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III/ Collocation de l'extrême


Pour une raison que Val' ignore, la Volière lui fait penser à une prison.

Peut-être cette ambiance de quartier résidentiel, avec pour maisons de grands dômes blancs partiellement recouverts de végétation. Beaucoup de terrain entre chaque résidence, des jardins à foison et autant de potagers, pas mal de haies même si certains ont opté pour des grillages végétalisés.

En fait, dans l'apparence c'est un village bienfaisant. Dans l'organisation des lieux, on dirait une base militaire, ou un camp de prisonniers : le quartier résidentiel constitué d'habitations en dômes, ensuite la cité administrative, puis la zone industrielle. Tout est blanc ou gris clair, avec de la verdure et des parterres de fleurs, des chemins pavés et des transports en commun.

Ah oui, les fameux : des petits trains à lévitation magnétique, comme dans son enfance. Avec à l'intérieur, beaucoup de gens calmes et raisonnables, qui discutent entre eux et semblent heureux.

Val' n'est pas heureux pour sa part.

D'abord parce qu'en bon fantassin des Activités Spéciales, c'était un pure terrien. Un soldat de l'infanterie qui a ensuite tapé toute sorte de formations afin d'intégrer les chasseurs de choc, l'élite des troupes du Directoire, son ancienne patrie. Donc, comme tout bon fantassin d'infanterie, il fume.

Et ça va faire une semaine qu'il n'a pas eu de cigarette. La gomme thérapeutique que Syra lui a donnée fonctionne bien, mais il n'y a pas le côté social de la clope.

Comment est-il censé parler aux gens ?

Doit-il seulement s'intégrer ? Ou alors, comme lui avait dit la médecin, il va être un dormeur, un type à part qui est capable de violence ?

« Valère Eryx ? » Appelle une voix de femme et il a un sursaut.

La secrétaire le regarde avec cet air neutre-avenant qui caractérise une bonne moitié de la colonie. L'autre moitié a un air neutre-craintif.

« C'est moi. » Répond Val', un brin de fatigue dans ses mots.

« C'est à votre tour. » Alors il la suit.

Ils marchent dans un long couloir blanc avant d'arriver dans un bureau aux teintes pastelles. Une table, un ordinateur et quelques chaises. La secrétaire s'installe et l'invite à faire de même.

Val' a un regard vers les baies vitrées sur le côté : elles donnent sur la place centrale de la cité administrative, un grand parc avec un arbre centenaire qui donne de l'ombre aux quelques personnes qui mangent en plein air. Ils sont au début du printemps et si l'atmosphère est encore fraiche, on peut pique-niquer sans problème.

La secrétaire reprend d'une voix douce, attentive. Il a vraiment l'impression d'être dans le cabinet d'un psychiatre.

« Peut-on se tutoyer ? C'est la toute première fois que j'accueille un dormeur, je ne sais pas vraiment comment sont les mœurs de votre époque.

-On peut, je m'appelle Valère, même si tout le monde m'appelle Val'.

-Nimrud, Nimrud Hegeïon. Enchantée.

-Enchanté. »

Nimrud Hegeïon, si les mots lui parlent vaguement, probablement lorsque Statilia parlait des civilisations anciennes dont descendaient les membres de l'équipe, il ne se souvient pas de leur origine exacte.

Il n'a jamais été doué comme Statilia pour toutes ces choses, raison pour laquelle il s'occupait principalement du combat et de la navigation. Lors des longues marches de combat, il lisait la carte et s'occupait du tir pendant qu'elle organisait la cadence, le rationnement et toute la logistique.

Nimrud reprend le dialogue là où il l'a laissé.

« Je suis ta guide pour les premiers mois à la Volière. Suzerain a calculé que le meilleur moyen d'intégrer les gens qui sortent d'un sommeil cryogénique de longue durée, est de les mettre en binôme avec une personne native. Cela afin d'éviter un choc trop violent. » Trop tard, l'impact est déjà extrêmement perturbant.

« D'accord.

-Est-ce que tout va bien ? Syra m'a fait part d'un incident qui a motivé cette mise en sommeil, est-ce que tu veux en parler ?

-Il n'y a pas grand-chose à dire. » Débute Val' avec une certaine appréhension, qu'est-ce qu'il est censé dire ? Il a déjà tout raconté à Syra, qu'un matin il accompagnait un officier du bureau pour une inspection d'un avant-poste, qu'une seconde plus tard, le sol à côté de lui s'était mis à exploser comme si un volcan s'était réveillé d'un seul coup. Ensuite, entre une seconde et une minute plus tard, il a rouvert les yeux et il était hérissé de clous, de fléchettes et de fragments de métal. « J'ai été blessé dans un bombardement. Je crois, ensuite, on m'a plongé dans un sommeil cryogénique au motif que j'étais dans un état impossible à soigner. Syra a déjà tout dit.

-Était-ce traumatisant ? » Comment ça ?

Le fait d'être mortellement blessé, d'avoir vu son chef être vaporisé dans une explosion, la douleur et le sang en quantité industrielle, puis ensuite, les médecins qui restent bouche-bée en voyant son corps ravagé. Tous les médecins et toutes les infirmières qui s'affairent autour de lui, les innombrables « comment est-il encore en vie ? » qui ont ponctué chaque étape des soins. Ensuite, on renchaîne avec des radios de son corps, des radios qui montrent tellement de taches blanches opaques qu'on se demande s'il n'a pas gardé ses fringues au moment de passer aux rayons X. Troué, pénétré et cloué de partout.

« Je n'ai pas envie d'en reparler. C'était il y a une semaine et quelques jours pour moi.

-Pardon, je ne voulais pas remuer de mauvais souvenirs.

-Ce n'est pas grave, ça arrive. Que va-t-il se passer ensuite Nimrud ?

-Je vais d'abord poser quelques questions d'ordre physique, ensuite, nous discuterons un peu de la Volière et des lieux. Est-ce acceptable pour toi ?

-Oui, » il a une moue un peu gênée, hésitante. « pas besoin de me demander si tout baigne à chaque étape. Je suis militaire, j'ai l'habitude d'obéir aux ordres.

-Mais justement, » explique Nimrud d'un ton si prosaïque et pourtant si attentive, qu'il croirait à une blague. « Tu n'es plus soldat. Il n'y a pas besoin de soldats, ni de personnes violentes. Tu n'es plus obligé d'être méchant.

-Méchant ? » Et l'indignation dans sa voix, sans compter le désarroi et toutes les émotions contradictoires qui lui rentrent dans le lard, rentrent aussi dans le lard (pour le peu qu'elle a) de Nimrud qui se raidit instantanément.

Au point de se soumettre sans poser de questions, « pardon, je ne voulais paraître hostile. La violence est une sensation superflue et proscrite ici. Pour créer un environnement protecteur, inclusif et sécuritaire pour chacun, les conflits sont arbitrés par des médiateurs. Il n'y a plus lieu d'être soldat. »

Syra lui avait parlé de Suzerain et de la castration généralisée de la population. Mais pour être honnête, Val' pensait à une exagération.

Faut croire que non.

Putain, putain, putain et encore putain. Bordel de cul même.

Et qu'est-ce qu'il va faire dans la vie ? Militaire, c'est un métier intemporel normalement. Même les animaux ils s'entretuent. Qu'est-ce qui se passe ? Il n'est pas assez civilisé pour accéder au futur ?

« Reprenons l'entretien s'il te plaît. Oublions ce qui vient de se produire. » Déclare Val' dans un long soupir fatigué.

Il se sent cassé à l'intérieur.

Se faire déchirer par un obus, passe encore. Mais comprendre que toute sa vie, tous ses amis, sa civilisation, son histoire et même son métier sont devenus obsolètes, ça cogne trop fort. Finalement, il aurait peut-être dû accepter les cachetons de Syra pour franchir le cap, comme elle disait si bien.

Nimrud tape sur son ordinateur holographique et apparaît une liste de cases à cocher. Un logiciel de détection audio se lance et enregistre leur échange.

« À propos de ton physique. Souhaites-tu changer un détail ?

-J'ai peur de ne pas comprendre.

-D'après les récits de Syra, mais aussi d'autres personnes du passé comme Séraphin ou Fiadh, la société dont tu émanes était discriminante et non-inclusive. Dans un souci d'égalité et d'équité entre les habitants de la Volière, tu peux demander des altérations physiques, afin que ton apparence corresponde à ton identité interne.

-Je percute pas. »

Là, on commence à toucher du doigt le truc flippant.

Val' aime bien jouer au débile léger parce qu'il est soldat du rang. Caporal-chef certes, mais toujours un soldat du rang. Il a une intelligence toute relative puisqu'il faut pas mal de cervelle pour intégrer les chasseurs de choc.

Alors, c'est une chose de jouer au con. S'en est une autre de ne pas comprendre le charabia de Nimrud et c'est foutrement effrayant, parce que le futur ne l'a pas attendu.

« J'avoue ne pas savoir comment formuler cela de manière plus claire. » Avoue Nimrud avec beaucoup de gêne et elle a un rire nerveux, très embarrassée. « C'est la première fois que j'accueille un dormeur. Je suis médiatrice, je pensais que mes talents suffiraient, mais il faut croire que non. J'ai sous-estimé le passé. » Ce n'est pas une attaque à son encontre, plutôt un aveu de faiblesse.

« Si je comprends bien, on me propose des modifications physiques ? Tente Val'.

-Oui. »

Il réfléchit un instant.

Les cheveux blonds, les yeux bleus, les traits dessinés, de petite taille (moyenne aujourd'hui selon Syra), poids dans la norme, un physique dont il n'a pas à rougir. Pas de cicatrice source de gêne, il n'y a pas motif à vouloir de chirurgie reconstructrice ou esthétique. Il est bien comme il est.

« Je passe. »

Il a un coup d'œil vers Nimrud.

Elle a les cheveux blancs, c'est ce qui attire le plus. Ce n'est pas une tenture, même à la racine on ne distingue qu'une couleur neige qui met Val' un brin mal à l'aise. Regard chocolat, les traits fins, ils font la même taille, mais en termes de gabarit, Nimrud est une brindille. Une impression renforcée par ses épaules tombantes.

Une brindille qui a deux arguments qui attirent le regard, à hauteur de la poitrine, mais c'est un autre sujet.

« Je comprends. » Déclare son interlocutrice avec un brin d'approbation, « si j'ai un traitement pour mon albinisme et que je porte des lentilles spéciales, j'aime bien mes cheveux. Je suis trop attachée à la couleur pour les laisser tomber.

-C'est comme moi et mes cicatrices.

-Ah oui ? Je n'en n'ai pas vu. » Demande la demoiselle avec curiosité, un brin d'attirance même ?

« J'ai pris deux ou trois balles à l'occasion. Rien de méchant, mais j'ai quelques balafres aux jambes. » Elle se fige à la mention de ces évènements.

« Des balles ? Le match de tennis devait être endiablé pour qu'il laisse des cicatrices durables.

-Non, de fusil. » Elle ne comprend pas. « L'arme à feu, deux ou trois cartouches dans les pattes.

-Je ne comprends pas, c'est en lien avec ton métier de soldat ?

-Oui. »

Elle a un hochement de tête poli, encore une fois, elle a marché sur une mine.

« Souhaites-tu aborder un autre détail physique ? » Tente Nimrud pour aborder un sujet moins délicat à ses yeux.

« Non, je crois qu'on peut passer à la suite si tout est réglé au niveau du physique.

-Eh bien, il ne reste plus qu'à discuter de ton intégration. » Elle hésite un instant, jette un œil à la porte comme si quelqu'un les espionnait, puis après un autre coup d'œil vers la fenêtre, crache sa réplique avec un empressement rempli de gêne. « On le fait dehors ?

-Plait-îl ?

-C'est contraire à la procédure, » débite Nimrud à une vitesse record, les yeux écarquillés, les joues qui s'empourprent à vue d'œil. « Mais c'est peut-être mieux si on marche dans la colonie. Pour que tu puisses voir de tes propres yeux la Volière.

-Oui, je veux bien marcher avec toi. » D'accord.

Pas si cassé que ça hein ? Sinon, il ne serait pas en train d'accepter cette tentative de... Communication avancée ?

Une femme qui propose d'enfreindre les règles et de se balader en ville plutôt que de rester dans un bureau, surtout lorsqu'elle rougit comme une tomate, c'est un signe non ? Les mœurs du futur n'ont pas changé sur ce point-là, hein ?

Val' s'éclaircit la gorge, c'est déjà trop pour lui. Il ignore si ce sont les vieux réflexes de fantassin et tombeur de ses dames qui reprennent leurs quartiers dans son esprit, ou alors si c'est le choc des cultures, mais il pédale dans la semoule, massivement.

Sérieusement, c'est sympa de sortir marcher, mais... En a-t-il seulement envie ? Ou plutôt, sera-t-il d'assez bonne compagnie ?

Puis Nimrud reprend le contrôle de la situation et se relève un peu gauchement.

« Allons-y. »

Ils sortent dehors.

Températures moyennes, journée ensoleillée, un peu venteuse, mais ça passe.

Les gens l'ignorent, on ne lui prête aucune attention, merci à la tunique grise que lui a passé Syra. Une tenue de colon tout ce qu'il y a de plus ordinaire. Ils ne sont que deux habitants qui marchent dans la Volière.

Les gens ne se regardent pas les uns les autres, chacun vaque à ses occupations sans se préoccuper des autres. Les groupes restent entre eux.

Il en va de même pour les bâtiments : les pelouses font office de séparateurs, la plupart sont construits en carré autour d'une cour centrale, voire un atrium ? Il n'a jamais été à l'aise en architecture, quand bien même décrire un bâtiment faisait partie de son travail en tant que fantassin d'élite.

Les murs végétaux cassent un peu la monotonie des murs blancs qu'on retrouve un peu partout. Si on retrouve bien quelques peintures murales, elles représentent souvent des animaux stylisés : un raton laveur qui signale une boulangerie, un poisson qui donne la direction de l'étang, une famille de cerfs qui commémore un évènement heureux.

Pareil pour les statues : toujours des fêtes neutres, inclusives même ?

Non, inclusif n'est pas le bon mot.

Aseptisé !

Pas une publicité pour la police ou l'armée, pas une statue d'un roi ou d'un général, pas de plaques mémorielles à ceux qui sont morts pour la colonie. Aucun mégot par terre, aucun graffiti, aucun signe de vandalisme ni d'une quelconque dégradation, l'endroit en devient trop paisible.

Il a un coup d'œil vers un petit globe noir, juste en-dessous d'un panneau holographique : caméra de surveillance.

« Tu connais déjà le quartier résidentiel de ce que j'ai cru comprendre, et tu es familier de la cité administrative et de l'hôpital non ? » L'interroge Nimrud.

« J'y ai passé la semaine à faire toute sorte de papiers et de procédures, donc oui.

-Alors, une bonne partie de la visite est déjà faite. Est-ce que tu veux m'accompagner au magasin ? Je dois prendre des aliments pour mon chat.

-Pourquoi pas, ce sera l'occasion de visiter autrement la colonie. »

Marcher dans la Volière est... Agréable. Les gens suivent les marquages au sol qui définissent le sens de marche des piétons, les transports en commun qui ne sont jamais bondés, Nimrud qui fait la conversation et s'avère une hôte particulièrement ouverte et curieuse.

Même si, lorsqu'ils prennent les transports en commun, Val' ressent une vague méfiance à son égard, de la part des autres usagers du train, quand il parle de son passé.

Ce qui est assez ironique quand ils longent les abords de la colonie, qui est cerclée par d'imposants murs. S'il n'y a personne pour monter la garde, il est étrange qu'une ville où il fait bon vivre ait besoin d'une telle protection.

« Il y a aussi une clôture électrifiée, plus loin de l'enceinte. Afin que les animaux ne viennent pas grignoter les cultures des agriculteurs. » Val' hoche la tête, que de protections pour une colonie pacifique.

Finalement, ils arrivent au magasin d'alimentation pour animaux.

Heureusement, le futur n'est pas si éloigné du présent : toujours des étalages avec des marchandises qui s'entassent, il y a de quoi nourrir tout un chenil pour plusieurs mois, voire années. Néanmoins, on note l'absence d'emballages plastiques, que du carton ou des sacs en matières biodégradables.

Nimrud récupère un carton de viande pour chat, mais étrangement, rien n'indique la provenance.

« Le mien aimait le poulet. » Énonce Val', un peu songeur, « à chaque fois que j'en préparais, il se mettait à faire une crise de miaulement pour avoir sa part.

-Du poulet ? Vous deviez être riche.

-C'était la viande de base, pas cher, nourrissante.

-Je te crois volontiers, quelle époque d'opulence. De notre côté, on ne produit que de la viande en laboratoire, pour des raisons éthiques. Sinon, protéines végétales. Y compris pour nos animaux de compagnie.

-Aucun élevage ?

-Si, des vaches pour le lait, mais en respectant le cycle naturel... » Val' ne retient qu'une chose : ils ont encore du lait dans le futur, il est sauvé. Au moins pour quelques jours. « Tu as l'air soulagé.

-Disons que devenir végétarien contre mon gré n'est pas la meilleure nouvelle de la journée. » La moins pire ? « Je suis heureux de savoir que le lait existe toujours.

-Si tu peux le digérer, si on l'utilise pour l'alimentation, peu de gens ont encore la capacité de le consommer sans tomber malade. »

Fort heureusement, il vient d'un âge où la consommation de produits laitiers était quotidienne : le lait, le fromage, la crème, la glace, il est tout à fait en capacité de vider une bouteille de lait sans craindre de tomber malade.

S'il se fie aux dires de Nimrud qui se traîne le lourd paquet d'aliments pour chat jusqu'au comptoir, ce n'est pas donné à tout le monde dans le futur. Tandis qu'elle paie, il s'empare du carton qui est assez léger finalement, il cherche une position confortable puis finit par caler son bras autour, sous l'aisselle : c'est le plus simple.

« Je peux le porter moi-même. » Objecte mollement l'albinos, tandis que le dormeur hausse une épaule.

« Tu me guides en ville et je suis ton pensionnaire, c'est le minimum que je puisse faire.

-Nous sommes sur un pied d'égalité, la Volière n'est pas endroit où l'on fait des différences de traitement, qu'importe l'ancienneté ou le statut social. De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins.

-Mes moyens sont de porter les trucs lourds alors. » Nimrud fait la moue, Val' a un sourire.

Puis sa camarade s'habitue à l'idée d'avoir une bête de somme lors de ses courses et finit par avoir un hochement de tête approbateur.

« Je ne suis pas certaine que Suzerain approuve, mais si je peux m'économiser pour le sport, je ne dis pas non.

-Quel sport ? » Aller.

Nimrud porte des fringues amples, mais à la taille de ses bras, elle ne doit pas être une pratiquante assidue. Probablement une activité... « Gymnastique, les anneaux. » Ah ! « Une croix de fer pour terminer l'après-midi, en rentrant du boulot. »

Heureusement que Val' fait preuve de scepticisme en silence, s'il a l'habitude des entraînements physiques, l'armée a fait de lui un bon coureur. Un chat maigre, agile, capable de se hisser n'importe où à la force des bras, avec un gros paquetage sous le dos.

« Je suis du genre à préférer l'endurance. » Admet le dormeur. « La course à pied, les exercices au sol, les sports de combat.

-Les sports de combat ? » Ah oui, Syra lui avait dit : les percussions forment un tabou immense, une violence incompréhensible. Alors, que doit-il dire puisque fût un temps, karaté, capoeira et lutte ponctuaient sa semaine ?

« Se défendre, entraîner le cardio et partager un moment convivial avec un camarade.

-J'avoue ne pas comprendre l'intérêt de se violenter mutuellement, mais si le passé l'exigeait, le passé l'exigeait.

-C'est comme les anneaux : un choix dans un large éventail d'activités pour se maintenir en forme.

-Je te fais confiance, tu connais ton époque mieux que moi. Mais pour revenir au sujet qui m'intéresse : si tu cours, est-ce que tu veux que l'on pratique ensemble ? J'aimerais bien courir tôt le matin, avant d'aller au travail.

-On peut, j'ai l'habitude des réveils aux aurores de toute façon. »

Pendant que les autres nettoyaient les casernements, il s'habillait tranquillement et préparait sa journée de travail. Privilège d'être un caporal-chef : le balai et la serpillère, c'est bien pour les petits nouveaux.

La marche jusqu'au logement de Nimrud est un peu longue, elle habite au centre du quartier résidentiel, non loin d'un parc. Dans une réflexion typiquement soldatesque qui suscite en lui un sourire, Val' se demande s'ils ont un terrain de sport, ou si son hôte s'est aménagée un gymnase personnel.

« Au final, » débute le dormeur, « ton canapé est confortable ?

-Mon canapé ? Oui, pourquoi ?

-Parce que, si je suis en collocation avec toi, il faut bien que je dorme quelque part.

-Je pensais t'aménager une place dans ma salle de sport. Sortir mon ancien matelas du placard et quelques coupes vues pour que tu aies une simili-chambre. Ça ou te proposer de dormir avec moi. » Plaît-il ?

« Plaît-il ? » Non, non, non et encore non.

Se réveiller plusieurs siècles dans le futur : acceptable.

Perdre son métier, quand bien même il est indispensable à toute société qui se respecte : passe encore.

Vivre dans une utopie sans sport de combat, ni blagues politiquement incorrectes : difficile, mais passe encore.

Partager le lit d'une fille au premier rendez-vous : non.

Certes elle est belle, certes elle est accueillante, certes ils aiment le sport.

Mais là, ça ne sonne pas rond.

Tirer sa crampe chez les filles, en échange de cent crédits pour une demi-heure, oui bien sûr. Il l'a déjà fait et c'est un bon moyen de se détendre. Par contre, avec Nimrud ? Il n'arrive pas à identifier la bonne longueur d'onde.

Est-ce une proposition criante de naïveté et strictement platonique ? Une invitation déguisée à faire grincer les ressorts du pieu ? Ou même, soyons fous c'est le futur, une sorte de rituel social que Syra aurait omis d'évoquer ?

Il prend trop de temps à répondre et doit avoir une mine stupéfaite, puisque sa camarade développe son propos.

« Tu ne vas pas dormir sur mon canapé quand même. En plus, je croyais que les gens du passé étaient beaucoup plus extrêmes que nous. Je suis étonnée que tu hésites.

-Dormir dans le même qu'un membre du sexe opposé...

-Si tu le souhaites, je peux te trouver une collocation avec un homme.

-Non ! » Cette fille a le don de le désarçonner.

Les gens en général.

Val' prend une longue inspiration et reprend d'une voix assez calme, mais troublée par l'excédent d'informations.

« Je préfèrerais sincèrement dormir sur le canapé. J'ai besoin d'un peu d'espace pour m'accoutumer à ma nouvelle vie. Je croyais que la collocation avait seulement pour but de s'intégrer plus facilement au sein de la communauté.

-Bien sûr, mais il faut pouvoir tisser des liens. Je suis volontaire tu sais, j'ai vu ta photo et je me suis dit que tu en valais le coup. » C'est flatteur, à moins que le futur n'ait profondément altéré l'esprit des humains, ce qui est très possible, compte tenu de l'ambiance qui règne dans la Volière. « Si Syra n'avait pas confiance en toi, elle n'aurait pas suggéré une collocation.

-Syra se porte garante de moi ?

-Plus ou moins, elle est la première à discuter avec vous. Donc forcément, Suzerain tient compte de son avis.

-Et Statilia ? Qu'est-il advenu d'elle ?

-Elle est en colocation avec Dassi, un infirmier de l'hôpital. Apparemment, elle dort toujours sur son canapé et hésite à partir chez Syra. »

Parfait, sa cheffe est toujours saine d'esprit. La médecin aussi n'est pas devenue folle depuis le temps.

Pour être tout à fait honnête avec lui-même, Val' a une furieuse envie de crécher chez la toubib. Même si cela veut dire à même le sol. Au moins, il n'aura pas à jongler avec toutes ces situations anxiogènes. Son dos a vu pire.

Il réfléchit bien plus qu'il ne voudrait l'admettre à la meilleure option.

C'est seulement en arrivant chez son hôte qu'il accepte pour de bon la colocation avec elle. Après tout, il ne risque rien à rester chez elle pour quelques nuits, non ?

Le reste de la journée est assez calme : ils cuisinent ensemble le dîner. De la viande cultivée en laboratoire, avec des haricots rouges qui ont poussé en serre hydroponique. Le plat de résistance est très correct, le dessert à base de fraises aussi.

Le dôme de Nimrud est tout ce qu'il y a de plus accueillant. Un salon qui double en tant que salle à manger, une cuisine, une salle d'eau et une chambre. Toit sphérique composé de triangles dans des matériaux composites qui conservent la chaleur, entrée en baie vitrée pour laisser passer la lumière, parquet chauffant. Un poêle dans le salon pour les hivers difficiles. Le peu d'espace à l'étage sert de stockage. Rustique, mais efficace.

La soirée est consacrée à des jeux de société, à son grand soulagement, les échecs restent au programme, l'occasion de discuter un peu des époques.

« Comment était-ce ? La vie avant ? » Demande Nimrud avec une certaine gravité, comme si elle venait de comprendre toutes les implications d'importer chez elle un homme du passé. « Syra en parle assez peu, comme si la période était maudite.

-Syra était militaire et une cyborg. Elle a un avis assez sombre parce qu'elle a eu droit au pire.

-Je ne comprends pas. » La vérité ?

Syra était médecin militaire, un jour elle a dû être grièvement blessée. Ensuite, elle a eu un choix très simple : devenir militaire à vie, en échange d'augmentations cybernétiques qui en feraient une super humaine. Ou alors, renoncer aux augmentations, se contenter de prothèses standards et toucher une pension d'invalidité.

Littéralement, être esclave de l'armée jusqu'à la fin de ses jours, mais avoir la santé, ou être libre et handicapée.

« C'est difficile à dire. » Admet Val', il ne peut pas tourner le dos à l'armée comme ça. Il aimait ça. « J'ai été blessé au combat. C'était une vie difficile, mais avec une mission et une camaraderie extraordinaire. Ma vie avait un sens. » Maintenant, un grille-pain doué d'une conscience a déclaré que son métier était barbare et une relique d'un âge sombre.

Il baisse la tête, putain, on en est là.

Le sens de sa vie est parti aux chiottes sur une décision d'un truc qui n'a même pas vécu.

« En quelle année sommes-nous ? » Cela va faire une semaine qu'il ignore l'éléphant dans la pièce, autant savoir.

« Nous sommes en 3075. » Quatre cents ans au frigo.

Il retient ses larmes, il retient tous les commentaires acerbes qu'il pourrait faire, ou cette envie de s'allonger et de dormir, en espérant que le sommeil tasse une journée riche en émotions.

C'est le dernier de sa famille, son chat est mort, son unité est morte, son pays aussi, tout ce pourquoi il a combattu est parti dans les limbes.

Il ne réagit pas, c'est sans doute le mieux.

« Je suis désolée pour toi Valère.

-C'est... Ce n'est pas grave. Que s'est-il passé entre temps ?

-Je ne pourrais te le dire. Personne ne connaît l'histoire. Simplement qu'il y a un siècle de cela, l'humanité avait atteint ce qu'on appelle le point de rupture. Que nous étions les descendants d'une humanité nouvelle, que nous n'avions plus besoin de nous encombrer de sentiments tels que la violence, l'avarice, ou autre. Que nous devions être une humanité inclusive, ouverte, qui respecte tout le monde, afin d'obtenir le bonheur de tous.

-D'accord. » Donc, il a tout perdu pour au final mener une vie paisible, sans souffrances ?

Eh bah c'est la galère ! Parce que de la souffrance, il en a assez pour tenir tout le reste de son existence.

Nimrud doit sentir son désarroi, pas difficile en même temps, il a du mal à tout retenir.

« Je suis sûre que tu trouveras ta place parmi-nous. Je suis là pour t'aider. On te trouvera une activité que tu aimes faire.

-Ouais, ouais... » Il n'y est plus.

Le reste de la soirée se passe plus ou moins vite. Le temps semble se dilater, certaines minutes se transforment en heure, au contraire, certaines heures se transforment en secondes. L'horloge tourne à un rythme irrégulier et s'il arrive à jouer, il a du mal à réfléchir. En fait, penser est trop dur.

Quand son hôte lui tend une pilule rose, il sait déjà ce qu'elle va dire.

« Une gélule contre le désespoir. Elles sont gratuites et j'en ai quelques-unes, pour les soirées difficiles.

-J'apprécie, mais je vais éviter pour le moment. Je vais essayer de dormir un petit peu, je crois que je vais rejoindre Statilia et Syra. » Pour la première fois depuis le début de la journée, Nimrud a un air attristé sur son visage.

« Je ne pense pas que ça soit la bonne solution, mais je ne t'empêcherai pas d'aller les voir si tu le souhaites.

-Il faut que je discute avec ma chef. Je n'ai pas revu Statilia, je lui dois bien ça. Ne serait-ce que pour comprendre ce qui va nous arriver. »

Bien sûr, il pourrait sortir d'autres excuses, celle-ci est bien la seule qui fait réellement sens à ses yeux. Il ne veut pas simplement savoir, il veut comprendre dans son entièreté le nœud du problème. Il veut comprendre dans quoi il s'engage.

C'est peut-être pour cela que lorsque vient l'heure de dormir, il se roule en boule sous la couverture, sur le canapé. Très vite, ses yeux s'adaptent à la pénombre, la lueur des étoiles dans le ciel lui donnent un filet de clarté au travers des rideaux.

Exactement comme une nuit sur le terrain, sauf qu'au lieu d'être avec une dizaine de gus dans une tente, il est seul dans les ténèbres.

Nimrud ne percute pas.

Les autres non plus, sauf Syra et Statilia.

La toubib lui a dit que tout irait bien, que les crises d'angoisses seraient passagère, qu'il a besoin de temps pour digérer toutes les infos.

Statilia lui dirait d'avancer, de chercher les signes, que les petites victoires forment les grandes. Elle lui dirait de voir les petits bénéfices des grandes pertes. Qu'il ne va plus risquer sa vie. Qu'il n'est plus enchaîné à une institution guerrière. Que s'il veut prendre un nouveau départ, c'est le moment parfait.

Pourtant, ses dents se mettent à claquer.

Il n'est pas en train de devenir fou ! Le reste du monde a craqué et on lui demande de devenir cinglé à son tour ! On est en train de le juger parce qu'il veut continuer de faire ce qu'il sait faire de mieux !

Il faut qu'il aille voir Statilia, et Syra, et tous les autres qui se sont réveillés.

Sinon il va devenir fou.

« Val' ? » La lumière de la chambre qui s'allume, des bruits de pas.

Ses claquements de dents ont dû réveiller Nimrud.

Il ne réagit pas quand elle s'assoit à côté de lui sur le canapé.

Elle lui tend la main et il la saisit comme si c'était son dernier lien avec la réalité.

Le futur est plus terrifiant que la guerre.

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