Le soleil, furieux, tapait toujours aussi férocement et le véhicule traçait le chemin sinueux d'une route de terre visiblement peu empruntée. Elle était pleine de cailloux, couverte de bosses et bifurquait parfois si soudainement que les sept passagers arrière manquaient de se donner des coups de tête.

Ils riaient, les passagers, se lançaient pics et plaisanteries bien senties qui en faisaient couiner plus d'un. Hyunjin, installé sur la droite, s'accrochait des deux mains aux barreaux situés juste derrière lui, tentant tant bien que mal de rester en place. Un mal de crâne ignoble cognait contre ses tempes et son front. Le noiraud ne savait quelle en était la cause.

Peut être était-ce la puissance des rayons solaires ? Il n'avait pas bu d'eau depuis quelques heures déjà et refusait de siroter les boissons gazeuses que les autres lui proposaient, un mauvais pressentiment pesant sur sa nuque. Hyunjin avait aussi la nausée ; "l'estomac au bord des lèvres" qu'il disait aux autres. Ils tiquaient un peu, levaient parfois les yeux au ciel, et indiquaient à leur ami de regarder l'horizon. Après tout c'était peut être les remous incertains de la voiture qui le rendaient malade.

Tous se retrouvaient un peu accablés ; les uns par les humeurs floues du noiraud et les autres par seungmin qui ne cessait de leur fourrer son appareil photo dans la figure. Tous sauf peut être Jeongin qui était assis aux cotés de Hyunjin. Le cadet glissait une de ses paumes sur l'épaule ou le dos de son aîné, il y exerçait quelques pressions ou douces caresses sensées le rassurer et le plus grand soupirait.

Le voyage n'était pas sensé être long après tout. Tout allait bien se passer. Ils allaient arriver en ville, découvrir leur joli Airbnb, s'installer dans les canapés spacieux qu'ils avaient vus en ligne et dormir quelques heures afin de recharger leurs batteries. Cependant, Hyunjin n'avait aucun souvenir de l'appartement qu'ils avaient soit disant loué et ça l'angoissait. Pourquoi son esprit tenait-il tant à demeurer aussi brumeux ?

La voiture sembla s'engouffrer sur un terrain différent et tous levèrent la tête vers le conducteur. Chan, remarquant qu'ils ne suivaient plus de route, apostropha le brun installé derrière le volant.

« Minho ? Qu'est-ce qu'on fout dans l'herbe ? » s'enquit-il, une once de souci enlaçant sa voix d'habitude si rassurante.

De là où il était situé, Hyunjin aperçut les épaules du pilote se soulever doucement, signe du peu d'inquiétude qui baignait dans ses entrailles. Minho s'humidifia les lèvres d'un coup de langue furtif avant de prendre une courte inspiration.

« Y a plus de chemin. La route nous a déversés ici. expliqua-t-il
- Vous êtes toujours sûrs que c'est une bonne idée ? interrogea Hyunjin.
- Mais oui, je suis persuadé qu'on va dans la bonne direction. intervint Jisung, avachi sur la valise de Seungmin.
- Ouais, si la carte dit vrai, on n'est pas en train de se perdre. » ajouta Changbin.

Ce dernier suivait une trajectoire précise du bout d'un doigt posé sur le papier usé de nombreux plis. Il semblait savoir ce qu'il faisait tandis que Felix, penché par dessus son épaule, ne savait probablement pas lire les courbes et formes irrégulières dessinées ; d'où son regard confus et ses sourcils froncés.

Hyunjin fit balancer sa tête vers l'arrière, percutant le coussin de son siège avec force. Son crâne lui lança horriblement, une douleur électrisante secouant sa nuque entière jusqu'à faire crisper ses épaules. Un grognement lui échappa d'ailleurs, son qui sembla passer inaperçu aux oreilles de ses compagnons de voyage. Ils s'étaient presque tous agglutinés autour de celui qui tenait la carte entre ses mains. Changbin essayait de leur expliquer où ils se trouvaient.

Jisung, toujours au fond du véhicule, somnolait légèrement, l'air plus absent qu'autre chose. Hyunjin ne comprenait pas comment il pouvait être aussi détendu. Tout lui semblait pourtant instigateur de stress et d'incertitude. Le noiraud n'avait jamais aimé les imprévus, sources de peur injustifiée et d'angoisse pour lui. Il préférait toujours tout savoir, avoir un plan A et un plan B, une liste de solutions à chaque problème qui pouvait survenir. Mais là, rien.

Hyunjin baignait dans l'incompréhension et il n'aimait pas ça. Les conversations alentours s'étouffèrent dans le bourdonnement qui faisait vibrer les tympans du noiraud. Ce dernier leva les yeux vers l'azur, observant la limpidité si singulière de ce dernier et les lunes qui semblaient le juger de là où elles se trouvaient. Il avala difficilement la salive récoltée dans les tréfonds de sa bouche, ce qui enflamma son larynx et le fit tousser à plusieurs reprises.

Felix, plein de bonnes intentions, vint le frapper dans le dos et Hyunjin ne put réprimer le sursaut qui secoua sa silhouette. Il chassa la paume de son ami sans le vouloir, creusant une ride de souci sur le front lisse du blond. L'apeuré s'excusa immédiatement, accusant son mal de crâne et la semi fièvre qui s'amusait à se hisser sur sa figure crayeuse.

L'autre acquiesça doucement, probablement blessé mais surtout compatissant.

« Tu devrais fermer un peu les yeux. Faire une sieste. » proposa-t-il

Hyunjin secoua la tête, aggravant son mal de crâne et Felix souffla avant de retourner s'assoir à la place qu'il occupait précédemment. Ce n'était pas dans les habitudes du blond d'être aussi peu patient. Mais le noiraud n'y pensa pas plus, estimant que son état et la façon dont il avait agi jusque là, jouaient dangereusement avec les nerfs de tout le monde.

Si il pouvait arrêter, Hyunjin le ferait. Rien ne l'amusait moins que d'être confus. Malgré toutes ses tentatives de compréhension de, non seulement, la situation mais aussi de la dynamique du groupe qui lui semblait anormale, il ne parvenait à rien. Hyunjin restait là, le séant posé contre son siège et les yeux affolés, les laissant vagabonder de ses amis à l'horizon.

Alors il se contentait de fermer la bouche. Le noiraud essayait d'écouter malgré les maux qui secouaient sa tête.

Soudain, Felix sembla apercevoir quelque chose au loin. Un grand sourire s'installa sur ses pulpeuses rosées tandis qu'il se dressa sur ses deux jambes, se saisissant des barres métalliques servant de plafond afin de se tirer debout. Hyunjin n'y vit que du danger, si bien qu'il posa sa paume gauche sur l'épaule de son ami. Une fois son attention attirée, il lui indiqua que c'était dangereux, qu'il valait mieux rester assis.

Le blond lui lança un regard mauvais, ses yeux noirs à glacer le sang. Jamais on n'avait vu telle expression sur le visage pointillé de l'autre. Hyunjin devint muet et Felix s'ébroua vivement, se débarrassant alors de la main de son aîné.

Ils ne dirent mot. Le plus grand se contenta d'observer son ami et, à contre coeur, le laissa faire ce qui lui chantait.

•

Il devait être midi quand le véhicule s'arrêta brusquement. Hyunjin, qui avait les yeux clos sous la hargne des rayons solaires, crut sentir son coeur s'arrêter. Son corps ne s'était toujours pas remis de sa lassitude. Une fois ses paupières ouvertes, le jeune homme lança des regards affolés aux alentours puis, étudia les visages de ses compagnons de voyage.

Au vu des airs alarmés qu'ils arboraient tous, Hyunjin se dit qu'ils devaient être tout aussi surpris que lui. Bizarrement, le fait de partager une même émotion avec eux lui donna un certain réconfort dont il manquait cruellement depuis de longues heures.

« Minho ? Qu'est-ce que tu fais ? interrogea le plus vieux d'entre eux.
- La route est barrée ! » s'écria le pilote.

À l'entente de cette information, les sourcils de Hyunjin se froncèrent doucement. Des pensées floues tourbillonnant au centre de son esprit, il leva enfin les yeux vers l'avant de la voiture.

En effet, une large barrière de fer — qui semblait s'étendre sur des centaines de mètres — coupait court à leur trajet. Lentement, les orbes du noiraud longèrent la surface du mur et il se dit que, peut être qu'à la vue d'un tel obstacle, ses amis décideraient de rebrousser chemin.

Telle idée réjouissait Hyunjin mais il se tut, par peur de n'apporter que contrariété inutile. Secoué, il se contenta de suivre ses amis qui, de gestes vifs, descendaient du véhicule.

À pas accidentellement feutrés au gré des herbes hautes, ils suivirent Chan qui s'approchait de la barrière. Ce dernier était anormalement taiseux ou plutôt pensif, Hyunjin n'était plus sûr de rien. Il pensa que leur aîné était probablement à cran, ennuyé par la tournure des événements ; ce qui n'étonna en rien le noiraud. Après tout, si le plan de base était de prendre le bus, ils avaient déjà bien perdu le Nord.

« Qu'est-ce qu'on va faire ? » demanda Hyunjin, à l'attention de Felix, qui marchait à ses cotés.

Contre toute attente, le blond ne répondit pas ni ne daigna poser les yeux sur son ami. À la place, il se contenta de renifler sèchement avant d'accélérer le pas, laissant derrière lui un Hyunjin hébété.

Le plus âgé de la bande s'arrêta à quelques centimètres de l'obstacle et sembla retenir son souffle — les sept autres l'imitèrent. Hyunjin se dit qu'il tendait l'oreille mais il ne comprenait pas vraiment pourquoi. Et ça l'ennuyait, de ne pas comprendre. Il n'en pouvait plus de se sentir idiot.

Malgré lui, Hyunjin perdait patience. Il en avait marre ; de tout, de rien. Le jeune homme n'était éveillé que depuis quelques heures et tout semblait tourner au pire : Hyunjin ne savait plus où ils allaient, Felix était en colère contre lui, les personnes qu'il appelait ses "meilleurs amis" ne cessaient de le regarder avec pitié, il avait l'impression de parler dans le vide ou qu'on ne l'écoutait pas, son corps ne répondait qu'à une de ses envies sur deux et maintenant, en plus de tout le reste, la route était barrée ? Le sort s'acharnait sur lui et Hyunjin commençait à effleurer ses limites.

« Elle n'est pas électrisée. » déclara Chan, coupant court aux divagations du noiraud.

Voilà donc ce que le décoloré faisait ; il avait écouté, à la recherche d'un quelconque bourdonnement. Comprenant au moins une chose, Hyunjin souffla doucement, comme pour relâcher la pression qui tirait sur ses entrailles.

Il se sentit presque défaillir. Alors, l'étourdi fit volte face et s'apprêta à rejoindre le véhicule tandis que ses amis débattaient à propos de leur prochain mouvement. Son tour de 180° complété, Hyunjin aperçut Seungmin. Debout derrière les sept autres, le brun tenait son appareil photo, prêt à immortaliser l'instant.

Hyunjin vit rouge.

Peut être était-ce la puissance du flash ou la réalisation qu'il n'y avait que lui qui trouvait tout cela inquiétant qui le poussa à bout. Hyunjin ne savait pas et il ne saurait jamais. Tout ce dont il était conscient, c'était qu'il avait envie de sauter au cou du photographe. Et il s'en donna à coeur joie.

À grandes enjambées, le noiraud accouru vers Seungmin qui, confus, fronça les sourcils en le regardant approcher.

« Qu'est-ce que– » commença-t-il, avant d'être interrompu.

Arrivé à la hauteur de l'autre, Hyunjin se saisit de son appareil et le jeta violemment contre le sol. L'excès de colère lui fit un bien fou, comme si, pour une fois depuis des lustres, il était maître de ses gestes. Même si il savait que ça ne ferait qu'envenimer la situation, il ne pu retenir le léger rictus moqueur qui se posa contre ses lèvres.

Malheureusement, ce sourire ne passa pas inaperçu.

Seungmin jura, fort, ce qui alerta leurs compagnons de voyage. Ils se retournèrent en direction de la provenance du bruit, pour comprendre ce qu'il se passait ; et ce fut cet instant que le brun choisit pour fondre sur Hyunjin. Il déposa ses mains contre son torse puis, brusquement, il le poussa de toutes ses forces.

Habituellement, le noiraud aurait été capable de tenir tête à son cadet sans grande difficulté. Il serait resté debout tant la puissance de ce dernier était faible comparée à la sienne. Cependant, cette fois, il manqua de s'écrouler. Et ça n'arrêta pas Seungmin qui s'apprêtait déjà à la seconde salve.

Si Changbin ne s'était pas interposé — si les autres ne les avaient pas retenus — Hyunjin pensa qu'il aurait probablement frappé le brun. Peut être aurait-il écrasé son poing contre la ligne de sa mâchoire ou alors aurait-il tenté de cogner sa jambe contre l'arrière des genoux de son ami ? Tant de possibilités s'étaient enfin ouvertes à lui mais on s'était empressé de les lui confisquer.

Alors, Hyunjin fit tout ce dont il pouvait se permettre. Il hurla, espérant que sa frustration le quitte une bonne fois pour toute. Sous le regard de ses amis de longue date, et celui des trois corps célestes, il se donna en triste spectacle. Ses genoux lâchèrent mais Minho, qui le retenait par l'épaule, le soutint tout en lui intimant de se calmer.

Hyunjin voulu pleurer, mais c'était comme si on lui avait volé ses larmes. Il se contenta donc de laisser sa tête valser vers l'avant ; sa migraine lourde et sa respiration courte.

Éreinté, le noiraud se laissa guider jusqu'au véhicule stationné. Il ne broncha pas quand on le fit s'assoir ni ne posa de question quand il vit les autres monter à bord. Hyunjin ne dit mot quand il entendit le pilote claquer la porte avant d'enclencher le moteur et d'appuyer sur l'accélérateur.

Il ne savait comment ils avaient fait tomber l'un des pans du mur de fer et puis, au point où il en était, Hyunjin n'en avait plus rien à faire.