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ÉPILOGUE



Le ciel était d'un bleu limpide au-dessus de Pompéi. Le soleil, inaltérable, laissait couler sur les murs poussiéreux des maisons les gouttes translucides de sa chaleur. Les arbres aux troncs veineux pliaient doucement sous la morsure de sa brûlure, assoiffés de fraîcheur. La nuit ne suffisait pas, le souffle restait sec, terrible.

Pas un nuage dans le ciel pour déployer sur les pavés brûlés une flaque d'ombre. De la poussière, partout, soulevée par le vent léger et tout aussi chaud. La ville, silencieuse, gigantesque, encore dans le manteau sombre de la catastrophe.

Le Vésuve, triomphant, la surplombait. Ses pans n'étaient plus verts et luxuriants. Son corps énorme restait lui aussi étouffé par une poussière noire et grise, poussière qui était sortie de sa bouche, poussière qu'il avait toussé pendant des heures, et qui restait là à présent, étalée, intacte, immobile. Souvenir de la tragédie.

Les bruits de la ville résonnaient encore malgré tout, fantomatiques. Entre ses rues désertes, le mirage du soleil faisait apparaître un groupe de gamins jouant à l'osselet sur le trottoir. Un chien semblait passer entre les dalles du forum, la langue pendante, cherchant désespérément une fontaine pour désaltérer son corps rachitique. Là, deux femmes riaient, un panier pendu à leur bras. Le marché semblait encore s'étaler devant elles, ses échoppes colorées, ses fruits et légumes odorants, les cris des marchands. Tout au fond encore, là où la rue s'échappe vers le nord, on pouvait entendre le bruit d'une charrette, ses roues de bois frappant les pavés ronds.

Partout dans les maisons pourtant silencieuses, terriblement silencieuses, résonnaient des voix, chantantes, frémissantes, larmoyantes, dures, légères, enfantines, vieilles. Sur les murs, malgré les éboulements, malgré la terre retournée, calcinée, étouffée, on percevait toujours la couleur inégale d'une grande peinture, Vénus assise dans une coquille d'huître, le fond bleu de la mer et le rose de sa peau. Une mosaïque sur le pas d'une porte, un chien montrant les crocs « Cave Canem ». Une statue au bras cassé, abandonnée là entre les halles du marché, fixait sans vie des dizaines d'amphores ayant roulé par terre.

Corps retournés, immobiles, prostrés, effrayés, surpris, intacts.

Morts.

*

Et pourtant, la vie. Toujours. À jamais.

Malgré le regard sombre du Vésuve, malgré la poussière, la dureté du soleil. Malgré les pierres éclatées sur le sol, les pans de murs brisés, les couleurs effacées. Malgré les montagnes de poussière, la toxicité d'un gaz trop vite inhalé. Malgré l'oubli, le passage lent du temps. Malgré la fuite paniquée, et l'espoir vain de survivre, le corps plié, la main sur la bouche, ne pas respirer, ne pas respirer, fermer les yeux et patienter, une bulle d'air se créera entre moi et le monde, une bulle d'air me sauvera. Quelqu'un plongera ses mains dans la terre molle, quelqu'un entendra le battement de mon coeur, quelqu'un tirera mes bras, vers le ciel, vers la vie. J'ai encore tant à voir, tant à aimer, j'ai encore tant d'années pour fouler la terre, mourir maintenant est impossible, c'est pour les autres mais pas pour moi, j'aime trop le bruit des vagues, le murmure de la poésie, j'aime tant la peau des gens, les sourires des enfants, j'aime trop rire, j'aime trop apprendre, courir les rues, j'aime trop la musique les soirs de fêtes, j'aime trop la lumière des étoiles reflétées par les regards, j'aime j'aime j'aime, non, mourir n'est pas pour moi.

*

Louis tousse.

Le corps légèrement plié en avant, à cause de la poussière que le vent soulève. Il cligne des paupières, lève le poignet pour s'essuyer le front. Il fait chaud, une chaleur écrasante, qui brûle son épiderme. Il est allongé par terre, le nez dans l'odeur grasse d'une herbe étonnamment verte. Il ne se souvient plus de ce qu'il fait là. Il se redresse, lentement, ses coudes pliés lui font mal, son cou est douloureux. Il a l'impression d'être resté là pendant des heures. Autour de lui il n'y a personne. Il se relève plus vite, s'assoit en tailleur, tourne la tête à droite à gauche, souffle « Az ? », mais le silence seul lui répond. Est-ce qu'il s'est endormi ? Sûrement. Il se souvient de leurs corps emmêlés l'un dans l'autre, de la chaleur du souffle de son amoureux dans son cou, il se souvient lui avoir pris la main pour caresser ses doigts — il aime vraiment beaucoup ses doigts — mais ils ne devaient pas dormir normalement, c'était juste comme ça, pour délasser un instant leurs membres éreintés.

Louis se met debout. Il s'étire, se frotte encore les yeux. Son regard glisse lentement sur la forme du Vésuve, au loin. Le volcan lui fait peur malgré le silence. Une peur qu'il ne se remette à cracher, d'un seul coup, une peur de la poussière qui pourrait se déverser à nouveau. Sur lui.

— Az ?

Son cri se perd dans le souffle du vent, pourtant si léger, presque invisible.

Il fronce les sourcils. Où est-il passé ? Il quitte le couvert agréable des arbres, ses yeux retrouvent la dureté des pierres. Il avance jusqu'à l'amphithéâtre, appelle encore. Le silence lui répond, devient oppressant. Pourquoi n'y a t-il plus personne ? Pourquoi l'air semble t-il à ce point vicié ? Pourquoi, partout, la ville semble t-elle si intimidante ?

— Y a quelqu'un ?

Il pénètre à l'intérieur de l'amphithéâtre. Le couloir est sombre. Il fait plus frais qu'à l'extérieur. Il sent sa peau frissonner légèrement, son coeur se serrer, c'est à cause du silence et de l'obscurité, après l'éclat du soleil et du ciel bleu, une sorte de mélancolie étrange s'empare de lui.

Un bruit résonne dans le fond. Il tourne la tête. La lumière extérieure filtre difficilement, mais il aperçoit une ombre mouvante. Il s'approche, les yeux écarquillés comme pour mieux distinguer où il met les pieds.

— Az ?

C'est lui. Il se retourne en sursautant. Son visage s'éclaire d'un sourire. Louis s'avance encore :

— Pourquoi tu me répondais pas ?

— J'avais pas entendu. Je croyais que tu dormais encore, je suis juste venu faire un petit tour ici.

Louis fixe son regard sur ce qu'observait Harry. Une grande photographie des fouilles. L'amphithéâtre mis à nu, son corps désossé, toute la ville autour, encore cachée par la terre l'ayant recouverte pendant des centaines d'années.

— Il y a pleins de photos comme ça, murmure Harry. Et de l'autre côté, il y a une exposition sur Pink Floyd. Tu savais qu'ils étaient venus faire un concert ici ?

— Ah ? Non.

Louis prend la main d'Harry dans le noir. Il pose sa tête contre son épaule.

Harry se retourne, le fixe avec un air légèrement inquiet :

—Ça va ?

—Je ne sais pas... Je crois... J'ai fait un rêve étrange. Mais je ne m'en souviens plus vraiment. Juste... C'était comme si la ville vivait encore.

— Toutes ces ruines te montent à la tête, rit Harry en lui caressant tendrement la joue.

Louis hausse les épaules.

— Sûrement... Mais c'est si bien conservé, j'ai l'impression que l'on peut croiser un Pompéien à chaque coin de rue.

— J'avoue que c'est impressionnant.

Leurs voix se font plus légères. Louis retrouve dans la chaleur de la main d'Harry le monde qu'il connaît. C'est étrange, ce sentiment qu'il a eu, d'avoir été comme dédoublé de son propre corps. Une impression d'avoir vieilli énormément en quelques secondes. Et d'avoir connu ce monde, d'avoir été là quand le Vésuve... Il frissonne. Sa gorge se serre.

Harry ne remarque pas son trouble, ils ressortent de l'amphithéâtre. L'air n'est plus aussi lourd. Louis s'étire à nouveau, se force à respirer lentement. Il fixe le ciel, si bleu, si bleu. Bleu depuis le début de leur voyage, bleu depuis le ronflement du train, leurs cuisses collées au cuir des sièges, serrés entre un groupe d'Italiens et leurs éclats de voix, musicaux et lumineux. Bleu depuis Rome, les étalages de fruits gorgés de soleil, les petites rues pavées, minuscules, les linges multicolores pendus aux fenêtres, l'incessant ballet des voitures, le bruit des Klaxons — devenu assourdissant à Naples — les musées, le Vatican et son dôme rutilant, les vendeurs à la sauvette leur tendant des paquets de cartes postales, le goût sucré des tomates, la pâte de la pizza, croquante et gonflée, les lacets de la route vers le Sud, toujours le Sud, la mer infinie et ses reflets solaires, les boucles brunes d'Harry, frisottantes à cause de la transpiration, juste sous sa nuque, leurs baisers lents sous la toile de la tente, leurs muscles trop fatigués pour bouger, mais l'amour quand même, peut-être meilleur que jamais, leurs regards fixes, leurs rires, une soirée à danser sur Paris Latino, les hanches d'Harry dans son short en jean, ses Converse et son débardeur trop large, le pschit glacé du Perrier sur la langue, le citron acheté sur le bord de la route, les maisons construites le long des roches, blanches et multicolores, les bateaux longeant la baie, Harry courant sur une route déserte en agitant les bras et en criant « Louis, marions-nous ! », une après-midi à dormir dans un hamac, épuisé de chaleur et de bain de mer, un livre posé sur le front, tombé là dans le mouvement glissant du poignet, encore l'amour, le filet d'eau de la douche glissant entre les cuisses, la bouche d'Harry s'écoulant partout, sur lui, sa peau qui tremble, un autre bus, Naples, folle et bruyante, un mariage à l'église et les fusées lancées en l'honneur des mariés raisonnant dans la baie, c'est jour de fête, les gens rient forts, le minuscule train jusqu'à Pompéi, ville articulée autour des ruines, un Carrefour ouvert 24/24H et Harry achetant dix barres de Kinder Bueno « parce qu'ils sont pas chers », le goût de l'Esta Tea sur la langue, le goût de l'Esta Tea collant la peau d'Harry, en pleine nuit, leurs respirations étouffés dans le drap fin recouvrant leurs peaux brunes, puis le matin qui se lève, la douceur de l'aube, la douche ouverte sur le ciel, et enfin Pompéi, ses murs mangés par les siècles, et pourtant toujours debout, l'ombre des fantômes courant entre ses pierres, les maisons ouvertes, les mosaïques blanches, ses rues comme des veines vidées de sang, une journée entière à arpenter le sable de son corps, à lever les yeux vers le Vésuve et à se dire « ça a eu lieu, un jour, ça a eu lieu, la terreur, la fin du monde, la mort, partout ».

Louis serre plus fort la main d'Harry dans la sienne. Ils s'arrêtent pour boire à une fontaine. Ils ont presque fait le tour de la ville, il ne reste plus que que la Villa des Mystères à visiter, c'est son nom sur le papier glacé qu'on leur a distribué à l'entrée.

— Il paraît qu'il y a une reconstitution d'une pièce de théâtre, c'est pour ça que les rues se sont beaucoup vidées, explique Harry en s'arrosant abondamment.

Louis observe les gerbes d'eau imprégner le tissu de son débardeur, et dévoiler les contours de sa peau. Il l'a connaît par coeur cette peau, son grain, son odeur, sa texture. Il sourit. Harry repousse les boucles de ses cheveux, grogne :

— J'aurais du les couper avant de venir.

— Ils ne sont pas encore très long, objecte Louis.

— Justement, je peux même pas les attacher.

— Alors remets ton bandana.

— Je l'ai laissé à la tente.

— C'est malin.

Harry lui tire la langue, puis baisse sa tête pour la plonger entièrement sous l'eau. Louis se met à rire quand il se relève et se secoue comme un chien.

Ils descendent la route. Leurs yeux ne peuvent pas tout retenir, et pourtant ils aimeraient. Louis se demande qui habitait là avant, qui était cette Julia Felix dont le jardin semblait si beau, à qui appartenait cette maison aux ouvertures minuscules, quels amours avaient lieu entre les murs blancs du seul lupanar retrouvé par les archéologues. Ils s'arrêtent partout, posent leurs mains sur les pierres, se regardent sans rien dire, solennels sans le vouloir. Ils ont l'impression de se reconnaître partout, ils ont l'impression d'avoir déjà touché les peintures sur les murs, d'avoir foulé les trottoirs de la ville. Ils ne le disent pas mais Louis sait que Harry ressent la même chose que lui, il le voit dans la façon dont sa bouche tremble légèrement lorsqu'ils pénètrent dans une demeure.

Dans les rues, ils ne sont plus seuls. Les touristes lèvent les yeux vers les toits rares, plissent les paupières pour tenter de comprendre un graffiti laissé sur un mur, rient en découvrant un pénis sculptés dans une pierre du trottoir. Le guide leur explique que cela servait sûrement à trouver le chemin des lupanars. Louis trouve ça amusant, il le prend en photo. Ils s'arrêtent encore devant le four d'une boulangerie, passent la tête dedans et crient n'importe quoi pour entendre l'écho de leur voix. Leur prospectus leur apprend qu'il s'agit de la boulangerie de Proculus. Harry dit :

— Son nom est marrant en tout cas.

Et ils restent là, à imaginer l'odeur du pain chaud sortant du four, la foule pressée devant la devanture, commandant son pain et ses galettes.

Ils quittent le lieu doucement, sortent de la ville. La route vers la Villa des Mystères est bordée par des autels, cimetière à ciel ouvert. Il y a aussi d'autres maisons, assez riches, mais ils ne s'attardent pas.

— Je me demande si la chaleur était aussi accablante le jour de la catastrophe, souffle Louis en lâchant la main d'Harry, sa paume étant trempée de sueur.

Il l'essuie sur le tissu de son short. Harry lui sourit, et passe son bras autour de ses épaules à la place.

— Je suppose que si... C'était en été je crois... Tu es sûr qu'on est pas perdus ? Il n'y a plus personne.

Louis s'arrête, déplie rapidement le plan.

— Non, c'est ça. Il faut continuer, il y a un petit chemin vers la droite apparemment.

Ce n'est pas un chemin, mais des marches descendant vers la villa. Ils s'arrêtent avant d'arriver au bout, contemplent un instant les ruines de ce qui devait être une somptueuse demeure. Malgré tout, Louis reste ébahi de constater qu'elle est magnifiquement bien conservée. Le toit est presque complet, et même si les couleurs des murs se sont un peu effacés, il peut deviner qu'elle était rouge, au temps de sa splendeur.

Harry reprend sa main dans la sienne, ignorant la peau transpirante de Louis, et l'entraîne avec lui. Louis ne dit rien, sentant les doigts d'Harry trembler légèrement contre sa paume. Il met ça sur le compte de l'émotion, mais lorsqu'ils arrivent en bas, à quelques pas de l'entrée de la maison, il lit sur le visage de son petit-ami un bouleversement dépassant un simple saisissement.

— Az ? Ça va ?

Harry sursaute légèrement, tournant le visage vers Louis. Ses joues sont plus blanches qu'auparavant. Il passe une main sur son front, cligne des paupières.

— Oui... Je ne sais pas... J'ai eu un vertige. C'était, étrange.

— Tu veux t'asseoir ?

— Non. On rentre ? Il faut qu'on rentre. Je crois.

Louis acquiesce.

Ils entrent.

La maison est silencieuse, plongée dans une douce obscurité rendant l'air moins étouffant qu'au dehors. Ils ne se lâchent pas la main, n'osent pas parler. Ils observeraient le même silence à l'intérieur d'un temple.

Et pourtant, ce n'est qu'une villa délabrée. Les fresques sur les murs ont pris une couleur délavées, certaines mosaïques au sol ont disparu. Il n'y a plus d'eau dans les bassins, plus personne pour animer les lieux.

Louis et Harry y marchent comme des fantômes, serpentent le long des couloirs, s'arrêtent à une fenêtre, pénètrent dans ce qui devait être la pièce de vie principale.

— C'est magnifique, souffle Louis.

Harry acquiesce. Il avance lentement, observant les peintures sur les murs, toutes très colorées. Comme la vie devait être douce dans cette maison. Est-ce que les gens qui y vivaient étaient heureux ? Sont-ils tous morts dans la catastrophe ? Ou ont-ils réussi à rejoindre la mer avant qu'ils ne soient trop tard ? Harry espère que oui.

Quand il se retourne, Louis n'est plus là.

La pièce est vide.

Il n'y a qu'un couloir aux murs rouges, donnant sur le jardin. Harry s'avance. Sur le côté, il y a des chambres. Les portes ont été enlevé, et Harry s'arrête quelques instants pour regarder à l'intérieur. Evidemment, tout est vide et silencieux, mais la dernière pièce est inondée par le soleil filtrant à travers les barreaux entrecroisés de la fenêtre, et le respiration de Harry s'emballe légèrement. C'est si... beau. Et familier à la fois. Il cligne des yeux, et a l'impression, entre ses paupières closes, d'apercevoir l'agencement de la pièce telle qu'elle était il y a des siècles. Un lit bas, un coffre contre le mur droit, un grand bureau sous la fenêtre, envahi par des papiers plus ou moins bien rangés, une tunique traînant sur le sol.

— Ma chambre..., souffle t-il.

— Quoi ?

Il sursaute. Louis est juste derrière lui, et pose doucement sa main sur ses reins. Il entend son pouls battre contre ses tempes, mais la sensation étrange disparaît peu à peu. La pièce redevient vide et nette. 

— Rien... Je. Je me disais que j'aurai adoré que ce soit ma chambre, celle-ci.

Louis jette un coup d'oeil à l'intérieur et sourit.

— Il y a une jolie vue sur le jardin en tout cas... Ces gens devaient être très riches ! Tu viens voir de l'autre côté ? C'est magnifique !

Harry acquiesce, et se laisse entraîner par Louis, une vague impression de malaise flottant dans son estomac. C'est n'importe quoi, évidemment. Il n'est jamais venu ici avant. Il ne connait pas les lieux. Et pourtant... Pourtant c'est comme si ses pieds savaient où ils allaient. C'est comme si, alors même que le prospectus donné à l'accueil ne leur explique pas à quoi servaient les pièces, lui pouvait dire que tel ou tel endroit avait été une cuisine, un bureau, la chambre d'une femme. Peut-être était-ce son imagination. Sûrement même.

Louis ne l'emmène pas dans le jardin, mais il tourne à gauche, empruntant un nouveau couloir. La terre y est un peu gondolée, comme si l'éruption l'avait soulevé. Ils entrent dans une petite pièce. Il y a une fenêtre, qui donne sur ce qui est à présent un parking, et qui auparavant devait être la mer. Le long des murs noirs sont peints des oiseaux dorés qui semblent s'envoler vers l'horizon. La pièce est très belle, et pourtant le ventre de Harry se tord légèrement, et son dos se couvre de frisson. Comme si... Comme s'il avait conscience que cette pièce avait été un lieu angoissant, en 79 après JC. Ridicule.

Il secoue la tête comme pour remettre ses idées en place, et entraîne Louis vers la suite de la visite.

Cette fois, l'endroit est immense.

Il y a une grande ouverture qui donne sur une petite terrasse. Sur les murs s'étale une immense fresque représentant des femmes et le dieu Dionysos, s'adonnant à ce qui a l'air d'être un rituel. Le sol est couvert d'une large mosaïque à carreaux noirs blancs.

Mais surtout.

Au centre de la pièce, deux corps immobiles dorment dans une petite vitrine de verre.

— Les amants de Pompéi..., murmure Louis en s'approchant.

Harry a un mouvement de recul. Son coeur bat bien trop fort. C'est l'émotion, sûrement... Ils ont déjà vu des moulages dans la ville. Celui d'un homme, la tête coincée entre ses genoux, comme pour se protéger d'un éboulement. Celui d'un chien aussi, le corps totalement replié, essayant d'arracher la chaîne qui devait l'empêcher de s'enfuir. Celui d'un enfant, allongé, une expression de douleur sur son visage de plâtre. À chaque fois, les moulages ont donné à Harry l'envie de pleurer. Parce que dans cette ville silencieuse et morte, ils semblent être les témoins directs de la catastrophe. Enfermés pour l'éternité dans la posture qu'ils avaient en mourant. Et c'est terrible. Harry n'est pas sûr de vouloir s'approcher de ces deux nouveaux corps.

Pourtant, il le fait. Parce que Louis est là, une main posée contre la vitre de verre, le visage crispé. Louis est là, et Louis se blottit contre lui lorsqu'il arrive. Harry le sent tremblant, ému d'une façon qu'ils ne s'expliquent pas.

Face à eux, les deux corps sont enlacés, un peu recroquevillés.

Unis.

Et Harry se met à pleurer.

Des larmes silencieuses qui roulent jusque dans son cou et ne s'arrêtent pas. Des larmes entre ses lèvres, qui donnent un goût de sel à sa langue. Des larmes parce qu'il ressent, il ressent tout, la vie qui s'arrête lentement au milieu du grondement du Vésuve, les coeurs qui ralentissent et qu'on cherche vainement à retenir en s'agrippant à l'autre, les bouches qui glissent, qui se cherchent une dernière fois, le souffle qui s'échappe dans un dernier soupir, les paupières qui vacillent et se ferment, les doigts enlacés qui se lâchent en tombant, mais les corps qui restent pourtant, l'un sur l'autre, à jamais, même dans cette boîte de verre, ces deux corps qui semblent dire : peu importe le nombre de catastrophes, peu importe le nombre des gens qui mourront, l'amour est la seule chose capable de traverser les siècles.

Alors, il serre Louis contre lui, fort.

Parce que face à la mort, il ne s'est jamais senti aussi vivant.

*

*

*

Le soleil décline doucement dans la pièce lorsqu'ils se séparent enfin. La lumière orangée éclaire à peine les corps immobiles des amants. Louis laisse une dernière fois traîner son regard sur leurs visages calcinés. Il sourit. Il a l'impression étrange d'avoir compris quelque chose aujourd'hui, quelque chose en lui, de très lointain, de très profond, de lumineux aussi.

Louis se recule, laisse Harry observer à son tour une dernière fois les corps, leur dire au-revoir. Il sait qu'il en a besoin.

Il s'avance vers la petite terrasse. L'air est doux. Il entend le bruit des voitures dans la rue en contrebas, le ronronnement rassurant d'un avion dans le ciel. Il baisse un instant les yeux pour voir se faufiler un chat dans une haie, et son regard s'arrête sur un objet brillant, juste à côté de l'entrée de la pièce. Harry est toujours au centre, une main posée sur la vitrine de verre, le visage serein.

Sans faire de bruit, Louis s'avance vers l'objet brillant et se penche pour l'attraper.

C'est une jolie bague, un peu poussiéreuse, sertie d'une pierre noire en son centre. Le métal est comme polie, et en passant son pouce dessus, Louis se rend compte qu'elle devait certainement être gravée auparavant. Il l'observe un instant, la faisant rouler dans sa paume lorsque Harry sort de la pièce et s'approche.

— Qu'est-ce que tu as trouvé ?

— Une bague, regarde.

Louis la lui tend. Harry hausse un sourcil, passe à son tour ses doigts sur la surface légèrement usée de l'objet.

— Tu crois qu'elle date de l'éruption ?

Les yeux de Louis se mettent à briller, et il laisse échapper un petit rire :

— Bien sûr que non Az, soit réaliste... Les archéologues l'auraient trouvé je pense ! Elle devait être à un touriste.

— Hm... Je peux la garder tu crois ? Elle est jolie.

— Vas-y. Je te l'offre.

Harry la passe à son doigt, tournant légèrement la main pour faire briller la pierre.

— Elle te va très bien murmure Louis.

— Je pourrais la refaire graver...

— Tu veux y mettre nos initiales ?, propose son petit-ami avec un sourire moqueur. 

— Hm... Je pensais plutôt à une phrase dramatiquement poétique disant l'intensité de mon amour pour toi.

— J'ai hâte de voir ça...

Ils se sourient un instant, puis Harry glisse sa main dans celle de Louis et ils quittent la Villa des Mystères, laissant derrière eux ses murs peints, ses mosaïques pâles, son jardin immense, ses pièces enveloppées de silence, ses amoureux enlacés.

Lentement, ils remontent la route menant à la ville. Il est presque vingt heures, ce soir ils iront manger dans une pizzeria face à la mer, le soleil se couchera en illuminant les yeux de Louis, puis ils feront l'amour dans leur minuscule tente, à quelques pas seulement de la vieille ville.


À quelques pas seulement de Pompéi, de ses rues endormies à jamais, de son temps arrêté.


À quelques pas seulement,

De ses deux amants.



FIN.

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