XI . Monstres (Eulak)
L'appréhension semblait partout en elle. Le moindre bruit accentuait encore plus sa vigilance. À travers sa posture elle tentait de ne pas se faire voir, et ses pas furtifs ne pas se faire entendre. Elle réfléchissait sur le moindre détail, tentant de réduire au maximum les possibilités où elle finirait dans une mare de sang.
Dans sa vie, Eulak avait déjà connu des situations demandant précision et discrétion, mais ici tout semblait être encore plus accru. Ce climat de peur la dévorait littéralement, comme si celle-ci plongeait dans son être sans qu'elle puisse l'arrêter. Un monstre qui mangeait le moindre bon sentiment. Gravant de son poison tout ce qu'il touchait.
Les derniers bouts misérables de sang-froid qui lui restaient étaient savourés par lui. Plus le désespoir se sentait, plus ce sentiment monstrueux aimait.
C'était juste de la peur pure et simple. Ce sentiment qui avait modelé chaque enfant misérable de ce pays. Une simple vérité, cette sensation écrasante et étouffante changeait la moindre créature. Les rendant parfois violents ou au contraire totalement dépassés par les évènements.
Ici, Eulak ne pouvait juste qu'espérer que leurs agresseurs ne regardent pas dans l'abris avant longtemps. Juste de quoi pouvoir s'enfuir sans se faire prendre.
Cette journée était chaude pour un après-midi en plein hiver aslanien. Elle se serait presque cru à la même période, mais dans la Gouverne de Ahi'Nam. Territoire du Sud à la chaleur étouffante et aux multiples sécheresses.
Cela s'était même vu la veille, avec la boue qui recouvrait le sol au lieu de l'épaisse couche de neige compacte et rigide.
Ces températures inhabituelles la dérangeaient, car changeaient certaines de ces perceptions. Tout qu'elle croyaient acquises par des printemps de froids semblait s'effriter. Que ce soit avec le son de ses pas sur le sol, l'odeur de la forêt contre la sienne, . . . à présent la jeune cartographe devait à nouveau trouver un moyen de les contrebalancer, de la même manière qu'elle l'avait fait avec le froid, l'humidité, les échos de son ancienne perception.
Cela ne modifiait que des détails infimes, mais c'était dans ces précisions qu'elle savait se montrer invisible à sa guise. Que cela soit sur ses mystères ou sa position, on savait de Eulak uniquement ce qu'elle voulait montrer.
Alors que la jeune femme avançait dans les broussailles entourant la clairière, Clarok marchait devant. Son comportement lui revenait toujours en mémoire. Elle lui avait paru si inhumaine, muée d'un regard remplis de haine pure. N'étant poussée uniquement par cela. Dans tous les traits de son visage marqué par les cicatrices d'un autre temps, le mot damnation semblait s'y être installé.
Elle avait vu en cette talentueuse une personne n'ayant plus le contrôle de rien, son sentiment de haine la possédant littéralement. Un être froid dénué de valeurs. Il sembla à Eulak que rien d'autre que cette haine ne pouvait vivre dans ces entrailles glacées, le reste paraissait impossible à atteindre pour la talentueuse.
Elle paraissait comme un portrait de l'Aslanie, uniquement du froid écrasant, avec la chaleur du sang qui coulait d'un corps.
Les broussailles semblaient être faite de la même colère retenu que Clarok. Celles-ci épineuses et peu épaisses laissaient peu de camouflage. Ses vêtements déjà tachés par de la boue et du sang se déchirait sous l'emprise de ces lames.
Clarok avançait accroupie, devant elle. Intriguée la cartographe essayait de comprendre comment la talentueuse se mouvait. Ses mouvements paraissaient autant précis que maladroits. Sa posture autant raide que souple.
Eulak y aurait peut-être vu une danse d'un autre monde si la situation n'était pas autant à risque.
La carcasse vide que devenait son corps réclamait du repos. Son esprit se plongeait aussi dans les brumes du sommeil lui aussi. Son dos commençait à vraiment souffrir, cette posture lui arrachait les muscles.
Clarok était infatigable. Des printemps d'entraînement se voyaient dans sa maîtrise quasi-totale de son corps.
Eulak l'avait vu grimper sur le mur de l'abri en un instant pour accéder à la petite fenêtre, qu'elle avait aussi passé sans aucun difficulté. Avant cette démonstration non-voulue de ses capacités, la jeune femme avait aperçu un peu d'intérêt à collaborer avec elle.
Il faut bien trouver un peu de positif.
Car, avec ce pacte des secrets qui les unissait, ce ne serait que dans lorsqu'elles seront toutes les deux dans un lieu sûr qu'il ne ferrait plus effet. Etant qu'il y avait peu d'endroit relativement sans danger en Aslanie, la collaboration durera probablement pendant longtemps.
Pour passer cette fenêtre, la jeune cartographe avait du faire preuve de toutes ses vieilles aptitudes de concentration. Ses multiples douleurs lui donnant plutôt l'envie de se laisser dans les douceurs du sommeil pour les oublier ne serait-ce que quelques heures.
Pendant tout le temps de cette petite ascension, elle regrettait amèrement que sortir par la porte signifiait un arrêt de leur fuite. En effet celle-ci donnait sur un nombre important de goule, alors que ce soupirail sur une partie de la forêt de ronces.
Clarok avait été intransigeante sur l'idée du vol de chevaux : bien trop risqué. Se remettre à couvert inutilement était à son sens une mauvaise idée, car selon elle, le temps qu'ils s'aperçoivent que leur défunt geôlier n'était toujours pas parti de sa surveillance, et qu'ils trouvent le corps elles auront largement le temps de partir. Enfin, c'était selon les dires de Clarok. La jeune femme ne savait pas vraiment si elle devait lui faire confiance pour cela.
Alors qu'elles s'éloignaient progressivement de l'influence des goules, des questions obsédaient ses pensées.
Pourquoi Clarok avait tenu à attendre un de leur agresseur pour le droguer par la suite ?
Pourquoi cette talentueuse à l'esprit si sombre avait pris tant de plaisir à le voir souffrir ?
Pourquoi les secrets qui l'entouraient se faisaient si nombreux.
La peur l'accrochait toujours avec ses crocs, mais elle se risqua à lui murmurer :
"Tu l'as tuée ? "
Cela arrêta immédiatement Clarok. Le buisson de ronces dans lequel elles étaient semblait devenir encore plus sombre. Eulak pouvait sentir toute cette noirceur qui avait émané d'elle dès l'instant où elle avait posé sa question.
Les températures de l'Aslanie étaient comme revenues brusquement.
La talentueuse tourna la tête. Le sang séché sur son visage lui donnait encore plus cet air de folie qui allait l'engloutir. Clarok la regarda un instant avant de lui répondre de sa voix dénuée de chaleur humaine :
"Bien sûr que je ne l'ai pas tuée.
- Comment-ça ? questionna la cartographe surprise sous le coup de cette révélation."
Son regard se fit encore plus menaçant. Une haine indéchiffrable la consumait de l'intérieur. Eulak revit la même personne qu'il avait quelques minutes.
Cette personne ne pouvait pas porter de nom à ce moment là, car elle était comme le monstre de peur qui la mangeait. Une créature de colère, qui n'arrivait pas à calmer ses flammes. Une chose non-humaine qui anéantissait tout sur son passage.
Eulak avait reconnu l'utilisation de de la noctalis, une drogue aussi puissante que douloureuse. Si la dose était trop forte on en meurt dans son sommeil, en subissant mille souffrance. Une des pires condamnations possible. D'une cruauté infinie. Que les talentueux aimaient utiliser pour leurs pires ennemis.
Après tout ce temps sans être dans le recoin de ces informations, la cartographe s'était surprise à être fière tout autant que effrayée de reconnaître que Clarok possédait un tel produit.
" J'ai utilisé une dose qui est presque mortelle. J'ai envie de lui faire vivre ce supplice des dizaines de fois. Voir à chaque fois le désespoir et la peur dans son regard. Il croyait mourir, et bien il va le croire à chaque fois que je croiserai sa route. Et je me fais la promesse de le tuer après avoir enlevé la moindre parcelle de bonheur de sa vie. Le détruire lambeau par lambeau. Le faire devenir une loque humaine sans raison, commença-t-elle. Sa trahison à l'ordre se payera. "
Des frissons parcoururent le corps de la jeune femme. La tirade de la jeune femme était tellement remplis de haine. À en faire trembler les Dieux.
Une chose bien plus personnelle se cachait derrière ce sentiment de vengeance. Le passé de la jeune talentueuse ressortait encore de ses brumes. Encore un autre monstre qui rentrait dans sa vie.
Les mots de sa haine trainant toujours dans l'air, Clarok continua d'avancer dans le buisson. Alors que la jeune femme suivait le mouvement, elle continua de poser ses questions. Comme elle savait le faire.
" Il y a quelque chose de plus personnel là-dedans on dirait. J'ai tord ?
Le sous-entendu se mélangea aux anciens mots. Une légère tension était présente dans les épaules de la jeune talentueuse aux yeux violets. Elle était tout autant surprise qu'apeurée de la question de Eulak. Mais pour tenter d'en montrer rien, elle continuait d'avancer sous sa posture si particulière.
" C'est une trahison, elle doit être punit.
- Là on ne parle pas d'honneur de ton ordre, mais de raisons personnelles. Tu as une haine farouche contre lui, ce n'est pas une histoire de mission qu'on t'a confié. C'est bien plus profond. "
Sans pardon.
Obtenant ce qu'elle voulait.
Avec une autorité non détrônable.
Elle devenait la Eulak implacable, sanglante, redoutable et méticuleuse.
Elle devenait celle qui gagnait toujours ses négociations.
Les concessions n'existant plus à ses yeux.
"Réponds-moi Clarok. Si tu veux qu'on puisse travailler ensemble, je veux des réponses à mes questions, immédiatement. Tes anciennes embrouilles pourraient bien nous coûter à toutes les deux. J'ai pas envie de faire les frais de ton passé.
- Tu en ferrais rien de ces informations.
- Laisse-moi en décider tu veux. Alors, tu le connais ?
- Je me demande pourquoi j'ai pas tenté de trouver un autre moyen de m'en sortir et te laisser là-bas, en plus que t'allais servir de rançon, maugréa-t-elle sans ménagement. Je ne l'ai pas connu, mais si il est corrompu depuis longtemps je le soupçonne d'être à l'origine de l'accident du convoi d'il a presque quinze printemps. Non pas que ce soit lui qui l'est provoqué, mais plutôt qu'il ait vendu l'information. "
Eulak n'avait jamais compris l'importance que les talentueux portaient à ce vieil accident. Le symbole qui s'en dégageait semblait avoir dépassé les âges. Pour bon nombre de personnes, cet accident n'en était pas un. Mais au contraire un meurtre. De nombreuses théories toutes plus délirantes les unes que les autres et impliquant les Mercenaires du sang ou la Gouverne de Ahi'Nam avaient fleuri.
C'était encore à ce jour un sujet plus que sensible.
Sauf que là, la talentueuse parlait d'un problème interne. Une haute trahison. Elle devait connaître les tensions qui régnaient dans l'antre politique. Et Eulak se fera un plaisir de les connaître en temps et en heure. Elle gardait ces questions pour plus tard.
Mais pour l'instant, elle savait que Clarok lui cachait quelque chose. Son corps trahissant une tension élevée. Le voile de brume qui se dégageait de ses lèvre au rythme de sa respiration était rapide. La jeune femme savait que si elle se tenait devant elle, elle pourrait apercevoir ce regard légèrement fuyant avec ces pupilles dilatées.
La lumière faible du soleil était filtrée par les multiples branches épineuses qui composait le buisson épais. Par moment, on avait l'impression que celles-ci s'éclaircissaient, annonçant la fin de cette douloureuse posture. Mais dès que l'on se faisait cette réflexion, il s'avérait que cela faisait l'effet inverse.
Le silence pesait. La cartographe avait complètement retrouvé ses capacités, mais elle attendait de pouvoir être en face à face avec son équipière pour mieux l'intimider pour la discussion qui allait suivre.
Les douleurs dans le dos de la jeune femme persistait et elle n'attendait plus qu'une chose : sortir de cet immense buisson.
Des dizaines de minutes s'étaient peut-être écoulées depuis leur départ, mais là perception du temps s'allongeait pour son esprit. Devenant soudainement une poignée d'heures.
Un mal de tête s'installa lui aussi.
Mais rien ne pourrait entraver sa détermination à se sortir d'ici en vie. Même si elle devait encore plus se traîner dans la boue qu'en cet instant. Même si cela signifiait laisser encore plus une part d'elle même dans les abysses de la cruauté.
Sa vie avait été faite de ces morceaux d'humanité qu'on lui avait comme retirés, comme enlevés de sa portée. À coup de désespoir et d'humiliation, se noyant doucement dans cet appel silencieux.
Mais à cette époque sombre de son existence, personne n'avait répondu.
La fin de ces broussailles fut une libération pour la jeune femme qui étouffait dans les feuillages coupant à souhait. Une bouffée d'air frais, et non de celle qui respirait la terre et la poussière, se glissa dans ses poumons fatigués. Ce qui lui provoqua une quinte de toux assez violente. Sa gorge déjà meurtrie était de plus en plus douloureuse à chaque nouveau raclement.
À peine son dos fut de nouveau dans une position correcte que Eulak remarqua le regard froid de Clarok. Celle-ci la regardait se relever et s'épousseter sans faire le moindre commentaire. Attendant de trouver le moyen pour prendre la parole.
Estimant qu'elle ne commencerait vraisemblablement pas à parler, que ce serait elle-même qui le ferait.
" Clarok, je reste certaine qu'il y autre chose derrière tout ça. Si cela compromet quoique ce soit, notre accord ne tient plus. Et je suppose que tu sais ce que ça signifie pour toi.
- Très bien Eulak, mais nous avons un autre problème plus urgent.
- Comment ça ? demanda septique son interlocutrice aux cheveux de jais.
- Je pensais que les goules ne pourraient plus nous repérer d'ici. . .
- Continue Clarok. "
De la honte suintait du regard qu'elle lui lançait. La panique de Clarok ainsi que son appréhension qui l'accompagnait pulsaient dans sa tête. Déformant le monde qui l'entourait.
"Sauf que je me suis souvenue d'une discussion que j'avais entendu qui disait qu'elles nous avais senti dès notre entrée dans la forêt. Ce qui veut dire que nous ne sommes jamais sorti de leur emprise, et qu'elles doivent à présent à nos trousses. "
Une grande nervosité se traduisait sur son corps. Tordant ses mains et saccadant sans le vouloir le débit de ses mots. Ses yeux violets cherchaient à éviter son regard remplis d'une colère retenue. Montrant un visage de glace particulièrement effrayant.
Les informations venaient de toutes pars pour Eulak. Son esprit tentait de calmer la vague qu'elles représentaient, sans résultat.
Péniblement elle s'abstient de faire la moindre remarque, ne voulant pas encore plus toucher à leur coalition fragile pendant une situation aussi complexe. Car finalement, elles avaient de bonnes chances de finir sur le sol, une dague plantée dans le dos.
Eulak aurait aimé réfléchir plus longtemps, sauf qu'elle s'aperçut de quelque chose.
Une ombre était là.
Ses muscles se tétanisèrent, et sa conscience avec. Le monstre de peur qui s'était calmé reprenait ses droits sur elle.
Les images de sa premiere crise face à ces monstres de fumée lui revenaient. Surtout du regard de ses proches quand ils comprirent sa folie.
Aussi elle revit son propre regard paniqué dans le miroir après la crise qui avait changé sa vie, lorsqu'elle avait compris ce qu'elle était.
La peur était un monstre, et celui-ci vivait à l'intérieur d'un autre monstre.
Elle-même.
Autant monstre d'horreur que misérable.
La dague de tout son passé se mit à chauffer brusquement. Même à travers la poche de son manteau et l'épaisseur de son jean elle sentait la chaleur vorace de celle-ci. Les flammes des incendies dévastateurs semblaient la posséder entièrement.
Elle n'eut pas le temps de réagir qu'elle vit Clarok le teint blanc.
Et complètement prise de spasmes incontrôlables.
L'Aslanie et son climat de peur étaient comme soudainement revenus dans leur réalité.
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