M A T H I E U - É R I C
Summer est un ange tombé du ciel. Enfin, peut-être plus tombé d'enfer, mais ça ne fait rien, je l'apprécie toujours autant. Je l'observe, elle est tellement belle quand elle recopie 200 fois la phrase "je participerai aux prochains cours de sport".
Justement, je devrais peut-être de continuer ma copie moi aussi, j'en suis seulement à 51 fois, alors que Armande, à côté de moi, en est à 62.
–Je ne peux pas croire qu'on passe notre vendredi soir à recopier la même phrase 200 fois dans un mini local sans fenêtres, soupire Arielle.
–Tout ça parce qu'on aime pas le sport... continue Timothé.
–En plus ça pue, rajoute Armande.
C'est vrai, il y a une légère odeur de moisissure dans la pièce, je l'ai remarqué en entrant.
–Tu est assise à côté de Timothé, c'est normal si tu trouves que ça pue.
–Fais attention Arielle, je crois que tu as oublié ton humour dans la classe de maternelle, juste à côté de ta gentillesse.
–Et toi tu-
–Fermez vos gueules, j'essaie d'écrire pour pouvoir sortir d'ici un jour, interrompt Summer avec un soupir bruyant.
J'admire le courage que Summer à eu pour mettre fin à leur dispute. Bon, j'avoue, ce n'est pas super courageux et j'aurais très bien pu le faire moi aussi, mais l'amour rend con. À cette pensée, je ne peux retenir un petit rire niais, ce qui fait tourner quatre têtes vers moi.
–Prends-tu de la drogue Mat?
–Hein? Non!
–Alors je dois t'avouer quelque chose. Tu sais, les muffins que ta maman te donne qui te font sentir bizarre, et bien ils ne sont pas au chocolat...
Je fais semblant de rire à la blague d'Arielle, puis me concentre sur ma copie. Il ne me reste plus que 140 phrases...
Je participerai aux prochains cours de sport. Je participerai aux prochains cours de sport. Je participerai aux prochains cours de sport.
Non, ce n'est même pas vrai, je ne participerai probablement pas aux prochains cours de sport. Je me fous de mon diplôme, de toute façon je sais que mes notes dans mes autres cours ne sont pas assez hautes pour l'avoir.
–Eumh... les gens...?
–Oui Timothé? répond rapidement Armande, semblant heureuse de faire une pose dans son travail pour parler.
–Vous pensez quoi du prénom Thalie?
–Meilleur que le mien, pourquoi?
–Parce que vous savez, mes parents ne m'ont jamais vraiment supporté en tant que transgenre, et ils m'ont interdit de commencer ma transition ou de changer mon nom avant mes dix-huit ans, mais c'est ma fête dans un mois, donc je commence à y réfléchir.
–Thalie ne te va pas bien je trouve, je pense que Télaid ou Técon t'irais mieux.
–Super drôle, Arielle. Presque aussi mature que quand je t'appelais Arielle-la-pas-belle en prématernelle. Sauf que la différence c'est que, moi, j'avais quatre ans.
Je sais que Timothé (Est-ce que je dois commencer à l'appeler Thalie? Je devrais lui demander...) et Arielle ont presque toujours été dans la même classe pendant toutes leurs études. Elles se sont toujours détesté. J'étais dans l'année au dessus (jusqu'à ce que je redouble en sixième année), mais j'entendais parfois parler d'elles. Mon ami, François, venait me voir à la récréation et me disais "Tu sais le gars qui porte des robes et la fille qui se pense meilleure que tout le monde? Bah ils se sont encore battu, je crois que le gars a le nez cassé.".
Leur relation ne s'est toujours pas amélioré, pourtant je crois que leurs signes astrologiques sont compatibles, c'est bizarre. Ce qui a changé, c'est que maintenant c'est Timothé qui vient me voir pour me dire que Arielle l'a frappé ou une autre connerie du genre. Elle est sympathique, Timothé, elle est quand même allée chercher Summer pour qu'elle vienne avec nous juste pour me faire plaisir l'autre fois.
Je l'ai toujours admiré Summer, ça ne lui dérange pas d'être différente des autres et de constamment se faire juger. Je connais beaucoup de gens qui l'appellent "la sorcière" ou "le cadavre", mais ça ne semble rien lui faire.
Alors que j'ai copié 92 fois la phrase, un bruit retentit, nous faisant sursauter tous les cinq car avant, on aurait pu entendre voler une mouche. C'est le bruit d'une sonnerie, alors que les téléphones sont évidemment interdits. Et évidemment, la sonnerie provient du téléphone d'Arielle. Elle le prend et décroche.
–Oui... Non, j'ai pas terminé, Étienne, c'est long écrire 200 fois la même phrase... Oui, 200 fois, la prof est vraiment folle... Bon à tantôt, je t'aime, bye.
–Ah, il est vraiment énervant, se plaint-elle après avoir raccroché.
–Pauvre toi, ta vie est tellement difficile, ton petit ami veut de tes nouvelles, c'est tellement triste que j'ai le goût de pleurer, répond sarcastiquement Timothé.
–J'imagine que tu dois être jaloux de moi, tu seras jamais capable d'avoir un petit ami, en plus de te prendre pour une fille tu es gay.
–Je suis bi, pas gay.
–Ah, come on! Si tu es gay au moins assume le au lieu d'inventer d'autres conneries.
–Si Timothé dit qu'elle est bi, elle l'est, Arielle. Il est temps que tu comprenne que tu peux pas décider le genre ou la sexualité de quelqu'un.
J'admire Summer, elle est tellement courageuse de s'opposer à Arielle, qui est si méchante.
–Qu'es-ce que tu as à toujours défendre l'autre con? Es-tu lesbienne?
–Oui.
Silence malaisant. Ça fait mal. Je la supporte quand même mais ça fait vraiment mal. Je sens le regard plein de pitié de Timothé sur moi. Puis à son tour, Summer lève les yeux vers moi, semblant désolée. C'est correct, je ne lui en veux pas, je sais qu'elle ne peut rien y faire. Mais ça fait quand même mal. Je force un sourire pour rassurer les autres, et à mon plus grand soulagement, ils semblent y croire.
–Bon, soyons honnêtes, comme on est pris ensemble jusqu'à ce que tout le monde ait écrit 200 phrases—et ça peut être long—on ferait bien d'essayer de s'entendre. Mat', je suis désolée mais je peux rien y faire donc s'il te plaît essaie de penser à autre chose, tu mérites pas d'être triste, tu es un bon gars. Timothé et Arielle, on le sais que vous vous détestez, vous êtes pas obligés de nous le rappeler chaque minute, vous pouvez au moins faire semblant de vous supporter l'une l'autre. Merci.
Je crois que c'est la première fois en cinq ans que j'entends Summer parler aussi longtemps. Elle a raison, je ne devrais pas être triste, ce doit être difficile à voir pour elle. Je vais me resservir de mes cours de théâtre que je faisais quand j'avais douze ans et faire semblant d'être heureux pour ce soir. J'étais quand même bon, j'avais réussi à décrocher le rôle principal dans une pièce. Par contre, pendant le spectacle, j'étais parti en courant vers les coulisses car je devais embrasser une fille dans la scène et je ne voulais pas car je trouvais qu'elle puait de la bouche. Ça leur apprendra, aux professeurs, à obliger deux enfants de douze ans à s'embrasser.
–Je m'excuse Arielle si j'ai été méchante.
–Mmmh, excuse-toi, oui.
Je soupire, évidemment ça ne peut pas bien se passer avec ces deux là. Au moins, Timothé a fait l'effort de s'excuser. Mais bien sûr, Arielle ne connait pas ça, faire des efforts
Pendant que mon esprit s'éloigne et que je repense à la conversation de tantôt, un détail me revient en tête et me fait froncer les sourcils.
–Timothé? Si tu dis que tes parents ne te supportaient pas, pourquoi ils te permettaient de porter des robes aux primaire?
Un rire lui échappe.
–Je les volais à ma sœur pour les mettre dans mon sac, puis à l'école j'allais me changer.
–Tout ces efforts là juste pour porter une robe...
–Je le faisais surtout parce que ça fâchait mes parents, parfois même mes professeurs. Aucun d'eux ne voulaient que je me comporte "comme une fille", donc je faisais exprès pour le faire. Et puis, ça ne dérangeait pas Sab', même qu'elle me disais que j'étais belle dans ses robes. D'ailleurs, elle est la seule dans ma famille avec qui j'ai encore une bonne relation. Peut-être même la seule personne en général.
–Et nous? Tu as une bonne relation avec nous. 'Fin, sauf Arielle mais elle...
Je ne suis pas vraiment sérieux, nous nous connaissons à peine, mais elle semble heureuse d'entendre ça.
–Ouais, il y a vous...
–Désolée d'interrompre votre belle déclaration d'amitié, mais combien de fois je vais devoir vous demander de la fermer avant que vous le fassiez? Parce que j'en suis à trois fois et ça commence vraiment à m'énerver, soupire Summer.
–Désolé.
Le silence dure environ... cinq minutes, et j'en suis déjà rendu à 136 copies quand Armande recommence à parler.
–Vous voulez faire quoi après le secondaire, vous?
–Dealer de drogue.
Je ne pensais pas qu'elle allait me prendre au sérieux, mais elle me regarde comme une psychologue regarde son patient.
–Tu sais, je crois qu'il y a plein d'autres métiers que tu pourrais faire et que tu aimerais Mat'.
–C'était une blague...
Elle me rappelle la psychologue que mes parents m'ont fait voir quand j'avais neuf ans parce que je disais sans cesse que je voulais tuer ma grande sœur, Marie-Ève. Il faut croire que j'étais assez menaçant pour qu'ils le prennent au sérieux. En fait, j'étais juste fâché parce qu'elle m'avait volé mon poster de Hannah Montana et qu'elle l'avait déchiré. Ma psychologue voulait que je "dessine mes émotions" mais à la place je dessinais des chats à chaque rencontre, parce qu'honnêtement, un chat, c'est vraiment plus beau qu'une personne fâchée.
–Moi je veux être chanteuse, répond Arielle, semblant, pour la première fois, un minimum intéressée à parler avec nous.
–Moi je veux être une princesse magique qui vole.
–Timothé, désolée de détruire tes rêves mais ça arrivera pas.
–Ben, c'est aussi réaliste que ce que tu veux faire.
–Moi, au moins, je sais quel travail je voudrais faire, est-ce qu'il y a au moins quelqu'un d'autre qui en a une idée ici?
–Moi je voudrais être pute, supposément que ça paie bien, dit Summer.
–Je te verrais plus travailler dans un salon funéraire. Quoique les gens risquent de te confondre avec un cadavre en te voyant... répond Arielle.
–Haha, super drôle.
–Sérieusement, ça a l'air intéressant être embaumeur, j'ai déjà vu une vidéo en espagnol là dessus.
–Mat, est-ce que tu parles espagnol au moins?
–Non. En fait, c'était peut-être pas en espagnol. Ça pouvait aussi être de l'italien ou du portugais. Mais y'avait des sous-titres en français en tout cas.
Je ne sais même plus ce que je dis, j'ai l'impression parfois que quand je parle, mon cerveau arrête de penser et veut seulement dire le plus de choses possible.
Soudainement, la porte s'ouvre, révélant la prof de sport qui nous regarde en soupirant.
–Ça fait une heure que vous êtes ici, vous êtes censés avoir fini.
Je regarde ma feuille, puis celle des autres. Seule Summer a terminé, on aurait peut-être dû l'écouter et se la fermer jusqu'à ce qu'on ait fini.
–Arielle, est-ce que c'est ton téléphone dans ta poche?
–Non c'est un café moyen avec deux sucres et trois laits, tu veux goûter? elle répond en roulant des yeux.
La prof soupire, avant de nous regarder comme si nous étions des cas désespérés. Ce qui est probablement le cas...
-Je vous laisse 10 minutes pour finir.
Sinon quoi, elle va appeler nos parents pour qu'ils nous fassent la morale comme quand nous avions six ans? Je me souviens, mes parents s'en foutaient quand ils se faisaient appeler par l'école, ils me disaient seulement "fais pas ça, Mathieu-Éric", puis ne m'en reparlaient plus jamais.
Parce que, oui, mes parents m'appellent à chaque fois par mon nom complet, en plus. Ils ont toujours refusé d'utiliser un surnom comme "Mat" ou "Mathieu", ils disent que s'ils m'ont donné ce nom alors ils doivent l'utiliser. Quant au pourquoi, c'est simple, ma mère voulait que je me nomme Mathieu, mon père préférait Éric, et bam, Mathieu-Éric. C'est la même chose pour mes trois sœurs, Marie-Ève, Anne-Sophie et Laura-Rose. Mes parents ne savent vraiment pas faire des choix.
Enfin bref, ma main semble écrire automatiquement sans que j'y porte aucune attention pendant quelques minutes, avant qu'enfin, enfin, j'aie fini.
J'ai enfin fini cette connerie inutile!
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