Chapitre 32 - Zoey
Une partie de mon esprit - assez présente - me soufflait ma culpabilité, me soufflait que je n'aidais pas la brune. Et c'était véridique parce que, alors que je l'entendais s'affairer dans mon dos, j'étais simplement assise.
Ce qui était terrible, c'était que cette petite voix avait plus raison que je ne souhaitais l'admettre puisque, depuis que la brune m'avait sauvé, elle était celle qui faisait tout ce que je n'avais plus l'énergie de faire. Au moment où nous sommes entrées dans cette pièce qui, parce qu'elle était sûre, serait notre refuge pour les jours à venir, je m'étais laissée tomber alors qu'elle s'occupait de notre sécurité.
Je n'avais plus de force. Les évènements de ces derniers jours, encore plus que ceux des semaines précédentes, m'avaient ôté toute celle que j'avais. Ils m'avaient ôté toute volonté. Sans Cassiopée, que serais je devenue ? Morte, noyée, deux mots pour résumer mon destin. Pourquoi ? C'est cette question qui s'impose à mon esprit à chaque fois que je repense à cette scène et au bout de chemin que nous avons fait ensemble ; par dépit et parce que la solitude est synonyme de folie, deux réponses qui me blessent étrangement.
Je n'avais pas besoin de faire face à la brune pour deviner ses mouvements, je n'avais pas besoin de la voir pour savoir qu'elle s'était assise dans mon dos. Pour cela, j'entends ses pas qui se rapprochent, je sens son souffle qui frôle mon épaule puis sa présence.
L'heure n'est cependant pas encore au repos, et la journée débute à peine pour celle qui ne s'arrête jamais. Pourtant, la fatigue pèse sur mes épaules et, après ce début de journée, je ne serais pas contre quelques heures de sommeil en plus.
Mais la jeune femme dans mon dos ne semble pas de cet avis puisqu'elle me fait enlever mon - ou plutôt son - sweat. Mécaniquement, mes mouvements s'accordent aux siens, et ce n'est qu'au moment où je sens ses mains contre mes cotes que je réalise, que je rougis.
Je transpire, la température monte et je me sens de plus en plus inconfortable, mais je suis incapable de déterminer si c'est à ma blessure ou à la brune que je dois cet état. Probablement que les deux jouent alors que ma respiration s'accélère.
C'est à peine si j'ose bouger en cet instant.
Je préfère lever mes yeux vers le reste de la pièce, en observer tous les recoins, prendre note de chaque poussière, pour ne pas penser à ses mains sur ma taille, à ce souffle qui s'échoue dans mon dos.
Il s'agit cependant d'une distraction de courte durée : la pièce était étroite. À cette pensée, j'ai l'impression d'être encore plus collée à la brune dans mon dos, que nos souffles ne font qu'un. Mes yeux font rapidement le tour de la pièce, ils se posent sur chaque coin poussiéreux, sur chaque étagère vide. Je ne vois pas énormément de choses à cause de la pénombre dans laquelle nous sommes plongées.
Ce refuge ne payait pas de mine, c'était certain, parce qu'elle n'avait rien à voir avec la cabane dans laquelle la brune m'avait hébergée la première soirée ou les maisons que l'on pouvait voir avant les catastrophes. Mais elle était plus accueillante que l'ensemble des endroits où je m'étais retrouvée depuis, ne serait-ce parce que la brune m'apportait une présence réconfortante que j'avais oublié. Il y avait ces affiches dans le métro qui parodiaient cette phrase connue, on pouvait y lire « l'enfer c'est soi-même coupé des autres ». Avant, je levais les yeux, désormais je me répète cette phrase en me disant qu'il n'y a rien de plus véridique.
Un sourire étire mes lèvres à ces pensées.
Il étire mon visage lorsque je songe à la présence de la jeune femme à mes côtés, à ses mains sur mon corps, à la cabane : à l'ensemble de ces éléments qui me donnaient de l'espoir pour les jours à venir. Peut-être que si les conditions n'avaient pas été ce qu'elles sont, nous aurions pu nous attarder à la cabane, nous aurions pu être deux amies parties en vacances, et pourquoi pas plus ?
- Idiote.., idiote..., me répète cette voix que j'entends distinctement cette fois.
À l'entente de ces paroles, je me retourne brusquement vers la brune dans mon dos. Ces mots qui avaient été un murmure, qui avaient été soufflés au plus près de mes oreilles, ne pouvaient qu'être ceux de la jeune femme dans mon dos.
Mais l'expression qui accueille mes gestes brusques m'indique que ce n'est pas le cas, cette voix avait de toutes manières un ton blessant bien loin de sa bienveillance. Ses sourcils sont froncés, ils se plient sous le poids de l'inquiétude et des questions qu'elle hésite à me poser, et je me contente de fixer ses yeux. Concentrée dans sa tâche avant que je ne la dérange, préoccupée à ne pas me blesser - ce qui échouait au moment où je bougeais -, ses dents mordaient sa lèvre inférieure dans une expression que je trouvais adorable.
- Zoey ? m'appelle-t-elle pour retrouver mon attention, est-ce que... ça va ?
C'est à cet instant que je suis certaine que ce ne sont pas ses lèvres qui ont prononcé ces mots agressifs. Elle est douce, gentille, peut-être dure par moments, et autoritaire également, mais Cassiopée n'était pas méchante.
- Ouais ouais, j'ai cru... enfin, ce doit être le vent. Je suppose... », lui répondis-je alors que mes dernières paroles se perdaient dans un murmure. Elles ne lui étaient de toutes manières pas réellement adressées : j'essayais de me rassurer seule.
Aucune de nous n'ajoute quelque chose. Je me retourne et elle se repositionne, elle continue de panser ma blessure tandis que j'observe les lieux. Nous retournons à nos activités comme si cet échange n'avait été qu'un mirage, pourtant il avait laissé de nombreuses interrogations dans nos deux esprits. Je sens que ses mouvements sont plus hésitants que précédemment, je sens qu'elle est plus tendue qu'auparavant, je sais qu'elle est perplexe, mais si seulement elle savait que j'étais dans la même état.
Mes yeux s'agitent, mes pensées également, et la pénombre dans laquelle nous sommes plongées n'est pas une aide : elle devient le théâtre de mes angoisses avec un réalisme étonnant. Jamais je n'avais apprécié l'ombre, cette dernière reflétait sans cesse ce que l'on essayait de cacher dans les recoins de nos esprits. Je crois d'ailleurs discerner des formes et des mouvements étranges.
- Ça va ? me murmure-t-elle, sentant probablement mon trouble.
Une nouvelle fois, je ne réponds pas et elle n'insiste pas. Elle songe probablement que c'est à cause de ma blessure que je suis dans cet état et, même moi, je ne vois pas d'autres explications que la fièvre.
Au moment où elle termine, elle passe ses mains dans mes cheveux pour les ramener en arrière, puis s'approche et dépose un baiser sur ma tempe dégagée.
À ce geste, je me retourne vers elle, oubliant idées noires et angoisses pour que nos regards se croisent. Nous étions proches, nos visages se touchaient presque, nos souffles se mélangeaient et je pouvais voir tous les détails de ses iris. Toutes ces teintes de marron que l'on ne voyait pas lorsqu'on se trouvait trop loin d'elle, j'avais la chance de pouvoir les observer. Ses yeux étaient remplis d'interrogations et d'inquiétude, les miens brillaient à cause de larmes dont je n'avais même pas pris conscience de la présence.
Alors que je pensais qu'elle allait dire quelque chose, elle ne pose aucune des questions qui devait occuper son esprit. Elle ne le fait pas non plus lorsque je me laisse tomber dans ses bras : elle se contente de les ouvrir pour accueillir mon corps épuisé. J'étais désormais blottie contre elle, nos corps collés et ma tête contre la sienne, dans cette position je pouvais fermer les yeux sans craindre ce que j'y verrais. La voix n'était plus et les mirages disparaissent tandis qu'elle me murmure une chanson que je ne connaissais pas, mais qui ressemblait à une berceuse.
Je ne sais pas combien de temps nous sommes restées dans cette position. Celui-ci n'a de toutes manières plus de sens à une époque où les horloges et montres qui le régulaient ne fonctionnent plus. Nous sommes la journée ou la nuit, l'aube ou l'aurore, mais rien de plus. Et, plongées dans l'obscurité et le silence comme nous l'étions en cet instant, même ces informations nous échappent. Seule l'absence du bruit de la pluie est un indice, parce qu'il nous indique que nous ne sommes pas encore demain. Mais quelle importance alors qu'elles se ressemblent toutes ?
Cassiopée est finalement celle qui brise le silence. Et je la déteste, parce que j'aurais souhaité que cet instant dure pour toujours.
Cette émotion ne reste cependant pas longtemps. Je ne peux pas éprouver de la colère envers elle alors qu'elle m'écarte avec tant de délicatesse, qu'elle pose sa main contre ma joue pour que nos visages se fassent face, alors qu'elle passe son autre main dans mes cheveux et qu'elle me regarde avec ce sourire qui signifie qu'elle avait une idée derrière la tête. Mais il ne s'agissait pas d'une mauvaise idée qui allait nous conduire dans une galère, notre situation étant déjà assez terrible de toutes manières. Je ne la connaissais presque pas, pourtant ce sourire prenait tout son sens sans que les mots n'aient besoin de se mêler à la conversation.
- Tu ressembles vraiment à rien, pouffe-t-elle finalement, allez, fais moi dos.
Je hausse les sourcils, mais je n'ajoute rien. Elle ne m'en laisse de toutes manières pas le temps puisque ses mains, désormais posées sur mes épaules, me forcent à changer de position : je lui tourne désormais le dos comme elle le souhaitait.
Mes lèvres restent closes, je n'avais pas la force de protester, de m'indigner, encore moins de poser des questions, et son sourire était suffisant pour que je lui fasse confiance sur la suite des évènements.
Quelques secondes après, je sens ses mains dans mes cheveux. Elle essaye de démêler mes mèches blondes comme elle le peut, mais ce n'est pas une tâche facile. Ces dernières sont sales, elles se collent à cause de la poussière et de la sueur ; à quand remonte la dernière douche ? En omettant la noyade, je ne m'en souviens même plus. Il s'agit de toutes manières d'un luxe que nous ne pouvons plus nous permettre, même les baignades dans les lacs sont devenues dangereuses - et encore, c'est dans le cas où nous parvenons à en trouver, ces derniers se faisant de plus en plus rares. Tous on déborder, tous nous emportent à cause des forts courants, tous abritent des dangers nombreux.
À force de persévérance, la brune parvient à démêler mes cheveux. Sans peigne et avec seulement ses doigts, elle s'en sort plutôt bien. Je me concentre sur cette nouvelle sensation : ses mains qui tressent mes cheveux avec soin. Cassiopée m'avait fait deux tresses qui retombent sur mes épaules, ces dernières terminées en étant nouées sur elles-mêmes parce que nous n'avions pas de chouchous.
- Et voilà princesse, me dit-elle lorsqu'elle est satisfaite. J'entends son sourire dans son ton, encore plus lorsqu'elle murmure quelques mots de plus dans mon oreille : c'est dommage qu'il n'y ait pas de miroir pour que tu puisses voir à quel point tu es belle en cet instant.
Je ne pouvais pas me voir parce qu'il n'y avait pas de lumière ou de surface pour refléter mon visage, mais j'étais certaine que ces tresses étaient parfaites : je croyais pleinement aux propos avancés par la brune.
En cet instant, j'avais l'impression d'être quelques mois en arrière, lorsque la vie avait encore un semblant de normalité. Nous ne sommes rien de plus que deux adolescentes à peine entrées dans la vie adulte, rien de plus que deux amies à une soirée.
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