Partie 2 : La bouée « liberté »
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Quelques heures avaient suffi. J'étais devenue incapable de les traiter de « bizarres ».
On m'a accueillie à cette soirée comme si j'étais légitime d'être là, comme si j'avais tous les droits. Comme si je n'étais pas seulement « la soeur de Hyunjin », le boulet qu'il traînait derrière lui. Avec eux, j'avais l'impression d'être libre. Je crois que c'était ça, leur super-pouvoir. La liberté.
La liberté, c'était autant ce qui faisait leur unicité que ce qui créait leur lien. Ils étaient libres d'être eux-mêmes, c'était pour cela qu'on leur collait l'étiquette « bizarre ». C'est à cette soirée-là, que j'ai commencé à penser comme eux. C'était peut-être le même manège d'influence qu'avec mes anciens amis, sauf qu'à défaut de vouloir être comme tout le monde, j'allais être comme eux, libre d'être « moi ». J'ai fait le choix d'être pareille en étant différente.
Pourtant, la Hwang Yeji de cette année-là, elle en avait des choses à changer. Hwang Yeji ne savait pas elle-même qui elle était. J'avais voulu être libre, j'avais voulu être tout à la fois.
La soirée s'est poursuivie bon train. Nous avions fini par déplacer boissons et nourritures sur la table de la terrasse. De grosses boules lumineuses, posées à même le sol, éclairaient l'extérieur. Il y avait aussi de petites lampes à huile dont les flammes brûlantes libéraient un encens citronné pour éloigner les moustiques. A peine à l'extérieur, Suyeon avait fait un plongeon tête piquée dans la piscine sitôt ses habits retirés. Jisung avait à nouveau poussé le volume des enceintes et cette fois-ci, Changbin n'avait fait aucune remarque, bien trop saoul pour penser à ça. Il était affalé sur un des poufs colorés disposés sur la plage de la piscine et semblait pris dans une passionnante conversation avec Chan et Seungmin. Ryujin, Felix, Chaeryeong et Jeongin dansaient à côté, chantant à tue-tête en sautant sur leurs pieds. A part Jeongin qui faisait volontairement n'importe quoi avec ses bras, les trois autres paraissaient avoir dansé toutes leurs vies. La musique changea presque brusquement, et on entendit un nouveau « Désolé ! » provenant de l'intérieur ; Jisung à n'en pas douter. Chaeryeong et Felix se rapprochèrent, entamant une danse des plus sensuelles et en même temps des plus drôles qu'il m'avait été donnée de voir. Je crois que j'avais moi aussi, bien trop forcé sur la boisson.
Lia, Jisung, Minho et mon frère avaient disparu et je n'étais pas convaincue de vouloir savoir où ils étaient passés. Je me suis sentie seule, je n'étais pas vraiment sûre d'avoir ma place parmi eux parce qu'à cette époque, j'avais beau voir les failles dans ma normalité, je n'étais pas certaine de vouloir changer. Mon verre à la main, je suis allée m'assoir sur le rebord de la piscine, plongeant mes mollets dans l'eau chauffée. Suyeon m'a adressée un sourire gentil auquel j'ai répondu. Je n'étais pas sûre de comment commencer une conversation alors j'ai préféré me taire et la jolie brune a poursuivi sa longueur jusqu'à être la plus proche de son copain. Elle réclama son attention, alors Chan s'est levé de son pouf pour claquer un baiser sur ses lèvres humides et chlorées. A son retour, Jeongin avait pris sa place alors ils ont commencé à se chamailler.
J'ai senti quelqu'un s'assoir à mes côtés. La brise tirait dans ma direction la fumée de sa cigarette et j'ai rendu à Woojin le doux sourire qu'il m'adressait. J'ai plongé mon nez dans mon verre pour boire une gorgée.
— Regarde Changbin, m'a-t-il intimé soudainement. Il n'essaie même pas de se cacher et pourtant, il continue de répéter qu'il s'en fout.
Intriguée, j'ai détourné mon regard du cuivré pour observer le platine. Je ne savais pas trop ce que Woojin voulait que je vois. Changbin était toujours enfoncé sur le pouf et échangeait un joint avec Seungmin. J'ai mis un peu de temps à remarquer que le visage de Changbin faisait des constants aller-retours entre Seungmin, et Chaeryeong et Felix qui dansaient. Enfin, qui se frottaient plutôt l'un contre l'autre. Plus ils se rapprochaient, plus le visage de Changbin se déformait. Pourtant, il semblait faire comme si de rien n'était, poursuivant sa conversation.
— Il a tellement l'habitude que Felix ait son entière attention sur lui qu'il ne se rend pas compte qu'il est jaloux dès qu'il ne l'a pas. Ils sont ridicules sérieux.
— Tu penses que Changbin aime Felix ? ai-je questionné.
Il a mis un certain temps à répondre. La musique a changé, et Felix est allé s'écraser à côté de Changbin qui s'est mis à râler pour la forme. De ma place, j'avais une vue assez claire sur eux. Felix a attrapé la main gauche de Changbin et s'est mis à jouer avec ses doigts bagués. Changbin, le visage inexpressif, n'avait esquissé aucun geste. Il n'a pas repoussé Felix, mais à vrai dire, il ne l'a pas accepté non plus.
— Honnêtement ? Woojin a fini par souffler. J'n'en ai aucune idée et je m'en fiche. Tant que ça ne crée pas d'histoire avec le groupe et que personne n'est blessé, ils font ce qu'ils veulent.
J'ai acquiescé et j'ai fini mon verre sous son rire. Je me suis demandée ce que Woojin pensait de la relation entre Hyunjin et Minho. Il m'aurait probablement répondu la même chose.
— Eh bah ! T'as une sacrée descente !
J'ai rougi, un peu honteuse, je n'ai pas compris que ce n'était pas une moquerie. Il a poursuivi la conversation. Quand j'y repense, on a pas mal parlé. Il me faisait des anecdotes sur chacun de ses amis. Je crois que c'est Woojin qui m'a dit, perdu dans le flot de ses paroles incessantes, prises de fumée et d'alcool, que le couple de Chan et Suyeon battait de l'aile. Ça m'a surprise parce que d'une vision extérieure, ils avaient l'air follement amoureux. Chan et Suyeon, ils formaient le couple parfait à mes yeux. C'était peut-être ça le problème.
— Être ensemble les brise à petit feu, être séparés les détruira. C'est vicieux. Je ne sais pas comment ça va se finir, ça me fait un peu flipper je t'avoue.
J'ai appris deux choses de Woojin. La première, c'est qu'il était capable de tout pour le groupe. La deuxième, c'est que tout ce qu'il faisait avait une raison.
— Et toi alors ? T'as quelqu'un ? m'a-t-il demandé en agitant ses sourcils sur le ton de la confidence.
J'ai secoué la tête, presque embarrassée d'évoquer un sujet pareil avec lui. Pas que je trouvais la question trop personnelle — après tout, je m'étais bien mêlée de la vie des autres — mais parce que l'histoire avec mon ex m'avait laissé des séquelles que je ne croyais pas sûres de guérir. Pourtant, j'avais l'impression que ça faisait une éternité que cela s'était produit.
— Malheureusement non. Je ne suis pas sûre qu'une relation soit ce à quoi j'aspire en ce moment, même si ça me manque un peu...
— Ah, mauvais passif ?
J'ai ri de sa formulation.
— On peut dire ça, oui... Mon ex était un connard qui s'est tiré avec une pauvre fille qu'il a jeté à son tour. C'était un manipulateur de première, un sale type, mais je crois que je l'aimais... Il m'a renvoyé un message la semaine dernière pour qu'on se revoit. Il a dit que je lui manquais, et m'a suppliée pour que je le croie... Enfin bref.
J'ai ri un peu, faussement, et j'ai haussé les épaules par dépit avant de demander :
— Et toi ?
Woojin m'a adressé un sourire que je n'ai pas réussi à comprendre. Il ne m'a jamais répondu. Il a eu un ricanement que je n'ai pas su interpréter avant de lever la tête vers la maison de Changbin. D'ici, on voyait clairement l'intérieur à travers les baies vitrées qui tapissaient tout l'étage. Postés sur la mezzanine, les quatre absents semblaient trafiquer je-ne-savais-quoi près d'un bureau. Woojin a formé un cercle du pouce et de l'index et Lia lui a répondu par un pouce levé. Je n'ai pas vu Hyunjin.
Je crois que Woojin voulait me donner de l'espoir. Il était rassurant, mieux, il était réconfortant. Je le trouvais d'une beauté sans pareille, d'une intelligence pointue et il semblait me porter une attention toute particulière. Ça m'avait fait plaisir et j'avais un peu trop bu. Je pense que je ne voulais pas croire que Woojin était attentionné avec tout le monde. Ce soir-là, il n'a pas voulu me dire que lui et moi n'arriverait même pas dans mes rêves. Il n'a pas voulu me blesser alors il ne m'a pas dit que je n'étais pas du tout son style — lui, il était plus petite brune, cheveux longs et visage poupon, de gros seins et de belles fesses. Il ne m'a pas dit qu'il me voyait seulement comme la soeur d'un de ses potes, ou comme une nouvelle amie. Après tout, je n'étais que Hwang Yeji. Et la Hwang Yeji de cette époque-là, elle avait un coeur en coton et des convictions en carton.
Alors Woojin ne m'a rien dit, même s'il sautait régulièrement un nombre de filles incalculable. Woojin, il a toujours aimé offrir des bribes d'espoir, et je pense que ça lui plaisait de le réduire en cendre, ça le soulageait. L'espoir, cela faisait bien longtemps qu'il n'y croyait plus. Alors il couchait avec qui lui plaisait, quand il le voulait, et il partait au bout d'une nuit. Il avait trop de respect pour rester plus longtemps. Je pense que c'est pour ça qu'il ne m'a jamais sous-entendu quoi que ce soit. Il savait que j'aurai voulu plus que ça.
Au bout d'un moment, il s'est levé, embarquant mon gobelet qu'il est allé remplir avec le sien. Il a laissé son mégot dans le cendrier sur la table de la terrasse et j'ai arrêté de le fixer. Je devais avoir l'air sacrément bizarre, pire qu'eux.
Je me suis demandée ce que faisait mon frère et je me suis contentée de rire de Seungmin qui se noyait presque dans le pouf tant il y était affalé. Chan et Jeongin avaient été séparés par Ryujin, et les deux garçons s'étaient désormais mis en tête d'embêter la jeune fille. Si Chaeryeong, Changbin et Felix semblaient se faire tourner un joint, Seungmin n'avait pas dans l'idée de partager celui qu'il était en train de rouler. Je n'avais jamais compris l'intérêt qu'avaient certains à fumer une telle substance. Elle n'était pas seulement illégale, elle était destructrice. Sauf que je ne le connaissais pas, Seungmin, je n'étais personne pour lui exposer mon avis à la figure. Je ne savais pas pourquoi il voulait mourir, ni pour quoi il voulait vivre. Alors je n'ai rien dit. Je me suis contentée de le regarder, quelques mètres à ses côtés.
Seungmin avait les yeux rouges et le dessous des yeux creusés de violet. Il perdait le sommeil, il dormait trop. Il fumait tellement qu'il planait presque tout le temps, mais il était gentil, taquin et attentif. Il essayait toujours d'aider le plus possible, de faire autant qu'il pouvait, même si la fumée atomisait ses problèmes en particules cendreuses. Même si la fumée avait fini par le rendre amorphe et impuissant. Ce n'était pas le meilleur mec du monde mais il essayait, Seungmin, même s'il était accro. Je l'aimais bien, Seungmin, même s'il était toxico.
— Seungmin veut mourir lentement d'un cancer, a commenté Woojin en revenant s'assoir en tailleur à côté de moi, me donnant mon gobelet plein au passage.
On a trinqué sans que nos verres ne tintent, ça nous a fait rire. Je n'avais pas vraiment fait attention à ce qu'il a dit. Il a ensuite pointé la fille indigo.
— Ryujin sautera d'une falaise. Chan traversera une autoroute bondée, Suyeon se noiera, et Jeongin fera une overdose. Enfin, s'il ne meurt pas d'un cancer de la peau d'ici là...
Il m'a sourit, de son rictus magnifique qui faisait rougir mes joues. Je ne comprenais pas comment il pouvait sourire en parlant d'un sujet pareil. Ça me paraissait impossible, ça me paraissait fou.
— Désolé, s'est-t'il ensuite excusé. C'était un peu random comme remarque.
J'étais effarée.
— Vous avez tous décidé comment vous comptez mourir ? ai-je fini par demander après un temps.
J'essayais de rester calme. A l'intérieur, j'étais horrifiée.
Woojin a hoché la tête. Il a sorti une nouvelle cigarette avant de renchérir.
— Ouaip. Tu sais, la vie, c'est un peu comme les jeux truqués dans les casinos. Tu joues en sachant très bien que tu vas perdre. On meurt tous à la fin, c'est comme ça. Alors quitte à jouer, autant en profiter le plus possible. Alors nous avons choisi autant la date que la manière dont nous allons mourir.
J'ai trouvé ça stupide. J'ai trouvé ça bizarre, et en même temps, j'ai trouvé ça beau. Je me suis demandée comment je voudrais mourir. Ça m'a terrifiée.
— C'est débile, ai-je fini par lâcher après avoir vidé mon verre de moitié en deux-trois gorgées.
Woojin a ri un peu, crachant sa fumée.
— Complètement, mais je pense que ça a permis à beaucoup d'entre nous d'avoir un but.
Ça m'a retournée.
— On a décidé que la mort serait aussi un choix, s'est immiscée Yuna. C'est notre manière de jouer.
Je n'avais pas vraiment fait attention à elle jusqu'alors. C'est la première fois de la soirée que nous nous sommes adressées la parole.
Elle s'est assise à ma gauche, plongeant ses pieds nus dans l'eau chlorée. Chan a jeté Jeongin à l'eau, créant des remous qui a manqué de nous arroser tous les trois. Le tatoué a hurlé avant de sortir son téléphone de sa poche en geignant et maudissant l'ainé sur toutes les générations. Seungmin s'est proposé pour mettre son portable dans un paquet de riz, s'extirpant difficilement du pouf. Jeongin a commencé à balancer ses habits trempés sur Chan, et Seungmin s'est pris son jean au visage. En réponse, le téléphone de Jeongin a volé.
On a rigolé. Je n'avais jamais entendu de rire plus heureux que celui de Yuna.
— Le destin n'existe pas, a-t-elle rajouté, le visage penché sur l'eau ondulante. Toi aussi Yeji, tu devrais apprendre à jouer selon tes propres règles. C'est ta vie, c'est à toi d'en faire ce que tu veux. Fais tes propres choix, deviens libre.
Je ne comprenais pas en quoi être libre était choisir comment mourir mais je n'ai rien dit. J'ai hoché la tête et j'ai laissé ses mots résonner en moi. Elle m'énervait. Je la trouvais incroyable, je la trouvais révolutionnaire, pourtant j'ai haïs la manière qu'elle avait eu de m'exposer sa vérité au visage. J'ai détesté ses airs sûrs et sa détermination. Elle ne me connaissait pas, de quel droit pouvait-elle se permettre d'affirmer que je ne vivais pas ?
Je pense que j'ai exécré le fait qu'elle avait raison.
Et puis, je me suis demandée si Hyunjin savait comment il comptait mourir. Est-ce qu'on pouvait mourir d'un coeur brisé ? J'ai imaginé mon frère mourir alors j'ai secoué la tête avant que mon moral ne finisse par chuter dans la piscine.
Je pensais que grandir, c'était accepter que les choses puissent changer, accepter quelles soient éphémères pour pouvoir en tirer le maximum. Je pensais que grandir me ferait voir le monde plus grand, rire et oublier mes problèmes d'adolescente. J'aurai aimé que grandir soit un remède.
Je crois que j'étais encore une enfant.
— Bon, assez parlé ! Ils font une orgie les autres bouffons ou quoi ?
— Si tu savais ! s'est moqué Woojin.
Il savait très bien ce qu'ils fabriquaient mais aucune d'entre nous n'a osé pousser plus loin notre curiosité. J'ai commencé à me balancer de gauche à droite sur la musique et Yuna m'a poussée à me lever à mon tour. On a rejoint les autres en quelques enjambées et Yuna s'est mise à danser. Elle tenait toujours mon poignet alors j'ai tournoyé un peu avec elle. Ses longs cheveux blonds se balançaient sous la brise, s'éparpillant sur son visage et son sourire radieux qui laissaient voir ses dents. Je l'ai trouvée magnifique. Je n'étais pas sûre d'avoir déjà vu plus belle fille que Yuna. Elle respirait la joie. Pourtant, je savais qu'elle aussi, elle avait prévu sa mort.
Quand je repense à ce moment, je me rends compte que je suis restée bloquée sur des détails. Du discours de Woojin, je n'avais compris qu'une seule chose. J'avais omis le plus important. Avant tout, ils voulaient être heureux. Comme Hyunjin, ils voulaient tout voir et tout vivre.
Mourir, c'était un détail. Après tout, Woojin avait raison : on meurt tous un jour.
Alors j'ai ri avec Yuna, cette nuit-là. Je l'ai admirée, je l'ai trouvée magnifique et extraordinaire. Ensuite, Ryujin et Chaeryeong se sont mêlées à nous et nous avons dansé jusqu'à ce que le volume de la musique ne s'abaisse de nouveau jusqu'à devenir un bruit de fond. Cette fois-ci, aucun cri de Jisung ne nous est parvenu. On s'est assises aux pieds des poufs en s'exclamant. On a pas mal ri, on a pas mal parlé aussi. Jeongin est sorti de la piscine en caleçon, épongeant son corps gravé à l'encre avec la serviette de Suyeon qui s'est plainte.
— Oh, t'as toujours ma chaîne... a marmonné Chan quand le noiraud s'est assis à ses pieds, près du pouf.
Il avait un rictus mélancolique et la voix douce. Dans un geste machinal, Jeongin a porté sa main droite à son cou, attrapant le fin collier d'argent entre ses doigts dont les plus larges phalanges étaient inscrites de lettres. A l'envers, j'ai mis un moment à les reconnaître. Chris. Je n'ai pas compris. Jeongin a tiré la langue. Chan a ricané.
— Eh Yeji, c'est vrai que tu fais de la boxe ? m'a soudain demandé Changbin, un gros sourire placardé sur son visage.
J'ai acquiescé, surprise par son enthousiasme.
— C'est trop cool ! T'en fais où ?
— Tu vois la vieille supérette avec le néon orange à côté de la gare ? Quelques rues plus loin.
Il m'a bombardée de questions sur les horaires, les coaches, les entraînements. Il n'a jamais évoqué le prix mais j'avais bien compris qu'il n'avait aucun problème de ce côté-là.
— J'ai un entraînement lundi. Si tu veux, t'as qu'à venir voir à quoi ça ressemble, faire un essai.
Il avait l'air d'être totalement emballé par l'idée. Je me suis dit qu'avec les bras qu'il avait, il ferait rapidement un malheur s'il apprenait un peu de technique. Je ne doutais pas qu'il serait très doué.
— BINNIE, PETIT MAIS PUISSANT ! a hurlé mon frère hilare, en arrivant sur la terrasse.
Changbin a râlé, exhibant ses bras en répliquant : « Moi au moins, je n'ai pas la force d'un surimi ! » Felix a entouré ses mains autour du biceps du platine et s'est amusé à le presser. Il avait des mains minuscules. Je lui ai adressé un sourire en coin et ai agité mes sourcils. J'avais très bien compris son manège. A vrai dire, je crois que tout le monde l'avait compris, mais Felix a simplement souri en retour et a enlacé le bras de Changbin en se serrant contre lui. Changbin n'a rien dit.
— Je pourrais venir aussi ? s'est immiscée Ryujin. J'ai toujours voulu essayer la boxe !
— Avec plaisir.
Je lui ai souri. Je me suis sentie intégrée, je me suis sentie normale, ça m'a fait plaisir. Woojin est venu s'asseoir avec nous, apportant quelques bouteilles et les gobelets propres qui restaient. Chaeryeong a distribué les verres et Suyeon — qui venait enfin de sortir de la piscine — s'est proposée pour les remplir. On a tous bu la même chose, je crois qu'on se fichait bien de ce qu'on ingurgitait, tant que l'effet était le même. Yuna prenait l'alcool pour la liberté mise en bouteille.
Je n'étais pas spécialement d'accord. Pour moi, l'alcool, c'était un concentré de courage.
Hyunjin a bien fait trois aller-retours entre le salon et la terrasse avant de se décider à nous rejoindre.
— Ils sont où les autres ? lui a demandé Chaeryeong.
— Ils arrivent, on a préparé un petit jeu pour vous !
Ça m'a intriguée. Hyunjin s'est assis à côté de moi, me poussant presque sur Yuna et s'est emparé de mon verre. Il a bu bien la moitié. Je l'ai insulté, il a rigolé. J'ai fini mon gobelet en deux gorgées et Suyeon m'a resservie.
— Je croyais que tu ne pouvais pas boire... m'a glissé mon frère à l'oreille.
J'étais déjà saoule, c'était trop tard. J'ai haussé les épaules, assommant Hyunjin au menton qui s'est dramatiquement écroulé sur les jambes de Felix. Ça nous a fait rire, je me suis excusée. Puis brusquement, le garçon indigo a débarqué sur la terrasse au pas de course, une sorte de boîte à chaussures dans les bras. Sorte, parce que le couvercle avait été scotché d'une manière horriblement grossière et que deux trous ridiculement gros — suffisamment pour qu'on y passe la main sans difficulté — avaient été découpés dans le carton. Il a balancé la boîte à Seungmin qui a manqué de se la prendre en plein visage et il s'est enfui à l'autre bout du jardin en hurlant « cachez-la ! ».
En vitesse, Jeongin a attrapé la robe de Suyeon qui trainait sur la plage, a emballé la boîte avec et l'a fourrée derrière le pouf de Seungmin.
— HAN JISUNG ! a rugi Minho en traversant le rail de la baie vitrée avant de courir après le garçon indigo. RETIRE CE BOUT DE PAPIER DE SUITE !
— Sympa pour ma robe Innie... a grogné la jeune fille.
Chaeryeong lui a donné un petit coup de coude pour la dérider. Lia est arrivée peu après et s'est décapsulée une petite bouteille de soju. Minho a traîné Jisung par l'oreille jusqu'à nous. Le garçon indigo a strictement refusé de retirer le papier en question. Je crois qu'à part mon frère et Lia, personne ne savait de quoi ils parlaient.
— Bon ! Lia a claqué dans ses mains. Je vais vous expliquer le but du jeu, mais avant, trinquons !
On a tous levé nos gobelets face au ciel. Felix a manqué de tomber du pouf, renversant un peu de sa boisson sur le carrelage gris. Changbin l'a rattrapé par les hanches et le blondinet a fini par s'assoir entre ses jambes. Si nous étions tous déjà plutôt amochés par l'alcool, je pense que Changbin ne contrôlait même plus ce qu'il faisait. Peut-être qu'il s'en rendait compte, mais il a fait comme si de rien n'était et s'est contenté d'accueillir le corps de Felix contre lui.
— SANTÉ !
On s'est tous mis à crier. Je ne m'étais jamais sentie aussi bien. Je me sentais normale. J'ai embrassé la joue de mon frère sur un coup de tête. C'était le genre de geste affectueux que nous avions rarement l'un pour l'autre pourtant, ce soir-là, j'aurai pu pleurer tellement j'étais heureuse d'être là avec lui, avec eux. Alors je l'ai remercié, d'un « merci » rapide et glissé dans son oreille pendant que Lia commençait ses explications. Il a haussé les sourcils et m'a donné un coup d'épaule en riant. J'ai manqué de tomber à la renverse sur Yuna qui s'est mise à rire.
— Seungmin, la boîte ! a réclamé Chan depuis son pouf.
Il a placé la boîte par-terre au centre de notre cercle. Suyeon a récupéré sa robe, pestant contre le plus jeune garçon et remerciant son copain. Suyeon n'avait jamais trop aimé Jeongin.
— En gros, on a préparé une sorte d'action-sans-vérité qui va se dérouler sur toute la soirée. On va faire tourner la boîte et vous allez piocher un nom et une action.
— Attend mais c'est hyper facile comme jeu, c'est pas drôle, s'est exclamé Felix.
Woojin a eu un sourire en coin plutôt lugubre et a répliqué :
— Tu veux que je te rappelle qui a créé ce jeu ? A chaque soirée, ils nous inventent des jeux impossibles, dégueulasses et hypersexualisés, tu ne devrais pas les sous-estimer.
Hyunjin a émis un grommèlement fier et Minho a prit la parole, levant un sourcil. Je n'avais jamais vu personne porter un tel regard. Je comprenais mieux pourquoi Hyunjin était tombé pour lui.
— Pour qui nous as-tu pris ? a-t-il ricané, plein de hargne.
Lia a exagérément balancé ses cheveux en arrière et a continué à expliquer.
— Non, les actions ne seront pas facile 'Lix. De plus, si vous n'arrivez pas à effectuer votre action ou que vous renoncez, vous aurez une pénalité.
— La même que la dernière fois ? a grimacé Changbin. Parce que je n'ai plus de chaussons à balancer sur le toit du voisin, vu que Ryujin n'a pas pu aller les chercher...
— Mais ta gueule, non ? a grogné la jeune fille. T'as vraiment cru que j'allais monter sur le toit alors que j'tenais même pas debout... Sauter d'un toit, très peu pour moi, j'laisse ça à ton mec.
Au sourire fier que Ryujin a exposé quand Changbin n'a rien pu répliquer à sa vengeance.
Changbin a croisé les bras, presque tenté de repousser Felix loin de lui sauf qu'ainsi calé entre ses jambes sur le pouf, le blondinet n'était pas prêt de bouger. Le platine a avalé la remarque acerbe qu'il s'apprêtait à sortir, ne souhaitant pas blesser son cadet avec des mots superflus qu'il ne penserait pas. Changbin avait beau adorer gagner, c'était un garçon qui se fichait de la fierté.
— Laissez-moi mon originalité ! s'est exclamé Felix, ignorant volontairement le surnom qui lui avait été donné.
J'ai supposé que Felix sauterait d'un toit pour se tuer. Ça m'a fait flipper. Ils ont tous rigolé.
— Détend-toi Yeji, m'a murmuré Yuna. On s'amuse...
Elle avait du voir que je m'étais crispée parce qu'elle a parcouru mon dos de sa main pour m'apaiser. Ses caresses m'ont provoqué un millier de frissons qui sont remontés le long de ma colonne et dans ma nuque. Je n'avais jamais ressenti ça. Elle m'a souri, mon coeur a résonné dans mes oreilles et Lia a repris :
— Non, on a décidé d'innover ce soir ! On voulait aussi faire quelque chose de significatif pour Yeji, un peu comme une sorte de cadeau de bienvenue quoi.
Tous les regards se sont tournés vers moi, je n'ai pas su comment réagir. La main de Yuna s'est posée sur mon épaule et j'ai senti mes joues s'embraser. J'ai fixé Lia comme si ses lèvres laquées de rouge détenaient la réponse de toutes les vérités.
— C'est ton frère qui a eu l'idée, a-t-elle souri alors que Hyunjin m'adressait un signe de la paix et un clin d'oeil. Il nous a raconté le coup des nouilles de l'année dernière avec ton ex, Sanghoon c'est ça ? Spectaculaire, du grand art, totalement Hyunjin.
— Doucement avec les compliments, je dois rester humble, s'est vanté mon frère en riant.
— Il se trouve que Sanghoon n'habite qu'à seulement quelques pâtés de maisons d'ici. Si tu es d'accord bien sûr, on veut offrir à ce bâtard un petit cadeau qui lui fera regretter d'avoir été un chien avec toi. Après ça, tu n'auras plus jamais de messages de lui, je peux te le garantir.
Je me suis demandée comment elle avait pu être au courant que Sanghoon avait tenté de me contacter, je n'avais encore rien dit à Hyunjin sur le sujet. Je n'ai réalisé que le lendemain que j'en avais parlé avec Woojin. J'ai mieux compris les incessants aller-retours de mon frère entre la terrasse et l'intérieur.
— Il va comprendre qu'il a eu tord de s'en prendre à notre nouvelle amie, a renchéri Jisung avec un enthousiasme étourdissant.
— Accepte Yeji, m'a intimé Hyunjin.
J'ai eu envie de pleurer.
— Ne t'en fait pas, a tout de même essayé de me rassurer Minho. On ne lui fera pas de mal, ce sera juste une vengeance à notre manière.
J'ai hoché la tête en boucle, un grand sourire sur le visage et je me suis retenue autant que j'ai pu de pleurer pour ne pas ruiner mon maquillage. Hyunjin a ébouriffé mes cheveux et Yuna, attendrie, m'a prise dans ses bras. Non vraiment, je n'avais jamais ressenti ça.
— Allez, fini les larmes ! s'est exclamé Jeongin.
— C'est la fête, buvons !
Le cri de Chaeryeong nous a fait reprendre nos verres et on a encore trinqué. Encore une fois, nous avons levé nos verres vers le ciel et je me suis sentie invincible. Yuna a posé sa main droite sur ma cuisse, ça m'a fait bizarre. Je n'étais pas vraiment à l'aise mais ils avaient brisé mes barrières. Peu importe ce qu'il pouvait se passer désormais, je n'avais plus peur. J'étais complètement bourrée, mais j'ai bu, encore et encore.
— Qui pioche en premier ?
— Moi ! s'est proposé Jisung en levant la main.
Il a plongé sa main dans la boîte deux fois, une fois à gauche et une fois à droite. Il en a sorti deux papiers, a tiré une tête de six pieds de long et s'est insurgé :
— Non mais c'est une blague ?!
— Bah, tu te désistes déjà ? s'est moqué Minho en agitant ses sourcils. T'es tombé sur un papier que t'as toi-même écrit, c'est ça ?
La mort dans l'âme, Jisung a dodeliné de la tête. Chaeryeong lui a arraché le papier des mains avant de partir dans un fou rire qui l'a terrassée. Elle est partie en arrière jusqu'à s'allonger, certaines mèches de ses longs cheveux roux plongeant dans la piscine.
— Vous êtes fous putain... s'est-elle exclamée, hilare.
Woojin, Ryujin, Jeongin, Chan et Seungmin ont ensuite pioché dans la boîte chacun à leurs tours. Les réactions ont sensiblement été identiques à celle de Jisung. J'ai commencé à stresser. J'avais peur d'être incapable de réaliser mon action, mais surtout, j'avais peur de ce qu'ils auraient pu penser si je n'arrivais pas à la faire. Je pense que j'aurai été capable de tout, rien que pour ne pas paraître ridicule... ou « bizarre », à leurs yeux.
Puis est venu le tour de Changbin. Il s'est penché en avant, se collant au blondinet pour le plus grand plaisir de ce dernier. Changbin a fait mine de rien. Je crois que Changbin n'essayait pas de rester stoïque face à Felix, je crois qu'il l'était bel et bien. Pourtant, en dépliant le papier de la case « noms », le visage de Felix s'est éclairé d'un sourire qui a fait voir ses dents. Changbin a grommelé un « oh non » qui a éclaté. Le platine s'est empressé de lire son action, à l'abri des regards du blond qui s'est débattu. J'ai regardé amusée le visage de Changbin se déformer. Ses sourcils étaient tellement froncés qu'ils semblaient se rejoindre, sa mâchoire était crispée et il mâchouillait sa lèvre inférieure, l'air pensif.
— A ton tour Yeji ! m'a réveillée mon frère.
Avec appréhension, j'ai tendu la main jusqu'à la boîte. Une fois, deux fois, j'ai tiré mes papiers. Les regards curieux de Hyunjin et de Yuna derrière mes épaules, j'ai déplié le prénom de Woojin. Mon frère a sifflé, tendancieux et Yuna m'a donné un petit coup de coude suggestif. Ça m'a fait un peu mal. Parce que je voyais Yuna comme extraordinaire et qu'elle m'avait convaincue que je pouvais l'être, moi aussi, je voulais qu'elle me retienne. Je voulais qu'elle me garde près d'elle, et qu'elle m'apprenne encore à être incroyable. Je crois que pour elle, j'aurai jeté à jamais toutes les étiquettes du monde. J'aurai rayé la normalité jusqu'à ce qu'elle devienne bizarre.
Sauf qu'à cette époque-là, Hwang Yeji ne croyait plus en l'amour. Elle reproduisait le schéma d'affection toxique qu'elle avait été forcée d'apprendre. Je ne sais pas si j'étais amoureuse de Yuna, mais elle ne l'était pas. Jamais une personne comme elle aurait pu tomber amoureuse de quelqu'un comme moi, mais elle brillait, Yuna, alors j'aurai pu lui donner tout ce que j'étais.
J'aurai pu tout faire pour elle, et j'ai cru que c'était de l'amour.
J'ai même cru que c'était elle qui était mauvaise, quand des mois après, elle m'a répondu « non ». Elle était libre, Yuna, et faisait ce qu'elle voulait.
Elle aimait les garçons, Yuna, mais je l'aimais comme ça.
— Allez, ouvre ! m'a pressée mon frère alors que la jolie blonde s'était emparée de la boite pour piocher ses papiers.
Je pense que je suis restée bien dix secondes immobiles quand Hyunjin m'a hurlé dans les oreilles en me secouant comme un prunier. Je crois que c'était lui qui avait écrit ce papier.
« Prendre une douche avec... »
Décidément, je n'aurai pas pu avoir pire. J'ai maudit les cieux et mon regard a fini par retomber sur le garçon aux cheveux cuivrés de l'autre côté du cercle.
— Comment on fait si on tire son propre prénom ? a demandé Chaeryeong, dépitée.
On a éclaté de rire et puis, tout a dégénéré. J'ai bu tellement que j'ai perdu la notion du temps. Sans savoir comment je me suis soudainement retrouvée à partager le pouf de Seungmin. On a regardé le ciel comme si les étoiles allaient nous tomber dessus et on parlé de tout. On a surtout parlé de rien, mais il avait l'esprit fin, Seungmin. C'était agréable de l'écouter, c'était bien de discuter avec lui. Je n'ai jamais touché sa drogue, et il ne me l'a jamais proposée. Je pense que Seungmin voulait m'en préserver. J'ai fini par me demander si, pour pouvoir rester avec eux, j'allais devoir choisir comment mourir.
Lia a plongé dans la piscine, nous arrosant les pieds. Seungmin a rigolé et on a commencé à se chamailler. Il trouvait que j'empiétais trop sur le pouf, je lui ai rétorqué le contraire. Ça nous a fait marrer un moment, on a fini presque entassés. Il était cool Seungmin, il ne se prenait pas la tête pour rien. Je l'aimais bien. Sa main libre est venue jouer avec mes cheveux un moment.
— T'as les cheveux super longs, a-t-il remarqué.
— Ouais, et plein de noeuds aussi tu verras...
On a rigolé. J'ai relevé la tête pour voir ce qu'il était advenu des autres. Chaeryeong, Ryujin, Changbin, Chan, Suyeon et Woojin devaient être à l'intérieur parce que de ma place, je n'avais pas réussi à les apercevoir. Mon frère, Minho et Yuna discutaient, cette dernière assise sur la table de la terrasse. Felix et Jisung s'amusaient à couler Lia et Jeongin qui les insultaient de tous les noms. Ça faisait un sacré bruit de fond, mais c'était plutôt amusant à observer. La musique distrayait nos pensées, le temps n'existait plus. On ne pensait pas à la fin, je ne savais pas quelle heure il était mais pour la première fois de ma vie, j'ai espéré que demain n'arrive jamais.
Et dire qu'un peu plus de quatre heures auparavant, j'aurai pu tout faire pour pouvoir repartir.
En plus, je n'avais aucune idée de comment j'allais pouvoir réaliser mon gage. Seungmin n'était pas bien plus avancé que moi.
— C'est quoi ton action au fait ? lui ai-je demandé.
— Voler les sous-vêtements de Ryujin.
Je l'ai jugé d'un regard en coin et j'ai fini par poser ma main sur son épaule.
— Toutes mes condoléances.
Ça l'a fait rire. J'étais heureuse.
— Ouah, vous êtes de sacrés déchets, s'est exclamée la voix de Changbin. Ne vous endormez pas, hein ! Le plus drôle est à venir. J'ai hâte de voir Jisung être pénalisé !
— Ah Bin, tu vas te baigner ?
Le garçon platine était revenu sur la terrasse vêtu d'un short de bain. Il a haussé les épaules en même temps que ses sourcils. En toute logique, il n'était pas venu chasser un lion.
— Ouaip', a-t-il fini par prononcer, faisant sauter le « p ».
Lentement, il s'est enfoncé dans l'eau chauffée. Les lumières donnaient à sa peau de drôles de reflets bleutés qui ondulaient sur les muscles de son torse et de son dos. C'était très plaisant d'observer Changbin.
— Je t'ai vu, s'est moqué Seungmin.
Je l'ai frappé, on a rigolé. Changbin s'est engouffré sous l'eau mais on le voyait toujours. A vrai dire, la nuit était si noire et l'eau si éclairée que l'on distinguait tout. Seungmin a balancé sa tête en arrière pour cracher sa fumée et je me suis un peu plus affalée sur lui. A ma grande surprise, c'est Minho qui est venu à notre rencontre après Changbin. Il s'est posé dans le pouf à notre gauche, celui qu'occupaient précédemment les deux blonds du groupe. Seungmin lui a fait passer son joint et nous avons parlé pendant une éternité. Minho m'intimidait beaucoup, je n'étais pas très à l'aise quand il était près de moi. Je crois que face à Minho, j'avais l'impression d'avoir quelque chose à prouver. Pour m'entendre avec Minho, il fallait que j'en vaille le coup.
Pourtant, il s'en fichait Minho. Il avait l'air intimidant, il était un peu bizarre sûrement, mais il était d'un je-m'en-foutiste particulier qui faisait qu'il ne portait pas d'importance aux détails.
Nous avons beaucoup parlé ce soir-là. D'ailleurs, je n'ai pas fait grand chose d'autre que danser, boire et parler cependant, je garde de cette soirée un souvenir impérissable.
Au bout d'un moment, Minho a passé la main sous ses fesses, comme si quelque chose le gênait. Il a sorti les deux petits papiers que Changbin avait roulé en boule et laissé s'échouer au fond du siège.
— Vous voulez entendre un truc super drôle ? a-t-il demandé, attisant notre curiosité en dépliant les bouts de feuille.
Il a mis quelques secondes à les lire et relire encore. Puis, après que ses paupières ont clignoté une bonne vingtaine de fois, Minho a levé le visage vers la piscine. A mon tour, j'ai observé la masse d'eau dans laquelle Jeongin et Lia s'étaient alliés pour se venger de Jisung. Quant à Felix, il avait été acculé par Changbin dans un coin de la piscine. Le fond ne semblait pas être trop profond là où ils étaient parce que Felix avait le haut des épaules hors de l'eau. Les bras du platine encadraient le corps du blondinet qui semblait totalement hypnotisé par l'ainé. J'ai regardé incompréhensive Changbin rabattre sa frange mouillée vers l'arrière avant de se pencher pour murmurer à l'oreille du blond, collant leurs corps ensemble. Même à une bonne dizaine de mètres, j'avais l'impression d'être de trop. Pourtant, j'avais tellement bu qu'au lieu d'être embarrassée, les voir ainsi m'avait donné envie d'éclater de rire.
Je crois qu'à cette époque-là, j'avais déjà compris que Changbin était un vainqueur. Changbin, il se battait sûrement, mais il voulait gagner. Alors à un jeu aussi risible qu'un action-sans-vérité, il était impossible qu'il subisse une défaite. Qu'on ne leur parle pas de sentiments, ce serait bien mal placé. Quels sentiments ? Changbin lui-même ne savait pas ce qu'il éprouvait pour Felix.
— Min', t'accouches oui ? s'est impatienté Seungmin.
— Oh putain, a lâché le brun en sautant sur ses pieds.
Dans la piscine, Changbin s'est bouché le nez de deux de ses doigts, et toujours collé contre Felix, il a disparu sous l'eau. Enfin, je crois que j'aurai aimé qu'il disparaisse. Là, Minho s'est mis à hurler.
— DÉGAGEZ DE LÀ ! CHANGBIN VA SUCER FELIX DANS LA PISCINE !
Jeongin, Jisung et Lia ont foncé pour sortir de l'eau. Ils ont récupéré leurs serviettes et ont rejoint l'intérieur, trempant le sol sur leurs passages. Yuna, Hyunjin et Minho sont partis à leurs tours et j'ai eu des difficultés à faire se lever Seungmin. Il aurait très bien pu passer la nuit entière sur le pouf que je crois que ça ne l'aurait pas dérangé.
Dans le salon, des rires se faisaient entendre à fracas. Chan, Chaeryeong et Minho étaient pris dans une conversation endiablée tandis que Ryujin, Yuna et Hyunjin dansaient comme des fous, la fille indigo debout sur la table basse. Les trois baigneurs avaient eu vite fait de disparaitre pour aller se changer. Seungmin s'est éclipsé peu de temps après, sous-prétexte de devoir mener à bien sa mission avec une avalanche de clins d'oeil en bonus. J'avais trop bu, alors j'ai demandé à Hyunjin de m'indiquer les toilettes. Je ne marchais pas très droit mais je me suis dirigée vers les escaliers menant à la mezzanine. Ils m'avaient paru bien moins menaçants. Même la dernière marche grinçante m'avait juste fait glousser. Elle semblait pousser un cri chaque fois, comme si elle était blessée. Ça m'avait fait marrer.
Lentement, m'appuyant contre les murs, j'ai rejoint le couloir qui menait aux autres pièces. Suivant les indications de mon frère, j'ai trouvé les toilettes avec bonheur. J'avais bien trop bu pour me souvenir qu'il y avait des toilettes au rez-de-chaussée. Après réflexion, je crois que Hyunjin m'avait indiqué l'étage pour une bonne raison. Pourtant, je n'y ai pas du tout prêté attention sur l'instant, alors quand, au moment de faire le chemin inverse jusqu'au salon, la voix de Woojin m'est parvenue d'une des chambres, mon action m'est revenue en mémoire avec une force étourdissante.
— Arrête Suyeon. Ce jeu ne m'amuse pas du tout. Je ne comprends pas ce que tu cherches à faire, Chan est mon meilleur ami.
Tendant l'oreille, j'ai épié la conversation entre Suyeon et le cuivré. A travers l'entrebâillement de la porte, j'arrivais plutôt bien à les distinguer, debout à quelques centimètres l'un de l'autre. Woojin avait les bras croisés et le visage fermé, presque colérique. Quant à Suyeon, ses doigts se baladaient sur son torse et ses bras jusqu'à ce qu'elle passe ses bras derrière sa nuque.
— Ce que je cherche à faire ? Mais rien. Je n'ai pas d'arrière pensée, j'ai juste envie de toi.
— Arrête, tu es saoule. Tu ne sais pas ce que tu fais.
— Peut-être...
J'ai remarqué qu'elle titubait.
— Mais ça ne change rien. Je sais que je t'attire. Allez Wooj', laisse-toi faire...
Elle s'est un peu plus collée à lui, plaquant sa poitrine contre son torse. Je me suis sentie horrible d'espionner une telle scène. Horrible et en même temps, je me suis sentie si désolée pour Chan. Je ne les connaissais pas bien, et je n'étais personne pour me mêler ainsi de leurs vies, mais Chan ne méritait pas ça.
— C'est quoi, une vengeance ?
La petite brune a légèrement flanché sur le ton sérieux et accusateur du cuivré mais ne s'est pas laissée abattre.
— De quoi tu parles ? Je veux seulement être dans tes bras... Allez quoi, ça va te plaire...
— Arrête Su', tu n'es pas comme ça, a-t-il rétorqué en l'attrapant par les épaules pour l'éloigner. Je sais qu'en ce moment, ça ne va pas fort avec Chan mais ce n'est pas une raison pour que tu cherches à te taper son meilleur ami...
— Ça ne va pas fort ? s'est-elle énervée. Ça ne va pas du tout, même ! J'ai l'impression d'être devenue invisible à ses yeux, je n'existe plus ! Il n'a d'yeux que pour ce putain de gamin tatoué.
— Calme-toi... Tu sais que Chan a sauvé Jeongin. Bien sûr qu'il tient à lui, et c'est normal. Tu peux comprendre ça...
— MÊME !
Sa voix a craqué dans un sanglot faible au début, puis plus prononcé. Dans les bras du cuivré, elle s'est écroulée.
— Je n'en peux plus Woojin, je ne sais même plus quoi faire pour qu'il me regarde... Je suis désolée, je pensais- Je pensais...
J'ai vaguement entendu l'ainé la rassurer, et lui dire qu'il fallait qu'elle en parle avec son copain. Elle n'était pas méchante Suyeon, elle était simplement blessée. Elle était amoureuse et terrifiée. A vrai dire, je crois qu'elle avait juste pris l'habitude d'être en couple avec Chan. Je crois qu'il n'y avait plus de sentiments, mais elle avait bien trop peur d'être seule. Elle était blessée, et avait voulu devenir blessante.
J'ai appelé Chan depuis le garde-corps de la mezzanine, et je lui ai demandé de monter. Je l'ai conduit jusqu'à la chambre d'amis. J'ai poussé le battant et Woojin a relevé la tête vers nous. Je crois qu'il avait compris que j'étais là, compris ce que j'avais fait. Il a hoché la tête et on a laissé le couple entre eux. Ils devaient s'expliquer et nous n'avions pas notre mot à dire.
— Dis, je peux te demander un truc ? me suis-je lancée.
Je ne savais pas bien quel courage m'avait prise mais je ne comptais pas laisser passer cette chance.
— Bien sûr.
Je lui ai attrapé le poignet et deux pas ont suffi pour nous conduire jusqu'à la salle de bain. Je l'ai tiré à ma suite et j'ai lâché la bombe après avoir fermé la porte.
— Tu veux bien prendre une douche avec moi ?
Une fois les mots sortis, mes joues se sont empourprées et je me suis mise à paniquer.
— Enfin, je veux dire... C'est mon action et- Ouais. 'Fin, si tu ne veux pas ce n'est pas grave hein ? Enfin, si, c'est un peu grave mais... Enfin, je veux dire- tu vois quoi ? Et puis, on garde nos sous-vêtements, parce que ce serait bizarre quoi... Ahah.
Je pense que de mon monologue, mon « Ahah » a été le pire. Je me suis mortifiée et j'ai avalé la dizaine d'autres bouts de phrases insensées que je m'apprêtais à débiter. J'ai regardé mes pieds et Woojin a éclaté de rire. Ça m'a un peu rassurée.
— Ne t'en fait pas, ça ne me dérange pas. Ils ne sont pas croyables quand même ! Qu'est-ce qui leur a pris d'inventer des gages pareils ?
— C'est clair.
On s'est regardé dans le blanc des yeux pendant quelques secondes.
— Bon... a-t-il lancé. On devrait peut-être se déshabiller, non ? A moins que tu ne veuilles passer le restant de la soirée dans la salle de bain !
A nos expressions particulièrement mémorables après avoir compris le double-sens involontaire dans sa phrase.
Histoire d'en finir une bonne fois pour toute, il s'est tourné dos à moi et a entrepris de retirer sa chemise. A mon tour, je me suis tournée et, les doigts tremblants et les oreilles rouges, j'ai défait mon chemisier et enlevé mon short. C'est que j'avais même oublié qu'il m'avait un jour gêné celui-là.
— Tu devrais t'attacher les cheveux, tu risques de les mouiller.
J'ai hoché la tête, puis ai acquiescé à voix haute après m'être souvenue qu'il ne me voyait pas. J'ai rassemblé mes cheveux en une haute queue de cheval à l'aide d'un éternel élastique qui trainait autour de mon poignet. Woojin est entré dans la douche à l'italienne et je l'ai suivi. Je m'efforçais de fixer partout sauf lui, et il m'a rassuré en me disant qu'il resterait dos à moi si ça m'embarrassait tant que ça. Je l'ai remercié et mon regard a dévié sur son dos.
Woojin, il avait sa mort gravée dans la peau.
Woojin était tatoué, lui aussi, mais ça n'avait rien à voir avec Jeongin. Il n'en avait qu'un et il était énorme. S'étendant sur toute la surface de son dos, un immense arbre mort semblait prendre racine à la naissance de ses fesses, à peine plus bas que l'élastique de son caleçon. Le branchage s'étirait un peu sous les aisselles, mais aussi sur le bas du cou et les épaules. Au milieu d'une branche proéminente et mise en avant, une corde était solidement attachée. Une corde, avec un noeud bien serré. Un noeud bien particulier.
Kim Woojin mourra pendu.
Je n'ai fait aucune remarque, mais son tatouage était époustouflant. Incroyable mais morbidement magnifique. A part un embarras certain, j'avais l'impression de prendre une douche avec mon frère. En tous cas, c'était tout comme — bien que j'avoue n'avoir pas pris de bain avec Hyunjin depuis une éternité. Nous avons un peu parlé, plus pour diriger notre attention plus loin que ce que nous étions en train de vivre que pour avoir une réelle conversation. Nous n'avons pas évoqué Chan et Suyeon. Ce n'était pas la peine, il n'y avait plus rien à dire. On a fini par sortir, piquant des serviettes propres dans les placards du meuble de la salle de bain. Nous nous sommes rhabillés en riant de cet évènement, et nous sommes descendus dans le salon où nous avons fait frais de remarques grivoises et de regards douteux. J'ai accusé nombre de sous-entendus obscènes de la part de Hyunjin, et je suis partie en direction de la chambre d'amis pour enfiler mes habits de rechange — surtout des sous-vêtements secs. L'un des seuls points positifs à cette douche est qu'elle aura au moins servi à me remettre un peu les idées claires.
Dans le salon, Lia remplissait des shots. Nous n'étions que quelques uns autour de la table, les autres dansaient à n'en plus pouvoir. Felix et Changbin étaient eux-aussi dans le salon mais ne s'approchaient plus trop. Il y avait une tension plutôt étrange entre eux, et il était surprenant de voir le blondinet aussi distant avec l'ainé. Seungmin avait fini par réapparaitre, m'adressant un clin d'oeil fier. Je lui ai souri. Chan et Suyeon nous ont rejoints un peu plus tard. La fête battait son plein. On chantait, on dansait. Il y avait bien longtemps que je ne m'étais pas autant amusée. Réellement amusée.
Chaeryeong a disparu un moment avec Ryujin et Jeongin et quand elle est revenue, elle s'était rasée une partie des cheveux. Une large bande au-dessus de son oreille sur le côté gauche de sa tête, était désormais longue d'à peine quelques millimètres. On l'a accueillie comme la jeunesse triomphante, et mon frère, Chan et Woojin l'ont portée au-dessus de nos têtes pendant qu'on l'acclamait. Ça nous a fait rire. La soirée s'est poursuivie ainsi.
— Mes chers compatriotes ! a crié Minho après s'être placé derrière le garde-corps de la mezzanine. Est-ce que vous êtes encore là ?
— Ouais ! a-t-on crié en choeur.
— Est-ce que vous êtes des faibles qui êtes déjà fatigués ?
— Noon !
— Est-ce que vous être prêts à faire la fête même après l'aube ?!
— OUAIS !
Minho a continué de nous chauffer comme ça jusqu'à ce que Jeongin s'époumone, lui criant d'abréger sans quoi nous n'allions pas tarder à devenir aphone.
— Mes chers compatriotes, a répété Minho en riant. J'ai une grande nouvelle à vous annoncer. Comme vous le savez, les gages vous ont été donnés il y a de ça trois heures déjà et vous êtes tous parvenus à le mener à bien. Tous, sauf un.
Nous nous sommes tous regardés et Minho a souri.
— MERCI HAN JISUNG D'ÊTRE LÀ ! Grâce à toi, nous allons avoir le plaisir de t'observer subir la pénalité promise !
Le garçon indigo, loin de paraître vaincu, a simplement agité la main en l'air en nous remerciant. On a crié, on l'a applaudi. Minho est descendu de son perchoir après nous avoir prévenus :
— Mettez vos chaussures, on se tire dans deux minutes !
Jeongin et Felix ont soulevé Jisung du sol, se servant de leurs bras pour lui faire un siège et on a quitté l'immense maison de Changbin comme ça. Les deux garçons n'ont pas tenu cinq minutes avant de reposer Jisung au sol en se plaignant qu'il avait pris du poids.
— C'est mes muscles, s'est-il vanté. Ça pèse !
— C'est le poids de ta connerie oui, l'a recadré Changbin.
On s'est tous esclaffés et Jisung s'est effondré sur Lia en hurlant :
— Personne ne m'aime !
Changbin avait un certain rictus fier sur le visage, satisfait de sa réplique. Felix est venu s'accrocher à son bras, et ce fut comme si rien ne s'était passé. Malgré certaines tensions dans le groupe, particulièrement entre Chan et Suyeon, nous avons tous pris la route. Certains ont fait la course. On parlait un peu trop fort sûrement, parce qu'à un moment, un père de famille est venu nous faire la morale. On s'en fichait pas mal mais on s'est excusés avec le plus de sérieux dont on pouvait faire preuve. Il est rentré chez lui, et on a avancé une bonne cinquantaine de mètres — histoire d'être sûrs qu'il ne nous entende plus — avant d'éclater de rire.
— ARRÊTER DE CRIER ! a hurlé Yuna, imitant le voisin.
— VOUS FAITES TROP DE BRUIT ! a enchainé Jeongin.
Ça nous a fait marrer, je crois qu'on se fichait de tout. Ryujin s'est mise à crier elle aussi, et mon frère a suivi.
— VOUS FAITES TOUS CHIER ! s'est écrié Woojin et Chaeryeong s'est prise les pieds dans un pot de fleurs dans lequel elle est tombée tant elle riait.
Suyeon était un peu à côté de la plaque, un peu à l'écart alors je me suis tenue près d'elle un moment. Nous n'avons rien dit mais je crois que ça lui a fait du bien. Elle m'a souri, et a été un peu plus encline à rire avec les autres après ça. Chan aussi semblait un peu à côté de ses chaussures mais il tentait de garder bonne figure. J'ai bien vu qu'il n'osait plus trop s'approcher de Jeongin.
A mes yeux, Chan et Suyeon avaient été parfaits, et je pense que c'était pour ça qu'ils avaient fini par exploser.
— Eh bouclez-la, on arrive bientôt ! a fait remarquer Changbin, qui guidait notre troupe.
— Tu verras Yeji ! m'a encouragé Seungmin. On va apprendre à Sanghoon une leçon qu'il n'est pas prêt d'oublier.
Puis, Seungmin est parti en trottinant vers la maison de mon ex, quelques rues plus loin, Changbin et Felix sur les talons pour ne pas le perdre. Au fur et à mesure, ils se sont tous mis à courir, leurs rires forts couvrant les raclements de leurs semelles sur le goudron de la route. Yuna m'a prise par la main, et je suis partie avec elle. Ses longs cheveux blonds flottaient derrière elle et je me suis rappelée que j'avais toujours les cheveux attachés. Je ne la connaissais pas Yuna, pas encore du moins, mais j'étais déjà amoureuse. Même si c'était une fille. Même si c'était bizarre. Je n'avais pas besoin de la connaître pour savoir qu'elle était incroyable. Son sourire était le plus joyeux et le plus beau, son rire était le plus clair et le plus mélodieux. Yuna n'était sûrement pas parfaite, mais elle était extraordinaire.
— Allez Jisung ! cria Ryujin en murmurant.
Sanghoon habitait une maison somme-toute banale. Sa chambre était celle qui avait le balcon, au premier étage. Je le savais parce que c'était dans cette chambre qu'il m'avait convaincu que notre amour justifiait que je le satisfasse. C'était un connard, mais il avait aussi ses bons côtés. Il était attentionné, prenait soin de moi et me faisait rire comme personne. Il était fils unique et ses parents n'étaient pas souvent là. Ça nous avait fait un point commun, j'avais pensé que grâce à ça, il me comprendrait un peu.
Perplexe, j'ai regardé Lia sortir du large sac à main qu'elle avait apporté, des bombes de peinture de plusieurs couleurs.
— Ne fait pas cette tête Yeji, a-t-elle ri quand mon visage s'est décomposé. C'est de la peinture à l'eau et il ont annoncé de la pluie pour demain. Dans tous les cas, Jisung ne va pas repeindre la façade entière, juste la baie vitrée de sa chambre.
Ça m'a un peu rassurée, après tout je n'avais aucune envie d'être traitée de vandale et d'être poursuivie par les parents de mon ex. Nous aurions bien eu du mal à justifier nos motivations. Même si nous n'étions pas à l'abri de remontrances, je ne voulais pas causer trop de désagréments à sa famille.
Sous nos encouragements, Jisung a entrepris d'escalader le balcon, Jeongin et Woojin lui faisant un marche-pied pour qu'il puisse l'atteindre plus facilement. L'alcool dans ses veines usant son agilité, le bleuté a manqué de tomber à la renverse en enjambant la rambarde. Il s'est rattrapé un peu difficilement et a tendu haut en l'air ses pouces une fois pied-à-terre et en sécurité. Lia lui a balancé le sac qu'il n'a pas du tout réussi à attraper. Dévastée entre l'effroi et le fou rire, j'ai regardé le sac redescendre. Nous savions que s'il touchait le sol, les bombes exploseraient alors Hyunjin s'est jeté en avant pour rattraper le cabas, manquant de peu de s'assommer sur la marche du palier.
On riait tellement que même si l'on chuchotait et tentait de rester silencieux, nous devions faire un vacarme épouvantable. Je m'étonnais même que personne n'ait déjà été réveillé.
— Putain Ji' ! a râlé Lia.
— Recommence ! Promis, je le rattrape cette fois.
La jolie brune a une nouvelle fois lancé le sac, titubant sur ses hauts talons. Comme promis, Jisung a reçu le sac qu'il a enserré contre lui, ayant bien trop peur de le laisser partir. Rapidement, il s'est mis au travail et on l'a tous regardé faire. Woojin a donné une cigarette à Yuna, et je l'ai observée du coin de l'œil souffler sa fumée à la lumière des spots automatiques du jardin de Sanghoon.
— Bon, tu te grouilles, oui ? On ne va pas y passer la nuit ! a râlé Chan en riant.
Ça m'a fait plaisir de le voir sourire. Je ne savais pas encore si ce que j'avais fait était juste. Peut-être que je n'aurai jamais du me mêler de leur histoire. Je n'aurai sûrement pas du aller chercher Chan, mais j'avais estimé que c'était la meilleure chose à faire. Je crois que j'avais voulu être utile. J'avais voulu aider.
— Oh, ça va ! Je fais ce que je peux, ce n'est pas facile. Je n'ai pas touché de peinture depuis mes cinq ans, moi !
Chan a levé les yeux au ciel et Minho a soupiré.
Ryujin s'est un peu reculée pour tenter d'apercevoir le tag de Jisung. Doucement, la peinture phosphorescente s'est illuminée, révélant des nuances de jaunes, d'oranges et de rouges. Jisung s'est écarté.
— Oh merde, j'ai fait une faute ! a-t-il râlé à voix haute.
Il a tenté d'effacer son erreur avec sa manche sans grand succès et après quelques secondes, une fois qu'il nous a confirmé en avoir terminé avec son chef d'oeuvre, on a observé Jisung se tétaniser sur le balcon.
— J'espère que vous êtes prêts à décamper parce que Sanghoon vient de tirer les rideaux, et il n'a pas l'air très très content... nous a averti Ryujin.
Pourtant, à part Woojin qui est venu rattraper Jisung qui sautait du balcon, aucun d'entre nous n'a fait le moindre geste. Les doigts de Yuna se sont resserrés sur les miens et elle m'a souri. C'était incroyablement doux.
Hyunjin a placé sa main sur mon épaule, à ma droite.
Nous n'avons pas bougé. Même quand Sanghoon est sorti sur le balcon et qu'il a découvert l'énorme « BASIQUE TRASHEUR » sur sa baie vitrée. Il a tiré une sacrée tête que Chaeryeong a eu la bonne idée de filmer.
— F BOY ! s'est égosillée Yuna.
Elle a été la première.
— Asshole! a enchainé Felix, sa voix grave créant un écho muni du plus délicat des accents.
— Pauvre type ! a suivi Jeongin.
— Loser !
Ça, c'était Changbin.
— Douchebag!
Chan.
— P'tite bite !
Suyeon, qui m'a beaucoup fait rire d'ailleurs.
— Chien en chaleur !
Chaeryeong.
— Déchet !
Ryujin.
A cet instant-là, les lumières de l'autre chambre se sont allumées. J'ai pris peur, même les voisins ouvraient les fenêtres pour voir l'origine du raffut. Mon corps a tremblé mais je n'ai pas bougé. Nous n'avons pas bougé. Nous sommes restés debout, les visages fermés et levés vers Sanghoon. J'avais presque de la peine pour lui.
— Obsédé !
Lia.
— Vieille chaussette !
On a regardé Jisung qui a haussé les épaules en grommelant : « Quoi ? Je n'avais pas d'idée ! ».
— Grosse merde !
Seungmin.
— Raclure !
Minho.
— Lèche-cul !
Woojin.
Et enfin, Hyunjin a crié :
— VIOLEUR !
Ça a résonné. Ça m'a fait trembler. Mon frère a tourné le regard vers moi et il m'a souri, résigné, fier, déterminé. Je n'ai pu me détacher de la figure pétrifiée de Sanghoon à l'étage au-dessus. Yuna a tiré sur mon bras pour avoir mon attention, j'ai fait une connerie mais je crois qu'elle s'y attendait. J'ai attrapé son visage entre mes mains. Je n'ai fait attention à rien à part à Sanghoon qui me regardait d'en haut. J'ai tendu mon bras, brandissant mon majeur face au ciel et j'ai embrassé Yuna. Elle avait les lèvres terriblement douces et je l'ai sentie sourire contre moi. J'ai laissé mes mains glisser dans ses beaux cheveux et elle a entouré ses bras autour de ma nuque. C'était nouveau, je n'avais jamais embrasser de fille jusque-là. Ses lèvres ont bougé lentement et longuement contre les miennes, j'avais l'impression de flotter. Yuna avait peut-être un léger goût de cigarette et d'alcool mentholé, mais j'ai adoré l'embrasser.
Ça n'a pas duré très longtemps, mais c'était incroyable. Nous avons fini par nous détacher l'une de l'autre et on a ri. Ils ont tous ri avec nous et nous sommes partis en courant. J'ai lancé un dernier regard à Sanghoon et je l'ai oublié.
Je me suis sentie libre. J'avais l'impression de flotter. Qu'importe si j'étais tombée amoureuse de la mauvaise personne. Qu'importe ce que le monde aurait pu en penser. J'étais libre. Alors après que nous soyons rentrés, j'ai dansé le reste de la nuit sur des musiques que je ne connaissais pas, jusqu'à ce que je me sente bien. Jusqu'à ce que je me sente mieux. Jusqu'à l'aube. Jusqu'à la mort.
— Bienvenue parmi nous Yeji.
Décidément, la normalité était bien trop bizarre.
- END -
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She's Trippy
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