- Pourquoi cet air renfrogné?

L'homme la regardait avec insistance depuis de logues minutes. Si on ne les savait pas collègues, on les aurait sans doute imaginé amants, au milieu d'une conversation inintéressante, quoique, elle, se contentait d'ignorer ses paroles, à lui.

- Nous venons de louper une chance de lui parler, d'accord, mais cela ne veut pas dire qu'il n'y en aura plus. Je sais que ce n'est pas la raison de ton comportement. Que t'arrive-t-il?

- Marc.. Je ne sais plus.

Elle était au bord des larmes. Elle voulait simplement en finir avec tout ça. Toute cette violence que son métier faisait à son âme. Découvrir un corps tous les matins, courir dans tous les sens, que le procureur lui mette une pression aussi forte.. Et ses insomnies.. Et son ex-mari...

- Ce n'est pas... Je n'arrive pas à comprendre ce que je ressens..

Elle se confiait enfin à lui, lui qui la voyait descendre lentement aux enfers depuis des semaines.

- Ce métier est difficile. Faire un burn out est courant chez nous, ok? Prends quelques jours aux moins..

- Je ne sais pas, Marc... Je.. Il faut que je te dise..

Une telle sincérité était étonnante de la part d'une femme aussi ferme et froide. Dans un tel état, il n'osait imaginer ce que traversait sa supérieure.

- Dis-moi. Tu peux me faire confiance.

- J'étais au courant. Depuis qu'on a trouvé le cadavre de madame Verneuil.. Les résultats de l'analyse ADN.. Je les ai retardé.

- Quoi?!

- Je ne sais pas pourquoi. Je la connais à peine, et pourtant.. A ce moment-là, mon instinct m'a dit de la protéger un peu plus longtemps..

- Ton instinct?! Tu sais combien sont morts à cause d'elle?! Et elle vient de filer entre nos doigts! Juste parce que tu as écouté ton instinct plutôt que ton professionnalisme. Tu pourrais être virée pour ça, tu le sais?

- Oui, répondit-elle les larmes aux yeux. Peu importe.. Je ne veux plus être sur cette affaire. Ni sur aucune autre.

- Je vais appeler ceux qui sont partis à leur poursuite.. Rassure-toi, je ne dirai rien. Je vais prévenir le proc que tu prends quelques jours de congé, ok? Rentre, je te couvre pour ce soir.

- Merci, Marc. Tu pourras quand même me tenir au courant de l'enquête?

Elle l'enlaça avant de rentrer chez elle. Il était temps de se reposer, et pour de bon cette fois. Elle était seule, ses filles étaient à leur père pour la semaine. Elle les aimait autant qu'une mère le peut, c'est-à-dire indéfiniment, mais leur présence l'aurait empêché de réfléchir et prendre du recul sur les évènements. Tout allait si vite. 

Malgré le réconfort de son chaleureux duplex, et l'apaisement qu'elle ressentit une fois entrée, une certaine inquiétude persistait chez elle, un goût amer venant de son ventre. Pourquoi était-elle nerveuse à l'idée que cette journaliste ne soit arrêtée? L'une des plus grande psychopathes jamais connues? Cette idée renforçait encore la stupeur de son constat. Il fallait qu'elle la retrouve. Mais pas en tant que capitaine de police. En tant que femme qui avait besoin de comprendre.

Elle s'était rapidement faite à l'idée qu'elle avait collaboré avec la meurtrière, et pourtant c'était inattendu. C'était le genre de vérité que l'on sait au plus profond de soi mais que la raison n'arrive pas à se montrer. Cependant elle avait toujours eu une pointe d'admiration pour elle, qui représentait ce qu'elle estimait ne pas être. La beauté, la rigueur, le charme... Mais elle savait que cette raison à elle seule n'était pas suffisante pour justifier cette fascination malsaine qu'elle éprouvait pour elle. Et Andrea souhaitait comprendre. Il fallait donc retrouver cette femme si repoussante et attirante à la fois.