Chapitre 3
-Non, non, et non, Watson, je ne peux définitivement croire à toutes ces calembredaines !
Le docteur venait de lui lire un passage du livre de Bram Stocker, dans lequel une hostie consacrée, posée sur le front d'une jeune fille, avait révélé sa malédiction.
-Je sais que vous n'êtes pas croyant, Holmes, mais...
-Agnostique-sceptique.
-Soit. Mais vous devez bien admettre que votre crucifix a eu hier son petit effet...
-Certes. Mais figurez-vous, mon cher Watson, que le journal que je tiens entre mes mains donne de cet événement une explication bien plus satisfaisante qu'une soi-disant malédiction.
-Mais... Je croyais que vous ne pouviez pas lire ce carnet...
-Parce qu'il est écrit en néerlandais, qui est probablement la langue d'origine de ce brave professeur Van Helsing ? Mais à votre avis, Watson, qu'ai-je fais durant toute l'après midi d'hier ?
-Vous êtes en train de me dire que vous avez appris une langue en..
-Ce n'est pas compliqué, surtout que le néerlandais à de nombreux points communs avec l'allemand, que je parle -comme vous le savez- couramment.
-Vous me stupéfierez toujours, Holmes !
Le détective sourit de cette admiration presque enfantine sur le visage de son ami. Une expression dont il ne se lassait pas.
-Pour en revenir au point qui nous préoccupait, ce journal est une mine d'information en ce qui concerne la nature et les mœurs de nos amis vampires ; si tout cela existe réellement, ce que je n'admets pas encore sans réserve.
-Quand vous avez éliminé l'impossible, ce qui reste, aussi improbable que ce soit...
-Est possible. Je sais, Watson, je sais. Vous êtes redoutable lorsque vous commencez à me citer ! Pour en revenir, encore une fois, au journal, je suis en train de lire un passage qui porte sur les croyances de nos amis aux canines pointues. Il semblerait que la plupart -mais pas tous- se figurent avoir été choisis par Satan en personne, auquel ils vouent un véritable culte. Pour ceux-là, toucher ou approcher un objet sanctifié les rendrait impurs pour leur maître.
Il referma le carnet en le faisant claquer, un sourire satisfait sur le visage.
-Vous voyez, Watson, pas de mysticisme là-dedans, simplement quelques croyances idiotes. Il est instructif de constater que même atteint de cette drôle de maladie, les hommes restent des hommes, crédules et manipulables par la religion.
-Vous y allez un peu fort, Holmes !
-Pardonnez-moi mon ami, je ne voulais pas froisser vos croyances. Et puis, il faut bien avouer qu'un tel culte, de leur part, nous est bien utile !
-Vous savez qui sont les dames en blanc qui nous ont poursuivie hier soir ?
Holmes feuilleta rapidement le carnet, jusqu'à trouver ce qu'il cherchait. Il le retourna pour montrer au brave docteur sa trouvaille.
-Van Helsing avait apparemment un certain don pour le dessin, commenta Holmes, pensif.
En effet, sur la double page, un dessin à la plume révélait avec une fidélité effrayante les silhouettes et les visages des trois femmes en blanc.
-Qu'est-il écrit ? Demanda Watson.
-Voyons voir... Moriarty les aurait ramenés de Transylvannie, où « Dracula » (il haussa un sourcil sceptique en énonçant son nom) les lui aurait cédé pour celer une trêve politique.
-Dracula ?
-Quand je vous dis que cette histoire ressemble à un mauvais roman...
-Pourtant, Holmes, vous l'avez vu comme moi...
Une ombre passa sur le visage du détective.
-Moriarty, cracha t-il enfin.
-C'était peut-être un faux ? Vous vous y connaissez en déguisement et tromperies de tout genre.
-Non, je peux vous le certifier, Watson. C'était bien lui. Sa voix hante encore certain de mes cauchemars, et ses traits sont à jamais gravés dans ma mémoire.
-Eh bien, soupira le docteur, au moins je sais à quoi il ressemble, maintenant...
-C'est vrai que vous ne l'aviez jamais rencontré, murmura le détective, pensif. Les crucifix et les hosties ne marcheront pas, avec lui. C'est le diable en personne... Je tremble de le savoir de retour à Londres, à la tête d'une organisation plus puissante que la précédente.
-Et moi je tremble pour vous, Holmes ! Promettez-moi que vous ne ferez rien d'imprudent !
-Comment voulez-vous que je vous promette pareil chose, Watson ! S'exclama le détective, soudain furieux. Je ne ferais pas passer ma sécurité avant celle de la nation ! Ce monstre doit être éliminé, empêché de nuire au plus vite, par n'importe quel moyen !
Il écrasa son poing fermé sur l'accoudoir de son fauteuil.
-Je ne savais pas que l'âge vous avait rendu couard, Watson !
-Eh bien, murmura le docteur en se levant doucement, au moins, ne faites rien d'imprudent sans moi. Si vous le permettez, je vais dormir quelques heures. Ma condition de couard m'empêche d'enchaîner plusieurs nuits blanches à la suite. Je vous conseillerais bien de faire de même, mais je ne me fais pas d'illusion.
Le détective regarda la porte de la chambre se refermer derrière son ami, un peu honteux de son éclat. Mais il chassa vite ces préoccupations, et replongea dans l'étude du carnet.
Il était en guerre.
*
Lorsque Watson ressortit de sa chambre, emmitouflé dans une robe de chambre quelque peu élimée, Holmes n'avait pas bougé d'un poil. Son ventre le rappelant à l'ordre -il n'avait rien mangé depuis hier midi et se doutait que Holmes non plus- il sonna madame Hudson pour un déjeuner. Tardif, certes, mais la brave logeuse connaissait l'excentricité de ses locataires, et ne s'offusquait plus de leurs horaires irréguliers.
Ayant obtenu deux assiettes de rôti froid et du thé, Watson alla s'asseoir face au détective, sur leur petite table, près de la fenêtre, qu'éclairait crûment la lumière de l'hiver.
En silence, il leur servit à tout deux du thé, et entrepris de faire un sort à son repas. Il savait qu'il ne fallait pas troubler les pensées de son ami, toujours penché sur ce maudit carnet, et surtout pas pour lui dire de manger. Il préférait tenter une tactique plus subtile de suggestion subliminale. Sans beaucoup d'espoirs.
Pourtant, au bout de quelques minutes, le détective releva la tête, l'air un peu embarrassé.
-Ce carnet est pour le moins fascinant, dit-il. Il faudra que j'en fasse une traduction en bonne et due forme. Je suis certain que votre esprit de romancier s'y intéresserait de près.
-Euh... Certes, répondit Watson, extrêmement surpris que Holmes interrompe son étude pour si peu et fasse illusion à son activité d'écrivain sans la déprécier. Mais je doute que mes lecteurs m'accordent la moindre crédibilité si je prends de telles sources d'inspiration, ajouta t-il en souriant.
-Vous seriez certainement accusé de plagiat envers Bram Stocket, repris le détective sur le même ton. Mais je ne doute pas qu'avec votre talent, vous arriviez à en faire quelque chose que même Conan Doyle, votre irascible agent littéraire, apprécirait !
Watson lui jeta un regard méfiant.
-Holmes, y a t-il quelque chose de délicat que vous voulez me demander ?
-Qu'est-ce qui vous fait penser une telle chose, Watson ? Répondit le détective en détournant le regard.
Les lèvres de Watson s'étirèrent dans un sourire amical.
-Attendez, vous essayez de vous excuser, c'est cela ?
-Oui, soupira son ami, embarrassé.
-Un simple « je suis désolé » fait habituellement l'affaire, Holmes, rit-il. Inutile de passer par toutes ces flatteries ! Mais vous n'avez pas besoin de vous excuser : je connais votre obsession envers Moriarty.
-Vous savez comme je peux être maladroit dans les relations humaines, soupira l'autre. Mais vous présente tout de même mes excuses, Watson : je suis bien placé pour savoir que vous n'êtes pas un couard. Vous êtes l'une des personnes les plus courageuses que j'ai jamais rencontré.
C'était au tour de Watson d'être embarrassé.
-Et donc, ce carnet ? Demanda t-il pour changer de sujet.
-Pire que du Bram Stocker ! Répondit Holmes, retrouvant immédiatement sa veine mi-cynique mi-humoristique. Et des plus inquiétants. Si on en croit ces données, la maladie du vampire serait apparu au Moyen-Âge en Transylvanie. D'abord adulés, puis craint et pourchassés, les vampires se sont fondus dans l'ombre, pour créer de redoutables organisations, propres à chaque pays. Toujours d'après Van Helsing, ils ont développé à l'image de la nôtre une véritable et complexe politique entre les différents clans et pays, chacun ayant son souverain, sa cour, ses ministres, ses opposants etc.
-Mais si tout cela est vrai, comment ce fait-il que nous n'en ayons pas entendu parler ?
-Peut-être l'avons-nous fait, Watson. Peut-être l'organisation que je devinais derrière Moriarty n'avait pas la nature que je lui attribuais...
-Vous voulez dire que Moriarty était un vampire avant que vous ne le poussiez dans ses abominables chutes ? Mais pourquoi se faire passer pour mort, alors ?
-Pour m'éloigner, Watson. Alors que je chassais le colonel Moran en France, il avait le champ libre à Londres...
-En France, mais je croyais...
-Le Tibet, Watson ? La Perse ?
Le docteur affecta une moue vexée.
-Ça m'apprendra à vous croire sur parole, grommela t-il.
À cet instant, on frappa à la porte. Madame Hudson entrouvrit le battant pour laisser passer l'inspecteur Lestrade.
Le policier avait un air catastrophé plaqué au visage.
-Inspecteur Lestrade, grinça Holmes, que nous vaut ce plaisir ? Je suis malheureusement sur une affaire des plus prenantes en ce moment, et je n'ai pas de temps à consacrer dans l'immédiat pour vos chats perdus...
L'homme jeta au docteur un regard implorant.
-Asseyez-vous, lui lança ce dernier en faisant fis des éclairs lancés par le regard de son ami, et dites-nous ce qui vous tracasse.
-C'est... C'est... bafouilla l'inspecteur en s'agitant sur son fauteuil. Oh, monsieur Holmes, c'est horrible ! Certains disent que Jack l'Éventreur est devenu fou, et... et...
Holmes sembla soudain s'intéresser au problème.
-Inspecteur, ne développez pas la mauvaise habitude que multiplie le docteur Watson dans ses récits et commencez votre histoire du début, voulez-vous ? Que s'est-il passé, quand, et où ?
-C'était... heu... ce matin, vers une ou deux heures. L'agent Craptree finissait sa ronde, sur les quais, et il a été interpellé par une odeur de charogne, qui venait d'un entrepôt désaffecté... alors il est entré et il a vu...
Le teint de l'inspecteur devint si blanc que le docteur craignit qu'il ne s'évanouisse.
-Des... corps. Entassés. Au moins une trentaine. Tous égorgés. Je sais que vous ne vous occupez pas de l'affaire de Jack l'Éventreur, mais j'ai tout de suite couru ici...
-Et vous avez bien fait ! Répondit Holmes en se débarrassant de sa robe de chambre. Watson, habillez-vous, nous partons sur l'heure ! Dites-moi, inspecteur, demanda t-il soudain d'une voix étrangement basse en s'arrêtant sur le seuil de sa porte, les corps ont-ils été vidés de leur sang ?
-Comment savez-vous que...
Watson croisa le regard de Holmes, persuadé que l'horreur qu'il y lisait se reflétait aussi dans le sien.
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