Elle laissa échapper un long soupir. Elle était suivie. Encore. C'était toujours comme ça de toute façon. Elle avait l'impression que peu importe où elle allait, quelqu'un ou quelque chose était là aussi. Même dans les toilettes. Elle remit ses écouteurs en place et replaça une mèche rebelle derrière son oreille.
Une musique entraînante l'aidait â garder le rythme. A chaque foulée, les feuilles par terre crissaient et sa queue de cheval sombre se balançait en rythme. La lumière tamisée du petit matin qui perçait à travers les nuages caressait son visage sur lequel des gouttes de sueur perlaient. Elle les essuya rapidement et une bouffée de vent frais vint la rafraîchir. Haletante, elle accéléra. 

Courir toujours plus vite. Si vite qu'elle serait épuisée. Si épuisée qu'elle ne pourrait même plus penser. 

Ne plus penser. 

Ne plus penser. 

Ne plus penser à rien. 

C'était son rituel, d'aller courir dans les bois, quand le soleil commençait à se lever paresseusement. Chaque jour, elle changeait d'itinéraire, espérant ne plus sentir cette présence mystérieuse qui la suivait partout. En vain. Comme les jours précédents, elle se laissa tomber sur le sol frais et humide et s'appuya contre le tronc d'un arbre, en regardant le ciel. Ça ne s'arrêtait jamais. 

Même pas une fois depuis La Fin. 

Elle ferma les yeux et prit une grande inspiration. C'était toujours comme ça. L'image d'un feu menaçant engouffrant une voiture étouffa son esprit. Si précise, si effrayante. Elle frissonna. Et puis l'eau. Une eau profonde. Et puis rien. Elle ramena ses genoux à elle et enfouit sa tête. It was always like that. Malgré les efforts qu'elle faisait pour bloquer ces flashbacks, ils revenaient toujours la hanter, encore et encore, oscillant entre rêve et réalité - ou plutôt cauchemar. Elle pouvait encore voir ses parents tendre leurs bras en souriant. Elle sortit un médaillon doré de sa poche et regarda la photo à l'intérieur passivement. Elle soupira. Elle n'avait que cinq ans à l'époque... Ils partaient en vacances en voiture et... Non, elle ne devait plus y penser. Et puis ce foyer, si froid, si peur, où les autres gamins se moquaient toujours d'elle... Cette vieille chouette arrogante... Elle avait attendu si longtemps pour quitter cet endroit, et maintenant elle était une jeune femme normale... 

Sauf qu'elle était déjà morte à l'intérieur. 

Elle traînait cette coquille sans âme dans les bois, au boulot, puis à la maison. Si elle pouvait appeler ce minuscule et insalubre studio "maison". Elle se frotta les yeux. L'heure de rentrer. Elle essaya de se lever. Mais son poignet fut violemment attrapé. Elle leva la tête. La silhouette d'un homme, grand, se détachait juste devant elle. Il avait un sourire dédaigneux et arrogant et ses yeux brillaient d'un désir malsain. Elle essaya de se libérer de son emprise, mais il était bien trop fort pour elle. Ses yeux s'écarquillèrent d'effroi. Elle ne parvenait même pas à crier. La dernière fois qu'elle avait utilisé sa voix remontait à si loin...La peur lui resta en travers de la gorge. Elle donnait des coups de pied, des coups de poing et se débattait du mieux qu'elle pouvait. Mais rien n'y faisait, l'homme la regardait sans broncher. Elle était cependant étonnée par toute l'énergie dont elle disposait pour lutter pour rester en vie. Peut-être qu'elle voulait vraiment vivre au fond d'elle-même.

Alors elle ferma les yeux, sanglotant silencieusement sans verser une seule larme alors qu'elle sentit quelque chose de glacial enserrer son cou. Juste avant, elle aperçut des yeux noirs immenses qui la fixaient sans la refléter, comme deux trous noirs qui l'aspireraient dans le néant.