Chapitre 4 - Hugo
Je me détourne sous la légère pression exercée sur mon épaule. Je me secoue légèrement, grogne et soupir de contentement lorsque l'effleurement cesse. Satisfaction qui s'échappe rapidement lorsque celui-ci se fait plus fort et plus insistant.
— Hé, la belle au bois dormant.
J'esquive le contact, grommèle plus fort, et incline mon corps à l'opposé.
Le bruit de ma carcasse s'écrasant contre le sol résonne à mes oreilles. Mes paupières s'ouvrent sans sommation, clignent sous la luminosité, et un "Aïe" retentissant quitte mes lèvres, attirant l'attention des derniers passagers qui n'avaient pas remarqué ma chute.
Je jette un regard noir au transat responsable de mon malheur, puis à serveur tatoué – à défaut de nom, ce surnom lui convient parfaitement –, incapable de retenir l'immense sourire qui étire ses lèvres. Mauvaise idée. Cela ne fait qu'accentuer son hilarité. Un éclat de rire quitte sa bouche.
Putain, la honte !
— Excuse-moi de t'avoir réveillé, mais je crois qu'il était temps de le faire.
Bordel de merde ! Non, pitié, non !
Ma nuit a été agitée. Mon corps s'habitue à être sur le paquebot et n'est plus secoué par le mal de mer. Seulement, ma conscience n'était pas prête aux images qu'elle a vu hier, et mon corps m'a trahi durant mon sommeil. Les rêves ont peuplé ma nuit. Un corps musclé, une peau tatouée, des fossettes. Les images se sont enchainées, d'abord innocentes, puis de plus en plus salaces. Et je me suis réveillé – plusieurs fois -, avec une érection, comme un ado prépubère.
Pitié, pas de tente dans le bermuda ! Pas de tente dans le bermuda !
Mon regard se porte instinctivement vers mon bas ventre, et je ne peux qu'être satisfait lorsque je constate que non, je n'ai pas de tente dans mon bermuda. Merci, la situation est bien assez gênante comme cela.
— Mon mignon, s'exclame Jérémy qui vient de se poster aux côtés du second serveur, si tu as besoin d'aide pour étaler la crème, toute sorte de crème, dit-il avec un haussement de sourcil suggestif, n'hésite pas à faire appel à moi !
Jérémy repart aussi vite qu'il est arrivé. Heureusement, puisque je ne suis pas certain d'être capable de le regarder dans les yeux. Pas maintenant que je l'ai vu nu, sa queue au fond de la gorge d'un autre.
— Pourquoi j'aurai besoin de crème ?
Je constate que mon murmure n'est pas aussi discret que je le pensais lorsque serveur tatoué désigne mon torse d'un mouvement de main. Je baisse la tête dans cette direction, toujours assis sur le sol, et constate que ma peau a rougie. Enormément rougie, sauf à un endroit. De magnifiques traces de main se dessinent sur mes pectoraux.
Bordel ! Il a fallut que je m'endorme, les mains posées sur le torse.
Mains qui sont, bien entendu, aussi rouges que le reste de mon corps. Je vais douiller, je le sais. Je sens déjà ma peau tiraillée et chauffée. Je vais ressembler à une glace vannille / fraise. Un vrai pile ou face.
— Petite écrevisse sonne mieux que belle au bois dormant, finalement.
Il m'adresse un clin d'œil, sourire amusé aux lèvres, avant de se diriger vers une table qui le hèle. J'incline ma tête vers le sol, empoigne mes cheveux entre les doigts pour tirer dessus et soupir fortement.
*
— Aïe !
Une grimace déforme mes traits alors que j'étale de la crème sur mes rougeurs. Je tente d'être le plus délicat possible, mais malgré mes efforts, je sens le tiraillement provoqué par la brûlure. Ma peau surchauffe au contact de la crème. J'ai la sensation d'être une bouillotte sur pattes.
— Bordel, grogné-je. Et je vais faire quoi, maintenant, si je ne peux même plus m'allonger au soleil ?
— Depuis quand tu parles tout seul ?
— Si c'est pour te moquer, tu peux repartir d'où tu viens.
Je termine d'étaler l'après-soleil sur mes épaules, referme le pot, puis quitte la petite salle d'eau pour me trouver face à Basile. Il ne lui faut pas longtemps pour exploser de rire.
— Rigole, rigole. Ça fait mal, petit con !
— Pardon, place-t-il entre deux éclats de rire. Avoue que la situation est quand même drôle. Je t'entends encore me sermonner les oreilles : j'espère que t'as mis de la crème solaire. Sinon tu vas geindre alors que tu ressembleras à une écrevisse.
— Ton imitation est nulle ! Et ce n'est pas tout à fait ce que j'ai dit.
Bougon et vexé, je me laisse tomber de tout mon poids sur le lit. Ma peau entre en contact avec les draps. Mon ventre avale l'impact et...
— Bordel ! Ça fait un mal de chien.
— La prochaine fois écoute ton propre conseil et mets de la crème.
En réponse, Basile reçoit un oreiller en plein visage. Le mouvement m'arrache une nouvelle grimace.
— C'est de ta faute.
— Ma faute ?
— Si tu ne m'avais pas laissé dormir en plein cagnard, ça ne serait pas arrivé. Et d'où tu viens, d'ailleurs ?
Un silence suit ma question. Surpris pas cette absence de réponse, je relève la tête. Le sourire en coin de Basile ne m'annonce rien de bon. Qu'est-ce qu'il est encore aller inventer ?
— Je suis allé découvrir le bateau.
— Tu ne l'avais pas déjà fait hier ?
— Non, pas vraiment.
— Et alors, comment on va pouvoir s'occuper pendant un mois ?
Je veux bien profiter du soleil, de la piscine et des transats, mais passer un mois entier à ne faire que ça ne m'enchante pas. Des escapades sont prévues, mais la première n'a pas lieu avant jeudi. Jeudi. Et nous sommes dimanche. Il reste plusieurs jours à tuer avant de poser les pieds sur le sable.
— Si t'étais venu avec moi, tu le saurais. Et tu ne ressemblerais pas à un homard, termine-t-il avec un sourire moqueur.
Je me tourne pour me retrouver sur le dos. Une moue étire mes traits au contact du drap humide de crème. Je déteste cette sensation de peau qui colle.
— Allez, je file à la douche me préparer, et après ce sera ton tour. On a un truc de prévu ce soir.
— Qu'est-ce que t'as fait ? demandé-je en prenant appui sur mes coudes.
— Je nous ai inscrit à un speed-dating.
— Tu as quoi ?
— Speed-dating, articule-t-il de façon exagérée. Ce soir. Sur le pont principal.
Il m'adresse un clin d'œil avant de s'enfermer dans la salle d'eau. Je suis incapable de détacher mon regard de la porte. Il a quoi ?
Bordel, je vais le tuer !
*
— Ton cul est tellement beau que c'est une honte que tu doives t'assoir dessus.
Cette phrase stoppe ma lancée. Une main sur le dossier de la chaise, les jambes à demi pliées dans le but évident de s'asseoir, je tiens une position bizarre, tandis que mon regard détaille le participant qui me fait face.
Les cheveux grisonnants, des pattes d'oie au coin des yeux, quelques rides étirent ses traits. Il a tout du dandy anglais chic... Tout, sauf la drague fine.
Mes cuisses me rappellent à l'ordre, ne supportant plus la pression qui leur est exercée. Je me redresse, prêt à quitter la table, mais l'organisateur du speed-dating me fait un signe négatif de la tête. Le temps n'est pas écoulé.
— Beau et confortable, baragouiné-je en m'asseyant.
— Est-ce une invitation pour l'essayer ?
Oh mon dieu !
Dépité, je laisse ma tête tomber contre la table.
— Non, craché-je, le front toujours collé contre le bois.
Est-il possible de rester dans cette position pendant les dix prochaines minutes ? Et tant pis si j'attrape un torticolis.
— Fatigué ? demande mon interlocuteur, tandis que ses doigts commencent à glisser le long de mon cou.
Je me redresse vivement. Si vite que la tête me tourne, mais au moins Samuel – selon l'étiquette collée sur son polo – a retiré ses doigts de mon épiderme.
Je cherche Basile du regard et tombe sur lui, trois tables plus loin. Vivement que j'atteigne la sienne. Il va me payer cette inscription.
— Je suis Samuel, commence mon cavalier pour les prochaines minutes, dans le but d'attirer mon attention.
— Je sais.
— T'ais-je déjà tapé dans l'œil au point que tu te renseignes avant même de m'atteindre ?
— C'est écrit sur ton tee-shirt.
Abruti, ai-je envie d'ajouter, mais je m'abstiens. Je ne suis pas là pour me faire des ennemis. Basile exception faite.
Mon air renfrogné ne perturbe pas mon interlocuteur qui ne cesse de glisser des phrases de dragues lourdes tout au long de la conversation. Je réponds par de simples signes de tête, "hum-hum" ou le strict minimum de mots lorsque je ne peux pas faire autrement.
Lorsque la petite alarme sonne la fin des dix minutes, je me lève avec précipitation, faisant presque basculer ma chaise. Elles m'ont paru interminables.
Je passe à la table suivante et, si le précédent a ouvert la bouche avant même que je ne m'assois, le prochain est d'une timidité maladive. Il a les joues cramoisies, la tête baissée et ses mains triturent son tee-shirt. Si je ne suis pas imbu de ma personne, ni même assuré, je suis loin d'avoir le manque de confiance qui sort par tous les pores de sa peau.
— Salut, dis-je en prenant place.
— Bonjour.
Sa voix est à peine un murmure, difficile à cerner au milieu du brouhaha ambiant. Le silence s'installe entre nous, gênant. Jusqu'à présent, je n'ai lancé aucune des conversations. Non par snobisme, mais parce que je n'ai aucune envie de participer à ce speed-dating. Comme je n'avais pas spécialement envie de participer à cette croisière. Seulement, passer dix minutes dans un silence complet, à détourner le regard, n'est pas très folichon.
— Je ne sais pas comment entamer la conversation.
— Pardon. Je sais que je suis ennuyant.
— Waouh, non ! Ce n'est pas ce que je voulais dire.
Son malaise est palpable. Le mouvement de ses doigts accélèrent sur le tissu de son vêtement au point que, à ce rythme, je me demande s'il ne vas pas y faire un trou.
— Hey, du calme.
Je m'empare de la bouteille d'eau mise à disposition sur la table et lui en serre un verre. Je le fais glisser jusqu'à lui et lui adresse un fin sourire rassurant lorsque son regard croise le mien avant qu'il ne s'empare et n'avale d'une traite la boisson.
— Je trouve simplement difficile de commencer une conversation quand on a jamais entendu parler de la personne qui se tient face à nous. Je suis là que parce qu'on m'y a forcé, continué-je en désignant d'un signe de tête Basile.
— Toi aussi ? Si Sarah, ma meilleure amie, ne m'avais pas fait cette surprise, je n'aurai jamais mit les pieds sur ce bateau. Et mère poule comme elle est, elle m'a mit son frère dans les pattes, c'est à cause de lui que je suis assis à cette table.
Sa situation est similaire à la mienne, et cela m'arrache un éclat de rire. Il interprète de travers mon hilarité, puisque son visage se referme immédiatement. A l'autre bout de la salle, je croise des pupilles sombres. Le regard noir dont je suis victime, et celui protecteur porté sur mon interlocuteur me laisse penser que le propriétaire de ses yeux n'est autre que le frère de la meilleure amie.
— Ne crois pas que je me moque de toi. Ta situation est similaire à la mienne.
Nous reprenons notre conversation et, même s'il n'y a aucune attirance autre qu'amicale entre nous, je suis déçu que les minutes accordées soient déjà terminées.
La conversation avec ce nouvel étranger n'est pas aussi fluide et légère que celle avec Maël, mon précédent interlocuteur, mais reste plus agréable que celle avec Samuel. Les dix minutes s'écoulent et, enfin, je prends place face à Basile.
— J'ai tellement envie de t'étrangler.
— Tu dis ça, mais tu t'ennuierais sans moi.
— Le plus grave là-dedans, c'est que t'as raison.
Il m'adresse un sourire ravi. Durant ces dix minutes, il me parle des autres activités proposées durant la croisière. Des activités auxquelles j'aurai préféré participer plutôt que celle-ci, et Basile le sait parfaitement.
— Faut que tu te remettes en selle, mon beau. Je ne te dis pas de rencontrer l'amour ici, mais au moins d'essayer d'arrêter de penser à lui.
— Je ne pense plus à lui.
— A d'autres. Je te connais, et c'est normal que tu penses encore à lui. On oublie pas cinq ans de relation comme ça, mais cesse de te fermer comme une huitre.
— Je ne suis pas fermé comme une huitre.
— Oh si ! Putain, on dirait un ours qui attend d'hiberner tellement tu respires la bonne humeur.
Je retiens difficilement un grognement.
— Pour être certain que tu comprennes bien, la fin de ma phrase est ironique.
— Ta gentillesse te perdras, baragouiné-je, irrité par ses propos.
Je quitte Basile à la fin du temps imparti. Allez, courage. Encore trois tables et ce sera terminé. J'enchaine les deux suivantes. Le premier est le stéréotype du surfeur. A se demander ce qu'il fait sur un bateau plutôt que sur une planche. Quant au second, je trouve ça dommage qu'il fasse parti des candidats qui restent à leur table, au même titre que Samuel. Je suis certain que ces deux là se seraient bien entendu, avec leurs phrases toutes faites.
Je souffle avant de m'asseoir sur la dernière chaise. Une dernière fois et ce sera terminé.
— C'est quoi ta position sexuelle préférée ?
Bordel ! La pire entrée en matière depuis le début de cette mascarade. Samuel et sa drague lourde me manquerait presque.
Je le dévisage, cherchant une trace d'humour, mais rien. Son regard se plante dans le mien. Son visage fixe, ses traits concentrés ne montrent aucune trace de comédie. Il semble sérieux. Ces dix dernières minutes vont êtres longues. Très longues.
— Personnellement, je n'ai pas de préférence, reprend-il en penchant son corps en avant.
Son torse frôle la table qui instaure une distance entre nous. Sa langue s'échappe pour glisser le long de sa lèvre supérieure, à l'instant où il laisse échapper un discret râle.
— Ce que j'aime, c'est le voyeurisme et l'exhibe. J'adore mater des mecs qui s'envoient en l'air, tout comme j'aime qu'on me regarde quand je me prends une queue bien profond. Que ce soit dans le cul, ou dans la gorge.
Bordel de merde !
Je me relève si vivement que ma chaise bascule derrière moi. Le bruit résonne dans le bar, faisant cesser toutes conversations. L'attention se tourne dans notre direction, tandis que je bafouille une excuse pour m'échapper. La personne chargée de la gestion du speed-dating me rejoint en deux enjambées et, avant même qu'il n'ouvre la bouche, je l'invective.
— Je ne retournerai pas m'asseoir ! Hors de question !
Je m'échappe jusqu'au bar avant qu'il ne réplique, abandonnant sans remords ce dernier partenaire.
Mon dieu, mais qu'est-ce que c'est que ce bateau et ses passagers ?
Heureusement pour moi, ou pour lui, l'employé ne vient pas me chercher. J'ai même la satisfaction de le voir pousser vers la sortie celui que je viens de laisser tomber, avant qu'il ne m'adresse un léger sourire d'excuse.
Dépité, je m'assois sur l'un des tabourets haut du bar. Les mains moites, je les frottent sur mon short, ce qui m'arrache une grimace. Un instant, j'ai oublié mes coups de soleil, mais cette simple pression me rappelle à l'ordre.
— Bonjour, petite écrevisse.
Mes yeux se lèvent dans la direction de celui qui vient de prononcer ce surnom. Je croise ses yeux sombres, dévie sur ses fossettes, descend le long de ses épaules couvertes. Pour une fois, il arbore un polo et la fine plaquette sur son pectoral droit me permet de connaître le prénom de celui m'a fait fantasmer toute la nuit.
Andrea.
*
Bonjour !
Un court message à votre attention, simplement pour vous dire que je suis désolée d'avoir annoncé le chapitre 4, sans que celui-ci n'apparaisse et cette pause de deux mois imprévues. J'ai simplement eu des imprévus, et totalement foiré mon planning des dernières semaines. La situation devrait - normalement - être arrangée, et les prochains chapitres plus réguliers.
Helyne
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