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Dans cette nuit un peu trop sombre, entremêlant couleurs oniriques et rêves illusoires, Luz se façonnait un nouveau masque, aidée par la Lune.
Elle se rendait vers la station de métro avec dans sa main droite, l'un des pinceaux du garçon, trouvé au bord d'une flaque d'eau teintée de vert, couleur menthe à l'eau et vestige des fondements de son art.
C'était étrange de posséder pas loin de son cœur, un petit bout de celui qu'elle aimait, comme une parcelle de son âme. Luz avait bien conscience qu'elle en faisait un peu trop parfois, à tout exagérer, à épier en cachette le moindre des faits et gestes du garçon, à l'aimer autant sans n'avoir jamais osé lui adresser la parole. Elle était si honteuse de rentrer chez elle, les vêtements imprégnés de l'odeur de la peinture, mais sans n'avoir réussi à ce qu'il l'ait remarqué. Plus tard dans la nuit, elle se réfugiera dans ses draps en posant sur sa table de nuit le pinceau émeraude, et en jetant un dernier coup d'œil à un portrait croqué par le jeune homme, qu'il avait abandonné un soir sans s'en rendre compte.
Son éternel masque collé à son visage pour se fondre discrètement dans la foule, Luz arriva à la station de métro en faisant claquer ses sandales à toute allure, créant un tempo régulier sur le ciment sombre, écrasant peut-être au passage quelques mégots de cigarettes.
Même la nuit tombée, le métro était grouillant de vie, de prénoms, de pensées, d'ombres et de corps. Chaque silhouette se mouvait, se bousculait, sans s'excuser, sans faire attention au monde qui les entouraient. Ils avançaient sans voir, sans visage, pas de yeux, pas de lèvres ; acceptaient juste les dernières embrassades du bout des doigts, et encore.
De son côté, Luz s'effaçait encore un peu plus, aussi transparente que Chihiro dans la nuée de fantômes et d'esprits.
Mais, au milieu de la cohue, elle s'étonna d'apercevoir un vieil homme lui faire de grands signes, elle qui pensait ne pas pouvoir se faire remarquer. Elle n'avait déjà plus l'impression de faire partie de son corps.
Elle hésita à plusieurs reprises avant de s'approcher véritablement du vieillard ; il était difficile de discerner les mauvaises intentions d'une personne au premier abord.
— Ha-ha, je me demandais vraiment si tu allais m'apercevoir, commença-t-il d'une voix enrouée. Tu paraissais tellement dans ton monde.
L'homme la regardait, d'un air moqueur, derrière ses lunettes en demi-lune, assis sur le sol froid et sale du quai de métro. Ses cheveux grisonnants et sa longue barbe lui donnaient des allures de vieux sorcier. Ses yeux bleus très clairs brillaient d'une malice si vive que Luz n'avait jamais pu voir auparavant.
Il n'attendait pas de réponse de la jeune femme et se leva difficilement, aidé par une canne dorée, sortie de nulle part. Toujours dans le silence, il prit de sa poche, un petit coffret en bois sombre orné de pétales rosées peintes à l'huile.
— Prends-ça, murmura-t-il à Luz en ouvrant la paume de sa main gauche pour y glisser le coffret.
— Dites-moi au moins ce que c'est ! s'exclama-t-elle, méfiante.
Elle venait d'avoir un mouvement de recul, scrutant le coffret sous toutes ses coutures, vraiment pas décidée à accepter n'importe quel objet venant de n'importe qui.
— On dit que ce sont des produits spéciaux pour te permettre de voir la vie dont tu rêves, répondit-il en riant. Tu n'as vraiment rien à craindre, ça n'a rien de dangereux.
Ce fut au tour de Luz de s'amuser de la situation ; maintenant, on la forçait à consommer quelque chose, ce n'était pourtant pas ça qui allait la rendre moins transparente aux yeux du jeune peintre, et l'empêcher de disparaître des regards des passants.
Mais après tout, pourquoi refuser ? Lui faire cadeau de ce coffret semblait faire plaisir au vieillard – peut-être un peu trop. Luz voulut lui poser une dernière question mais à peine eut-elle levé la tête qu'elle constata qu'il n'y avait plus personne devant elle. Il avait disparu, sans qu'elle ait eu le temps de s'en rendre compte. Elle regarda, troublée, les passants autour d'elle mais rien n'avait changé ; les hommes-fantômes continuaient leur route sans se soucier de la disparition du vieillard.
Des bruits de rails lui rappelèrent qu'il était temps de rentrer chez elle. Elle courut vers le métro, assez en retard comme ça, bien que personne ne l'attendait chez elle. Rentrée à l'intérieur, elle n'ouvrit pas le coffret, même si l'odeur de fleurs qui semblait en ressortir était bien trop intense pour ne pas s'en inquiéter.
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