Pourquoi fallait-il qu'il s'intéresse à une fille qui a 6 ans d'écart avec lui et, qui plus est, la fille de sa patronne sanguinaire ? Et encore, « s'intéresser » est un euphémisme pour parler des sensations qu'il lui prend lorsqu'il voit Cassiope. D'habitude, il se contrôlait. Il avait fini par s'y faire. Elle le regardera bien un jour ! Se disait-il.

Mais aujourd'hui, lorsqu'elle passa sa tête de la tente crasseuse, il ne put s'empêcher de la prendre et de la serrer contre lui, soulagé de la voir avec le sourire, sans marque apparente. Il posa ses mains sur les joues de la brunette pour planté son regard dans le sien :

-Tu vas bien ?

-Oui, Yui, t'inquiète pas. Je suis juste allée chercher des armes avec ma mère. Dit-elle en riant et en se séparant de lui. Tu pourras m'apprendre à les utiliser ?

-Bien sûr.

  Un sourire réapparut sur son visage jusqu'à ce qu'il croise, non plus le regard de sa douce, mais celle de sa chef, pour le perdre immédiatement. Il demanda, à ce moment précis, pourquoi l'univers avait-il décidé de le rendre accro à la jeune femme ? Il s'écarta encore un peu plus de Cassiope et Sinistia lui adressa un demi-sourire qui voulait dire : je préfère ça.

  Ils rentrèrent à pieds jusqu'à leur nouveau QG, Sinistia en tête, suivis par Cassiope et Yui qui semblaient ne plus être capable de se quitter. Elle les avait même surpris, une nuit, à discuter dans le jardin, pendant qu'elle se faufilait vers la chambre de Henri. Elle n'aimait pas ça. Sa fille méritait mieux qu'un mercenaire. Elle méritait quelqu'un qui pourrait lui faire vivre la vie dont Cassiope rêvait. Sa mère était presque sûre que ce serait dans une tour d'observation, accompagnée de pleins de livres et d'expériences farfelus. Sa fille n'aimait pas se battre. Sinistia était heureuse et fière qu'elle l'ai rejointe mais elle savait que ce n'était pas ce que la brunette voulait vraiment. Sans parler du coté sombre de Yui, qui l'avait surpris plus d'une fois. Et pour la surprendre, il fallait y aller.

Non, elle n'aimait pas ça du tout.

  Puis l'image de Guiseppe lui revint en tête. Ils devaient avoir à peu près le même écart d'âge non ? Et pourquoi elle repensait encore à lui ? Il n'arrêtait pas d'encombrer ses pensées depuis le marché. Il était mort et enterré. Il était temps qu'elle se fasse une raison.

☼

  La journée se passa sans encombre pour Sinistia, observant, depuis sa chambre au dernier étage, sa fille s'entraîner dans le jardin avec Yui et Henri. La plus vieille profita de cette journée pour concocter un plan pour débusquer le fameux Jenkins. Elle se leva de son voltaire en trombe lorsque tout c'était mit en place dans sa tête et descendit les marches quatre à quatre, claquant la porte sans prévenir les autres qui ne relevèrent pas. Elle marcha d'un pas rapide vers le nord de la ville, derrière le château de la reine de glace. Elle cacha son minois et ses cheveux roux derrière sa capuche et rentra ses mains dans ses poches lorsqu'elle arriva vers le quartier du paon qui rit. Toute la partie nord de la ville était cachée du soleil par l'immense bâtisse de la reine, perpétuant la nuit jusqu'à seize heures de l'après-midi pour reprendre quelques heures plus tard. Le quartier du paon qui rit ne faisait pas exception. La nuit apportait le vice sur cette partie de la ville, qui semblait ne plus pouvoir s'en défaire. Par les commerces de sorcières et sorciers frôlant le légal et le moral, l'institut des assassins, en passant par la caserne et le bordel, le quartier était souvent agité. La crasse y avait élu son domicile depuis bien longtemps et se refusait de partir, comme incruster dans ce décor frémissant. Sinistia n'y prêta pas attention. Elle avait l'habitude de se traîner dans ce genre de quartier, même toute jeune avec Guiseppe... Encore lui ! Elle secoua la tête pour le chasser de ses esprits et longea les murs en briques rouges défraîchies par le temps. Les immeubles, collés les uns aux autres, semblaient tenir dans un équilibre précaire.

Sinistia ne croisa personne à cette heure de la journée. Tout le monde cuvait son vin ou tuait son prochain. Elle tourna à droite pour se retrouver face au Moulin Rose.

  L'énorme moulin semblait à sa place avec sa crasse et ses néons roses allumés quatorze heures sur vingt quatre mais il se distinguait des autres par sa hauteur, sa superficie et son architecture, hé bien... C'était tout de même un moulin au milieu de la ville ! Il semblait bien à l'étroit entre les deux immeubles d'à côté. La grisaille de la devanture trahissait aussi d'une blancheur et d'une gloire passée, lorsque les filles étaient plus belles et le spectacle plus encore. Sinistia poussa la porte en bois pour entrer dans la salle de spectacle. A sa droite, les vestiaires, à gauche, le bar. Elle se décida pour le bar où une barman solitaire nettoie des verres et s'assit sur un des tabourets en hauteur.

-Un verre ? Il est un peu tôt pour ça non ? Dit la brunette en souriant de toutes ses dents.

  Sinistia sourit à son tour. Elle était la seule cliente dans la salle. Elle jeta un coup d'œil vers la scène au fond de la salle où des filles s'étiraient. Devant les danseuses, des tables et des canapés étalés un peu partout, couvert de velours rouge. Au premier étage, on pouvait voir dépasser les loges des plus riches. Des petites lumières étaient disposés avec attention, pas trop lumineuse, pour laisser une certaine obscurité permanente, mais assez pour voir le spectacle. C'était une ambiance douce et chaude qui enivrait la pièce.

-Non, je voudrais m'entretenir avec M.me Câline au sujet du diamant s'il vous plaît.

-Elle est dans son bureau, je monte la chercher. Mais attendez, (Sinsitia venait d'enlever sa capuche) vous seriez pas celle qui à ramener Kidmann justement ? La patronne n'arrête pas de parler de vous. Elle l'adore, son diamant.

-C'est bien moi.

  La barman laissa seule Sinistia avec un scotch, offert par la maison, et revint quelques temps plus tard avec la propriétaire du club, M.me Câline. Une grosse femme blonde sans scrupule qui adorait ses filles, enfin tant qu'elle leur rapportait gros. Le diamant était sa préférée, ramené par Sinistia quelques années plus tôt. La rousse aurait bien gardé le diamant avec elle mais la jeune femme ne supportait plus devoir encore et encore auprès de Sinistia, préférant gagner sa croûte durement, mais elle-même. Alors la rousse l'avait amené ici, pas le meilleur travail du monde, mais madame Câline, sous ses airs extravagants, connaissait du monde et protégeait celles sous son toit. De plus, elle était très bien au moulin rose, caché de ceux qui pourrait la traquer.

-Ma chère Sinistia, que me vaut ce plaisir ? Dit-elle en l'embrassant. Ça fait tellement longtemps ! Je pensais que tu reviendrais me voir plus tôt !

-Hélas non ! Je n'ai pas vraiment eu le temps. Je viens ici pour te demander deux grands services. J'ai été engagé pour une mission spéciale et j'ai besoin du diamant pour cela.

-Alors c'est vrai ce qu'on raconte avec la reine ? Tu travailles pour la couronne maintenant ?

  Sinistia ria et passa une main dans ses cheveux, un air idiot sur le visage qui ne berna pas le moins du monde la patronne. Ses petits yeux marrons de fouine se plissèrent.

-On dirait bien que oui ! S'exclama la rousse.

  Madame Câline sourit de toutes ses dents et une étincelle s'éclaira dans ses yeux avant de repartir aussitôt pour reprendre une figure plus humble.

-D'accord, mais pas une égratignure sur ma Kidmann. Tu sais comme elle m'est précieuse. Tu le payeras cher. Mais je ne peux pas te la refuser. Tu me l'as amené après tout. Kat ! Elle interpella la barman retourné à ses verres, s'étant faite discrète pour tout entendre. Va me chercher le diamant. Elle doit être dans sa loge.

-Dites-lui de prendre des vêtements pratiques.

  La barman hocha la tête et s'exécuta dans un souffle. Elle en avait ras le bol des allers et venues dans les escaliers. La patronne l'ignora pour revenir sur Sinistia qui l'intéressait vraiment à présent. Une fois le deuxième service rendue, Sinistia lui en devrait un. Elle planta ses petits yeux bruns dans ceux verts avec une pointe de dorée dans chaque œil de la mercenaire.

-Vous a-t-on déjà dit à quels points vous aviez de beaux yeux madame Câline ?

-Pas de ça entre nous Sinistia. ( Elles s'installèrent sur une des tables face à la scène, avec toujours son scotch pour la mercenaire et un verre de vin rouge pour la patronne. ) Quel est donc ce deuxième service ?

-Vous connaissez un certains Jenkins ? Il travaille pour la reine.

-Le trésorier ? Plutôt bien. Il m'a déjà demandé des filles si tu veux savoir. Mais il a décommandé au dernier moment. Drôle de type si tu veux tout savoir. Il passe son temps à son manoir en haut de la colline de Montpessier. Tu ne peux pas la rater. Pourquoi ? Demanda la propriétaire avec des airs innocents.

-La reine veut que je le rencontre mais ne m'a rien dit d'autre et refuse de me voir. Elle est trop occupée en ce moment.

-Ah bon ?

-Oui.

  La patronne n'était pas satisfaite mais ne pu creuser d'avantage car le diamant venait de faire son apparition derrière elles. Sinistia observa un instant la jeune femme qui venait de faire son entrée. La rouquine posa la main sur ses hanches dans une pose provocante avec un sourire en complément. Tout imposait la grâce et l'élégance chez la nouvelle venue malgré sa tenue. Habillé d'une chemise en cachemire transparente laissant peu de place à l'imagination sur son dessous, le pantalon noir large aux chevilles sauvait un peu la mise. Sinistia se demanda comment elle allait faire pour passer inaperçue avec la superbe meneuse de bête à ses côtés.