6. La proposition...
Rome, palais de Publius Cornelius Rufin, quelques jours plus tôt
Alors que la fête organisée par le Dictateur Rufin bât son plein, le légionnaire Meranda regarde, abasourdi, le vieil homme s'avancer vers lui. Le Consul Caecus prend appuie péniblement sur sa canne. L'aigle du pommeau semble lancer un drôle de regard à Meranda, comme pour le prévenir que quelque chose se trame.
CAECUS
Meranda ! Vous avez un instant ?
MERANDA
Bien sûr.
CAECUS
J'ai à vous parler. Mais d'abord, emmenez-moi dans un coin un peu plus calme, mes yeux me font défaut.
Meranda l'entraîne dans un petit patio à l'écart des festivités.
MERANDA
Que puis-je pour vous Consul Caecus ?
CAECUS
J'ai ouï dire que ce cher Catulle Volusii avait pour dessein de fiancer l'une de ses filles à mon fils aîné, Russus.
MERANDA
Je ne suis malheureusement pas dans la confidence des familles patriciennes de Rome. Je ne suis qu'un simple légionnaire.
CAECUS
Peu importe. J'ai moi aussi d'autres desseins pour Russus, et certainement pas de l'unir avec une jeune fille de l'aristocratie de Rome.
MERANDA
Comme je vous comprends. Elles sont tellement imbues de leur personne. Tout tourne autour d'elles, et...
CAECUS
Et je vous rappelle que j'ai deux filles...
MERANDA
Navré Consul. Je voulais parler plus précisément de cette jeune-fille que je viens de croiser : Cornélia Volusii. Charmante au premier abord, mais véritable harpie l'instant d'après. Votre fils mérite certainement mieux.
CAECUS
Russus ira là où je lui dirais d'aller. J'ai des projets pour lui en Campanie.
MERANDA
Une région hellénistique...
CAECUS
En effet. Les grecs sont bien plus avancés que nous. Et si mes concitoyens romains étaient un peu moins orgueilleux et ouverts d'esprit, ils s'en rendraient vite compte.
Caecus fait une pause, pour marquer l'instant. Meranda ne trouve rien à redire.
CAECUS
Meranda, j'ai un service à vous demander.
MERANDA
Je vous écoute.
CAECUS
J'aimerais que vous vous occupiez de cette jeune Volusii.
MERANDA (surpris)
Euh.... Vous voulez dire ? Enfin... (parlant doucement) la tuer ???
CAECUS (souriant)
Non, bien sûr. J'aimerais que vous la courtisiez.
Meranda s'étouffe.
MERANDA
Pardon ?
CAECUS
Vous m'avez tout l'air d'être l'homme de la situation.
MERANDA
C'est que... J'ai fait mauvaise impression, à l'instant, avec elle.
CAECUS
Voyons, vous êtes jeune et plein de ressources. Vous saurez bien tirer les ficelles de la flatterie.
MERANDA
Je crains qu'elle ne veuille plus jamais entendre parler de moi après mes propos déplacés. J'ai piqué son orgueil au vif.
CAECUS
Alors vous êtes plus à l'aise sur un terrain rempli d'hommes prêt à en découdre qu'avec une jeune femme.
MERANDA
Hélas, je crains que mes compétences soient un peu limitées en la matière. Cette soirée n'y aura pas fait exception.
CAECUS
Vous avez tout à apprendre des femmes Meranda. Je n'ai pas le temps de parfaire votre éducation, mais sachez que conquérir le cœur d'une jeune-fille très courtisée, requiert endurance et stratégie. En guerre comme en amour, pour en découdre, il faut se voir de près.
MERANDA (sceptique)
Je vais réfléchir à la thématique.
CAECUS
Vous ne comprenez pas bien l'enjeu de cette requête !
MERANDA
En effet, j'ai bien peur de ne pas vous suivre...
CAECUS
Et bien disons que si vous empêchez ce mariage de se produire, je recommanderais votre nom l'an prochain en tant que Consul.
Meranda s'étouffe.
MERANDA
Pardon ?
CAECUS
Vous m'avez bien entendu. Réfléchissez à la proposition et agissez vite ! Je connais Catulle. Son empressement n'a d'égal que la beauté de ses filles. Russus ne doit pas tomber sous le charme de sa fille.
Pendant ce temps, de l'autre côté de l'atrium, Carmen rejoint sa fille Cornélia et l'entraîne à l'écart.
CARMEN
Que s'est-il passé avec Russus ? J'ai vu que tu l'avais quitté plus vite que prévu.
CORNELIA
Ce Russus est un goujat.
Sa mère affiche une mine sombre.
CORNELIA
Je suis navrée mère, mais ce que vous me demandez est impossible...
CARMEN
Ma chérie, je comprends que certaines choses peuvent te choquer, mais nous devons trouver un moyen de sauver la situation.
CORNELIA
Sauver... quelle situation ? Livia est mariée à l'homme le plus puissant de Rome. Qu'est-ce qui vous fait dire que...
Carmen affiche une mine déconfite.
CORNELIA
Je ne comprends pas... Que se passe-t-il ?
CARMEN
Ma chérie, tu es encore une enfant, mais il est l'heure pour toi d'entrer dans ce monde, qui peut parfois être si cruel.
CORNELIA
Dites-moi, qu'y a-t-il que je ne sais pas ? Quelque chose vous trouble.
CARMEN (soupirant)
Ta sœur n'est pas comme qui dirait parfaite.
CORNELIA
Ce n'est pas nouveau, vous la connaissez, elle peut se montrer si désinvolte, si...
CARMEN (lui coupant la parole)
Elle a eut une liaison avec Russus !
A ces mots Cornélia se fige.
CORNELIA
Que dîtes-vous ??
Carmen regarde ailleurs en proie à un profond malaise.
CORNELIA
Attendez, et en sachant cela vous voulez que j'épouse l'amant de ma sœur ??? Mais c'est insensé !!
CARMEN
En fait, ça va beaucoup plus loin que ça. Elle...
Carmen se tait, ne sachant pas comment annoncer ça.
CORNELIA
Parlez..... je vous en conjure.
CARMEN
Ta sœur attend un enfant de Russus.
CORNELIA
De ce gros porc ??? A-t-elle perdue la raison ??
CARMEN
Personne n'est au courant, mais cela va vite se savoir. Nous allons envoyer Livia en Campanie dans les prochains mois, car si Rufin l'apprend, le discrédit sera jeté sur notre famille.
CORNELIA
Mais comment a-t-elle pu faire une chose pareille ?!!
CARMEN
Livia n'est pas du genre fidèle.
CORNELIA (furieuse)
Et donc vous voulez que je rachète les erreurs de ma sœur ?!!
CARMEN
Pas si fort, nul ne doit nous entendre.
CORNELIA
Mais...
CARMEN (lui coupant à nouveau la parole)
Je sais que c'est injuste, mais il s'agit de ta famille, de ton propre sang.
Cornélia fulmine, la soirée tourne au cauchemar.
CORNELIA
Et même si je me marie avec Russus, à combien de mois sa grossesse en est-elle ?
CARMEN
3 mois.
CORNELIA
Est-elle sûr que c'est lui le père ?
CARMEN
Rufin ne l'a jamais touchée... Il n'est pas très porté sur la chose.
CORNELIA
Mais, mais c'est insensé !! Elle me dit qu'il court à droite et à gauche.
CARMEN
Ta sœur te ment. Elle a besoin de sentir qu'elle a le contrôle, il en a toujours été ainsi.
CORNELIA (ayant une révélation)
Je comprends mieux la petite comédie de Russus de tout à l'heure. En parlant de distraction dans chaque port, Russus parlait de Livia, et non de Ruffin, son dictateur de mari.
CARMEN
Je sais que tout cela est dur à encaisser. Mais la guerre contre Pyrrhus s'intensifie. Tous les hommes vont partir à la guerre, pendant des mois. Nous mettrons tout en place pour qu'il ne voit pas ta sœur pendant ce temps.
CORNELIA
Et moi ?? Suis-je censée faire quoi ?
CARMEN
T'assurer de faire croire à Russus que tu es enceinte de lui. Mais pour cela il faudra aller très vite. Ils retournent à la guerre la semaine prochaine.
CORNELIA
Vous me demandez d'avoir une aventure avec lui alors qu'il en a eut plusieurs, avec la moitié de Rome ? Et ensuite d'épouser ce fils ingrat en adoptant le futur enfant de ma sœur ?!!
CARMEN
Ma chéri, comprends bien que si Livia est découverte, plus jamais aucun homme ne s'intéressera à toi ! Cette histoire jettera le discrédit sur notre famille. Nous serons la honte et la risée de tout Rome. Est-cela que tu souhaites pour notre famille ?
CORNELIA
Papa est-il au courant ?
Sa mère ne dit plus rien.
CORNELIA
Père ne sait rien ?!!
CARMEN
Non. Je lui ai juste soufflé que tu ferais une excellente épouse auprès du fils de Caecus, et qu'il était temps pour toi de te marier.
CORNELIA
C'est donc vous ! Vous, qui avez monté toute cette affaire depuis le début.
CARMEN
Livia était effondrée.
CORNELIA
Elle n'avait qu'à y réfléchir avant de se donner au premier venu !!
CARMEN
Ne soit pas si dur avec elle. Tu n'as aucune idée de ce qu'elle traverse.
CORNELIA
Quelle fléau, elle me le paiera.
Une voix derrière elles, les fait rebondir.
CATULLE
Ah, vous êtes ici, je vous cherchais partout.
CORNELIA
Père !
Carmen est toute livide.
CATULLE (l'embrassant sur le front)
Tu es toute blanche ma chère femme. Quelque chose ne va pas ?
CARMEN (bégayant)
Je... tu, euh...
CORNELIA (intervenant)
Maman a manger une mauvaise datte.
CATULLE
Oh, rien de grave j'espère ?
CORNELIA
Elle a besoin de se reposer. Venez, laissons-là.
Carmen regarde sa fille partir dans l'atrium. Elle pousse un soupire de tristesse.
CATULLE
Tu as l'air bouleversée Cornélia. Tout se passe bien ?
CORNELIA
J'ai vu une ancienne amie, mais elle ne m'a pas reconnue.
CATULLE
Étrange en effet.
CORNELIA (reprenant son souffle)
Bref des broutilles de jeunes-filles. Alors quelles affaires ont retenues votre attention père, pour que vous arriviez en retard à la réception de votre gendre ?
CATULLE
Une réunion militaire de dernière minute.
CORNELIA
Comme toujours, j'aurais du m'en douter.
CATULLE
Je sais ton aversion pour les guerres, mais la situation est entrain de changer. Tu n'ignores pas que les villes de la Grande Grèce (*Italie du Sud) ne sont plus aux mains de Pyrrhus.
CORNELIA
Et comment... Rome ne parle que de ça.
CATULLE
Pyrrhus a perdu beaucoup de terrain en Sicile, et nous tentons de le faire battre en retraite en Grande Grèce.
CORNELIA
Vous lui tendez un piège ?
CATULLE
Exactement.
CORNELIA
Vous pensez vraiment défaire ce tyran ?
CATULLE
En tout cas, nous œuvrons pour. Nous avons rallié les Carthaginois à notre cause.
CORNELIA
Pardonnez-moi père, mais ne jouez-vous pas un jeu dangereux avec les Carthaginois ? Un coup ce sont vos ennemis, un autre, vos alliés.
CATULLE
Disons que nous faisons cause commune : chasser Pyrrhus.
CORNELIA
Il se murmure dans Rome que la Grande Grèce est en passe de devenir romaine.
CATULLE
Espérons-le. Pendant que Pyrrhus tentait de conquérir la Sicile, nos armées ont pu se refaire une santé et reprendre le contrôle des territoires perdus dans les Pouilles et en Lucanie. Et tout ça, sans rencontrer de résistance.
CORNELIA
Je reconnais là votre signature et votre gout pour les négociations. Et j'en suis fière. Comment pensez-vous faire venir Pyrrhus ?
CATULLE
Justement avec l'aide des Carthaginois, nous lui avons repris son dernier bastion, la ville de Tarente. En ce moment même, il doit avoir pris connaissance de nos actes.
CORNELIA
Et bien, j'espère que votre manœuvre sera couronnée de succès.
CATULLE
Il le faut. Sans ça...
Catulle s'arrête de parler, les yeux dans le vide.
CORNELIA
Qu'y a-t-il père ? Vous avez l'air soucieux tout d'un coup.
CATULLE
Je... Non rien. Ne t'en fais pas. Alors comment se passe ta soirée ?
Cornélia s'étrangle.
CORNELIA
Par.. faite.
CATULLE
Tu as fait la connaissance de Russus ?
CORNELIA (levant les yeux au ciel)
Oui...
CATULLE
Tu n'as pas l'air ravi ma fille. Ta mère m'avait dit que...
CORNELIA (soupirant)
Oui maman a toujours plus d'un tour dans son sac... Je vais chercher du vin, en voulez-vous ?
CATULLE
Volontiers.
Cornélia disparait dans l'atrium.
CORNELIA (à elle-même)
Je vais en avoir besoin... si je veux avoir son soutien contre maman et Livia.
Au moment de prendre un gobelet de vin, une ombre se matérialise devant elle. Le légionnaire Meranda lui sourit.
MERANDA (s'emparant du gobelet)
Oh, c'est charmant, vous avez pensé à moi.
CORNELIA
Qui vous a autorisé ?
Meranda engloutit le breuvage.
MERANDA
J'en avais rudement besoin.
CORNELIA
Vous aussi ? Vous passez une charmante soirée ?
MERANDA
En charmante compagnie.
Cornélia se retourne.
CORNELIA
Où est cette délicieuse personne ?
MERANDA
Mais là, sous mon nez.
CORNELIA
Vous plaisantez j'espère ?
MERANDA
En ai-je l'air ?
CORNELIA
Disparaissez tout de suite de ma vue !
MERANDA
Et bien, quelle grossièreté.
CORNELIA
Combien de futs avez-vous engloutis ce soir ?
MERANDA
Seul Bacchus le sait.
CORNELIA
Vous êtes saoul mon pauvre ami !
MERANDA
Je suis déjà votre ami ? Eh bien, on dirait que j'ai fait du chemin.
CORNELIA
Simple expression. Vous ne serez jamais mon ami,ou quoique ce soit d'autres, rassurez-vous.
MERANDA (vexé)
Par Mars, que suis-je censé faire pour que vous trouviez ma conversation agréable ?
CORNELIA
Pour commencer, cessez d'invoquer le dieu de la guerre !
MERANDA (se radoucissant en prenant énormément sur lui)
Je... je pourrais y arriver. Quoi d'autre ?
CORNELIA (soupirant)
Rien malheureusement.
MERANDA
Il y a bien quelque chose qui vous ferez plaisir ?
CORNELIA
Rien ne pourrait me faire plus plaisir ce soir, que d'échanger ma vie avec une autre.
MERANDA
Pourquoi vouloir disparaître ? Vous êtes très bien ainsi.
CORNELIA (furieuse)
Vous croyez ? A part réparer les erreurs de ma sœur, je ne sers à rien d'autre dans cette famille !
Cornélia ouvre des yeux ronds, en ayant trop dit.
MERANDA
De quoi parlez-vous ?
CORNELIA
Rien, laissez-moi je vous prie.
Elle reprend un autre gobelet de vin et s'éclipse. Meranda la rattrape par le bras.
MERANDA
J'aimerais beaucoup vous revoir.
CORNELIA (perdue)
Je... Laissez-moi.
MERANDA
J'y tiens vraiment, s'il vous plaît.
CORNELIA (soupirant)
Très bien, alors retrouvons-nous à la prochaine réception...
Cornélia s'éclipse.
MERANDA (A lui-même)
Surréaliste cette soirée... La mission s'annonce plus difficile que prévue.
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