Image non conforme (part II)
Je profite de ma présence dans la salle de sport pour prendre une douche rapide. Mike et Romuald me laissent faire sans broncher... C'est pour le boulot après tout. On réponds plus facilement à quelqu'un de propre qu'à un type qui sent le clochard. Je ressors et enfile des affaires propres stockées dans ma camionnette.
Le destin de cette jeune fille me trotte dans la tête et m'assaille de questions. Je n'ai pas l'esprit clair, et ce n'est pas le whisky qui en est la cause. Cette histoire est bancale, il manque des pièces au puzzle. Je dois les trouver avant qu'on se fasse piéger d'une quelconque manière.
L'adepte, m'attends bras croisés à coté du véhicule
— On commence par où ?
J'ouvre mon tas de boue et lui fait signe de monter coté passager. Je m'installe coté conducteur et démarre le monstre.
— On commence par quelques bars, boites de nuit et restaurants que je connais, quelqu'un a bien entendu quelque chose. J'espère que tu tiens l'alcool.
— Ça devrait le faire.
Nous passons les heures suivantes à écumer des taudis mal famés et à commander des bières pas toujours bues mais toujours payées. Dans des boites de nuits, nous faisons des connaissances mais pas celle qui nous intéresse actuellement. C'est au petit matin que nous obtenons la première information intéressante.
Intéressante et inquiétante.
Le bouge ne paye absolument pas de mine. L'accès est en souterrain, une cave aménagée avec un néon rose et bleu pour signaler l'entrée de "L'Alcatraz". L'intérieur est tout en acier avec les néons pour amplifier le contraste des ombres des individus comme des objets. Le cerveau s'efforce ensuite de tout reconstruire dans l'esprit des visiteurs. La musique est trop forte et des corps dansent dans des chorégraphies plus ou moins langoureuses ou subversives sur une musique abrutissante.
Mon comparse et moi-même évoluons pour éviter la masse compacte qui oscille entre le rut et la transe tribale et nous arrivons au bar où je commande deux bières. Fred ayant payées les dernières, c'est à mon tour.
Dans ce capharnaüm de bruits, de lumières et d'odeurs, je contacte le serveur via l'interface réseau et mets le reste en sourdine.
— Deux bières Al.
— Tiens Doug, ça fait un moment qu'on ne t'a pas vu. Comment vas-tu ?
— Je viens pour affaire.
Le sourire caché derrière la moustache du type en chemise noire entrouverte s'évanouit.
— Je t'écoute.
— Une petite Decker disparue d'un quartier bourgeois est recherchée par papa et sa boite. T'as quelque chose ?
— Miss Lamabissa ?
— Oui, confiais-je. Combien ?
— Cent crédits.
— Trop cher pour ce que je suis payé. Je t'en propose cinquante.
— Ok. Voilà ce que je sais : tu n'es pas le premier à venir m'interroger. Y'a plusieurs équipes sur le coup. Certaines ont déjà abandonné.
— Pourquoi ? Demandais-je intéressé au plus haut point.
— Aucune idée, déclara le serveur en me servant nos boissons. Car aucun n'a envie de s'étendre dessus. Mais rien que d'en parler y'a un runner qui m'a fait une crise de panique et un autre qui s'est écroulé en larmes.
— Ici ? Dans ton établissement ?
— Oui. Ils veulent effacer cette mission de leur vie et ne veulent plus y être mêlés de près ou de loin. Je ne sais pas ce qu'ils ont vécus, mais c'est traumatisant. Même Doc Carlin n'a pu les faire parler.
Doc Carlin, c'est un médecin de rue. Pratique pour se faire soigner discrètement une blessure par balle. Comme chez coiffeur autrefois, tout le monde y déballe ses petits secrets... Si même lui n'a pu avoir de renseignement, ça doit être violent.
— Autre chose ? Demandais-je.
— J'ai juste une autre info, avant de revenir dans un état proche de la serpillère, l'un des deux était passé à la police. Il avait un contact en interne.
— Et ?
— Un avis de recherche a été émis le lendemain de la disparition de la gamine sur demande de la société dans laquelle son père travaille et... accroche-toi : L'avis de recherche a été retiré moins de six heures après, par la même boite.
— Motif ?
— Retrouvée. Ce qui est faux bien entendu et Cybertech a commencé à employer des runners.
— Combien pour cette info ? Questionnais-je en faisant référence à la police.
— Offerte par la maison.
Je commande un emplacement VIP et nous installe dans un endroit tranquille pour discuter avec le groupe. Je coupe les retours de sons extérieurs de mes oreilles. Pas besoin de parler, les propos sont directement partagés entre nous. J'envoie un signal de discussion commune et je rejoins notre espace personnel virtuel. Du coin de l'oeil, je vois mon comparse faire pareil. La pièce virtuelle est faite de murs noirs brillants. Un peu comme recouverts de plastique. seules les arrêtes du mobilier et de la pièce brillent d'une lueur jaune dorée. Pas plus de fioritures, il faut garder l'endroit discret et fonctionnel même avec un réseau limité. Amina est déjà là. Dans la matrice, elle a changé son aspect, elle ressemble à une jeune femme vêtue d'une robe d'été légère rouge et blanche, un grand chapeau de paille et de larges lunettes de soleil. J'espère qu'elle a des choses à annoncer car dans le cas contraire, je risque de m'énerver. Je ne fais ni garderie, ni organisme de formation, et il est clair qu'elle est nouvelle dans les ombres.
— Alors , la pêche a été bonne ? nous demande-t-elle.
— Oui, et toi ? Réplique Fred
— j'ai trouvé des choses curieuses dans son compte, notamment...
— Attends que tout le monde soit là pour les énumérer. Sinon tu risques d'en oublier et on n'aura pas tous la totalité, stoppais-je
— D'accord.
Il ne fallut pas longtemps pour que Chêne de Marbre et Romuald ne nous rejoignent.
— Bonne nouvelle ! s'écria ce dernier en arrivant : Elle n'est pas encore morte. On devrait pouvoir encore se faire du fric.
Mon regard croisa celle de la Decker. Malgré ses lunettes, au fond de son regard, je sens que les informations en sa possession sont tout aussi inquiétantes que les miennes.
— Elle a une double face, déclara en préambule le Shamane. J'ai dû user de quelques tours pour obtenir ceci de l'école...
Devant tous, il afficha le dossier scolaire de l'étudiante.
— ... Au premier abord, c'est une génie des systèmes matriciels et informatiques. Elle va où elle veut, et fait ce qu'elle y veut quand elle le veut. Ses notes sont maximales dans tout les domaines notés ainsi que les félicitations des enseignants.
— Pourquoi premier abord ? Demande Romuald
— Parce qu'après avoir interrogé des étudiants qui en sortaient, aucun ne veut avoir affaire à elle. C'est une emmerdeuse finie, consciente de ses capacités et qui s'en sert contre les autres si on la cherche. Deux professeurs et quatre élèves ont déjà quitté l'établissement à cause d'elle et de sa copine. Car elle a une partenaire pour les quatre-cents-coups. Une shamane du nom de Kimberly Clark surnommée "Kitty", toute aussi douée qu'elle mais dans la maîtrise de la Mana...
Apparait alors le visage d'une naine avec un regard doux sur l'un des murs. Pas vraiment le genre de type inquiétant que nous sommes habitués à côtoyer dans notre métier.
... Elle aussi a disparut du jour au lendemain.
— Sa famille ? Demanda Romuald
— Pas ici. Ils sont dans les états indiens indépendants du Dakota. Autant dire qu'ils ne sont accessibles pour personne.
— Donc une Shamane et une Decker sont dans la nature. Commente Romuald. Doug ?
Je fais part de mes découvertes, mais personne ne s'inquiète ouvertement. Nous savons que nous n'allons pas tarder à faire nos propres expériences en leur courant après. En revanche savoir que plusieurs équipes courent après la même prime nous frustre un peu : Notre employeur aurait dû nous tenir informé de cela. Il n'est pas à exclure qu'un groupe d'abruti se mette en tête de récupérer les deux nénettes en jouant les cowboys quitte à faire de la casse. Du coin de l'œil, je vois Amina qui bricole quelque chose, entourée de ses écrans suspendus bleus. Elle n'est pas avec moi... Elle n'écoute pas. tant pis pour elle : je ne me répèterai pas.
— Amina ? Interrogea Romuald
— La cible a vidé son compte en banque le jour de sa disparition. Y'a plus de traces d'elle ensuite. Je suis en train de vérifier celui de sa comparse. Mais j'ai autre-chose, de plus inquiétant : j'ai fait des recherches sur CyberTech. C'est une filiale de deuxième niveau d'Astek, du moins, dans les comptes, en remontant la trace des fonds. Dans l'organigramme, elle n'existe pas. Même chose en épluchant les comptes de la corpo sur le bilan annuel : Pas d'allocation de budget ni même de prévision de croissance. Mais dans les faits... Ils n'ont actuellement aucune rentrée d'argent. Ce n'est là qu'un poste de coût.
— Pourquoi une mégacorporation comme Astek se débrouillerait pour financer quelque chose qui ne rapporte rien ? Demanda mon binôme. Ça ne tiens pas debout...
Cette question, nous nous la posions tous en même temps que lui. Mais il l'a exprimée haut et fort dans cette pièce virtuelle au milieu de nul part. Chacun partit alors dans ses réflexions pour essayer de comprendre ce qui se passait. Mais, à mon sens, il nous manque des informations. Une chose est sûre : Si Astek (l'une des dix entreprises qui contrôlent ce monde) est derrière, c'est gros, c'est lourd, c'est moche, et deux mille crédits, c'est sous-payé.
— J'ai d'autres chose intéressantes, fait Amina en nous sortant de nos sombres pensées.
— Vas-y, reprit Romuald.
— Il y a des similarités entre les comptes de Kimberly et Clarissa. Notamment un bar nommé le "High Wire". De nombreuses consommations ont eu lieues là-bas, et... il y a une sortie de fonds vers un créditube anonymisé de trois mille crédit. Mais c'est annoté "Carlin"sur le débit. Est-ce que cela dit quelque chose à quelqu'un ?
Je manque de m'étrangler. Comment des gamines sorties d'école peuvent connaître ce taré de doc des rues ? Cette histoire s'épaissit comme de la mélasse. Il faut vite savoir quoi il en retourne avant de se retrouver coincé dans une situation d'où nous ne sortirons pas vivants. Visiblement, Romuald, Fred et Chêne de Marbre ont les même réflexions que moi.
— Moi, c'est le Hight Wire qui ne me dit rien, répondit le Shaman.
— C'est un bar connu des Deckers, répliqua Amina. Il est dans la proche banlieue. Assez près du centre ville pour avoir un réseau efficace, assez éloigné pour ne pas attirer les flics ou les corpos, j'y ai deux ou trois connaissances.
— Bon, Amina, tu viens avec Chênes et moi. On va à ce bar. Doug, Fred, trouvez-moi Carlin, et identifiez ce que cet escroc a bricolé avec ces nanas. Faut se dépêcher : si le doc a bâclé le boulot, elles risquent leurs vie, et nous, la prime.
Je hoche la tête. Carlin ne respecte les règles de sécurité que quand il estime avoir été correctement payé. Je ne sais pas ce que ce boucher à fait, mais il faut qu'on s'assure qu'il l'ait fait correctement. Fred l'adepte quitte l'espace virtuel et je le retrouve dans l'espace VIP du bar.
— Cette histoire pue plus que d'habitude, me confie-t-il
— Je suis d'accord, direction : la clinique. Le doc nous doit des réponses, mais j'ai peur de ce qu'on va découvrir.
Nous quittons l'établissement en abandonnant nos consommations et montons dans mon van. A peine les portes se sont-elles fermées que Fred me demande :
— Tu as déjà eu à faire affaire avec Doc Carlin ?
— Oui. Tant que tu le payes il est doué. Si tu payes pas assez, il bâcle le boulot. Si tu lui doit de l'argent depuis trop longtemps, c'est toi qu'il revends en pièces détachées.
— Trafic d'organes ?
— Entre-autre. Mais ne va pas croire qu'il bosse sans sécurités, donc, pas de menaces : on cherches un accord.
— Ok.
— Dernière chose, tant qu'il reste poli, y'a pas de problèmes. Mais s'il te donne des ordres, ne discutes pas et obéit. dans le cas contraire, faudra nettoyer le sol et il risque de te le faire facturer.
— J'ai compris. Il peut nous descendre ? Demande-t-il, prêt à tout entendre.
— Uniquement si on cherche nous-même à le flinguer. Pour le reste, il reste neutre autant que possible.
— J'l'aime déjà.
Je ne sais pas trop comment prendre sa dernière remarque, et il fait ce qu'il veut de sa vie et j'ai déjà bien assez à me concentrer sur la conduite. Avec tout ce qu'il s'est passé, le jour est en train de pointer le bout du nez. Mon estomac me rappelle que je n'ai rien mangé depuis presque huit heures. Je profite que le ''cabinet médical'' ne soit pas encore ouvert pour nous diriger vers un café pas loin qui, visiblement, vient d'ouvrir.
Le terme café, est très surfait. C'est plutôt un squat aménagé dans lequel on sert chaud ou froid ce que vous demandez. C'est à dire, souvent de la nourriture industrielle sortie des usines des corporations. Rehausseur de gouts, colorants, odeurs chimiques similaires aux vraies... plus personne ne sait quel goût a une salade, une tomate ou un steak. Il n'y a que ce qui flatte les papilles, rempli le ventre. Le tout à un prix de production minimal, et prix de vente acceptable maximal pour rester dans la course capitaliste.
Il y a un voile de brume de poussière qui flotte dans l'établissement tandis que nous entrons entre le bar et les tables d'une époque de consommation révolue. Le sol est en damier noir et blanc, les tables sont cernées par des banquettes aux multiples couleurs criardes. Le faux-plafond intègre la ventilation (remarquez que je n'appelle pas cela "climatisation") et les luminaires.
— On n'est pas encore ouvert crie une voix grave depuis les cuisines. Patientez- dix minutes que je finisse l'ouverture.
— Ok. Crie-je en retour.
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