- CHAPITRE 4 -
Matthew
James me bouscule légèrement de l'épaule en descendant du pick-up, un sourire espiègle aux lèvres.
— Ton excuse a intérêt à être béton pour m'avoir lâché hier. Bosser avec Maxence c'est pas la même ambiance. Il est drôle comme une porte de prison. Sérieux, tu peux me dire c'que tu foutais pendant que je trimais comme un dingue au garage ?
— Trimer comme un dingue j'en suis pas si certain, fait-observer John en claquant la portière conducteur. On était pas trop de trois pour rattraper le retard aujourd'hui.
James ouvre la bouche prêt à répondre, mais je lui fait signe de s'abstenir d'un geste de la main sous la gorge. Quand il s'agit du boulot, John est un poil susceptible. Pas étonnant quand on sait qu'on a tous investi tout notre fric pour monter l'affaire.
Tandis que nous franchissons le portillon blanc de guingois que personne n'a encore pensé à repeindre, un mouvement sur notre gauche attire notre attention. James s'incline pour saluer la vieille voisine qui passe son temps à nous surveiller derrière son rideau.
— Tu crois qu'un jour elle va arrêter ? demandé-je au grand roux qui affiche un grand sourire face à la moue outrée de la commère.
Il hausse les épaules et se tourne vers moi, continuant d'avancer en direction de la maison en marche arrière.
— Aucune idée, mais elle se fatiguera avant moi.
Aouch ! fait-il quand John lui décoche une tape sur la tête.
— Mais arrêtez de faire ça... Un jour je vais rester comme un légume et vous devrez vous occuper de moi.
Il fait mine de réfléchir puis agite son index comme s'il avait eu une illumination.
— Par contre vous me laissez pas avec Maxence et sa Mata Hari, ils vont faire je sais pas trop quoi avec mon corps. Toi John, tu t'occuperas bien de moi et Matthew, je te confie le soin de m'emmener au club de strip tease.
John secoue la tête avec un sourire fatigué, tout en ouvrant la porte d'entrée. James, fidèle à lui-même, saute directement sur le canapé, s'étalant comme une étoile de mer, les bras écartés, les pieds en éventail.
— Sérieusement, vous me traitez trop mal. C'est pas humain, grogne-t-il en fermant les yeux. Vous devriez me payer double pour tout ce que je supporte.
— Tu es déjà payé, marmonne John en ramassant une veste oubliée sur le fauteuil. Et pour bien plus que le boulot que tu effectues. Pis tu bouffes ici tous les soir et comme deux en plus.
Je ricane et m'installe dans le fauteuil face à James, levant un pied pour le poser sur la table basse. L'atmosphère est tranquille, et c'est le genre de moment que j'apprécie. Rien de spectaculaire, juste nous trois, après une journée de boulot, sans drame ni prise de tête.
Mais comme toujours, il suffit que James ouvre la bouche pour casser cette bulle de tranquillité.
— Alors, Matthew, t'étais où hier ? commence-t-il, le ton faussement détaché. Je veux dire, à part sauver le monde ou séduire des blondes.
— Ça t'arrangerait bien que ce soit ça, pas vrai ? rétorqué-je avec un sourire en coin.
James hausse un sourcil, mais son regard brille d'une curiosité agaçante.
— Oh, allez, mec, sois pas comme ça. On sait tous que t'as des trucs à cacher.
Je sens l'agacement monter, mais je me force à rester calme. James adore jouer ce rôle, mais il sait appuyer là où ça fait mal. Ce soir, je n'ai pas envie de lui donner ce plaisir. Je roule des yeux en fixant le plafond, mais il ne se démonte pas.
— Oh, tu joues au mystérieux, hein ? Par contre, quand c'est moi qui sors avec une jolie blonde, je suis censé tout raconter dans les détails, mais toi, rien, hein ?
— Parce que tes détails n'intéressent personne, répliqué-je avec un sourire narquois. Et je te rappelle que je n'ai pas de comptes à te rendre, James.
James se redresse légèrement, son sourire élargissant ses traits déjà malicieux.
— Donc, tu veux dire que tu fais des trucs secrets... genre... ajoute-t-il en accentuant lourdement les derniers mots.
John qui sort de la cuisine pose des bières sur la table basse.
Je m'apprête à répondre quand la porte s'ouvre à nouveau et que Maxence entre, chargé de cartons de pizza, avec Alaïa sur ses talons.
— Hey ! Faites de la place, j'ai des pizzas pour tout le monde ! annonce Maxence d'une voix ferme, déposant les cartons sur la table.
James se redresse instantanément, ses yeux s'illuminant.
— Max, t'es un saint, clame-t-il en sautant du canapé pour attraper une boîte. Bon sang, j'allais mourir de faim.
— Pas touche avant que je me sois servi, grogne Maxence en le repoussant avec son épaule.
Le calme retombe brièvement alors que tout le monde s'empare d'une part de pizza. Même John abandonne sa posture de patriarche sévère pour se servir. Alaïa s'assoit en tailleur sur le canapé, la bouteille d'eau posée à côté d'elle, et elle secoue la tête avec amusement en voyant James engloutir sa part de pizza.
— Sérieusement, je ne sais pas comment tu fais pour ne jamais prendre un gramme, James, ajoute-t-elle en haussant les sourcils.
— Métabolisme de rêve, dit-il avec un clin d'œil tout en mordant dans une deuxième part.
Ce dernier ne peut d'ailleurs s'empêcher de mettre les pieds dans le plat.
— Vous trouvez pas ça bizarre sans Lottie ? lâche-t-il entre deux bouchées.
Tout le monde acquiesce doucement, même si personne ne veut trop s'attarder sur ce sentiment.
— C'est vrai, que ça manque sérieusement de présence féminine maintenant.
John fixe le mur quelques secondes les yeux dans le vague. Je sais ce qu'il pense. Pour lui c'est encore plus dur. Il a littéralement tout sacrifié pour elle et maintenant elle a pris son envol.
Maxence s'étire bruyamment.
— Elle doit bien se débrouiller. Elle est forte, Lottie. Je suis sûr qu'elle se fait de nouveaux amis là-bas. Peut-être même qu'elle a déjà un mec, dit-il en souriant en coin, faisant rire James.
— Ou alors elle se retourne à chaque coin de rue persuadée que John a lâché une horde de types chargés de la surveiller, lâche James avec un clin d'œil.
John le fusille du regard, prêt à intervenir, mais Alaïa ne lui en laisse pas l'occasion.
— Foutez-lui la paix, dit-elle sèchement, avant de se lever pour attraper une bouteille. Ça n'est pas marrant de rire de lui. Il lui a simplement mis un traceur.
— Bien joué Mata Hari, fait James en lui claquant la main.
Je garde mon calme, mais au fond, la mention de Lottie me pèse plus que je ne veux l'admettre. Je fais de mon mieux pour ne pas montrer que ça me perturbe, mais chaque fois que quelqu'un parle d'elle, je ressens cette tension dans mon ventre, comme une corde trop tendue. Et pourtant, c'est exactement pour éviter ça que je fais en sorte de rester loin d'elle. Sauf hier soir. Je n'ai pas pu m'empêcher de roder sur le campus comme un vulgaire stalker. J'ignore ce qui m'a fait le plus mal, la voir aussi épanouie et heureuse ou l'espèce de p'tit con qui la reluquait sans vergogne dans le bar. Le blond. Rien que de penser à lui, je sens mes poings se serrer. Il avait osé la regarder comme si elle lui appartenait. Comme si moi, je n'existais pas. Mais elle n'appartient à personne. Pas même à moi, même si l'idée me hante. Une part de mon être veut juste retourner là-bas, briser ce sourire suffisant qu'il avait collé sur son visage. Et pourtant, je suis là, incapable de faire autre chose que de ressasser.
La bière vacille légèrement dans ma main et je la rattrape de justesse avant que le liquide ne se renverse.
— Wow t'as quoi mec ? fais James en riant. Tu fuis des doigts ? D'ailleurs tant qu'on est tous là, notre cher Matt ici présent nous cache des choses.
Je lève les yeux au ciel.
— Tu vas pas recommencer s'teuplait.
James ricane en finissant sa part.
— Ah, il cache des choses, c'est certain.
Je me contente de hausser les épaules, espérant éviter le sujet. Mais James, fidèle à lui-même, ne me lâche pas.
— J'le connais par coeur et son histoire de journée « off » mime-t-il les guillemets, j'y crois pas une seconde.
John, sentant la tension monter, intervient avec un soupir lourd.
— Laissez-le tranquille. Il a bien le droit d'avoir sa vie privée.
Maxence acquiesce tout en poussant James du coude, et ce dernier fait mine de bouder, avant de revenir à son sourire espiègle.
Je finis par me lever, excédé, et attrape une bière sur la table avant de m'éloigner vers la terrasse.
— Je vais prendre l'air, grogné-je en ouvrant la porte d'un geste brusque.
Je sens leurs regards sur moi alors que je m'éloigne, mais je fais tout pour les ignorer.
Le calme de la nuit contraste brutalement avec l'agitation de mes pensées. Je m'appuie contre la rambarde de la terrasse, scrutant le jardin qui s'étend devant moi, à moitié envahi par les mauvaises herbes. Pourtant, mon esprit est ailleurs, bien loin de ce cadre tranquille. Il tourne toujours autour d'elle. Lottie.
Je serre les dents, me forçant à ne pas replonger dans ce tourbillon, mais c'est comme si tout mon corps se tendait dès que je pense à elle. Et c'est le problème. Depuis toujours.
Ça a commencé doucement. Quand elle était plus jeune, elle me collait tout le temps, comme une ombre. Je ne faisais pas attention à elle, ou du moins j'essayais de ne pas le faire. Elle n'était qu'une gamine après tout, la petite sœur de John. Et j'avais des règles. Des règles simples. Ne jamais toucher à la sœur de son meilleur pote. C'est une loi tacite. Irréfutable. Mais cette règle, ce n'est pas juste une question de loyauté envers John. C'est ma barrière. Celle qui m'empêche de franchir une ligne que je sais dangereuse. Si je la dépasse, il n'y aura pas de retour en arrière. Ce ne sera plus qu'une question d'amitié ou de morale. Ce sera moi, entièrement consumé par quelque chose que je ne peux pas contrôler.
Mais au fil des années, Lottie a changé. Elle n'était plus cette gamine agaçante. Elle est devenue une femme éblouissante. Trop éblouissante. Je l'ai vu grandir, devenir plus forte, plus brillante, plus confiante. Chaque regard, chaque sourire me semblait comme une tentation qu'il fallait éviter à tout prix. Je savais que si je laissais mon regard dériver trop longtemps sur elle, je ne pourrais plus le détourner. Et c'est pour ça que j'ai toujours pris soin de la tenir à distance.
Mais c'est épuisant. Une torture constante.
La voir partir pour l'université, c'était censé être un soulagement. Une façon de remettre les choses à leur place, de couper ce lien invisible qui s'était tissé malgré moi. Elle n'était plus dans mon champ de vision, je n'aurais plus à lutter contre cette attirance stupide. Je m'étais préparé à ce moment, convaincu que ce serait plus facile de l'oublier une fois qu'elle serait loin.
Et pourtant... ça reste une torture. Je déteste l'idée qu'elle soit loin de moi. Je déteste encore plus l'idée qu'elle puisse s'amuser, se rapprocher d'autres types, de ces mecs comme le blond d'hier soir. Rien que d'y penser, je sens cette jalousie me ronger de l'intérieur. C'est ridicule, je le sais bien. Je devrais la laisser vivre sa vie, faire ses propres erreurs. Mais je n'y arrive pas.
Tout en moi me hurle de rester loin d'elle, de respecter cette règle sacrée que je me suis imposée depuis toujours. Mais chaque fois que je la vois, que je pense à elle, c'est comme si cette règle n'avait plus aucun sens. C'est un combat perpétuel, entre ce que je dois faire et ce que je veux faire. Et je perds du terrain à chaque fois.
Je passe une main dans mes cheveux, tirant doucement, comme pour ramener un semblant de clarté dans mon esprit. Mais rien ne change. Le visage de Lottie reste là, imprimé dans mes pensées. Son rire, son sourire, cette étincelle dans ses yeux quand elle se sent provoquée. J'ai passé des années à prétendre que ça ne me touchait pas, à fuir tout contact qui pourrait me trahir.
Et maintenant, je me retrouve coincé. Parce qu'elle n'est plus cette gamine. Elle est Lottie. Forte, indépendante, magnifique. Et je suis pris dans ce foutu paradoxe de vouloir la repousser tout en étant incapable de supporter qu'elle soit loin de moi.
Je pousse un long soupir. Ça ne devrait pas être si compliqué. Et pourtant, c'est la chose la plus compliquée que j'ai jamais eue à surmonter.
— Tu comptes rester planté là toute la nuit ?
La voix d'Alaïa me tire de mes pensées. Elle s'appuie contre l'encadrement de la porte, les mains autour d'elle pour se réchauffer.
— J'sais pas, peut-être, dis-je sans un mot de plus.
Elle reste silencieuse un moment, puis se tourne vers moi avec ce regard tranquille qui me tape parfois sur les nerfs, mais qui, ce soir, me fait du bien.
— Tu sais, t'as le droit d'être concerné, dit-elle enfin. Je veux dire, t'as fait partie de sa vie pendant tellement longtemps. Normal que ça te fasse un truc de la voir partir, non ?
Je lève les yeux vers le ciel, les étoiles floutées par mes pensées agitées.
— C'est pas ça. Enfin, si... Peut-être.
Alaïa croise les bras, son regard tranquille me transperçant. Elle n'a pas besoin de mots pour me pousser à parler, et ça m'agace autant que ça me rassure.
— Parfois, j'ai l'impression que tu portes tout ça tout seul, Matthew, dit-elle doucement. Ça doit peser, non ?
Je détourne les yeux, incapable de répondre. Parce qu'elle a raison. Mais si je commence à en parler, je ne suis pas sûr de savoir m'arrêter.
Alaïa me tape légèrement sur l'épaule.
— Rien n'est jamais simple avec toi. Mais c'est pas une raison pour tout abandonner. Allez, rentre. Ils vont se demander si t'es allé te perdre dans les bois.
Je retourne à l'intérieur, mais même entouré des autres, je sais que je suis seul avec ce foutu paradoxe. Plus je lutte pour m'éloigner, plus elle m'attire. Chaque rire, chaque sourire qu'elle partage loin de moi devient une torture silencieuse. Combien de temps encore avant que je cède ? Avant que tout ce que j'ai construit ne s'effondre autour de moi ?
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