Requiem Amnesiam V
La lune descendait lentement mais sûrement vers l'horizon, et les premières lueurs de l'aube commençaient à poindre à l'horizon lorsque Thorn traversa, une nouvelle fois, le pont levis imposant, dont le bois menaçait de lâcher à chacun de ses pas. Le temps était compté, il fallait qu'elle comprenne de quoi il en retournait au juste, et ce que cachait réellement le mystère enfoui dans les ruines du vieux fort d'Aubade et que son propriétaire semblait si prompt à vouloir cacher. Pénétrant dans l'enceinte des ruines, la chasseuse se dirigea sans attendre vers l'imposant donjon, dont la silhouette noire se découpait sur le ciel nocturne, et, une fois arrivée, dévala sans attendre la volée de marche menant directement au sous sol. Elle ne ressentait aucune présence de la chose qu'elle y avait aperçue, ni même du spectre de la petite fille, qui semblait s'être tout simplement volatilisé; cependant, elle compris vite qu'elle ne serait pas seule dans ce sous sol humide.
Lorsqu'elle pénétra dans la crypte, Thorn fut accueillie par les lames de deux gardes qui se pointèrent directement sur son torse. Elle les avait sentis longtemps à l'avance et aurait sans doute pu les éviter si elle l'avait désiré, mais il était temps de mettre les choses au clair. Le comte, assis sur le tas de gravas au centre de la pièce, contemplait un crâne qu'il tenait dans la main. A ses côtés, droit et stoïque, Arnand fixait la Sinistrale avec un regard indéchiffrable.
-Je commence à en avoir assez, Sinistrale. Grogna le comte. Je t'ai ordonné de tuer ce spectre, mais jusqu'ici je n'ai pu que contempler l'étendue de ton inutilité à ce sujet, et sieur Arnand m'a fait part de ses doutes vis à vis de tes méthodes. Il n'est nulle question de rites ou de lui laisser "trouver la paix", je ne te paie pas pour mener ta petite enquête. Je te paie pour tuer. Car c'est tout ce que vous savez faire, vous, les Sinistraux; alors tu vas me prouver que cette réputation n'est pas exagérée.
-J'imagine que si vous êtes ici, c'est que vous savez parfaitement où se cache le spectre, pas vrai?
Un sourire mauvais apparut sur le visage du comte.
-Vrai.
-Vous saviez parfaitement le lien entre ce spectre et la pièce secrète qui est cachée quelque part dans cette crypte, mais avez choisi de ne pas m'en parler.
-J'ai pensé que tu ne serais pas assez stupide pour la pousser à s'y rendre. D'ordinaire, elle s'en tient éloignée, et c'est pour le mieux; il t'aurai suffi de la tuer dans les ruines et de repartir comme si de rien n'était. Mais maintenant que tu t'es enfoncée dans cette histoire jusqu'aux oreilles, tu me vois obligé de prendre des mesures désagréables... tu vas donc descendre dans la pièce secrète, éliminer définitivement ce fantômes, et je te laisserai sans doute repartir en vie, avec la prime promise. Plus de mauvais coup, plus de magouille. Juste le travail pour lequel je te paie.
Thorn fut tentée de dire qu'il aurait suffit de commencer par là, mais il était clair que si on lui avait caché l'existence de cet endroit, ce n'était pas sans raison, et si on la laissait y descendre, c'était probablement pour faire disparaître un témoin gênant ayant découvert un peu trop de choses vis à vis de cette histoire. Une chose était sûre, cependant: si elle descendait ainsi, on ne la laisserait pas remonter. Elle ne pouvait pas y aller, et pourtant elle devait régler cette histoire une fois pour toute... le silence s'éternisa, alors que le comte et la chasseuse se défiaient longuement du regard. Les pointes des épées des deux gardes s'approchaient de plus en plus de la peau de la Sinistrale, qui se tendait de plus en plus. Sa main était prête à jaillir pour saisir son arme. C'est alors qu'une nouvelle fois, Arnand de Bisar fut celui qui changea la donne.
Mais pas diplomatiquement, cette fois ci, puisque, saisissant le manche de son épée, il en frappa l'occiput du comte avec un bruit retentissant. Surpris, les gardes se retournèrent, et se fut la seconde qui suffit à la chasseuse pour dégainer et trancher dans la chair des deux hommes, qui s'effondrèrent. Elle se jeta ensuite à l'assaut du chevalier, qui para adroitement plusieurs attaques violentes.
-Arrêtez! Arrêtez, Sinistrale, je vous en conjure! plaida-t-il. Je ne veux que régler cette histoire!
-Régler cette histoire alors que tu es celui qui a ramené le comte ici, hein? Cracha-t-elle. Si tel était le cas, tu m'aurai exposé clairement les faits dès le départ.
-Je ne le pouvais point, Sinistrale! J'ignorais si tu tenterai réellement de tuer la princesse, ou si tu essaierai de lever cette malédiction!
-Menteur.
-Ecoutez, vous pourrez me traiter de menteur autant que vous voudrez, mais il nous faut descendre dans cette crypte. Les restes du spectre y reposent!
-Stop! Rugit la Sinistrale en désarmant l'homme d'une violente estocade. J'en ai assez. Tu vas me révéler immédiatement ce que tu sais sur cette affaire, ou bien je pars sur le champ et vous n'aurez qu'à vous débrouiller avec le prochain Sinistral qui passera dans le coin!
-NON! Non, il faut que vous le fassiez... n'importe quel autre se contenterait probablement de faire s'évaporer le spectre, mais pas vous! Je vous en prie, aidez la à trouver la paix...
-Pas tant que je ne saurais pas de quoi il en retourne!
Le chevalier soupira.
-Très bien. Il se trouve que, comme vous l'avez dit, la Grande Epidémie a bien commencé à Aubade, et s'est ensuite répandue à tout le pourtour du Golfe du Pont... Il régnait à l'époque une importante discorde entre le comte d'Aubade, Emerich, et son frère Dolian, qui revendiquait son titre et ses terres. Emerich fut emporté par l'épidémie, mais sa fille, Jeale, était déjà fiancée au duc d'Ysran, et avec elle le titre du comté d'Aubade. Dolian décidé alors de... faire ce qui est souvent fait, pour apaiser la colère des dieux durant les épidémies.
-Un sacrifice... il a offert la gamine en sacrifice!
-Il... l'a faite emmurer vivante dans la pièce secrète, prétextant que c'était à cause des mauvaises actions de son frère que les dieux s'acharnaient sur Aubade. Puis, il s'est ainsi emparé du titre, et, depuis lors, sa descendance règne sur le comté. Mais la malédiction de Jeale frappe les descendants de Dolian, et les Ducs d'Ysran veulent toujours savoir la vérité... une autre vérité que j'ignore, malheureusement, mais qui explique pourquoi les comtes successifs ont tout fait pour éloigner le monde du vieux fort et éliminer son spectre.
Thorn baissa son épée, et regarda autour d'elle, dans la sombre crypte seulement éclairée par les torches des gardes tombées au sol.
-Il y a donc encore autre chose de caché entre ces murs. Grogna-t-elle. Je crois qu'il est grand temps d'ouvrir la pièce secrète... si je me souviens bien du plan, elle devrait se trouver... ici.
Thorn posa sa main sur la paroi, puis donna quelques coups. Des briques, vieilles, mais pas de la roche. C'était bien ici. N'attendant pas plus longtemps, elle effectua une série de gestes amples et vint finir par frapper le mur qui, sous l'effet de l'onde de choc mantratique, se fissura avant de s'effondrer.
Devant la chasseuse, s'ouvrit un long escalier plongeant dans les ténèbres. Elle jeta un regard derrière elle.
-Ramenez le comte avec nous. Lança-t-elle au chevalier. Il est lié à cette malédiction par le sang, qui sait si nous n'aurons pas besoin de lui en bas.
Puis, sans même attendre de réponse, elle s'enfonça sous terre.
***
À mesure que Thorn dévalait les marches, ses poils commencèrent à se hérisser. Une lente et langoureuse pulsation sombre et poisseuse s'élevait des profondeurs, pulsant dans l'esprit de la chasseuse au point de lui faire mal. Elle déglutit.
Elle connaissait cette sensation.
Elle s'arrêta un moment, et le chevalier faillit lui rentrer dedans.
-Pourquoi vous arrêtez vous?
-Une Relique. Cet endroit... porte encore les traces d'une Relique.
-Une quoi?
La Sinistrale lui jeta un regard noir.
-J'espère que vous ne me cachez rien d'autre, Arnand...
-J'avoue ne pas savoir de quoi vous parlez. Avoua-t-il.
Thorn eut une moue, mais n'insista pas. Cependant, elle sortit son épée, dont la lame noire sembla vibrer en réponse à la noire pulsation émanent des tréfonds de la terre. Celle ci brouillait toutes les sensations de la chasseuse et elle n'aimait pas ça. Si un autre danger se présentait face à elle, elle devrait se reposer uniquement sur ses sens pour l'éviter. Elle continua cependant à descendre lentement vers le fond de la crypte.
Quand elle posa le pied sur la salle tout en bas, son visage fut déformé par une grimace. Une odeur immonde, mélange de pourri, de renfermé, d'humidité et d'ozone emplissait l'air, mélange des plus désagréable pour son odorat développé. La pulsation noire était plus puissante que jamais. Et, Sous ses yeux ébahis, faiblement éclairé par la lueur verdâtre surnaturelle des luoles des cavernes, s'étendait les restes d'un antique laboratoire. De vieilles éprouvettes brisées et fissurées recouvraient les paillasses à demi effondrées, au milieu de papiers et parchemins pourris et de squelettes. Des bocaux étaient renversés au sol, et ils devaient avoir, un jour, reposé sur l'une des nombreuses étagères écroulées que la Sinistrale pouvait entrapercevoir dans la semi obscurité. Les murs de la caverne semblaient naturels, à l'exception de l'un d'entre eux, qui devait boucher l'accès au reste du réseau de grotte. Une grande bannière délavée pendait à un mur, représentant un immense nuage rouge. À sa vue, Thorn fronça les sourcils.
-Incroyable. Murmura la Sinistrale. J'ignorai que le monde souterrain s'étendait jusqu'ici...
-Vous voyez quelque chose, vous?
-Oui. Mais restez sur vos gardes... de ce que je peux voir, c'est un laboratoire. Et si je ne me trompe pas...
La guerrière se baissa pour toucher un des résidus que les bocaux avaient dû retenir.
-... j'ai bien peur de savoir à qui il a appartenu. Finit-elle d'un air sombre.
-Partez... murmura une petite voix étouffée, provenant d'un coin de la pièce.
Thorn se retourna instantanément. C'était la petite fille, brillant faiblement dans un coin. Elle était tremblante, et des larmes désincarnées glissaient le long de son visage indistinct pour s'évaporer en gouttes de lumière durant leur chute. Et, à côté d'elle, se tenait une forme sombre, indistincte, et noire comme la suie, si noire que Thorn, malgré ses sens développés, ne distingua sa présence que grâce à son léger mouvement.
La Sinistrale se figea. C'était la chose qu'elle avait entrevue plus tôt dans la nuit. La vibration résiduelle terrible l'empêcha de tendre son esprit pour en toucher l'aura, mais une chose était sûre: cette chose n'était absolument pas amicale.
-Arnand! Courez! Remontez! Hurla-t-elle, mais il était trop tard.
La chose étira ses longs bras difformes vers le chevalier, et bondit à une vitesse terrible. Elle avait d'immenses yeux blancs et larmoyants, et de longs cheveux noirs semblables à des fils qui fouettaient l'air. Son apparence était humanoïde, mais elle son visage noir, indistinct, privé de toute émotion à l'exception de la colère et de la tristesse évoquée par ses grands yeux vides, était terrifiant. Il s'abattit sur le chevalier, avant que Thorn n'ait le temps de s'interposer.
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