Chapitre 6
Holmes passa la matinée à déchiffrer les pages du carnet de Van Helsing concernant l'armement, et ils passèrent l'après-midi à se procurer ce qu'il leur fallait. Heureusement, Holmes avait un bon réseau, et une notoriété assez grande pour que nul ne se pose des questions sur ses étranges commandes.
Des poignards en argents (pour une raison que Holmes trouvait fascinante et se promit d'étudier, les vampires y étaient fortement allergiques), des balles du même métal, un autre sabre, et, pour faire bonne mesure, quelques bâtons de dynamites.
Le seul moyen de tuer un vampire, d'après le carnet, était la décapitation ou la crémation. De préférence, les deux à la fois...
Enfin, la nuit fut là, emplie de menaces.
Les deux amis se vêtirent de noir. Watson glissa sous un chemise un petit crucifix, autant pour faire peur aux sectaires que pour se rassurer lui-même. Holmes s'en aperçut mais s'abstint de tout commentaire. Que chacun protège son âme comme il le pouvait...
*
Minuit venait de sonner.
-Abney Park, Holmes ? Vous êtes sûr ?
-Catégorique, répondit en chuchotant l'intéressé.
-Mais c'est un...
-Cimetière, oui. Ça me semble plutôt approprié pour une messe satanique, ne trouvez-vous pas ?
-Peut-être, répondit l'autre avec une certaine ironie. Je ne suis pas un expert dans le domaine. Mais on dirait l'intrigue d'un roman à deux sous.
-Que voulez-vous, Watson, il faut toujours se méfier des idées reçues, des fois qu'elles soient vraies...
Il s'agenouilla et commença à crocheter la serrure de l'imposant grillage.
-Vous voilà philosophe, maintenant, répliqua Watson en faisant le guet.
-Détective, mon cher Watson, ça fait déjà bien assez réfléchir sur la nature humaine !
La serrure laissa échapper un cliquetis et s'entrouvrit légèrement.
-Et romancier, alors !
-J'ai dit réfléchir, Watson, pas fantasmer...
Holmes se redressa. Ils savaient tous les deux que les piques qu'ils se lançaient n'étaient là que pour les rassurer.
Watson resserra sa poigne autour de son sabre.
Ils échangèrent un long regard, chacun prenant chez l'autre une bouffée de courage, si illusoire soit-elle. Ils s'apprêtaient à combattre de monstres presque immortels, plus nombreux, plus forts, plus rapides, dont ils ne soupçonnaient pas l'existence trois jours plus tôt, qui avaient déjà tué leur logeuse et faillis les occire au passage.
Mais à part ça, pensa le docteur, tout allait bien.
Il sourit et entra dans le cimetière.
Tout semblait calme, au premier abord. La végétation bruissait paisiblement sous les brises fraîches du vent. Les pierres tombales se dressaient çà et là, immortelles, comme un rappel du temps qui passe.
Memento mori.
Souviens-toi que tu es mortel.
Holmes fit signe à son compagnon de tendre l'oreille.
Non loin de là, un groupe de personnes psalmodiait en cœur quelque chose d'incompréhensible.
Ils quittèrent le chemin pour s'approcher de côté, dissimulés par la végétation. Holmes gardait à l'esprit que ces créatures avaient une vision nocturne aussi développée qu'un hibou.
D'ailleurs, pourquoi la chauve-souris qui était toujours associée à ces créatures ? Le hibou était beaucoup plus pertinent.
Il chassa immédiatement cette pensée saugrenue de son esprit pour se concentrer sur ce qu'il voyait, c'est-à-dire une vingtaine de silhouette portant des robes rouges, capuches redressées, qui se tenaient en cercle, les mains jointes comme pour une prière. Il remarqua qu'on avait tracé un pentacle, avec ce qui semblait être du sang.
Au milieu de cette assemblée, un autel était dressé, assez large.
Sur l'autel, une femme. Nue. Elle semblait dormir. Probablement droguée.
Le détective sentit son compagnon frémir à ses côtés.
Un des hommes se détacha soudain du cercle et s'approcha de l'autel. Holmes agrippa fermement le bras de son ami, qu'il sentait prêt à bondir dans l'arène.
-Mais Holmes, chuchota le plus bas possible le docteur, on ne peut pas les laisser faire ça !
-On ne peut pas les en empêcher, Watson, répondit l'autre. Notre seule chance est de suivre le plan.
Il sentit qu'il ne l'avait pas convaincu, et accentua sa pression sur son bras.
-Watson, ajouta t-il, souvenez-vous du mal que nous avons eu à tuer madame Hudson ! Et elle n'était vampire que depuis quelques heures !
Il eut brièvement honte de se servir de leur défunte logeuse ainsi, mais il repoussa vivement ce remord. Parfois, la fin justifiait les moyens.
Watson hocha tristement la tête en signe d'assentiment.
-Sangui minimus, corpus animus, rotted corpus satani ave, récita avec conviction celui qui s'était approché de l'autel. Rotted corpus satane ave, ave versus jesus christus !
-Ave versus jesus christus ! Reprirent les autres d'une même voix.
-Satani !
-Satani !
-SATANI !
-SATANI !
Le cercle commença à se refermer autour de la jeune fille.
Watson ferma les yeux et serra dans sa main son crucifix. Holmes posa sa main sur son épaule et fit de même.
Il y eu un hurlement, bref.
Mais pas de silence.
Des bruits de succion écœurant peuplèrent la nuit.
Et puis ce fut finit.
Watson senti la main de Holmes accentuer sa pression, et rouvrit les yeux.
Il savait que le détective avait raison, mais il ne se pardonnerait jamais la mort de cette jeune femme à deux pas de lui.
Holmes sortit de sa sacoche trois boules métalliques de la taille d'un poing.
Il chercha des yeux le regard du docteur. Celui-ci lui donna son accord d'un signe de tête. C'était le moment. Ils protégèrent leurs yeux de vieilles lunettes d'aviateurs.
Puis le détective lança d'un geste précis les trois sphères au centre du cercle.
Elles explosèrent dans un nuage de fumée épaisse, piquante.
Des cris de rages et de douleur peuplèrent aussitôt la nuit.
Le poivre contenu dans les petites bombes brûlaient les yeux des satanistes, vampires ou pas vampires, les rendant momentanément aveugles et brouillant par la même occasion leur odorat.
Les deux amis se redressèrent et, sans hésiter, se jetèrent dans la bataille.
Holmes analysait et calculait chaque coup, maîtrisé au centimètre près. Le sifflement de sa lame. Un cri de douleur.
Un vampire de moins.
Un autre mouvement, un autre cri.
Deux.
Watson durcit son cœur, et laissa parler sa haine et sa colère. Dans son esprit passèrent les images successives d'une main d'enfant, de madame Hudson, et de cette jeune fille inconnue, nue, et maintenant morte. Il assena des coups rageurs et dévastateurs.
Quatre vampires de moins. Cinq. Six.
Les vampires étaient si confus d'être attaqués, eux qui constituaient les prédateurs par excellence, qu'ils mirent un instant avant de comprendre ce qui se passait.
Désemparés, les yeux brûlant, une dizaine s'enfuirent...
Et une dizaine restèrent.
Holmes sentit une brûlure sur son bras tandis qu'une lame y traçait une longue estafilade, ajoutant une nouvelle douleur à celle qui irradiait déjà son épaule. Il transperça le cœur de son adversaire, qui hurla, mais resta debout.
C'était maintenant que commençait le vrai combat.
L'ennemi était plus fort, plus rapide. Mais pas plus intelligent, songea-t-il en feintant.
Sa lame transperça un œil. Nouveau cri de douleur.
Le vampire tomba à terre et Holmes le décapita de deux coups bien portés. Il n'avait jamais été soldat, mais il savait, hélas, tout aussi bien donner la mort.
Watson se retrouva face à face avec deux adversaires.
Deux lignes rouges fleurirent sur son torse, peu profondes.
Il se laissa tomber brusquement, en plaqua un au sol, et lui planta un poignard en argent dans le torse. Hurlement de douleur. Voilà qui devrait le calmer un peu.
L'autre lui tomba sur le dos. Il reçut un coup à la tête qui l'étourdis quelque peu et se jeta en arrière, coinçant son ennemi entre le sol et lui.
La fumée commençait à se dissiper.
Deux autres vampires tournèrent la tête vers lui, le repérant enfin.
Il fallait fuir.
Maintenant toujours l'autre à terre, il plongea la main dans sa sacoche et en ressorti un bâton de dynamite, qu'il enflamma d'un frottement.
-HOLMES ! Hurla t-il en rompant brutalement le combat pour sauter dans les fougères.
L'explosion déchira la nuit.
Watson se redressa aussitôt qu'il le put, angoissé de ne pas savoir ce qui était arrivé à Holmes... Et tomba nez à nez avec deux yeux noirs, injectés de sang.
Il se baissa pour éviter le coup qui lui était porté, fit demis tour, et pris ses jambes à son cou, en priant tous ceux qui voudraient bien l'entendre pour que Holmes et lui sortent vivant de cette aventure, ou mieux encore, pour que tout cela ne soit qu'un cauchemar.
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