Prologue
Au nord de Séoul, les ruelles étroites et mal éclairées tissaient un labyrinthe de misère et de résignation. Les maisons petites et délabrées s'entassaient les unes sur les autres et abritaient la fatigue et la lutte quotidienne des habitants. Les rues désertes dissuadaient quiconque de s'y aventurer, par crainte des dangers tapis dans l'ombre.
Dans une modeste bâtisse aux briques ternies, un petit garçon cherchait désespérément l'attention de sa mère, absorbée par la préparation du dîner. La lumière vacillante du plafonnier jauni éclairait faiblement le carrelage autrefois immaculé de la cuisine. L'encadrement qui séparait la pièce du salon, laissait passer le son de la télévision et du vieux réfrigérateur. La mère du garçon était silencieuse, seul le bruit de son couteau sur la planche à découper semblait s'exprimer. Ses longs cheveux noirs attachés en un chignon négligé entouraient son visage marqué de cernes et de rides précoces. Ses yeux, autrefois brillants, étaient maintenant ternes, mais une lueur de tendresse apparaissait lorsqu'elle regardait son fils. L'enfant quant à lui, était un garçon frêle de huit ans. Il avait de longs cheveux noirs ébouriffés et des yeux sombres et expressifs. Son visage fin et ses traits délicats reflètaient une innocence teintée de tristesse. Lui aussi restait silencieux, car il savait qu'il ne fallait jamais faire trop de bruit ici.
Un homme d'une quarantaine d'années au visage émacié et aux yeux creux était affalé sur le canapé, face à la télévision. Ses cheveux étaient grisonnants et rares, souvent cachés sous un bonnet usé. Il portait toujours des vêtements trop grands, qui accentuaient sa silhouette déjà mince, presque cadavérique. Une table en bois éraflée trônait au milieu du salon, entourée de chaises bancales. C'était un homme taciturne et distant. Il ne buvait pas tant, ne frappait pas, ne hurlait pas, mais son indifférence était une violence en soi. Il parlait rarement, se contentant de faire comprendre ses désirs et ses désapprobations par des regards ou des soupirs impatients.
Sa femme avait appris à lire les signes pour répondre à ses attentes. Elle savait exactement comment éviter la colère silencieuse de son mari, comment faire en sorte que tout se passe bien. Au moins en surface. Elle se demandait souvent pourquoi elle était restée avec un homme aussi indifférent. Peut-être par peur, peut-être par habitude. Mais lorsqu'elle regardait son fils, elle savait que chaque sacrifice en vallait la peine. Elle avait transmis à son fils cette capacité à décoder les attentes implicites et à se conformer sans protester.
Mais parfois, le garçon ne pouvait s'empêcher d'essayer d'avoir une preuve que son père l'aime un peu. À l'école, il était discret, studieux, un élève qui obéissait parfaitement, qui comprenait ce qu'on attendait de lui avant même qu'on le lui dise. Il avait l'espoir infime qu'un jour, son père le féliciterait pour ses résultats et que peut-être, de cette façon, il répondrait à ses attentes et le rendrait fier.
Ce soir-là, la nuit était froide et le vent glacial sifflait à travers les fenêtres mal isolées. Sa mère servait la soupe qu'elle avait préparé et ils la dégustèrent tous les deux en silence. Le père avait déjà mangé. L'enfant la regardait avec de grands yeux et elle lui répondit par un maigre sourire. Malgré les apparences, il savait qu'elle l'aimait.
Il le savait car lorsque son père n'était pas là, ils allumaient la télévision et dansaient ensemble. Ils ne riaient pas à gorge déployée, restant à l'écoute de possibles pas lourds derrière la porte. Leur affection était silencieuse. Le petit garçon attendait ces instants avec impatience car dans ces moments-là, le regard de sa mère lui apportait un peu de chaleur et d'amour.
Soudain, la porte s'ouvrit avec fracas, laissant entrer des hommes à l'allure menaçante. La femme se leva en poussant un cri de stupeur, la main sur le cœur, tandis que son fils se cacha derrière ses jambes, terrifié. Lorsqu'il jetta un coup d'œil à son père, il comprit que la situation était grave. Pour la première fois, l'indifférence laissa place à la peur.
Après un rapide regard sur la pièce, l'un des intrus attrapa son père par le col, le forçant à se lever.
- Tu as une dette à rembourser, cracha-t-il, et tu sais ce qui arrive à ceux qui ne paient pas.
Le père, d'ordinaire si impassible, balbutia des excuses et des promesses vides. Les hommes n'étaient pas dupes.
Tu veux vivre, hein ? dit le chef, un homme au regard perçant. Alors tu vas nous donner quelque chose en échange. Maintenant. Sinon c'est ta vie qu'on prend.
Le jeune garçon sentit son cœur s'arrêter lorsqu'il vit le regard de son père se tourner vers lui. C'était un regard calculateur, froid, comme s'il évaluait un objet.
- Prenez mon fils, dit-il finalement, sa voix pleine d'espoir. Il fera tout ce que vous voudrez. Il est obéissant.
Sa femme poussa un cri de protestation, se jetant entre le petit garçon et les hommes.
- Non ! Vous ne pouvez pas ! C'est mon fils ! Prenez-moi à la place ! Mais elle fût repoussée brutalement.
- Tais toi, femme ! Rugit l'un des hommes. Tu n'as aucun pouvoir ici.
Tremblant de peur, le garçon sentit une main rugueuse l'attraper par le bras. Il chercha le regard de sa mère, y trouvant un désespoir qu'il n'oubliera jamais.
- Maman… murmura-t-il, les larmes coulant sur ses joues.
Elle tendit la main vers lui, mais fût retenue par un autre homme qui la jeta au sol.
L’enfant fût traîné hors de la maison, ses cris et ceux de sa mère étouffés par la nuit. Les hommes le poussèrent dans une voiture noire, les portes se refermant dans un claquement sinistre. Alors que le véhicule démarrait, il vit pour la dernière fois la silhouette de sa mère, effondrée sur le seuil de leur maison, tandis que plus loin derrière, il devinait la silhouette soulagée de son père.
Le voyage fût silencieux, seulement interrompu par le ronronnement du moteur et les murmures des hommes. Recroquevillé sur le siège arrière, il se demandait ce qui allait lui arriver. La peur, le chagrin et la confusion se mêlaient dans son esprit.
Ils se stopèrent finalement dans un entrepôt délabré, caché dans une zone industrielle abandonnée. Les murs de béton étaient couverts de graffitis et les fenêtres brisées laissaient entrer des courants d'air froids. Le noiraud fût conduit à l'intérieur, ses yeux écarquillés devant l'atmosphère oppressante et sinistre des lieux.
L'entrepôt était divisé en plusieurs sections, certaines remplies de caisses en bois et de matériel industriel abandonné, d'autres aménagées en bureaux improvisés. L'éclairage était faible, des ampoules nues pendaient du plafond, projetant des ombres inquiétantes sur les murs.
Un homme les attendait, assis derrière un grand bureau en métal. Il était élégant malgré l'environnement austère, ses cheveux grisonnants soigneusement coiffés, et son regard perçant semblait lire dans l'âme du garçon.
- Il nous a refilé son marmot, annonça l'un des hommes, le poussant vers le bureau. Il est obéissant.
L'homme derrière le bureau observa le garçon un moment, puis un sourire froid se dessina sur ses lèvres.
- Bienvenue, petit. À partir d'aujourd'hui, tu travailleras pour moi. Si tu te montres digne de ma confiance, tu auras une place ici. Sinon…
Il laissa sa menace en suspens, mais le garçon comprit. Il n'avait pas le choix. Il devait obéir, comme toujours.
L'homme se lèva alors de son bureau et s'approcha de l’enfant. Il posa une main sur son épaule, une main étonnamment chaude et ferme.
- Ne t'inquiète pas, dit-il d'une voix plus douce. Ici, tu seras en sécurité, tant que tu fais ce qu'on te demande. Je veillerai sur toi.
Le noiraud hocha la tête, incapable de parler. L'homme le guida vers une chaise et s'assit en face de lui, le regardant avec une attention particulière.
- Quel est ton nom, mon garçon ? demanda-t-il finalement.
Le dit garçon avala difficilement sa salive, sentant une boule se former dans sa gorge. Il lèva les yeux, croisant le regard perçant de l'homme.
- Hyunjin, murmura-t-il.
- Très bien, Hyunjin, approuva l'homme avec un sourire approbateur. À partir de maintenant, tu es des nôtres. Bienvenue dans ta nouvelle famille.
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