Après un soupir bref dans lequel je puise mon courage, je frappe trois fois.

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J'ai rarement de remords, mais les mettre dans cette situation et qu'ils apprennent ma double-vie de cette manière en est un. J'ai mal au ventre. Je me suis toujours empêchée de ressentir trop de compassion, je n'ai pas l'habitude. La porte s'ouvre après quelques secondes où je me sens plus nerveuse que jamais. Julia. Elle ne semble étonnamment pas surprise de me voir. Mais son regard est exactement celui que j'imaginais: un profond mélange de colère et de déception. Pendant ce silence où on se dévisage, je n'ai qu'un souhait: disparaître. Mais je dois faire face, et garder la tête froide. Au lieu de dire tout ce que je ressens, que je suis désolée, que j'ai besoin qu'elle m'écoute, la seule chose que je trouve à dire est:

- Tu es réveillée..

- Je crois que Nathan vient juste de réussir à se rendormir, dit-elle enfin sans détacher son regard du mien. Mais moi, je sais que je n'y arriverai pas. Pas après la nuit la plus longue et douloureuse de ma vie.

Je vois ses yeux s'inonder de larmes. Elle les essuie instantanément. Je fais un pas en avant. Elle se recule.

- Arrête, je t'en prie. Arrête. ARRÊTE!

Mais je ne m'arrête pas. Je ne contrôle plus mes pas convulsifs. Je veux avancer vers elle et la prendre dans mes bras. J'en ai besoin. Elle m'a manqué. Elle pousse violemment la porte que je retiens d'une main. Je ne m'en étais pas aperçue, mais des larmes ruissèlent sur mes joues. Cela faisait si longtemps que je n'avais pas pleuré que j'ai oublié ce que cela faisait.

- At.. attends, lui dis-je d'une voix extraordinairement tremblante. Tu.. tu... tu sais que je ne peux pas.. te faire de mal..

Elle secoue la tête tout en appuyant sa main contre la porte. J'essaie tant bien que mal de maintenir l'espace où nos visages peuvent encore se voir.

- Julia.. S.. S'il-te-plait.. L..laisse-moi.. une chance d'expliquer..

Mes lèvres tremblent de plus belle. Je me sens impuissante. Le visage de Julia est rose et humide.

- Non, finit-elle par répondre sèchement. Ignore moi. Ignore-nous. C'est le mieux..

- Julia..

- Laisse-la entrer.

La voix de Nathan résonne derrière la porte. Il semble calme, l'opposé de Julia et moi.

- Non, répète Julia une deuxième fois.

- Elle nous doit des explications, tu ne crois pas?

Julia arrête de presser sa main contre la porte, que Nathan tire. Si je lisais de la tristesse dans ses yeux, à elle, je ne vois que de la colère dans les siens.

- D'abord, sache que je n'ai pas peur de toi. Je sais que tu ne feras rien, de toute façon. Nous ne sommes pas sur ta liste.

Cette dernière parole m'intrigue. Je me demande comment il en sait autant. Même le bureau ne mentionne rien de ce genre. Nathan m'invite à entrer. Julia s'effondre sur le canapé. Nathan se place à côté d'elle, pour la rassurer sans doute. Julia ne me regarde plus fixement, mais lui ne détache pas son regard du mien. Debout face à eux, j'enlève mon bonnet et le pose sur la table.

- D'abord, reprend Nathan, il y a une chose je tiens à te dire : bravo. Sincèrement bravo. Bravo de m'avoir aussi bien dupé. Tu sais que toutes le affaires de psychopathes me passionnent. Je connais exactement les signes de n'importe quel trouble mental pouvant induire au meurtre.

Il semble tout à coup fasciné par ce qu'il a sous les yeux, c'est-à-dire moi. Après un sourire ironique, il poursuit:

- Et pourtant, je n'ai jamais eu un seul soupçon sur toi. Toi. L'une des plus grandes tueuses en série. Cela relève de la fiction. Je n'avais jamais entendu une histoire pareille. Une personne si brillante. Si mystérieuse, ingénieuse. Un génie du crime. Quand j'ai lu ton article, je n'ai pu m'empêcher de l'admirer. Pas les atrocités de cette psychopathe, mais la psychopathe elle-même. J'aurais donné n'importe quoi pour la voir, ne serait-ce qu'une fois.

Il se met à sourire nerveusement tandis que Julia se tord sur le canapé.

- Tu étais sous mon nez. Toi, mon amie la plus innocente et rationnelle. Tu étais toujours là quand j'en avais besoin, et je sais que Julia ressentait la même chose. On en a vécu des choses tous les trois ces derniers mois. Pour ma rupture avec Antoine, t'étais là. Quand la mère de Julia est décédée, tu étais là plus que jamais. Tu étais une amie incroyable. Une couverture si parfaite. Tu pleurais avec nous dans ces moments-là. Mais toi, tu faisais semblant. Tu devais bien rire dans ta tête. Mais tu étais authentique. Drôle. Convaincante. Donc je te dis, bravo. 

Il marqua un silence dans lequel il sembla sonder mon âme. J'ai l'impression de me retrouver en face d'un agent de police. Sa façon de parler est assez intimidante. Je ne l'avais jamais vu comme ça.

- Pour ma part, j'en ai terminé, dit-il soudainement en se tournant vers Julia. A moins que tu ne souhaites lui dire quelque chose?

Julia secoue la tête. Elle a l'ai terrifiée. Je me sens tellement mal quand je la vois. Tellement coupable. Mais je dois leur expliquer.

- Je..

Je ne sais pas par où commencer. Julia croise les bras. Le seul fait que je parle la met mal à l'aise?

- Je ne suis pas.. Je ne suis pas folle. Tu l'as dit toi-même, tu l'aurais remarqué si j'étais une.. psychopathe.. La police est venue?

- Tu es venue juste pour des informations?

- Non.. Bien sûr que non. J'ai..

Ne sachant par où commencer, je décide de tout dire.

- J'empoisonne depuis que j'ai quatorze ans. Je tue depuis que j'ai dix ans. Des dizaines de gens. Et je ne regrette pas. Parce que je n'ai pas les mêmes priorités. Je préfère tuer que mentir, voler, ou tromper... 

Je m'arrête pour voir leur réaction. Nathan, à ma grande surprise, se tait. Je vois la fascination dans sa posture. Et de la peur chez Julia. Mon cœur se serre à sa vue. Elle aurait la même attitude devant le diable. 

- Je ne vous demande pas de comprendre, reprends-je en affermissant ma voix. Seulement de ne pas me prendre pour une menace. Même si ma voix vous désignait, je ne..

- Ta voix? dit soudainement Julia.

- C'est donc ça, dit Nathan en m'observant de plus près. Je me demandais comment tu choisissais tes victimes. Tu sais que c'est un trouble de la personnalité?

- Non. Je suis juste différente. Mais je ne veux aucun mal aux gens.

- Pardon ?!

- Les personnes que j'ai tué.. Elles ne méritent sans doute pas de vivre. Il n'y a pas d'explication.. comme vous voudriez l'entendre.

Je n'ai jamais été aussi hésitante de toute ma vie. En tant que journaliste, j'ai toujours aimé prendre la parole et convaincre les autres par le discours. Mais à cet instant précis, je me sens comme une fillette qui n'arrive pas à articuler.

- Ça ne change rien à notre relation. Notre amitié. A ce que je ressens pour vous. Je vous aime plus que mes parents. Plus que la vie.

Je soupire. Des larmes montent dans mes yeux, à nouveau.

- Peu importe.. Je sais que je vous ai perdus maintenant. Je voulais simplement vous dire ce que je ressens. Et, oui, je ressens des choses. Je n'ai pas autant de sang-froid et aussi peu de scrupules, comme vous devez le penser. Mettre du poison dans du thé est accessible pour tout le monde. Et j'essaie de faire en sorte que mes victimes ne souffrent pas trop. Je ne vous ferai rien. Sachez-le. Maintenant, je dois partir. Je ne peux pas rester plus longtemps. Je vais prendre quelques affaires. La police a..

- Non, dit Nathan. Ils nous ont juste posé des questions. Où as-tu caché tes... affaires?

- Le petit bureau. Je vais prendre le maximum. Tant pis s'ils trouvent le reste. Ma fuite prouve que je suis coupable, de toute façon.

Je marche vers la porte et insère la clé.

- Non, dit Julia.

Je me retourne. La peur semble presque avoir disparu de son regard. Elle m'attrape fermement sa main. Elle est délicieusement chaude. Je me sens immédiatement mieux.

- Julia..

- Je sais. Peu importe tes fautes. Je viens de réaliser.. On est trop proches pour que ce détail tue notre relation. Je regrette simplement que tu ne m'en aies pas parlé avant. Me faire confiance.

- Je l'ai voulu tant de fois.. C'était..

- Pour me protéger. Je sais. Mais je me rends compte que ce qu'on a vécu toutes les deux, c'était vrai. Tu n'as pas pu inventer ces moments de magie. Le feu d'artifice, l'année dernière. On s'est enlacée, et j'ai senti l'amour. C'était si.. si.. puissant. Si nouveau...On se connaissait depuis peu. Et tu as toujours pris soin de moi depuis, plus que je n'aurais jamais pu le faire.

Ses yeux se perdent dans le vague tandis que je sens une larme de joie couler le long de ma joue.

- Tu es ma meilleure amie. Et tu as tant fait pour moi. Tu t'es sacrifiée tellement de fois. La moindre des choses que je peux faire, c'est de te pardonner. Je ne cautionne pas tes actes, mais je t'aime, toi. Je dois au moins essayer de régler la dette que j'ai envers toi.

Elle se tourne à nouveau vers moi. L'amour est omniprésent. Et plus fort que tout. Je ne me suis jamais sentie aussi bien. Un tel bonheur après tout ce malheur.

-Je ne te laisserai pas être arrêtée et jetée en prison, reprend-t-elle d'un air déterminé et incroyablement serein. 

Je ne la reconnais pas. Elle semble si apaisée par rapport à tout à l'heure.

- Je vais t'aider. On va te sortir de là, ensemble, tous les trois. Et j'ai déjà une idée.

Je regarde Nathan, toujours assis, plus stupéfait que jamais. Ah, Julia. Tu nous étonneras toujours.