XIV - L'Ombre de la Nuit (Clarok)
Ô fatigue qui pèse sur mon corps, laisse moi donc hors de tes griffes, il faut que je continue, et cela pour longtemps.
La silhouette de la cartographe se découpait à l'avant. Au moins une bonne vingtaine de mètres les séparaient.
Clarok malgré son corps à bout recouvert d'une fatigue prédominante, avait insisté pour marcher d'elle-même sans s'appuyer sur l'épaule frêle de la jeune femme. Bien trop dur pour l'honneur de la talentueuse de se laisser aider en montrant ainsi ses faiblesses plus longtemps.
Par moment sa vision se brouillait encore plus qu'à l'habituel, elle ne savait pas si cela était du à des baisses de tension où encore à une déshydratation flagrante. Clarok sentait que sa santé déjà fragile se fracturait toujours un peu plus. Elle se souvenait toujours de ces douleurs fantômes après son rêve, et ne pouvait s'empêcher de penser que c'était peut-être lié.
Il lui fallait du repos, le plus rapidement possible.
Elle remercia intérieurement cette magie qui coulait dans tout son être, et qui lui permettait de toujours tenir sans s'écrouler.
Eulak marchait toujours en tête, et devait toujours l'attendre. Ses yeux la fixaient à ce moment là de son regard désapprobateur et rempli d'agacement face à ces simagrées.
Après s'être stoppée une énième fois, la femme aux marques d'ombre la regarda longuement avant de rompre le silence d'une de ses remarques âpres :
« J'ai rarement connu des gens aussi désespérants que toi. »
La forêt des songes se faisait de plus en plus éclaircit. La lumière s'immisçait de plus en plus entre les pointes des conifères blancs.
Chacune savait pertinemment que les goules les observaient, mais ne pouvaient pas leur mettre leur dague sur leur gorge. Là était la garantit que Eulak avait obtenu avec son mensonge.
Avant, jamais la voyante aurait soupçonné la jeune femme presque chétive capable d'une telle confrontation.
Celle-ci arrivait toujours plus à la surprendre. Jusqu'où s'arrêteraient ses capacités ? Sa hargne ? Sa détermination ? Ses secrets ?
Plus le temps à la côtoyer avançait, plus elle devait admettre que cette femme pouvait être dangereuse.
Elle se souvient clairement pourquoi elle devait se méfier d'elle.
Rapidement la forêt aux arbres devenus disparates fit place à la campagne morne du reste de la Régence. Un territoire tantôt rocailleux, tantôt recouvert de neige. Sans source de vie à des kilomètres. Et surtout avec beaucoup de reliefs, parfois très élevés.
La seule chose à voir était la neige, qui tombait, chutait, se déposait toujours plus. Spectre éphémère d'une réalité éternelle pour ce pays.
« On est à Aslania Kanj, murmura la cartographe. »
En contrebas de l'immense butée qu'elles venaient de gravir, on apercevait le monstre Aslania Kanj. Cette ville à la croissance exponentielle portait bien son nom d'Aslanie nouvelle. À la fois poumon des provinces du Nord et lieu d'extrême précarité, elle était surtout connue pour ses échoppes et marchés indénombrables. Ce fut une découverte de gisements de pierres blanches bien particulières, qui existaient à ce jour que dans la Gouverne de Ahi'Nam il y avait cela des décennies qui mena ce petit patelin à la place qu'il occupait à présent dans le pays. D'où son surnom de monstre par ceux qui habitaient proche, après tout il était celui qui dévorait tout.
« J'avais complètement oublié que la forêt était proche d'elle, constata Clarok en se plaçant à côté de la cartographe.
- Révise donc ta géographie talentueuse.
- Et toi ta politesse jeunette. »
Clarok avait eu plus de cinq printemps pour oublier l'emplacement de cette ville. Son service à la grande institution datait de ce moment là. La première fois que la talentueuse avait foulé la terre des rues du monstre était il y avait bien longtemps. Enfant, sans défense, et qui avait vu pour la dernière fois sa famille avant leur mort des printemps plus tard. Des souvenirs, des images, de ces moments douloureux lui revenaient alors qu'elle haletait pour reprendre son souffle.
Ce fut la mélancolie de cette vieille tendresse qui assécha son cœur à jamais alors que les moqueries de ses camarades fusaient.
La mâchoire de Clarok se contracta sous le poids de la mémoire de ses larmes, et demanda sèchement :
« Quelle distance ?
- Je dirais que quatre bons kilomètres nous attendent. »
Les bruits incessants agressaient la voyante qui entendait d'une manière décuplée les sons des rues. Rien n'avait changé, sauf que tout était encore plus impressionnant et imposant que la dernière fois. Les échoppes, les habitations, les canaux, l'odeur des carrières, les marchés à ciel ouverts, tout ça n'avait fait que grandir. Les auberges et tavernes puantes débordaient de toutes pars à la nuit tombée. La boisson, les trocs frauduleux et commerces sombres se déclaraient dès que le soleil s'effaçait de l'horizon. Ou même avant dans les quartiers pauvres du Nord de la ville.
Une poussière volait partout au rythme des pas des mineurs de l'or blanc. Ces particules soulevées par du cheval de la calèche laissaient comme un nuage bas sur les habitations.
On reconnaissait les nouveaux venus à leurs yeux irrités et larmoyants.
Cette poudre blanche se soulevant de partout, se déposait de partout. En tout cas durant les jours où la neige ne formaient pas un manteau blanc. Comme aujourd'hui où l'hiver semblait loin malgré les dix jours les plus froid de la saison qui approchaient à grand pas.
Les deux femmes avaient mis un bout de tissu devant leur bouche dans les artères les plus bondées pour s'éviter une quinte de toux particulièrement violente. Autour d'elles c'étaient une effervescence totale qui ne se tarissait jamais.
Cette atmosphère indéfinissable, Clarok ne l'avait connu que dans les fêtes de villages. Moments d'oubli des difficultés où on laissait l'alcool couler dans le gosier. C'était le constat qu'en avait fait la voyante des printemps plus tard, en n'y avant participé durant son enfance en ne voyant à l'époque que le côté festif et joyeux de la chose.
Elles ne contrastaient plus dans le décor. Dans ce quartier populaire tout le monde portait des marques de lutte, ou de fatigue prédominante. Le sang et la boue qui les recouvraient n'étaient plus ce qui avait de plus intrigant autour.
L'agitation cachait tous les soupçons.
« Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? demanda Clarok. »
Eulak se retourna toujours avec ses traits agacés cachés par un froid sans nom.
« On trouve une auberge. De l'argent. On paye un marchand pour nous tirer de cet enfer.
- Je croyais que tu voulais qu'on devienne souvenir pour l'autre le plus vite possible ?
- Un pacte des secrets me retient de te dire d'aller te faire foutre. »
Clarok ne sut pas quoi répondre. Ce qui la déroutait le plus était cet air totalement sérieux qui avait continué d'être arborer malgré ce quelle venait de dire. Cela remontait de sa mémoire ensanglanté ses printemps en lien avec l'ordre, et cette manière qu'on avait à la railler sans état d'âme, même avec un certain plaisir malsain. Dans ces moments elle avait manqué de se jeter sur la personne en face, en frappant jusqu'à ce que le sang coule.
Trop de fois elle avait été ainsi traité par ses semblables.
Trop de fois on lui avait fait comprendre que jamais elle ne serait acceptée.
À quoi bon continuer alors que tout nous repoussait dans le contraire ?
« C'était juste une blague Clarok, ne prend donc pas tout mal comme ça, soupira-t-elle. On a des ennemis en commun, se séparer dès maintenant ne nous aiderait pas.
- C'est beau de voir que tu comprends mon utilité dans un autre rôle que guide, ironisa la voyante aux yeux améthyste. »
Eulak s'arrêta dans cet échange de piques, regardant fixement derrière la jeune femme un élément du décor chaotique. Un instant son visage se décomposa, son masque de glace volant en éclats, on voyait de la terreur. Celle qui sommeillait en chaque être et qui munit de griffes déchirait les âmes dans les pires moments. Noyant de sa réalité une gravure dans la mémoire.
Un instant fugace qui marqua tout de même son passage de pupilles dilatées par la peur sournoise.
Interloquée la jeune femme se retourna et vit un homme statique dans la foule mouvante. Une grande chose négative ressortait de lui. Un peu comme l'aura dominatrice qui habillait les plus grands talentueux. Il regardait Eulak fixement. Une de ses mains était levée vers le ciel. Le poing brandit, à la manière d'un salut militaire.
Ou d'une menace.
Les ongles de la cartographe se murèrent dans la peau du dessus de sa main, lui arrachant un rictus de douleur. Dans sa délicatesse et douceur caractéristique, Eulak la tira violement jusqu'à une ruelle alentours.
Danger.
Fuite.
Incompréhension.
La talentueuse l'entendit murmurer des jurons fleuris à base d'animaux dont elle n'avait jamais entendu le nom, comme des perroquets ou des boas. Et pas que, car elle dit même des paroles en ahini, d'une manière saccadée sans avoir de sens.
Le ciel gris et pesant semblait s'être encore affaissé sur la ville aux multiples carrières. Odeur, et humidité se mélangeait avec les traces blanches des pierres. En traversant la rue entre deux carioles toutes ces choses se collèrent un peu plus. La ville agrandissant son territoire sur les habitants pour les hanter toujours plus loin dans leurs cauchemars et cela jusqu'à la délivrance de la mort.
L'attitude de Eulak n'était pas seulement déroutante, elle remplissait d'appréhension la jeune femme. Elle qui était toujours dans la retenue la plus totale, avait la peur qui la prenait aux trippes.
Eulak s'engouffra dans une ruelle adjacente toujours en la tirant. La talentueuse ne résistait même plus, résignée face à la hargne de son interlocutrice. Elle semblait bien plus agitée que la normal.
Clarok prit le temps de la regarder un peu plus. Visage à la couleur de la porcelaine et aux traits d'éclats de verres coupants. Yeux effilés et de différence reflet de sa contradiction perpétuelle. La lumière faible de cette rue ne lui permettait pas de voir avec précision sa pommette affaissée par des coups. Sa posture avait changé, préférant plus se tenir sur une de ses jambes.
Elle respirait sa fatigue qui l'englobait de toute part. Mais son instinct de survie semblait l'empêcher de penser à l'idée du repos.
La peur et la panique de la cartographe se teintant sur Clarok qui la fixait durement en attendant des réponses.
Le bruit des charettes se faisaient lointains dans cette petite rue sans agitation. Le froid se ressentait ici, alors que rien ne réchauffait l'atmosphère glaciale. Des flocons se mirent même à tomber, rompant l'étrangeté du temps dans la ville jusqu'à présent. Silence, silence et uniquement silence parlait entre ces murs serrés.
" On va vite trouver une auberge, murmura essoufflée Eulak. "
Toujours plus elles s'enfoncèrent dans le dédale incompréhensible des rues. Clarok à l'arrière avec ses soudains maux de tête et sa "coéquipière" à l'avant. Un peu comme pour le chemin de la forêt à la ville, sauf que maintenant la cartographe ne prenait plus le temps de s'arrêter.
Jamais Clarok n'avait vu des traits aussi sombres que ceux qui arboraient son visage.
Ici tout était cher. De l'essentielle et simple miche de pain, à la vache atteinte d'une grave blessure, en passant par les établissements de nuit. Tous miteux avec un véritable bourre-dormeur et ivrogne. Ce n'était plus des chambres, mais un dortoir commun hors de prix. Il fallait dire que vu le nombre incalculable de marchands qui passait par jour, les aubergistes augmentaient les prix car ils restaient la solution la moins chère pour dormir, pas dans un quartier qui craint.
Les pièces tintèrent sur le comptoir en bois dont le vernis abîmé craquelait de partout. Clarok à travers la porte du dortoir regardait Eulak au comptoir négociant le prix d'une nuit.
Une bourse même pas pleine, voilà ce qu'elle avait. La jeune femme avait mieux compris pourquoi elles manquaient d'argent quand le petit, maigre sac fut sortit d'une de ses nombreuses poches secrètes.
Les goules n'avaient pas pu tout lui dépouiller...
À cette pensée, son esprit se révulsa. Il était encore bien trop tôt pour sérieusement réfléchir aux derniers événements et même comment s'en sortir.
Il lui fallait juste du repos. Elle ne tenait plus, ses idées s'embrouillaient et n'avait plus la force de rien. Ni de questionner inlassablement Eulak, ni de rester debout pour faire bonne impression. À quoi bon ? Une personne aux yeux violets était déjà assez suspecte.
Clarok regretta un instant sa malinty, mais les souvenirs de douleur qui accompagnait se produit la dissuadèrent de se pencher plus sur cette solution.
Tant pis je ferais autrement...
... Ou pas.
Clarok n'avait plus la force de combattre tout ce qui la rongeait. Regrets, nostalgie, et tristesse profonde. La haine qui étouffait ce qu'elle ressentait prenait de l'énergie, ce qu'elle l'avait pas en cet instant.
Elle se sentait si vulnérable dans cette pièce froide sans âme qui vive, et sans flamme intérieure pour réchauffer le tout.
Ô fatigue qui pèse sur mon corps, laisse moi donc hors de tes griffes, il faut que je continue, et cela pour longtemps.
Là ça n'avait plus la même signification. Clarok ne savait tout simplement pas trouver la force d'avancer. Sans but ni sentiment, à quoi cela l'aidait de survivre ? Ne s'infligeait-elle pas plus de douleurs qu'autre chose ?
Affalée de travers sur cette paillasse inconfortable elle s'endormit, devant la vision trop calme de la jeune femme qui sur un autre lit défaisait l'ourlet du bas de son manteau pour y enlever les pièces coincées à l'intérieur.
Qui es-tu Eulak ?
Clarok ne sut pas combien de temps elle avait dormi ainsi. Sa tête était prise de douleurs infâmes, ses muscles tous engourdis et ses multiples ecchymoses martelaient toujours sa peau abîmée par les jours de froids.
Elle resta un moment dans cet état, entre le rêve et la réalité.
Aucune prémonition n'avait traversée son âme, et elle s'en inquièta rapidement. Les douleurs fantômes, les quasi-malaises, et maintenant plus de songe : quelque chose se passait avec son don.
La porte avec le reste du bâtiment était entrebâillée, laissant passer un peu de lumière et de bruits criards. Sans un grincement du plancher une silhouette se découpa dans l'olbre des rayons jaunis.
Une personne sortait de la pièce.
Sauf qu'un détail retient l'attention de la talentueuse à l'oreille fine, l'ombre ne faisait pas de bruit et boitait légèrement.
Seule Eulak savait se fondre de cette manière dans son environnement...
Prise de panique la jeune femme regarda dans le petit coffre devant son lit ses affaire, et remarqua que la serrure avait été forcée. Dedans il y avait eu son manteau, une dague qu'elle avait volé au traître de mage et surtout sa fiole de noctalis si précieuse.
Tous disparus...
Elle l'empêchait de partir si elle voulait la trahir...
Clarok était certaine que toute cette histoire avait un lien avec cet homme imposant qu'elle avait aperçu et qui avait fait peur à Eulak. Et si il y avait aussi un lien avec ce groupe de gens devant le village qui eux aussi avait fait peur à la cartographe ?
Suivre cette ombre de la nuit semblait être le seul moyen d'avoir des réponses. Et la voyante aux milles facettes de noirceurs et de cruautés était prête à le faire.
Qui es-tu Eulak ?
Révèle donc tes mystères, ombre de la nuit.
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Oh oh oh, on dirait que Eulak aime disparaître. Le surnom d'ombre que Clarok lui a donné est plutôt mérité haha
Pensez-vous vraiment que les suppositions de Clarok soient justes ? Et d'ailleurs, ne trouvez-vous pas étrange que son don change ainsi ? (je vous aide un peu à vous poser les bonnes questions, sinon ce serait trop dur x) ).
Ne vous méprenez pas si Clarok était plutôt calme dans ce chapitre, il faut dire qu'elle était terrassée par la fatigue. Elle reviendra comme elle est dès les prochains passages...
Je suis toute excitée, on commence enfin a rentrer dans l'histoire. Après 13 chapitres, et 4 parallèles il était temps de placer tous les éléments lol.
Le prochain chapitre sera un parallèle tout mignon qui vous donnera des informations sur la grande Eulak ! Vous allez être surpris par beaucoup de choses.
Et vous remarquerez que j'ai publié à une heure décente avec une taille de chapitre raisonnable X)
J'espère que ce chapitre vous aura plus !
Portez vous bien <33 !!
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