promener comme on le désire d'un côté ou de l'autre. Et pour respecter l'ordre, il est nécessaire de surveiller que tout se passe bien.
— Et qui est chargé de cela ?
— Des chasseurs. On les appelle comme ça car ils sont là pour faire régner la paix. Ils peuvent aller et venir comme ils veulent parce qu'ils sont neutres.
— On est ennemi avec Phôs ?

Il affiche une mine fermée comme s'il ne voulait pas avouer certaines choses pour le moment.

— Pas exactement. On n'est pas en guerre, annonce Arthur en levant les mains en signe, mais disons qu'on ne partage pas les mêmes opinions et qu'on ne peut pas vivre ensemble.

Évidemment. Comment des pleurnichards peuvent côtoyer des revanchards ? Impossible.

Mais mon attention est captée par les chasseurs. Personne n'en a parlé encore. Pourquoi ?

— Comment devient-on chasseur ? demandé-je, mains dans les poches.
— On ne le peut pas. On l'est ou on l'est pas. Ça demande beaucoup de recul et de philosophie. Il faut savoir se mettre à la place des autres, révèle-t-il, prendre leurs états d'âmes en considération sans jugement.

Cette description correspond tout à fait à Tamsin.

— La jeune femme qui était avec toi et qui occupe tes pensées depuis ce matin, c'en est une, poursuit-il.
— Comment tu sais ça ? Je veux dire... tu lis dans les pensées ?
— Un peu. Ça fait parti des dons qu'a évoqués Emmet. Ils sont différents en chacun de nous, souligne-t-il avec un sourire.
— Et ces chasseurs sont donc à la fois sur Phôs et Skiá ?
— Absolument.

C'est donc cela. Si je veux espérer la revoir il faut que je me montre patient.

Je ne saurais pas l'expliquer, mais je suis attiré par elle comme aimant. Si Rose réussit à me troubler grâce à sa beauté parfaite, Tamsin me charme par elle-même. Elle ne fait rien de plus qu'être présente et mon cœur explose de bonheur.