2004 – Février

« - Bienvenue au centre Tomlison de soins et accompagnement des nouvelles formes d'autisme. Comme vous le savez, l'autisme est difficilement compris par nos voisins, les personnes que nous croisons, et parfois les membres de notre famille. Si votre enfant est autiste, il a pu vous arriver plus d'une fois d'être regardé de travers ou qu'on vous accuse de mal l'éduquer. Beaucoup de formes d'autisme ne sont pas encore reconnues, cela veut dire que beaucoup d'enfants souffrent encore sans obtenir de soins. Au centre Tomlinson, nous voulons que cela cesse. Nous voulons diagnostiquer et encadrer chacun de ces enfants afin qu'il puisse vivre une vie aussi épanouissante que celle des enfants non malades. »

Les parents ne cessent d'acquiescer au discours. L'homme en costume s'écarte de son pupitre, et balaye la salle d'un regard circulaire. Puis, il s'adresse à nouveau à l'assemblée.

- Quel que soit l'âge de votre enfant, quelles que soient ses origines, quelle que soit la nature de ses problèmes, nous vous invitons à remplir dès maintenant le formulaire d'inscription mis à disposition. Nous allons dès à présent commencer la visite, je vous laisse aux soins de mon assistante, Kerry.

Tous les parents se lèvent précipitamment, enchantés et presque hypnotisés. Ils veulent tous que leur enfant ait une place dans ce centre, ils sont prêts à tout pour ça. Ainsi, ils s'empressent d'attraper un dossier d'inscription et suivre la dénommée Kerry, une jeune femme très classe en tailleur, d'allure très sérieuse et rigoureuse. Ses talons claquent sur le sol, donnant le rythme de la marche, alors que sa voix s'élève et présente les lieux.

Louis se cache derrière l'ouverture de la porte. De là où il est, il observe le flot de gens, qui lui donne presque le tournis. Il n'aurait jamais imaginé que le centre fondé par son père réussirait à ce point. Quand on lui a parlé du projet, il imaginait plutôt une sorte de cabinet de psychiatrie, avec quelques docteurs, une salle d'attente, des jouets pour les enfants, et des rendez-vous qui se succèdent les uns après les autres. Là, il se trouve au cœur d'un décor de film de science-fiction. Tout est gris ou blanc, propre, futuriste, et extrêmement classe. C'est joli, mais il n'arrive pas à imaginer qu'un enfant autiste puisse se sentir bien ici. Les parents eux, adorent. Et au prix que l'inscription va leur coûter, il veut bien comprendre que son père ait misé sur cette décoration douteuse.

Lui, si on lui avait demandé son avis, il aurait plutôt décoré l'accueil comme un parc d'attraction, ou une salle de jeu ; quelque chose qui mette les enfants en confiance. Mais comme on le lui a souvent expliqué, ce sont les parents qui payent, donc c'est eux qu'il faut séduire.

Quoi qu'il en soit, il n'a aucun doute quant au succès du côté médical de l'entreprise. Le centre va réussir à soigner les enfants, il en est certain.

Il regarde les gens passer, et son regard s'arrête sur un petit blond qui ne décolle pas de sa GameBoy, et que les parents n'arrêtent pas de tirer par les bras. Il semble complètement ailleurs, comme s'il n'avait pas conscience de ce qui se passe dans le monde réel. Comme s'il n'avait pas conscience de l'endroit où il se trouve.

Ensuite, ses yeux se posent sur un enfant châtain bouclé, l'air effrayé, qui se tient aux vêtements de sa mère en se cachant contre elle. Celui-là est tellement mignon, il ressemble à un chaton apeuré, ça lui donne envie de courir vers lui et lui faire un gros câlin.

Mais il ne doit pas. La plupart des enfants autistes rejettent le contact physique, et celui-ci en particulier semble réellement peureux des autres humains.

Louis se mordille la lèvre, embêté. Il en connait un rayon sur l'autisme, mais à chaque fois qu'il se trouve dans cette situation, son petit cœur se brise. Lui, il aime tellement le contact humain, il adore parler, jouer avec les autres, et selon lui un câlin peut résoudre tous les maux. Et les enfants autistes, eux, ne connaissent rien de tout ça.

- Louis, retourne faire tes devoirs.

Il se glace en entendant la voix de sa mère. Il n'a rien à faire ici, il le sait, et s'il reste une seconde de plus, elle risque fort de le punir.