T6 - Chapitre 9
Après un diner très agréable (Watson avait fait tant de fois la grimace en mangeant son pudding que Holmes avait finit par exploser de rire au milieu de restaurant), Holmes et Watson rentrèrent à Baker Street, bras dessus-bras dessous. Il était tard, déjà, presque deux heures du matin. C'est pourquoi ni l'un ni l'autre ne furent enchantés de découvrir une silhouette dissimulée sous le porche de leur appartement.
Le docteur glissa la main dans sa poche pour se saisir de son arme. Holmes serra la main sur sa cane-épée.
Mais alors qu'ils s'approchaient, prêt à sauter sur l'intrus, un nuage s'effilocha, libérant quelques rayons de lune.
-Lupin ! s'exclama joyeusement Watson, tout sourire, en lâchant aussitôt son arme.
Étrangement, cette révélation eut l'effet inverse sur Holmes.
-Vous vous êtes débarrassé de votre affreuse barbe ! commenta Watson sans prendre en compte l'air renfrogné du détective. Je vous préfère comme ça !
-Et qu'est-ce qui nous vaut l'honneur de votre visite, Lupin ? Lâcha Holmes d'une voix polaire.
-J'ai retrouvé la trace du concierge. Ernest Pendlay. Il s'est réfugié dans une maison galante tenue par sa maîtresse, dans un quartier assez chic. Comme vous m'avez laissé accéder aux archives du club et que je suis bon joueur, je suis venu vous retourner la faveur, expliqua-t-il avec un clin d'œil en direction de Watson qui sourit, amusé par son surjeu.
C'est ça, railla intérieurement le détective. Et prendre le docteur avec vous, pendant que vous y êtes.
-Vous auriez pu vous épargner cette peine, répliqua Holmes. Ernest Pendlay n'a rien à voir avec la pierre philosophale.
-Plait-il ?
-Comme je l'ai expliqué tantôt à Watson, une telle mascarade n'aurait eut aucun sens.
-S'il est innocent, pourquoi fuir ?
-J'ai dit qu'il n'avait rien à voir avec la pierre, je n'ai pas dit qu'il était innocent. Vu la célérité qu'il a mit à déguerpir et l'endroit où il a choisit de se cacher, je dirais qu'il a de lourdes choses à se reprocher, et certainement quelques ennemis. Il a cru que l'explosion lui était destiné, alors il a pris la fuite.
-Et si elle lui était réellement destiné ?
-Ce serait une trop grosse coïncidence. En plus, la bombe n'était que de l'esbroufe, une diversion, pas une menace.
Watson hocha imperceptiblement la tête, convaincu. Holmes se rengorgea, et Lupin se renfrogna.
-Et si vous aviez tort, rétorqua le gentleman, et que Pendlay avait réellement un lien avec la pierre ?
-Je fais confiance à mon intellect, rétorqua sèchement Holmes.
-Votre intellect, railla Lupin. Vos plans si parfaits...
Il n'eut pas besoin de finir sa phrase pour que Holmes saisissent la référence à son dernier plan d'envergure. Celui qui s'était soldé par le plus douloureux des échecs : la mort de Violet et James... La fuite de Moriarty... Et l'enlèvement de Watson.
Il serra le point sur sa cane pour retenir la pulsion qui lui commandait d'attraper le bras du docteur pour se rassurer et soutint le regard de Lupin, qui brillait de la même ardeur.
À cet instant, Watson lâcha un formidable bâillement.
-Pardon, s'excusa-t-il d'une voix pâteuse. Mais je ne serais pas contre un petit somme... Lupin, comment diable faites-vous pour tenir debout, alors qu'avant hier, ni vous ni mois n'avions fait de nuit complète depuis deux mois ?
Holmes pinça les lèvres à cette référence à une aventure dont il n'avait pas pris part.
Lupin sourit, toute raillerie effacée. Il prit son chapeau entre deux doigts et fit un salon extravagant qui fit pouffer Watson.
-Vous avez raison, bien sûr, mon cher ! La nuit porte conseil ! À demain !
Et il s'en alla tranquillement, comme un gentleman de la bonne société rentrant chez lui après une nuit au théâtre.
Holmes soupira et tourna la clef dans la poignée du 221b. Il voulut faire un pas à l'intérieur, mais butta sur une pile de courrier entassé.
-Qu'est-ce que c'est ? s'interrogea Watson. Qui a pu nous écrire autant depuis que nous sommes partit ?
-Giles, répondit Holmes avec un sourire.
-Qui ?
-Rupert Giles. Il s'occupe de la bibliothèque du réseau de chasseurs dont je vous ai parlé. Je lui ai écrit cette nuit, après que vous vous soyez endormit.
-Eh bien... Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il est efficace.
-Allez dormir, mon cher Watson. Je vous réveillerai lorsque j'aurais besoin de vous.
-Et vous, Holmes ?
Le détective désigna la pile de courrier.
-J'ai quelques études à faire.
-Si vous ne comptez pas dormir, je ne vois pas pourquoi j'irais, reprit le docteur. Laissez-moi vous aider à éplucher tout ça. Je suis certain de pouvoir vous êtres utile.
-Je n'en doute pas, répondit Holmes en souriant. Je n'en ai jamais douté.
~
-Nous ne sommes pas plus avancés, bailla Watson en vidant sa pipe, deux heures plus tard.
Holmes ne répondit pas. Il était en train de relire les notes que Watson avait griffonné en lisant sa part des documents et les comparait avec les siennes.
Sans s'offusquer de ce manque de réponse, Watson s'installa confortablement dans son fauteuil, au coin du feu, et ferma les yeux. Il savait que Holmes le réveillerait le moment venu.
Le détective en question n'entendit même pas la remarque. Il était plongé dans les annotations que Giles avait lui-même ajouté, à la fin des documents.
Il y avait un peu de tout, dans ce fatras, des légendes, des témoignages, des fictions, des références, des sous-entendus, des formules alchimistes compliquées... Mais, toujours, les mêmes caractéristiques associées à la pierre : la transformation du plomb en or et la longue vie. Giles avait annoté que si le premier point faisait débat dans la communauté alchimiste – d'après ses nombreux contacts – le deuxième était tenu pour véridique. Il ajoutait aussi qu'on prêtait autre chose à la pierre que la richesse et la longévité. Les sources différaient sur ce point, mais il était aussi question d'une « amélioration », de sorte de pouvoir, de capacités hors-normes...
Pas étonnant que Moriarty cherche à mettre la main dessus, songea le détective. En tout cas, Flamel a été bien inspiré de venir à Londres : Moriarty n'est pas près d'y remettre les pieds.
Soucieux, Holmes ralluma la pipe qu'il avait laissé mourir et lâcha un soupir, qui se matérialisa sous la forme d'un long filament gris.
À une époque, pas si lointaine, il avait presque béni l'existence de Moriarty. Un génie à sa taille, c'était exactement ce dont il avait besoin pour se sortir de l'ennui qui dévorait ses jours ! Un génie capable de le comprendre ! Un génie capable de jouer à sa hauteur ! Ah, comme ça avait été excitant, au début !
Mais le jeu avait dérapé. Ou, plutôt, Holmes s'était rendu compte qu'il y avait des choses qu'il n'était pas prêt à jouer. Il l'avait compris au moment où le corps de son ennemi était tombé dans les chutes de Reichenbach, au moment où Sebastian Moran, l'âme damnée de sa victime, avait commencé à lui tirer dessus, embusqué dans les hauteurs. Au moment où il avait saisit qu'il avait toute l'organisation de Moriarty à ses trousses, désormais, et qu'il n'avait d'autre choix que d'abandonner Watson, parce qu'ils étaient trop vulnérables, lui et sa femme.
Et maintenant, maintenant qu'il était de retour, maintenant qu'il avait côtoyé la mort et saisit toute la monstruosité du visage de son ennemi, Holmes haïssait Moriarty plus que tout au monde. C'était un monstre qui venait hanter ses nuits blanches comme ses cauchemars, un monstre qui lui échappait sans cesse, une menace sur tout ce qu'il aimait, mais que, malgré tous ses efforts, malgré ses tentatives désespérées, ses plans ingénieux, son intellect hors du commun, il n'arrivait pas à détruire. Il n'était qu'humain, et sa Némésis était vampire !
Moriarty ne doit pas s'emparer de la pierre philosophale, songea Holmes en mordant sa pipe. Il devait s'emparer de la pierre. Il devait être plus fort, plus puissant, et surtout...
-Holmes... Grommela Watson depuis son fauteuil, les yeux à peine entrouverts. Vous êtes en train de nous enfumer.
Le détective ouvrit une fenêtre et s'exila noblement dans sa chambre pour reprendre en paix le cours de ses pensées.
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