Chapitre 2
Assise devant mon bureau, je sors de mon tiroir des dizaines d'enveloppes en papier kraft. J'en ouvre une. A l'intérieur, je trouve l'affiche de mon premier casting. J'avais alors treize ans. Je me souviens parfaitement de cette journée : agacée par les insultes et les rumeurs qui se répandaient sur moi au collège, j'ai décidé de sécher les cours. Je me suis promenée dans le centre-ville, cherchant une occupation dans ce trou perdu où ma mère et moi avons déménagé. Puis, je suis tombée sur cette affiche. Un téléfilm sur TF1 (maintenant que je le regarde à la télévision, je trouve que c'est un navet...). Très excitée, j'ai couru au casting, qui était programmé cette même journée. J'étais certaine que j'allais obtenir le premier rôle et quitter le collège pour tourner pendant un mois. J'ai attendu dehors sous la pluie pendant une heure, serrée entre trois personnes dans une queue qui s'allongeait tout le long de la rue. Puis mon tour est arrivé. Au bout de trois minutes, le réalisateur a crié "Suivant !".
C'était mon premier échec, et ce ne serait pas le dernier...
Je sors de la seconde enveloppe l'affiche du dessin-animé "Le petit Prince". J'ai auditionné pour le doublage de la voix d'un des personnages. Sur le texte que je devais lire, j'avais ajouté des annotations sur le ton que je devais employer sur certains mots, l'émotion que je voulais transmettre sur une phrase, les pauses qu'il fallait mettre entre deux dialogues...
"Suivant !"
Deuxième échec.
Puis il y a eu un casting pour une publicité alimentaire.
"Suivant !"
Troisième échec.
Et encore d'autres files d'attente, d'autres salles, d'autres auditions.
Et d'autres échecs.
Lassée, je lance les enveloppes à la poubelle. Tous ces rêves doivent finir dans cette ridicule corbeille. Tous ces personnages que je rêvais d'interpréter doivent connaître le même sort. Seul le souvenir de l'échec reste dans mon esprit.
Je me laisse retomber sur mon lit et me concentre sur les bruits qui m'entourent. La marmite qui boue. Les croassements du corbeau noir de jais niché sur la cheminée. Le crissement des pneus d'une voiture s'arrêtant à un feu rouge.
Ma tête qui boue. Les ricanements d'une petite voix sombre nichée au coin de mon esprit. Mes rêves d'artiste qui s'arrêtent au feu rouge et qui se transforment en doutes.
Je m'approche du miroir suspendu au-dessus de mon lit, où les draps sont froissés et roulés en boule entre les pyjamas et les sous-vêtements sales. Sur la glace, je dessine au rouge à lèvres un visage. Celui d'une fille aux cheveux longs, au visage radieux fendu d'un large sourire et aux yeux pétillants. Celle que je voudrais être. Mais, malgré les immenses traits rouges et épais, je distingue toujours ma peau pâle et fantomatique, mon regard triste couleur noisette et surtout mes cheveux roux et gras, coupés aux ciseaux un jour où je m'étais énervée, de sorte qu'ils m'arrivent au dessus des épaules.
Le miroir a toujours été l'objet auquel j'attache le plus d'importance. Contempler mon reflet me montre une part de vérité et de mensonges. Oui, je me vois moi, réellement. C'est mon visage que je découvre enfermé derrière cette curieuse vitre accrochée au mur, pour que je m'observe à tout moment, pour que je sache à quoi je ressemble à cet instant-même. Si je pleure, je dois vérifier que mes yeux ne sont pas rouges avant de descendre en bas pour dîner. Si je veux paraître jolie, je dois regarder si mes yeux sont toujours cernés de noir et si mes lèvres sont encore rouges. Si je veux compter le nombre de boutons sur mon visage, je n'ai qu'à plisser les yeux et regarder mon reflet.
Mais le fait d'être debout devant le miroir me fait aussi l'effet de baigner dans le mensonge. Est-ce que je me mens, quand je prends la pose d'une actrice et que j'imagine que je suis Marilyn Monroe ? Est-ce que je me mens, quand je me recouvre le visage de poudre et de maquillage pour ressembler à quelqu'un d'autre ? Quand j'y pense, au théâtre ou au cinéma, les acteurs mentent aussi. Ils mentent aux spectateurs, mais aussi à eux-mêmes. Le miroir est-il alors un acteur ? Un acteur qui me ment, et qui me fait croire que je suis jolie quand je me maquille, et que je ne ressemble pas à une poupée qu'on aurait attaqué à coup de crayons de couleurs ? Est-il vraiment mon ami ou quelqu'un de diabolique, comme tous ces réalisateurs qui m'excluent des castings en criant "Suivant !" ?
***
Souvent, dans ma tête, je joue à un jeu. Les consignes sont simples : je commence une phrase par Si j'étais... et je dois la terminer par n'importe qu'elle mot qui me vient à l'esprit. Ensuite, j'imagine les histoires que je vivrais, si j'étais cette personne.
Si j'étais...
...une fugitive en quête d'un pays en paix
...un androïde
...un vampire végétarien
...la femme du président
...une déesse grecque
...une créatrice de mode haute-couture
...une fille faite de paille et de terre
Et il y a encore tant d'autres personnages à inventer...
Mais ce matin, j'ai découvert que le jeu existe réellement, et qu'il est ouvert à des millions de personnes dans le monde. C'est une application pour smartphone, et elle s'appelle :
SI J'ÉTAIS...
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