La Dictature du Sang II
Impuissante, la paysanne vampirisée observa les maisons s'envoler dans les flammes, alors qu'à l'intérieur, ses camarades criaient des douleur. Des larmes roulaient le long de ses joues pâles, et elle restait prostrée, sur le sol, immobile auprès de la Chasseuse qui restait elle même sans bouger derrière le puit.
-Tu peux te lever? Demanda finalement cette dernière.
-Tais toi! Laisse moi! Tue moi!
-Faudrait savoir.
-Tu n'as pas... la moindre idée de ce que nous avons vécu... de ce que nous avons dû faire! Tu n'es... qu'une exécutante. Une tueuse qui se fiche bien du sort de ses victimes...
Thorn la fixa quelques instants, puis elle sortir de sa bourse une petite gélule qu'elle avala, avant de parler.
-Un jour, l'un de vous est devenu étrange après être parti du village - probablement dans la forêt. Il était très malade, ne mangeait plus rien, et ne pouvait plus sortir dehors - pas en plein jour, en tout cas. Ça a été le premier vampirisé du village. Puis, en fonction de sa capacité de résistance au pouvoir du Vilkolakis, il a soit convaincu quelqu'un de le suivre dans la forêt, ou alors vous avez décidé d'y aller vous même. Il y a eu de plus en plus de malade. Bientôt, tombaient malade même ceux qui restaient chez eux la nuit. Le Vilkolakis était devenu assez brave pour venir se nourrir à même le village. Vous avez peu à peu pris conscience que vous aviez été vampirisé, et que vous ne pouviez rien y faire. Vous perdiez peu à peu votre libre arbitre pour obéir aux ordres de votre nouveau maître. Ceux qui ne comptaient pas encore parmi ses victimes ont été conservés en vie, comme réservoir de sang pour vous, car vous ne vouliez pas les livrer au Vilkolakis, alors vous avez commencé à lui amener les voyageurs qui passaient dans le village. Quand il a faim, il boit leur sang, et ceux qui survivent viennent vous rejoindre, ou bien meurent lors de la transformation. Sinon, ils deviennent des réservoirs de sang pour vous. Et c'est ainsi que vous avez vécu durant les derniers mois - hm, je dirai même années, vu l'ampleur de l'infection.
-Comment... le sais-tu? Murmura la vampire, dont le corps était parcouru de spasmes.
-C'est ainsi que se passe quasiment toutes les attaques de Grand Vampire Blanc, qu'on appelle aussi Vilkolakis. Il transforme ses victimes en esclaves dociles, mais ceux ci conservent une autonomie partielle, contrairement au Grand Vampire Noir. Ils ne peuvent désobéir à la volonté de leur maître, et lui amènent donc des proies. Le Vilkolakis peut donc se nourrir en toute sécurité, car c'est ses propres victimes qui lui apportent son repas. Par contre, il devient plus visible, car une bande de vampire assoiffés... laisse des traces. Vous auriez dû boire du sang animal pour limiter le nombre de victime, vous seriez passés inaperçus plus longtemps. Vous le pouviez. Lui, non.
-Peu importe le temps où l'on survit lorsque notre vie est condamnée... murmura la blessée.
-C'est ce qu'on peut se dire. Pourtant, il y a encore beaucoup de choses inconnues vis à vis de ces créatures. On est jamais à l'abri d'une surprise. Par exemple... une victime vampirisée étonnamment loquace et libre du joug de son maître.
Thorn fit craquer la gélule sous ses dents. Un délicieux goût de miel envahit alors ses papilles, et elle frissonna, calmant ainsi ses tremblements alors que la lumière des flammes était projetée sur la maison devant elle. Elle attendit longuement que cette lueur diminue, dans un silence que seul brisaient le crépitement du feu et les sanglots de la vampire. Puis, quand il ne resta plus que de légères flammes, la Chasseuse se leva.
-Où est le Vilkolakis?
La vampire fixa Thorn avec des yeux pleins de doute et de conflit. Les mots qu'elles prononça semblèrent arrachés à sa gorge avec une violence indescriptible.
-Dans... la... forêt. Tu... sentiras l'odeur... des cadavres de ceux qui ne... se sont pas réveillés.
-En effet... tu résistes étonnamment bien à l'emprise du Vilkolakis sur ta volonté... impressionnant. Tu dois avoir une forte affinité avec le mantra.
-Le... quoi?
-Rien. Reste immobile et ne bouge pas. Si à l'aube je ne suis pas revenue, ordonne aux survivants de s'enfuir le plus loin possible, mais ne pars pas avec eux.
-Ils sont... épuisés. Ils ont perdu beaucoup de sang, même si j'ai tenté de limiter la casse...
-S'ils restent, ils mourrons.
-Et... que va-t-il advenir de moi?
-Si je ne survis pas, les choses recommenceront probablement. Sinon... eh bien je l'ignore. Je n'ai jamais laissé de vampire en vie avant de tuer leur maître. Nous verrons bien.
Thorn garda son arc à portée, et enleva son long manteau pour ne pas être gênée dans ses mouvements, révélant une tenue noire proche du corps, renforcée en plusieurs lieux par des plaques de cuir ou d'acier. Bien loin des tenues féminines si courantes ou des lourdes armures des chevaliers, cette tenue semblait lui proférer protection et liberté de mouvement équilibrés. Elle traversa la place du village d'un pas leste et agile, mais en prenant soin de rester loin des flammes et des braises encore chaudes. Elle jeta un dernier regard en arrière vers la jeune vampire, allongée sur le sol, et lança.
-Dernière question. Ce Vilkolakis... est-ce qu'il sait parler?
De là où elle se trouvait, Thorn put tout de même voir les sourcils de la vampire se froncer, malgré la pénombre que ces yeux pouvaient percer sans la moindre difficulté.
-Non... on... ressent ses besoins... dans nos têtes.
Thorn eut une moue qui aurait pu s'apparenter à de la déception, mais son visage fermé était bien difficile à lire. Elle jeta un regard circulaire sur la place du village. Puis, elle pénétra dans la forêt.
L'odeur de chair en putréfaction ne tarda pas à empuantir l'air. Comme Thorn s'y attendait, la puanteur avait attiré les charognards et les nécrophages. L'ouïe développée de la Chasseuse entendit le déplacement brutal des draugar et le bruit de succion immonde de leur repas. Elle sentit également le fourmillement des fourmis carnivores sur le sol, en train de déchiqueter la peau des pauvres hères sans le moindre répit. L'odeur immonde empuantissant l'air laissa aussi comprendre à Thorn qu'elle était sur le territoire d'un Kasha, autrement plus dangereux que les dizaines de Draugar qui se bâfraient sous les frondaisons. Le reste des êtres vivants, les vrais animaux, pas les monstres, se terraient loin de ce repaire de prédateurs. Et Thorn les comprenait. Bien qu'elle eut été tentée de faire le ménage parmi tout ce petit monde pullulant, elle choisit de se concentrer sur sa tâche principale, et, accessoirement, l'être le plus dangereux qui pouvait l'attendre dans cette forêt. Les Vilkolakis aimaient vivre en intérieur, il devait donc s'être installé dans des ruines ou bien dans une grotte - probablement là où la concentration de cadavre était la plus forte. La jeune femme bifurqua donc vers les grognements des draugars, non sans avoir évité soigneusement du regard les deux énormes yeux jaunes du kasha, qui l'observaient depuis les frondaisons. Tant qu'elle ne s'en prenait pas à son garde manger, il devrait la laisse tranquille. Ces nécrophages à l'allure féline, malgré leur dangerosité et leur gout pour la chair humaine, n'aimaient pas trop la confrontation directe.
Ce n'était pas le cas des draugars. La Chasseuse savait que dès qu'ils l'auraient sentie, ils se dirigeraient vers elle. Elle se déplaça alors lentement, avec délicatesse, parmi les buissons qui tapissaient le sous bois, jusqu'au charnier. Comme elle s'en doutait, elle aperçut la bouche béante et sombre d'une grotte toute proche. Elle n'en doutait pas un instant: le Vilkolakis s'y trouvait. Elle sentait la présence lourde et pesante du monstre. Sans se soucier outre mesure des nécrophages, Thorn s'avança à pas feutrés vers l'antre du monstre. Il y régnait l'humidité si prisée par les bêtes de son espèce, ainsi qu'une odeur relativement moins forte qu'à l'extérieur puisqu'aucun corps n'y était conservé, le Grand Vampire n'ayant nulle nécessité de conserver les corps exsangues de ses victimes.
Les vibrations excitées du monstre indiquèrent à la Chasseuse son état de peur et d'agressivité. Il se savait traqué. Il savait que ses fidèles esclaves avaient péri pour la plupart. Il savait que nul ne viendrait le défendre désormais, et se terrait donc au fond de son trou, dans l'espoir d'échapper à son chasseur. Thorn dégaina sa longue épée à lame noire. La lame de Sépulcrale eut un reflet assoiffé de sang, et Thorn partageait son impatience. La frénésie du combat lui manquait, la sauvagerie de la chair tranchée, du sang qui coule, du danger et de la mort... elle l'appréciait, la recherchait. Elle savait que ce genre de pulsions délétères était mal perçues au sein des sociétés intelligentes, c'est pour cela qu'elle se sentait si bien lorsqu'elle chassait loin d'eux. Néanmoins, son impatience ne lui fit pas oublier la prudence. Un monstre acculé est un monstre qui n'a plus rien à perdre, et il n'est jamais bon de les sous estimer.
Thorn descendit peu à peu dans l'obscurité de la caverne, et, au détour du boyau principal, elle le vit. Accroché au plafond par ses pattes arrières griffues, le Vilkolakis aurait pu passer pour humain portant un long manteau noir, si ce n'était pour ses yeux jaunes, son nez si aplati qu'il semblait inexistant, son crâne chauve orné de deux oreilles démesurées et sa peau blanche. L'étrange manteau qui semblait l'habiller était en réalité ses deux grandes ailes, qui lui permettaient seulement de planer sur de courtes distances, mais dont la solidité lui offrait une certaine protection. La lueur sauvage et cruelle luisant dans les yeux du monstre n'avait, elle non plus, rien d'humain.
Le Vilkolakis rugit violemment, et se jeta sur Thorn en un piqué mortel, que la jeune femme évita de justesse avant d'abattre son épée sur la bête, qui l'esquiva avec une rapidité surnaturelle, se servant autant de ses ailes que de ses pattes arrières pour se déplacer. Il rugit de nouveau, avant de commencer à tourner autour de la Chasseuse, qui l'attendait, la lame tendue devant elle, sans le lâcher des yeux. Vu de plus près, il était encore plus grand, environ trois mètres de haut. Les griffes ornant le bout de ses ailes cliquetaient sur les roches de la grotte. Les deux adversaires s'observaient, se jaugeaient, se jugeaient.
Thorn sentit venir l'attaque suivante, mais cela ne lui fut que de peu d'aide au vu de la rapidité avec laquelle les griffes du monstre vinrent entailler la chair de son bras. Elle parvint tout de même à faire glisser son épée de manière à transpercer le tissu de l'aile par l'intérieur, duveteux et bien moins résistant. La lame jaillit dans un léger filet de sang, et d'une torsion du bras, elle fila au travers de la chair, déchirant la membrane sur son passage dans le cri de douleur du monstre. Thorn saisit l'os de la deuxième aile à main nue lorsque celle-ci frappa, retenant les griffes mortelles à quelques centimètres seulement de son visage. Le Vilkolakis rugit, étonné de voir cet être capable de soutenir la violence de son assaut d'une seule main, mais plongea son visage terrifiant vers le cou de la jeune femme en brandissant une rangée de dents coupantes comme des rasoirs. Thorn sauta en arrière, et la mâchoire claqua proche de sa gorge. Cependant, elle trébucha sur le sol inégal de la grotte, et tomba à la renverse. Le monstre en profita pour se jeter en avant. Mais avant qu'il n'ait pu réaliser son erreur, la guerrière s'était déjà rattrapée avec une agilité surhumaine. Entrainé par son élan, il ne pu que partiellement éviter le tranchant de l'épée dirigée vers son corps blanc, et celle ci vint percer le flanc gauche du Vilkolakis, qui hurla de douleur en se jetant en arrière.
Thorn se releva. Elle était en sueur, couverte de poussière et de sang, le sien et celui du monstre. Pourtant, un sourire carnassier ornait son visage, laissant apparaître, bien visible, ses dents anormalement longues et pointues pour une humaine. De sa main libre, puis en l'accompagnant du reste de son corps, elle effectua une série de geste vifs et fluides. Le sang qui formait une flaque sous le Vilkolakis s'anima alors, et, s'élevant en une série de gerbes pointues qui vinrent transpercer traitreusement le monstre par dessous. Le Vilkolakis poussa un hurlement noyé dans son propre sang, et, aveuglé par la soudaine douleur, ne vit pas la lame de Thorn filer dans l'air.
Sépulcrale siffla, et trancha. La tête du monstre décolla. Et alla rouler plus loin dans la grotte, tandis que l'imposant corps s'écroula.
***
Thorn surgit de la forêt peu avant les premières lueurs de l'aube. La vampire, maintenant debout, appuyée contre le puit, semblait toujours en mauvais état, mais bien vivante, et un peu sonnée. Elle tourna ses grands yeux vers la Chasseuse, qui trainait un grand sac ensanglanté.
-Tu... as réussi... murmura-t-elle avec émotion.
-Et tu t'en sors également plutôt à bon compte.
-C-Comment te remercier?
-En partant loin d'ici. Peu importe si je libère les villageois survivants, la méfiance restera. Si un seul autre cas de vampirisme est découvert dans la région, le duc jettera ses troupes à l'assaut du village et les exterminera. Tu as peut être survécu, mais tu ne peux rester avec eux.
-Je... le sais. Je vais partie. Essayer de survivre malgré... ça.
Elle montra ses deux canines légèrement plus développées que la moyenne, et sa peau aussi pâle que celle d'un mort. Thorn ricana légèrement.
-Ce n'est pas quelques dents qui vont te poser problème. Plutôt le fait de te nourrir sur des humains. Prends garde à toi... euh...
-Selkie. Merci mille fois encore, Thorn de Brocéliande. Les gens ont beau dire de nombreuses choses horribles sur les Sinistraux... après t'avoir rencontré, je peux affirmer qu'elles sont fausses.
Thorn lui rendit un léger sourire qui pouvait avoir mille significations.
-Il est un peu tôt pour tirer ce genre de conclusion. Adieu, Selkie. Fais bien attention à toi. Protège toi du soleil, et surtout des humains.
-J'y ferai attention. Répondit la jeune vampire en se dirigeant vers le bois d'où Thorn venait de sortir. Que les dieux te soient favorables, Thorn. Et je prie pour que nos chemins se recroisent.
Sur ces mots, l'obscurité de la forêt l'engloutit alors que les premiers rayons de soleil percèrent le ciel d'une couleur rouge. Thorn soupira. Tout s'était plutôt bien passé, pour une fois. Elle en était satisfaite
-Bon... tirer les survivants de leur geôle, avant d'aller récupérer la récompense, et enfin une bonne nuit de sommeil. Au boulot, ma vieille.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro