4. Réception Antique
Rome, palais de Publius Cornelius Rufin, quelques jours plus tôt
Alors que le soleil se couche sur Rome, le palais du Consul Rufin se remplit. Ses invités arrivent dans le vestibule les uns après les autres et sont dirigés par les esclaves domestiques dans l'immense atrium rectangulaire.
Cornélia fait son apparition dans l'atrium. Les invités se retournent et la contemplent. Certains parlent à voix basse.
INVITE HOMME
On dirait bien que Catulle cherche à marier sa dernière fille.
Livia rejoint Cornélia dans l'atrium, distancée par son mari Rufin, bien plus âgé qu'elle.
LIVIA
Tu es de toute beauté, les invités n'ont d'yeux que pour toi. Prendre garde, mon cher époux risque d'être jaloux.
Cornélia se sent mal à l'aise de captiver ainsi tous les regards sur elle. Ruffin, le maître de cérémonie, s'en apperçoit et grimpe sur une estrade pour attirer l'attention sur lui. Les invités se taisent immédiatement. Il dégage une autorité naturelle et rappelle qu'il est le personnage central de Rome en ce jour.
RUFIN
Mes chers amis, merci d'avoir répondu nombreux à mon invitation. Nous attendons les derniers invités avant de commencer cette réception. Mais pour l'heure, vous pouvez déjà vous servir en victuailles. Le vin coulera à flot ce soir. Alors par Bacchus, je vous ordonne aujourd'hui de vous laissez griser par cette douce soirée.
Les hommes affichent des visages ravis, leurs femmes un peu moins. Rufin rejoint les sénateurs discutant à l'écart, laissant Livia sur place.
CORNELIA (chuchotant à l'oreille de sa sœur)
Et bien, quel goujat ! Te planter là ainsi, devant tous ces convives...
LIVIA
Je suis une grande fille Cornélia. Viens marchons, tu attires trop l'attention. Ça évitera de rester à la vue de tous ces regards te couvant.
CORNELIA
Bonne idée. Je me sens comme une proie sur un marché aux esclaves.
LIVIA
Sauf que ton sort est loin d'être aussi noir....
CORNELIA
En es-tu sûr ??
LIVIA
Tu ne vas pas recommencer.
Elles s'avancent sous les colonnades de marbre, à l'écart de la foule. Leur mère les rejoint. Carmen contemple les magnifiques fresques.
CARMEN
Ton mari a fait les choses en grand Livia. Cet atrium est magnifique.
LIVIA
Si tu parles de ces peintures murales, elles témoignaient plus de la richesse du propriétaire que d'une recherche artistique.
CARMEN
Tu es dur avec ton mari. Te rends-tu compte que seules les grandes familles patriciennes possèdent plusieurs atriums ?
LIVIA
Je sais, je ne suis pas à plaindre de ce côté là. Rufin est riche comme Crésus. Sa dernière lubie : ériger une statue à son effigie avec le buste de deux de ses ancêtres.
Livia leur montre une fresque représentant l'arbre généalogique familial de Rufin.
LIVIA
J'espère qu'il ne va pas en ériger d'autres pour chacun de ses ancêtres...
CARMEN
Rufin fait partie de la même famille que nous, la gens Cornelii.
CORNELIA
Heureusement que plusieurs branches nous sépare... Notre famille n'est même pas représentée sur cet arbre.
CARMEN
Mes chères filles, s'il honore ses ancêtres, alors il honore les nôtres !
LIVIA
Sauf que nous n'avons rien de divin dans cette famille. Nous ne pouvons pas concurrencer les Lulii descendant de Vénus ou les Antonii, fiers descendants d'Hercule.
CARMEN (montrant un portrait en haut de l'arbre)
Le premier Cornelius connu est un prêtre de Diane. C'est déjà un bon départ.
LIVIA
Il faut dire ça à Octavia maman. C'est elle la vestale.
Carmen lève les yeux au ciel....
CORNELIA
Papa va-t-il enfin se joindre à nous ?
CARMEN
Des affaires le retiennent. Il ne va pas tarder.
CORNELIA
Je me demande bien quel genre d'affaires. N'est-il pas plus préoccupé du sort qu'il réserve à sa fille ?
LIVIA
Cesse de te plaindre Cornélia... Tu gémis comme une enfant bon sang !
CARMEN
Ta sœur a raison. Il est tant que tu grandisses.
CORNELIA
Si vous vous y mettez toutes les deux...
CARMEN
D'ailleurs j'aperçois Russus près de la fontaine.
LIVIA (se moquant)
Il a l'air perdu... avec son verre.
CARMEN (poussant Cornélia vers le patio)
Tu sais ce qu'il te reste à faire ma chérie. Soit sa Minerve.
CORNELIA (soupirant)
Si vous y tenez.
LIVIA
Par Junon, toi tu irais ?!!
CORNELIA
Trouverais-tu quelque chose à y redire ?
LIVIA (voyant le regard menaçant de sa mère)
Non, bien sûr que non... Je voulais dire, tu y vas "si" docilement ?
CORNELIA
Je n'en peux plus de vos messes basses et de vos complots.
CARMEN
A la bonne heure !! File-vite ma fille !
Lasse, Cornélia s'avance vers le jeune homme d'une vingtaine d'années, pendant que sa mère et sa sœur s'empressent de trouver un observatoire un peu plus en hauteur. En quittant les lieux, elles ne remarquent pas le vieil homme assis dans l'ombre dans la pièce attenante. Il se lève péniblement en prenant appuie sur sa canne au pommeau en forme d'aigle.
Pendant ce temps Cornélia s'approche du jeune homme, le surprenant.
RUSSUS (parlant la bouche pleine)
Chonelia... Vous ch'ici ?
CORNELIA (agacée par son ton hautain)
Bonsoir Russus. Et bien oui, je suis la belle-sœur de notre hôte !
RUSSUS
C'est vrai, j'oubliais que votre sœur Livia était mariée à ce Dictateur Rufin.
CORNELIA
"Oubliez" ? Pourquoi cela ?
RUSSUS (ayant fait une bourde)
Euh non, non rien.
Cornélia est passablement énervée par la réflexion. Elle attrape une datte et l'ouvre pour en extraire le noyau.
CORNELIA
A vous entendre, on dirait que ce cher Rufin a plus d'une corde à son arc...
RUSSUS
Je ne dirais pas cela comme ça. Mais vous savez... enfin, la guerre n'épargne pas ces hommes.
CORNELIA (feintant)
Je ne vous suis pas bien...
RUSSUS
Rester loin de leur famille, et bien... euh.... il est naturel d'avoir des distractions dans chaque port.
Cornélia ne dit rien et mange sa datte en silence, tout en pensant que c'est lui le porc en question.
CORNELIA
Vous ferez mes hommages à votre père Caecus.
RUSSUS
Je n'y manquerais pas. Vous l'aimez bien, il semblerait.
CORNELIA
C'est un grand homme. Malheureusement on ne peut pas en dire autant de sa descendance...
Cornélia tourne aussitôt les talons. Russus la regarde s'éloigner incrédule, avant de jeter son dévolu sur une autre jeune fille.
Cornélia se dirige vers la sortie du patio, quand elle entend une conversation entre une femme et un homme.
INVITE FEMME
"Via Appia", "Aqua Appia", "Forum Appi" : tss, l'identification systématique de ces grandes réalisations à son constructeur évoque davantage un monarque hellénistique que l'austère aristocrate romain...
Cornélia se stoppe net et se mêle à leur conversation.
CORNELIA
Le fait qu'un membre de l'aristocratie romaine ait pu donner son nom à des monuments publics qu'il a fait construire, révèle la force de sa personnalité, et l'introduction à Rome de mœurs politiques nouvelles !
INVITE HOMME
Si vous faites référence à cet homme politique Appius Caecus, cela fait des années que nous ne le voyons plus !
CORNELIA
Mais ses œuvres restent.
INVITE FEMME
Des œuvres dites-vous?? (Ricanant) Si la statue à son effigie au forum Appi est une œuvre... alors Rome tout entière est en passe de sombrer à la merci des Grecs et de leur nombrilisme. Tout ceci est simplement scandaleux ! L'austérité de Rome, voilà sa grandeur !
Un légionnaire la trentaine, écoute la conversation en souriant et finit par s'avancer vers eux.
LÉGIONNAIRE (se moquant des invités)
Il y a plus d'un demi-siècle, un certain Philippe de Macédoine donnait son nom à des villes qu'il a construites...
CORNELIA (renchérissant)
Et un certain Alexandre le Grand aussi, son successeur, si ma mémoire est bonne...
LÉGIONNAIRE
Désolé de m'immiscer dans cette conversation. (Détaillant Cornélia de la tête au pied) Mes hommages... mademoiselle ?
CORNELIA
Cornélia Va....
INVITE FEMME (coupant les présentations)
Alexandre le Grand dites-vous... Il prétendait descendre d'Hercule et se considérait comme un conquérant invincible... On connaît le résultat ! Tss.
LÉGIONNAIRE
Mais Alexandrie a gardé tout son éclat. Et il semblerait que certaines parmi nous, en jouissent également ce soir.
Cornélia sourit à la remarque. Le légionnaire profite de l'occasion pour lui faire un baise-main.
LÉGIONNAIRE
Servius Cornelius Merenda.
CORNELIA
Cornelius vous dites ??
LEGIONNAIRE
Oui, mais tout le monde m'appelle Merenda. Vous êtes ravissante. J'imagine que vous ne devez laisser personne insensible dans cette robe. Chercheriez-vous donc un époux ce soir ?
Cornélia déchante et se froisse immédiatement.
CORNELIA
Pardon, mais qui êtes-vous au juste ? Je ne vous ai jamais vu dans les réceptions de Rome.
MERANDA
Je suis le Lieutenant du Consul Lentulus.
CORNELIA
Un homme de guerre, donc...
MERANDA
Un homme de paix !
CORNELIA
Si vous le dites...
MERANDA
Vous n'avez pas l'air de porter l'art de la guerre dans votre cœur.
CORNELIA
De l'art ? Ces boucheries que l'on trouve sur les champs de bataille ?
MERANDA
Ces boucheries comme vous dites, ce sont des hommes ayant donner leur vie pour la République romaine.
CORNELIA
Et alors ? Rome pourrait être un empire, qu'il en serait de même. Ces pauvres malheureux tombés au combat.... Pour quoi exactement ? La gloire ? L'honneur ? Tout cela est parfaitement ridicule.
MERANDA
Rome ne connait pas encore la gloire qui l'attend, mais quand son heure viendra, le monde entier s'en souviendra.
CORNELIA
Vous avez la folie des grandeurs, soldat.
MERANDA
Je suis "Lieutenant" Mademoiselle. Je vous l'ai dit, je sers le Consul Lentulus.
CORNELIA
Et bien, vous pourriez servir Jupiter, qu'il en serait de même à mes yeux.
Pendant qu'ils se disputent le verbe, les deux invités se regardent ravis de voir la tournure que prenne leur conversation. Meranda s'en aperçoit et entraîne Cornélia à l'écart.
MERANDA
Venez, nous nous donnons en spectacle. Ces deux invités ont la langue bien pendue. Ils ne font que dénigrer tout ceux qu'ils croisent depuis ce soir, vous y comprise.
Cornélia s'arrête, piquée au vif.
CORNELIA
Et bien, sachez pour votre gouverne (pointant son doigt sur son épaule) "Lieutenant", que je suis parfaitement capable de me défendre par mes propres moyens.
Cornélia tourne les talons en pestant.
CORNELIA
Les hommes sont si arrogants, si prétentieux, si.... prévisibles !!
Meranda la regarde s'éloigner, sous les regards amusés des deux invités. Soudain ceux-ci semblent avoir vu un fantôme derrière le légionnaire. Meranda se retourne et voit un vieil homme s'approcher de lui, à l'aide d'un bâton au pommeau en forme d'aigle.
MERANDA
Ça alors, Consul Caecus !
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro