Parallèle III ~ La Statue de marbre au Printemps des dagues
Capitale de l'Aslanie, Omp Aslanuo, voulant littéralement dire "Petite Aslanie", se construisait en permanence. Au rythme des bâtiments qui s'écroulaient, de nouveaux se façonnaient. Les nombreuses crues récentes du fleuve qui traversait la ville emportaient les habitations en bois peu solides aux rives du cours d'eau. Le courant puissant les arrachant de la terre, et provoquant d'immenses glissements de terrain. Des torrents de boue se mélangeant à l'eau glacée.
Seul le beffroi au nord de la ville semblait tenir dans le temps. C'était même plus que ça, il paraissait totalement inaltérable. La mousse et le lierre ne voulaient pas pousser sur ses briques noires. Les tempêtes ne le faisaient pas trembler. Le vent puissant de l'hiver n'arrivait pas à briser ses petites vitres.
Tout était entier, sans aucunes imperfections ni la moindre craquelure.
Le temps ne semblait ne pas avoir d'emprise sur le beffroi et la cloche monumentale à son sommet.
À côté de lui les portes massives qui coupaient le Vinkanik du reste du pays étaient situées. Depuis le début de l'histoire de la capitale et de la Régence d'Aslanie elles étaient là. Le palais impérial situé ici avait été rasé dans son intégrité. Laissant la place à ce nouveau complexe de bâtiments politiques d'exister.
Le blason des talentueux était gravé sur elles. Composant celui-ci, la sirène ressortait particulièrement. Sa ruse et sa malice qui caractérisaient son espèce se voyaient bien dans l'éclat dangereux qui résidait dans son regard aqueux. De la logique bien trop instable. Des vérités que le temps aurait aimé effacer.
On disait qu'elles détenaient entre leurs mains fourchues la vérité d'une ère.
Un beau symbole politique de transparence et de puissance que l'ordre des talentueux utilisait. Tournant l'inconscient collectif en leur faveur.
Mais le message qu'elles distribuaient avait aussi sa part sombre. Son double d'épouvante comme on surnommait ce phénomène.
La neige de l'hiver ne recouvre pas les cicatrices de la terre.
Tel un artéfact oublié de la mémoire des hommes. Un pan d'histoire que ceux qui l'écrivaient voulait éliminer.
À la fois le territoire du gouvernement et de ses instances, le Vinkanik représentait une puissance politique sans précédent. Le reflet du régime totalitaire et militaire instauré peu après la Grande Révolution.
Rien dans toute l'Aslanie ne se faisait plus lugubre et intimidant que cet assemblement de nombreux édifices de pierres entouré par une large grille de fer. Les maux de la terre semblant le posséder.
Les cachots des traîtres de l'ordre se trouvaient aussi dans son enceinte. Bon nombre de rumeurs courait sur les pratiques qui s'y déroulaient. Dès que l'on abordait le sujet il y avait de grande chance pour que la personne en face frémisse de peur. La torture employée par les talentueux était connue pour son extrême cruauté. On savait juste que c'était inhumain, tout ce qui tournait autour restait très flou.
Cela n'était pas dérangeant pour leur image, malgré leur métabolisme humain, ils étaient plutôt considérés comme des demis-Dieux. Tels les descendants directs de ces êtres divins.
L'édifice central se séparait en deux ailes immenses, une pour l'ordre des talentueux, l'autre pour les Services généraux. Entre ces parties, se trouvait le siège du gouvernement, servant de cœur à tout l'ensemble.
C'était dans cette partie du bâtiment que se trouvait la Statue de marbre. Comme le beffroi elle semblait s'échapper de l'influence du temps. Son visage n'était que finesse et délicatesse avec ses joues rebondies. Même la couleur froide de sa peau s'accordait avec cette beauté douce qui émanait d'elle partout où on posait les yeux sur son corps.
On surnommait la général Ganara ainsi.
Dans chaque couloir où elle passait le nom de Statue de marbre lui revenait.
Elle dirigeait les Services généraux depuis des centaines de printemps, mais sa beauté faite de sourire doux n'avait pas changé depuis tout ce temps. On s'oubliait facilement dans ses yeux verts faits d'une perfection sans nom.
Derrière toute cette façade se cachait la cheffe de cette institution prestigieuse. Une personne sans le moindre regret. N'étant que de cruauté et de complots.
Son visage s'accaparait des plus belles pensées.
Son nom provoquait l'effroi.
Une Statue de Marbre en apparence.
Une personne sans limite en réalité.
Et elle se jouait de ce contraste entre sa personnalité et son physique de porcelaine. Aimant provoquer un peu plus l'effroi chez son interlocuteur.
Car, on ne voulait jamais voir la laideur sous la beauté.
Préférant se voiler la face au lieu d'affronter la réalité sanglante.
Même pour la énième fois que l'on voyait sa noirceur on s'étonnait de son ampleur.
Tous les dignitaires du Vinkanik se demandait qui elle était, et cela depuis l'instant même où sa position avait été déclaré publiquement.
Les questions avaient fusé dans les esprits.
Comment une fille de quatorze printemps, une enfant, pouvait avoir obtenu une telle position ?
Mystères et secrets n'avaient fait que s'épaissir. Et cela continuait dans un rythme sans fin. Ses origines et ses dissimulations faisaient un des sujets favoris des domestiques à la parole facile.
Le bruit de ses bottillons se reconnaissait facilement, au point que jamais personne ne se trouvait au même endroit qu'elle. On préférait partir que de se risquer à se confronter à son courroux souvent mortel.
On avait peur d'elle.
Il n'avait suffit que d'une démonstration de force pour qu'on la craigne pour l'éternité. Dès le lendemain de son ascension, tous ses opposants à sa position furent retrouvés morts.
La peur marquait depuis ce jour son sillage.
Devant elle on arrivait qu'à être tremblant face à ses sourires mortels.
Une énigme totale, et cela pour tout le monde.
On ne savait jamais comment la déchiffrer. Même dans sa colère un sourire sombre l'arborait.
On savait que c'était ce sentiment qui à chaque fois la poussait à aller au cœur du bâtiment central.
On savait que rien ne pouvait l'arrêter dès l'instant où les braises du mécontentement brillaient dans ses yeux.
Alors les plus courageux se contentaient de l'observer en coin, se demandant où sa colère comme la foudre allait frapper.
Assise nonchalamment sur le bureau du Régent, elle attendait de faire éclater sa haine. Une main appuyée sur le bois et la tête tournée vers le fauteuil, la générale le regardait s'assoir. Le whisky et deux petits verres furent déposé par lui sur la table.
La lumière de la pièce venait quasi intégralement de ce lustre aux bougies productrices d'une légère fumée. Une large fenêtre aux tiges de verre la traversant se trouvait portant derrière le dos du siège du Régent, mais le mauvais temps aslanien et ses nuages épais ne donnait pas d'éclats.
Mais cela suffisait à l'ombre du fauteuil et de la silhouette du Régent de s'étendre jusqu'au fond de la pièce. Tel un monstre de cruauté qu'on utilisait pour intimider un peu plus. Mais la jeune femme parvenait toujours à voir son visage dur qui impressionnait n'importe qui.
Sauf que la cheffe des Services généraux n'était pas n'importe qui.
C'était dans la peur qu'on arrivait à régner en Aslanie. Une réalité bien ancrée dans le moindre endroit.
Partout cette devise silencieuse subsistait.
Markotis Levannos Se Karsen la défiait du regard. L'air s'envenima immédiatement, le silence ponctua le tout. La générale souriait toujours. Lui s'accaparait du silence comme d'une seconde nature.
Ses masques de froideur ne montraient qu'une chose : son esprit fait de pensées ininterrompues. Il réfléchissait en toute circonstances, et avant de comprendre, il préférait attendre.
" Pourquoi je n'ai pas été convié à la dernière réunion, ce n'est pas le moment de me dissimuler des informations. "
Le visage de la femme sans âge pouvait être orné d'un sourire, il n'empêchait que ses mots étaient acerbes et durs. À travers eux, on entrevoyait la vraie personne qui vivait en elle, et non pas cette statue de marbre qu'elle avait elle-même sculpté après des printemps de politique.
Par contre, ce n'était pas elle-même qui s'était façonnée. Uniquement sa vie sanglante et brutale.
Face à ses propos, le Régent ne pouvait rien.
Même s'ils partageaient cette aura intimidante et cette force politique, elle restait intouchable.
Totalement intouchable par lui.
Le seul moyen de l'éliminer de la scène politique reviendrait à provoquer un meurtre, l'idée ne le dérangeait pas, mais il préférait le faire sur des membres de son institutions pour lui faire comprendre que l'étau se resserrait doucement, jusqu'à l'asphyxier. Comme un pauvre animal devenant la cible d'un chasseur.
Le printemps des dagues commençait à refleurir doucement.
Continuant son discours, la générale s'appuya un peu plus sur le bureau laqué, nullement intimidée par l'homme à l'influence immense qui l'écoutait en la défiant du regard. D'un ordre il pouvait envoyer n'importe qui dans un autre monde.
On le vénérait littéralement dans toute l'Aslanie, sauf que sa collègue aussi. Voilà une des raisons qui la retenait en vie.
" Un tremblement de terre dévastateur, des débordements avec un groupe d'anarchistes, des émeutes de la faim dans le nord, des mouvements non-identifiés à la frontière avec la Nation de Lestina, des crues répétée avec le fleuve de Omp Aslanuo... Quelque chose se déroule dans l'ombre, j'en suis certaine. "
L'atmosphère se chargeait de tension. Les silences du Régent plombaient un peu plus l'air, à la manière de braises que l'on jetteraient sur un feu.
Les jeux de regard faisaient vivre les ombres de la pièce. Les rendant vicieuses et effrayantes. Elles devenaient quelque part le reflet des personnes qui étaient présentes dedans.
Des gens se disant plus haut que le commun des mortels, mais qui possédaient autant voir plus de vices qu'eux.
Ils ne valaient pas mieux que la plèbe.
Ils étaient même pires que tout, leur pouvoir passant avant la paix intérieure. Le printemps des dagues devenant de plus en plus courant.
Tout en l'écoutant, il se servit un verre d'alcool.
Tout-en parlant, il remplit aussi un verre pour celle que l'on surnommait la Statue de Marbre.
Elle l'accepta, le faisant à présent remuer dans sa main qui n'était pas appuyée sur le meuble.
" Vous êtes bien courageuse à me parler ainsi d'une hypothèse faite sans aucune preuve concrète. Vos relations ne pourront pas vous sauver éternellement générale. Faites attention à mon avertissement, c'est le dernier. "
Les mots percutèrent la tranquillité de Saniy Ganara, qui s'apprêtait à boire cet alcool la tête balancée en arrière.
La seule fois où il prit la parole, se fut pour la menacer. L'étau du printemps des dagues se resserrait sur sa gorge immaculée.
Les senteurs amères lui montèrent à la tête. Elle amena le verre à sa bouche, et se prit d'une colère noire. Les douces notes sucrées du mislin s'étaient fait sentir.
Un poison particulièrement puissant.
En quantité infime il restait foudroyant.
Assez ironiquement, c'était un des moyens de son institution pour éliminer les ennemis ses ennemis et ceux de l'Aslanie.
Dégoutée, la générale lâcha le verre sur le parquet. Il se brisa en un bruit bref, mais fort. Exactement le même lorsqu'un carreau explosait sous la force d'une tempête.
Ici la tempête était aussi bien réelle.
L'atmosphère de froideur et de haine la créait.
Un sentiment puissant de colère s'emparait de la générale aux cheveux blonds. D'un mouvement brusque elle quitta le bureau qui lui avait servi de siège. Ses bottillons rouge carmin écrasèrent encore plus les éclats de verre dispersés sur le sol.
Et Il la regardait, aucune émotion dans le regard. Son verre d'alcool posé près de ses coudes posé sur la table.
Il savait pertinemment qu'elle allait comprendre ce qui se passait : Il voulait appuyer ses menaces avec de la peur.
Mais ce n'était pas Ganara qui arriverait à se laisser intimider, au risque de se brûler encore plus ses ailes invisibles.
Elle fit volte-face, envoyant des éclats de verre dans l'air.
Son sourire d'horreur aurait fait trembler les morts de guerre.
Ses yeux d'orage auraient incendié la capitale entière.
Ses traits inchangés, comme gravés dans le marbre, auraient fait succomber de douleur les pires traîtres de l'histoire entière.
Leur regard se combattait plus que jamais.
Silence.
Manipulations.
Puissant.
Ces éléments donnaient le métamorphe qui régnait sur l'Aslanie.
Un reflet de cette Régence aux températures de mort.
Les coudes de la jeune femme à la colère sans limite se posèrent de la même manière que son supérieur sur le bureau.
L'ombre de la silhouette militaire de l'homme aux multiples légendes dégoulinait sur elle. Comme pour la mettre en garde avec un poignard invisible.
De sa voix cassante elle articula :
" Ne m'écoutez pas si vous le voulez, mais j'espère que vous serez à la hauteur de l'Aslanie face à cette vague de sang qui se prépare. "
Se penchant un peu plus, elle lui murmura à l'oreille :
" Ceci est mon avertissement à moi. Si vous vous révélez incapable, je n'hésiterais plus à précipiter vos cendres dans l'eau du fleuve. "
Tel un vautour son corps se releva de toute sa hauteur. Le surplombant.
Un chemin de bouts de verre coupant marqua son passage lorsqu'elle partit. Reconnaissable avant, le bruit si caractéristique de ses chaussures était devenu méconnaissable sous le crissement des éclats. Se rajoutant à la peur que provoquait la générale.
Laissant un silence sans fin s'emparer des lieux. La lumière semblant être devenue presque prémices de cette violence.
Ils étaient près tous les deux à tuer l'autre.
En attendant ce jour, d'autres personnes allaient tomber sous la menace des coupe-jarrets.
Le printemps des dagues était annoncé.
L'instabilité politique scellée.
Un jour plus tard, la générale réfléchissait dans son bureau.
Celui-ci ressemblait sensiblement à l'autre.
Même fenêtre imposante.
Même rideaux de velours rouge.
Même parquet aux longues et épaisses lattes qui résonnaient si facilement.
Aujourd'hui l'atmosphère du Vinkanik se faisait lourde. La peur habituelle qui y régnait semblait avoir explosé pour toucher le tréfond des âmes.
Mort.
Sang.
Poignardée.
Voici les trois mots qui ressortaient des conversations. En effet, la représentante des voyants avait été retrouvé à l'aube assassinée dans ses appartements. Une immense trainée de sang coulant de son corps marquant sa fin.
Tout le monde connaissait le coupable : la cheffe des Services généraux.
Sa réputation de commanditaire de meurtres remontait dans les mémoires.
Sauf que personne ne pouvait l'arrêter pour autant. Son influence était bien trop grande. Il n'y avait nulle part la trace du pot-au-vin. Il n'y avait nulle part la preuve que ce soit un membre de ses Services qui l'avait fait sous ses ordres directs.
Et si une personne pouvait prouver sa culpabilité, elle trouverait toujours un moyen de le faire taire à jamais.
On se contentait de la regarder une expression d'une peur maladive sur le visage sans pouvoir l'arrêter.
Elle venait d'envoyer un message sans précédent à tout le monde politique d'Aslanie.
On lui avait fait comprendre que son temps s'amoindrissait. En retour elle répondait de la même manière.
Jamais elle ne faiblirait.
Jamais elle ne se soumettrait.
Sa cruauté parlant pour elle.
Telle une ombre machiavélique des vices des hommes la possédant.
Un jeune homme, nouvellement arrivé dans l'institution, se dandinait presque sur place à attendre de pouvoir parler. C'était un voyant d'une vingtaine de printemps possédant de gros tics nerveux. Il n'arrêtait pas de se mordre la lèvre inférieure jusqu'au sang sous le coup du stress.
La générale avait compris assez rapidement qu'il prenait une image de talentueux. En étant uniquement un infiltré en réalité. Il était depuis cet instant surveillé par plusieurs de ses hommes, qui observait ses moindres faits et gestes. Et il s'était avéré que plusieurs fois par jour il utilisait un miroir de poche sur le toit de la tour des archives pour réfléchir la lumière du soleil.
Ce qui l'avait alerté au début s'était son accent du nord trop prononcé. Pendant tout l'entraînement de chaque talentueux on leur apprenait à parler l'aslanien, et non pas un patois indéfinissable.
De tous ses siècles de carrière elle n'avait jamais croisé un talentueux s'exprimant de cette manière. La langue de l'Aslanie était connue pour ses prononciations très abruptes mais avec ce patelin cela se transformait en quelque chose de bien plus cassant.
Il savait tout cela, c'était pourquoi ce jeune homme parlait si peu.
" Krarl, j'ai appris que le groupe qui est allé voir les dégâts au tremblement de terre était rentré. Emmène-moi immédiatement les mages Jala et Bojr. "
Pour l'instant la générale Ganara voulait garder un peu plus en vie le faux-voyant. Dans son inconscience il la mènerait jusqu'aux autres rebelles de son groupe. Et pour ne pas l'alerter, elle se devait de lui confier de petites tâches qui étaient aussi peu importante que la bonté dans son âme.
Elle n'avait pas d'allié, alors elle se contentait de garder ses ennemis proches d'elle. Seulement les secrets qu'elle possédait et la haine entre certains talentueux la sauvaient d'une tuerie.
Jala se dirigeait de plus en plus profondément dans les entrailles des Services généraux. Cela ne lui plaisait absolument pas. Elle avait plutôt pour habitude de passer dans l'autre aile.
Dans les couloirs, une certaine effervescence régnait. Une agitation que l'on voulait dissimuler.
La dernière fois que la cheffe de cette institution l'avait appelée, c'était pour sa dernière expédition.
Celle pour noter les dégâts du tremblement de terre à la frontière.
Celle qui avait mené à perte la personne qui lui était la plus chère. La seule sur laquelle la mage pouvait réellement compter.
Penser à ce prénom pourtant si courant en Aslanie lui faisait vraiment mal. Son état ne s'était pas lui non plus amélioré. Elle n'arrivait toujours pas à manger ni à dormir. Les peines l'accablant perturbaient sa perception et ses émotions. Par moment elle se sentait totalement vide, par d'autre submergée par une vague de sentiments contradictoires.
C'était dans ces moments que la douleur lui paraissait la plus forte. Ne rien ressentir faisait moins mal.
C'était aussi dans ces moments que les larmes de son désespoir et de sa tristesse coulaient. Sans qu'elle ne puisse les arrêter. La contrôlant littéralement.
Devenant une véritable loque secouée par des sanglots interminables.
Toujours elle se souviendrait de l'éclat sombre de ses yeux alors qu'il mourrait dans ses bras. Sa vie et son souffle se tarissant.
Le voyant qui la conduisait jusqu'au bureau de la générale ne lui parlait guère. Ce n'était pas pour lui déplaire, elle n'aurait pas eu la force nécessaire pour tenter d'être aimable. Sans parler du deuil de son ami, l'appréhension de la rencontre et sa fatigue ne formaient pas un bon mélange.
Il la regardait avec une certaine peur retenue. Les veines éclatantes de la mage lui avaient donné son identité. Au départ le jeune homme n'avait pas fait le rapprochement entre le prénom "Jala" et la mage traqueuse la plus douée de sa génération.
Les mages étaient ce qui l'effrayaient le plus. Des croyances populaires étant passées dans son esprit lorsqu'il avait l'âge d'un enfant.
Le panra de la mage n'était que boue, déchirures et sang.
Il se demandait vraiment ce qui s'était produit à la frontière de la Nation de Lestina.
Ce qui accueillit la jeune femme en premier dans le bureau, ce fut le regard glaçant de son propriétaire. Ses sourires pouvaient paraîtres chaleureux, mais ses traits exprimaient juste une profonde manipulatrice.
Rarement la jeune femme avait eu à se confronter à elle, mais à chacun de ses mots elle ne pouvait s'empêcher de frissonner d'épouvante.
Elle prit place la tête baissée sur un siège placé devant le bureau d'ébène aux dorures multiples.
La voix de la cheffe résonna dans la pièce. Jala tourna du regard pour observer le jeune homme à qui elle avait parlé, le même qui l'avait accompagné au cœur des Services généraux.
" Restez-donc Krarl."
Il avait tenté de partir de la pièce discrètement. Mais la générale voulait avoir ses réactions face aux constats que la mage donnera. Un moyen de savoir les informations qu'ils connaissaient possiblement ou pas.
Alors, sous son regard dur il se posta près de la porte.
Devant le mutisme de la jeune femme, elle commença :
" Pour commencer Jala, comment cela se fait que vous ayez eu du retard et que Bojr ne soit pas là alors que je lui avais demandé de venir ?
- Juste avant de savoir que notre diligence avait été volé, Bojr est mort subitement dans mes bras, dit-elle après avoir pris une grande inspiration. "
Le silence pesa dans la pièce. La générale avait compris que ce n'était pas le moment de l'interroger davantage sur la mort de son camarade vu les yeux rougis qui accompagnait son visage fatigué.
Si elle voulait tirer quelque chose de Jala Omfor il lui faudrait aller plus rapidement vers la raison de son entrevu avec elle.
" Très bien. Parlez-moi un peu du tremblement de terre. "
Cela faisait des saisons entières qu'elle commençait à comprendre que des bizarreries se produisaient en Aslanie. Elle avait donc demandé à Jala et Bojr, deux très bons mages dans toutes les investigations, à aller avec une équipe sur les lieux de ce nouvel évènement dramatique.
" C'était juste épouvantable. Tout a été détruit. Des récoltes aux temples. Les gens mourraient partout de froid. "
Son débit de parole était totalement saccadé, cherchant ses mots en permanence.
" Tu penses que c'est naturel ?
- Je ne sais pas. Si c'est le cas c'est qu'on subit la colère des Dieux."
Ce n'était pas contrariant si le rebelle entendait la suite de la converdation. Un instant il aura peut-être eut l'impression de détenir une information d'une importance capitale. Mais la générale avait amassé assez sur lui pour ne plus en avoir besoins.
Les derniers instants de liberté de ce pauvre homme touchaient à leur fin très prochainement.
" Jala, je suppose que tu sais que ce n'est pas uniquement pour ça que tu as été convoqué à ce bureau.
- Oui. Que me demandez-vous ?
- C'est assez simple. Je veux que tu retrouves la trace de chaque voyant pour les emmener ici au Vinkanik.
- Le Régent est au courant de cette entreprise, non ? demanda sceptique son interlocutrice. "
Jala était un enfant de cœur. Militaire jusqu'au bout. Respectant toujours exactement les moindres procédures.
" Je vous conseille de me croire talentueuse. Comme moi je vous crois en disant que Bojr est mort mystérieusement dans vos bras. Ce serait dommage de se faire accuser de haute trahison avec la séance de détente qui va avec. Votre crédibilité ne tient qu'à mes humeurs. "
Tout le corps de la jeune mage frémit. Elle regardait sa supérieure indirecte avec une expression horrifiée. Jamais elle n'aurait pu croire que tant de cruauté pourrait suinter d'une personne.
Avant, elle avait la certitude d'avoir aperçu toute l'étendue de la monstruosité de ce personnage fait de mirages.
Mais non, elle était bien loin de sa vraie nature encore plus terrible.
Elle ne pouvait pas imaginer la douleur des tortures de l'institution que la générale gouvernait plus que fermement. Mourir de cette façon ne pouvait pas être possible pour elle.
Soudain, l'épouvante la saisit encore plus lorsqu'elle vit le rouge flamboyant derrière la vitre.
" Générale, retournez-vous ! "
Ce fut ce qu'elle fit, presque immédiatement. Toujours dans cet esprit militaire elle se releva les mains derrière le dos.
La tour des archives s'enflammait littéralement. Des flammes vivaces et flamboyantes s'échappaient des fenêtres aux carreaux fondus. Un nuage de fumée noire s'amassait dans la cour. Le néant semblait avaler la lumière du soleil. Les températures inhabituelles du jour actionnaient encore plus ce brasier.
Des cris se perdaient dans la suie. Les talentueux à la peau à vif et au panra brûlé sortaient de l'emprise des flammes. Leur douleur se ressentait dans leur hurlement désespéré.
Mages et sorcier tentaient de calmer les flammes monstrueuses, mais indomptables, cela ne servait à rien. L'odeur de la magie s'alliait à celle de la fumée et des chairs carbonisées. Le tout devenait totalement écœurant, un peu comme la tragédie qui se déroulait.
Le noir recouvrait le ciel.
Le noir recouvrait les gens.
Le noir composait la cendre.
Le noir s'imminait partout, jusqu'aux hurlements des malheureux coincés à l'intérieur.
Dans ce désespoir grandissant à la force du néant, le rouge des flammes et du sang fendait le ciel et les gens.
De part et d'autre les tuiles du toit se fendaient sous la chaleur extrême qui émanait de ce brasier.
On voyait des personnes avec qui on travaillait tous les jours ne jamais passer la porte d'entrée auquel il émanait une dose incroyable de fumée.
Les plus courageux ou inconscients tentaient de soutenir grâce à leur force où à leur magie l'armature de la porte, essayant même de l'agrandir.
Brûlures, peau à vif, cheveux calcinés, poumons chargés de suie et de fumée et multiples blessures parcouraient les miraculés qui avaient réussi à s'échapper du piège des flammes.
Talentueux et hommes mourraient de la même manière. Certains rampant sur le sol en pierre de l'extérieur, trop las de se battre contre la douleur et la mort, fermaient leurs yeux pour ne plus les rouvrir.
La structure en bois qui soutenait les pierres ne devenait que des cendres brûlantes. Les cris s'intensifièrent face à l'édifice qui commençait à amorcer une chute inéducable et phénoménale.
Le désespoir se ressentait dans tous les regards. Les larmes noires mélangées à la suie coulaient sur les visages de la plupart. Telles les gouttes de pluie des orages de la belle saison.
Tous les maux des hommes passant sur les visages marqués par les flammes.
Les mages présents sur place tentaient par tous les sorts de redresser les pierres. Malheureusement l'agitation était bien trop forte pour que la magie soit puissante. La cour s'amassait de plus en plus de monde. Des talentueux venus en renforts, et les derniers rescapés.
Mais c'était trop tard pour faire véritablement quelque chose. La chute restait inévitable.
Complètement démunis, ils voyaient la colonne de flammes emporter dans sa destruction leurs confrères. Ce sentiment poison détruisant l'espoir de les revoir en vie. Détruisant toute l'énergie qu'ils avaient pour survivre.
La stupeur avait pris possession de la générale Ganara. La dernière fois qu'on lui avait rapporté un tel phénomène, c'était le jour de l'incident il y avait plus de dix printemps. Sauf qu'ici elle voyait l'étendue du désastre de ses propres yeux, et non pas à travers des symboles codés.
Une personne voulait disparaître de l'histoire. Le contraire des sirènes qui rétablissaient la vérité, on voulait la changer. Voir l'effacer complètement.
À travers la vitre se teintant doucement de suie, elle regarda une dernière fois la catastrophe de l'ancienne tour des archives.
Dans un mouvement militaire elle se retourna sur la mage qui arborait toujours son expression horrifiée.
Plus aucun sourire n'arborait la Statue de marbre en cet instant. Ses soupçons sur les complots menaçant l'Aslanie étaient juste.
Quelque chose se trame dans l'ombre.
Elle fera passer la Vendefa par tous les moyens. Cet état militaire le plus avancé qui lui permettrait de déployer l'armée à des points stratégiques.
Mais pour cela il lui faudrait plus de preuves. La chasse aux voyants était une merveilleuse idée pour ramasser des informations fiables.
Jala frémit lorsqu'elle vit le sourire carnassier qui étirait les lèvres de la cheffe des Services généraux. Complètement sauvage et fou. Plus aucun masque ne la séparait de sa vraie nature au regard des autres. Et ce fut la mage endeuillée aux veines constellées de lumière et le rebelle se cachant derrière une identité de voyant, qui en furent les premiers témoins.
" Vous pouvez Jala partir, tachez de faire correctement la tâche que je vous ai confié. Sinon, allez donc aider avant dans la cour. "
La générale attendit qu'elle referme la porte derrière son passage avant de s'adresser au jeune homme.
" Assis-toi.
- Bien sûr, dit-il la peur le collant de partout. "
Son siège racla le parquet abimé par ce genre d'aller-retour. Ses mains se tordirent. Les battements de son cœur ne faisaient que s'accélérer.
Parfait pour commencer.
" Votre couverture de voyant est totalement factice. Pas besoin de me mentir là-dessus. D'après vous, qu'est-ce que je devrais faire pour me débarrasser du problème que vous représentez ? "
Elle se pencha vers lui. De la même manière que l'aurait fait un vautour avec sa proie.
Pour lui, des flammes semblaient émaner de son dos. Le contraste entre sa beauté froide et l'incendies derrière la baie vitrée lui donnait encore plus de la dangerosité.
Sourire.
Glace.
Flammes de la colère.
Ces éléments semblaient l'attaquer jusqu'à le faire craquer. Il savait qu'accepter cette mission relevait de la folie, et pourtant il avait décidé d'y participer. Ce n'était pas pour rien qu'on disait qu'il avait la témérité sans limite.
En l'espace de sept levés de soleil il avait été repéré. Et pas par n'importe qui. Cette personne dont il n'avait absolument pas mesuré la dangerosité à cause de ses yeux doux. Cette personne que les rumeurs lui avait dit de trembler.
Lui était téméraire sans limite.
Elle était cruelle sans limite.
Il espéra en priant le Dieu de la Chance que sa mort ne se ferait pas sous torture. Il tentait de se convaincre d'une fin douce pour ne pas se détruire l'esprit avant son dernier souffle.
Il voulait juste ne pas laisser le désespoir le consumer comme l'avait fait les flammes dans la tour des archives.
Les meurtres commençaient au Vinkanik.
De plus en plus brûlées, les ailes qui portaient la générale Ganara pourront-elles encore battre ?
La Statue de marbre pourra-t-elle survivre au printemps des dagues ?
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