Requiem Amnesiam IV
-Veuillez excuser son excellence, Sinistrale.
-Vous me vouvoyez, maintenant?
-Eh bien... si cela vous sied mieux, je peux vous tuto...
-Peu m'importe. Tout ce que je sais, c'est que votre comte est bien loin de tout me dire.
-Vous non plus, apparemment! J'ignorai que vous aviez un quelconque lien avec la couronne.
-Le comte parle de liens qui ont été rompus il y a bien longtemps déjà, Arnand. Et cela n'a rien à voir avec cette histoire.
-Au contraire! La couronne est très favorable au duché d'Ysran, qui, depuis longtemps déjà, revendique le comté. Votre venue pourrait signifier qu'ils mettent leur menace d'invasion à exécution, et que le Royaume ne fera rien pour l'empêcher. D'autant plus que les villageois disent qu'ils vous ont vue arriver depuis la route de la capitale.
-Je me fiches de la politique, Arnand. J'ai rompu les liens que j'avais avec l'Illyrie il y a plus des années. Et oui, j'étais à la capitale, afin de rendre mes derniers hommages à l'ancienne reine.
-Clémence? Elle est décédée il y a plus de vingt ans déjà.
-Vingt ans, oui... murmura la Sinistrale en glissant le long d'un couloir, telle une ombre suivie par le chevalier.
Un silence se fit, qu'Arnand finit par briser.
-Êtes vous déjà passée par Aubade, Sinistrale?
-Il y a longtemps, oui.
-Longtemps comment?
-À l'époque de la Grande Épidémie. Il n'y avait plus grande chose, par ici.
-La Grande... !! Mais quel âge avez vous, au juste?
La Sinistrale se retourna pour lui faire un sourire mauvais, laissant apparaître ses innombrables dents pointues.
-On ne demande pas son âge à une dame, Chevalier. Tout ce que je peux dire, c'est qu'à l'époque, l'épidémie à tout bouleversé. Et quand j'ai appris qu'elle avait peut être commencé à Aubade, j'y suis venue. C'est tout. Attention, je crois que notre amie est cachée dans cette pièce...
-Cette pièce? Mais... c'est la chambre du...
Thorn n'attendit pas la fin de sa phrase pour ouvrir l'imposante porte et pénétrer dans la grande pièce richement décorée de tapisseries, mobiliers et verroterie en tous genre, au centre duquel trônait un grand lit à baldaquin, dont les couvertures étaient recouvertes par une large broderie représentant un soleil couchant. La Sinistrale traversa la pièce d'un bond pour regarder derrière le lit, où était allongée en pouffant la petite fille, qui éclata de rire en voyant Thorn.
-Tu m'as encore trouvée! Tu es trop forte!
-Il faut dire que les cris de peur des servantes ont plutôt aidé.
-Tu as vu? Pouffa la petite fille. Je n'ai même pas eu à prendre ma tête-qui-fait-peur pour qu'elles hurlent.
-J'imagine. Bon, comme tu peux le voir, je suis accompagnée de...
Thorn fronça les sourcils en réalisant qu'elle ne sentait plus la présence du chevalier derrière elle, et se retourna. En effet, il avait disparu. Mais, surtout, elle ne l'avait pas senti s'éloigner. C'était comme s'il s'était tout simplement... évaporé. La Sinistrale plissa les yeux, mais son petit sourire laissait paraître le fait que, dans son esprit, les choses commençaient à prendre forme.
-Bon, princesse, j'ai le droit à deux questions, puisque tu as décidé de venir te cacher dans ce château et que ce n'était pas compris dans les règles.
-D'accord, d'accord... mais on continue à jouer, hein?
-Jusqu'au soleil levant s'il le faut. Tout d'abord, est ce que Monsieur Lune porte un blason particulier sur son habit?
-Oui, un croissant de lune! Pourquoi crois tu que je l'appelle monsieur Lune? T'es bête, tu sais...
-Oui, je ne le sais que trop bien... et deuxième question: quelle est la chose qui habite au sous sol du château, dans la crypte.
La petite fille fronça les sourcils.
-La crypte? Quelle crypte?
-Eh bien, celle au sous son du donjon, bien sûr.
-Il n'y a pas de sous sol dans le donjon. Rigola la petite fille. Tu essaie de me faire marcher, mais moi, je marche pas! Hahaaa!
-Et la... chose qui habite avec toi dans les ruines?
-Il n'y a personne d'autre, sinon je jouerai avec elle... quand il n'y a pas Monsieur Lune ou toi, je m'ennuie tellement... bon, on continue?
-D'accord. Mais, cette fois ci, tu as le droit de te cacher dans ce château aussi, d'accord? Trouve le meilleur endroit pour te cacher, le plus secret du fort, celui où on enfermerait le plus gros des secrets.
-Olala... ça va pas être facile, c'est la première fois que je viens ici. Tu me laisses un peu plus de temps, d'accord?
-D'accord. Lui répondit Thorn en souriant.
-Thorn?
-Oui?
-Pourquoi tu as les dents pointues?
La sinistrale, un peu prise de court, ricana.
-Pour mieux manger ceux qui voudraient te faire du mal. Allez, vas te cacher.
Le spectre disparut au travers de l'un des épais murs de pierre, tandis que Thorn, après avoir vérifié que son garde attitré n'était pas revenu, commença à farfouiller dans la chambre du comte. Elle y trouva plusieurs lettres et parchemins validant les dire d'Arnand, à savoir que le duc d'Ysran semblait en effet déterminé à posséder les terres d'Aubade, de gré ou de force, en vertu d'un ancien accord passé avec les comtes d'Aubade, mais jamais accompli. Le duc, dans une des lettres sur lesquelles Thorn réussit à mettre la main, balayait un argument du comte qui semblait en lien avec la Grande Épidémie.
-Plutôt ancien, comme querelle... marmonna la Chasseuse. Quand le vieux fort a-t-il été abandonné? Il me faudrait l'accès aux archives... avec un peu de chance... c'est là que ma petite princesse sera allée se cacher.
Thorn jeta les parchemins sur une petite commode encombrée de paperasse, et se concentra pour localiser la présence de sa petite fugueuse de fantôme. Elle ne tarda pas à sentir sa présence, mais réaliser que cela ne l'aidait pas autant qu'elle s'y attendait dans le dédale de couloirs, salles, passages et cours du château, qui ne semblait pourtant pas si grand vu de l'extérieur. Elle finit tout de même par trouver un escalier qui lui permit de descendre à l'étage inférieur, avant de se diriger plus ou moins adroitement vers la provenance de la signature si particulière de l'aura de du spectre. Elle arriva devant une porte imposante et lourde, mais soigneusement fermée par des verrous.
-Elle est là dedans... parfait. Murmura la Sinistrale. J'adore cette gamine.
Si ce n'était pas la salle des archives, Thorn ne savait pas ce que ça pouvait être; elle avait visité assez de châteaux au cours de son existence pour avoir une bonne idée des habitudes architecturales et utilitaires en vogue. Son épée chargée de mantra lui suffit à faire sauter la serrure principal, et elle pénétra dans une grande salle emplie de rangées de parchemins poussiéreux, entassés dans des casiers en bois sculpté du plus bel effet, accompagnés de quelques livres et épais volumes. Il y régnait une atmosphère légèrement étouffante et l'odeur de vieux livre commune à toute bibliothèque. Cette odeur emplit la chasseuse de nostalgie, mais la fit également frissonner. Son expérience lui avait appris à toujours être sur ses gardes dans de tels lieux, et c'était une habitude que seules les Sinistraux pouvaient comprendre... il n'y avait sans doute aucun démon antique rôdant entre les rayons, mais Thorn garda tout de même son épée hors de son fourreau.
Un rapide coup d'oeil lui permit de comprendre que le comte, contrairement à d'autres nobles, semblait venir régulièrement dans cette partie de son palais et la garder en bon état - ou alors, avait-il engagé quelqu'un pour le faire - car tout était parfaitement bien classé. Des tomes sur l'art de la guerre s'étalaient à sa droite, en face de volumes sur l'histoire des Baronnies et d'Alodya. Thorn eut un demi sourire en voyant apparaître un volume de La Geste de Kiine, récit Nordique contant les aventures de la Dragonicide et impératrice du second Empire Nordique, ou une version récente des Rêveries, par Cassiopée Peritas, célèbre aède et poétesse du Pont dont les œuvres très tournées sur la sexualité entre femmes étaient souvent bannies aux baronnies, ce genre de mœurs y étant grandement moins acceptées que plus au nord. Thorn s'arracha à ces observations, et longea plusieurs étagères. Elle savait la petite spectre toute proche, et elle la trouva en effet dans un coin sombre de la pièce, sa légère scintillance gâchant la cachette prodiguée par l'obscurité.
-Mais qui voilà donc? Ricana Thorn.
-Zut! Ton idée de cachette était bonne, mais j'aurai pas du la suivre puisque c'est toi qui l'a donnée...
-Bien vu, ma petite.
Thorn revint aux rayonnages. Devant elle, se trouvait ceux dédiés aux archives des comtes. Elle semblaient ne pas dater d'avant la Grande Épidémie, ce qui conforta la chasseuse dans l'idée que le vieux fort avait été abandonné à cette époque. Était-il possible que la petite fille soit une des victimes de cette maladie meurtrière qui avait rendue exsangue la population des Baronnies et du Pont, presque un siècle plus tôt? Mais alors pourquoi autant de mystères? Et pourquoi le spectre n'avait-il aucun souvenir de qui elle était, ni de l'existence de la crypte ou de la chose qui y vivait? Quelque chose reliait ces choses à la mort de la petite, et expliquait sans doute la raison pour laquelle le comte était aussi attaché à sa mort... cependant, le comte n'était pas vivant à l'époque de la Grande Épidémie, ses ancêtres devaient donc lui avoir laissé les clefs de ce mystère en héritage, et probablement quelque part dans ces volumes... mais Thorn n'avait clairement pas le temps de tous les fouiller. Elle retourna cependant quelques uns des plus vieux livres et parchemins sous le regard étonné de la petite fille. Et là, la Sinistrale fit une découverte intéressante.
-Ah! Ça, j'aime bien... sourit-elle en étalant le vieux parchemin noirci par le temps et l'humidité.
-Qu'est ce que c'est, Thorn?
-Un plan. Plus précisément, celui du vieux fort. Il est daté de quelques temps avant la Grande Épidémie, j'imagine que ça signifie que le comte de l'époque a dû y apporter quelques modifications ou faire quelques travaux. Là. Regardes. Tu vois, il y a bien une crypte sous le donjon, mais elle est même antérieure à ce plan.
Le regard de la petite fille se troubla.
-Je... tu es sûre que c'est un vrai plan? Moi, je n'ai jamais vu la moindre crypte.
-J'en suis sûre, parce que j'y suis descendue pendant que je te cherchais. Comment est-il possible que tu ne connaisse pas son existence, alors qu'elle est visible de tous les étages percés du donjon? Et...
Un détail attira l'attention de la chasseuse.
-Attends voir... je n'ai pas vu cette pièce dans la crypte. Il y avait un mur à la place de cette porte...
-Tu... tu mens. Il n'y a... pas de crypte. Il... n'y a pas de... pièce secrète... non...
Intriguée, la Sinistrale se tourna vers la petite fille en fronçant les sourcils.
-Petite? Qu'est ce qui t'arrives?
-Non... Non...
La petite fille se tenait la tête entre les mains, comme si elle cherchait à empêcher quelque chose d'en sortir. Ses lèvres indistinctes tremblaient dans la lueur feinte de son propre corps, et ses yeux écarquillés semblaient voir des choses invisibles à ceux de la chasseuse.
-Hey! Petite! S'exclama cette dernière en se jetant sur elle. Calme toi, d'accord? Resp.. enfin, non, tu ne peux probablement pas respirer, mais essaye de te calmer, d'accord? Dis moi ce qui se passe.
-Non... je... veux pas me... souvenir... non... NON!
Une violente vague d'énergie explosa du corps de l'apparition lorsqu'elle cria, et Thorn fut percutée de plein fouet par sa puissance et projetée à travers la pièce contre une étagère qui s'effondra sous le choc. Elle se releva immédiatement, un peu chancelante, seulement pour entrevoir la silhouette diaphane disparaître à travers un mur. Elle sentait tout de même la vibration torturée et irrégulière de la petite fille se diriger droit vers les ruines.
-Bordel de... j'imagine qu'il est temps de rendre une nouvelle visite à cette foutue crypte. Grinça la chasseuse en ramassant son arme et en s'élançant dans les couloirs du château.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro