CHAPITRE 6
— Salut !
Louis sourit à Julia qui releva la tête vers lui, le regard morne.
— Louis...
Le jeune homme passa derrière le comptoir. Il avait l'habitude maintenant des regards méprisants de sa patronne, et ce matin il s'en fichait royalement.
Ari était parti au petit matin. Louis se souvenait vaguement de l'avoir entendu se relever. Entre ses yeux entrouverts, il l'avait observé remettre ses vêtements, attiser le feu sous son brasero et déposer sur sa plaque chauffante un petit pain. Puis il avait vite refermé les paupières quand Ari s'était penché vers lui et l'avait embrassé sur le coin de sa bouche. Dès qu'il avait refermé la porte, Louis s'était redressé et avait couru à la fenêtre. En tordant un peu le cou, il avait pu apercevoir Ari qui marchait rapidement dans la rue encore déserte, dans la lumière pâle du petit matin.
Et Louis s'était rendu compte, pour la première fois de sa vie, qu'il était heureux. Ça n'avait été qu'une impression fugace, un instant fugitif où il avait fixé la ligne dorée de l'horizon où commençait à poindre le soleil et où il avait eu l'impression que son coeur débordait des os de sa cage thoracique, qu'il pouvait tout faire, tout accomplir. Il ne s'était jamais senti aussi grand au sein d'un monde qui pourtant le dépassait sans cesse. Il s'était juste senti complet, prêt à déplacer des montagnes, mu par une force nouvelle et éclatante qui s'évapora l'instant d'après mais qui lui laissa un léger tremblement dans les mains, tremblement qui n'avait rien à voir avec la peur mais plutôt avec une fébrilité inconnue et agréable qui lui soufflait qu'à présent, la vie lui sourirait enfin.
C'est pour ça que lorsqu'il pénétra dans sa pièce réservée du lupanar, prêt à s'installer avant l'arrivée d'un premier client, il sentit son coeur dégringoler dans sa poitrine en tombant nez à nez avec Athis, qui l'attendait assise sur le lit.
Athis était la préférée de Julia, parce qu'elle était aussi celle de beaucoup de clients. Louis ne l'aimait pas vraiment. Depuis son arrivée, la jeune femme ne lui inspirait pas confiance. Ce n'était pas qu'elle était méchante, mais Louis avait remarqué qu'elle arrivait à obtenir tout un tas d'informations sur tout le monde, et il préférait rester à distance de ce genres de personnes, attentives aux moindres ragots. Et puis la deuxième raison c'était qu'Athis lui rappelait sa mère. Elle avait le même visage éclairé par deux yeux très noirs, et des cheveux longs qui frisaient près de ses tempes.
Aujourd'hui, c'était la première fois qu'il se retrouvait face à elle, seul à seule, et immédiatement, il comprit que la jeune femme savait quelque chose sur lui. Il la salua en grommelant, analysant rapidement le sourire perfide qui était peint sur ses lèvres roses. Il comprenait que Athis soit adulée par les hommes. Elle était très belle, et si lui-même avait une quelconque attirance pour les femmes il aurait... Enfin non, il s'en fichait de toute façon. Mentalement, il ne put pas s'empêcher de la comparer rapidement à Ari. Ari qui était plus grand, qui avait une peau beaucoup plus douce (il en était certain), et dont les cheveux étaient plus souples et merveilleux quand il s'agissait de les tirer légèrement pendant l'amour. (Oui, Louis avait particulièrement aimé le gémissement d'Ari et le rougissement de ses joues lorsqu'il avait fait ça, tard dans la nuit, et il comptait bien recommencer.)
Assez sèchement, bras croisés sur sa poitrine, il s'adressa à la jeune femme.
— Qu'est-ce que tu veux ?
— Bonjour à toi aussi Louis.
Ah. Voilà encore quelque chose qu'il détestait chez elle. Cette voix mielleuse et légèrement trainante (et absolument insupportable).
— Oui c'est ça, bonjour.
Elle haussa un sourcil, apparemment très amusée par la situation, puis elle s'avança vers lui, touchant légèrement son bras de sa main. Louis ne cilla pas.
— Alors, la soirée a été bonne ?
Dans sa tête, des rouages se mirent lentement en place. Ca n'avait rien d'agréable. Au contraire. Il se sentit blanchir bien malgré lui, retraçant mentalement ce qu'il avait fait avec Ari la veille. Bibliothèque... La rue... Chez lui. Elle n'avait quand même pas pu... ?
— Tu vois de quoi je veux parler, n'est-ce pas ?
Elle eut un petit rire stupide mais mauvais. Bon. Louis avait déjà vécu des situations plus inconfortables, et il ne savait même pas réellement de quoi il était question. Acide, il cracha donc :
— Non. Pas du tout. Sois plus claire s'il-te-plait.
Elle ôta enfin sa main de son bras et se mordilla la lèvre, baissant légèrement la tête. Sa voix se fit moins lente, beaucoup plus froide. Louis eut l'impression qu'il venait de faire craquer une des couches de vernis qui collait à la peau d'Athis, et qu'elle dévoilait enfin une partie d'elle-même. Partie qu'il aurait préféré ignorer, à vrai dire.
— Je t'ai vu dans la rue hier soir, avec ce jeune homme riche.
— Et alors ?
Ne pas avoir l'air inquiet. Rester ferme. Louis était doué pour ça, mais Athis aussi, visiblement.
— Vous vous embrassiez. Sous la pluie. Très romantique d'ailleurs... Et peu conventionnel.
Elle releva les yeux vers lui, et Louis comprit. Il n'allait pas s'en sortir aussi facilement. Bien sûr, il savait qu'avoir une relation avec Ari n'était pas quelque chose d'anodin, dans leur monde régi par les classes sociales. Personne ne dirait jamais rien à Ari si on apprenait qu'il couchait avec lui, qui se prostituait. Mais là, la situation avait été très différente. Louis sentit son sang battre contre ses temps alors qu'il essayait de se remémorer la scène. Ils étaient ensembles... Ari l'avait-il embrassé en premier ? Ou le contraire ? Non. Le contraire. Il se souvenait très bien avoir posé ses lèvres sur celles du jeune homme. Il se souvenait très bien de sa surprise puis de ses mains qui l'avaient enlacé. Il se souvenait très bien de la façon dont Ari l'avait regardé, avec amour. Parce que Ari le regardait toujours avec amour. Il n'aurait pas du l'embrasser en premier, parce que ce n'était pas comme ça que ça devait se passer. Louis n'avait aucun geste à faire envers Ari, qui était riche, citoyen, reconnu. Louis était une poussière sur un chemin et Ari était le soleil, lumineux, incandescent.
Le problème, c'est qu'il avait tendance à l'oublier lorsqu'il était avec lui. Peut-être aussi parce que Louis n'avait jamais été à l'aise avec sa condition. Il détestait se dire qu'il n'était pas l'égal d'un autre être humain. Et Ari le faisait se sentir comme ça : à égalité. Il devait faire plus attention dorénavant, s'il ne voulait pas attirer l'attention de quelqu'un d'autre. Parce que Ari lui, semblait totalement insouciant. Il n'avait jamais eu à réfléchir à sa place dans le monde, jamais eu à baisser les yeux devant quelqu'un, à voyager enchainé avec toute une ribambelle d'autres hommes. Il était né privilégié, et Louis ne pouvait pas lui en vouloir, même si face aux yeux de serpent d'Athis, il bouillonnait brusquement de colère.
Mais pas contre Ari en particulier.
Plutôt contre ce monde qui était tellement, tellement injuste.
— C'est vrai, j'étais avec lui, souffla t-il brusquement. Et alors ? Ari me paye pour que je passe du temps avec lui. Ça ne devrait pas te surprendre. Tu n'es pas la dernière à aller chez le riche Caius Tendrus, non ?
Il lui sourit faussement. Un point. Mais la jeune femme haussa les épaules, les yeux brillants.
— Ah oui ? C'est drôle, j'ai l'impression que Julia n'est pas au courant de ce que tu fais pour ce Ari. Personnellement, je suis honnête avec Julia et je lui verse ce qu'elle me demande lorsque je vais chez Caius. Mais toi ? Tu gardes tout pour toi, n'est-ce pas Louis ?
Et merde. Louis se dit que les Dieux devaient véritablement le détester, pour avoir mis cette teigne sur son chemin. Depuis le début, il se doutait que c'était là où elle voulait en venir... Et lui avait mis les pieds dans le plat en mentant, quel idiot ! Ari ne l'avait jamais payé pour le temps qu'ils passaient ensemble. Comment aurait-il pu en même temps ? Louis aurait refusé. Il se serait senti tellement... souillé. Humilié. Parce que ce n'était pas comme ça qu'il voyait sa relation avec Ari. Mais ce n'était certainement pas à Athis qu'il allait dire : ouvre les yeux pauvre idiote, je suis tellement amoureux d'Ari. Ça n'a rien à voir avec une stupide relation contre de l'argent. C'est tellement plus beau et... Et. Il secoua la tête, et s'éloigna de la jeune fille.
— Combien veux-tu ?
Elle émit un nouveau petit rire. Louis observa les jointures de ses mains, blanches à force de serrer les poings. Il fallait qu'il se calme, cette fille n'en valait pas la peine.
— Hum... Je déteste mentir à Julia.
— C'est bon Athis. Je m'en fous de tes mensonges, dis-moi combien tu veux et disparais.
Elle croisa les bras sur sa poitrine, et fit la moue.
— Disons, 15 sesterces.
C'était beaucoup. Louis se demanda si Caius Tendrus la payait autant lorsqu'elle allait chez lui mais il se doutait que non... Comment allait-il faire ? Il n'avait pas autant d'argent.
— D'accord, dit-il pourtant, la voix blanche.
Ce n'était pas comme s'il avait le choix.
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Ari n'était pas là lorsque Louis rentra chez lui. En même temps, il était assez tard. Et peut-être qu'il avait des choses à faire. Il ne pouvait pas toujours être là. Bon. Louis était quand même un peu déçu, il fallait l'avouer.
Il hésita. Il n'avait pas très envie de rester chez lui, d'être tout seul. Il n'avait pas envie de s'asseoir sur son lit, là où il avait fait l'amour avec Ari la veille.
Il finit par tourner les talons, sortit, et s'égara dans les petites rues de Pompéi. Il trouva rapidement ce qu'il voulait : un thermopolium. Il s'assit sur un tabouret, commanda un verre de vin épicé et un plat chaud (comme s'il avait les moyens pour cet extra... Enfin, tant pis). Autour de lui, les gens riaient bruyamment. Après la tempête d'hier, le temps s'était à nouveau réchauffé. L'air était sec et doux. Louis leva les yeux vers le ciel, où brûlaient des milliers d'étoiles. Il ne se sentait pas aussi grand que le matin en se réveillant.
Il soupira, avala la moitié de son verre lorsque l'aubergiste le déposa devant lui. Dans sa tête repassait sans cesse sa discussion avec Athis. Quel abruti de lui avoir dit que Ari le payait... Il baissa les yeux et son regard se fixa soudain sur ses chaussures neuves... Cadeau d'Ari. Et le pain qu'il avait tous les matins : cadeaux d'Ari. Et les fleurs de l'autre fois... Et les tuniques neuves. Le vin eut soudain un mauvais goût dans sa bouche. Et si Ari le payait de cette façon... Et s'il voulait en quelque sorte, acheter son affection ? Après tout, ça devait être drôle pour Ari de se taper une pute sans rien payer d'autre que des morceaux de pain. Louis avait envie de vomir.
Il se leva, titubant un peu. Manifestement, il avait sous-estimé les effets de son verre de vin. L'aubergiste avait le dos tourné, absorbé par une bagarre qui menaçait à l'autre bout de la rue et il en profita pour s'éclipser sans payer. Il marcha un long moment, se perdant dans des rues de plus en plus étroites et de plus en plus sombres.
Pourquoi avait-il pensé à ça ? Il se tapa le front du plat de la main. Ari n'était pas comme ça. Ari ne profitait pas de lui. On ne faisait pas l'amour avec quelqu'un qu'on appréciait pas un minimum... On ne le regardait pas de cette manière, merde. On ne prenait pas tous ces risques stupides, on... Non. Ari était sincère, Louis en était certain. C'était cette Athis qui lui avait retourné l'esprit.
Il s'assit près d'une fontaine, construite au carrefour entre deux rues. Il s'était vraiment éloigné, puisqu'en regardant autour de lui, il se rendit compte qu'il était presque à la sortie de la ville. Presque chez Ari. Cette pensée le sortit de sa torpeur et il se redressa tant bien que mal. Il ne fallait vraiment plus qu'il boive. Il profita de la fontaine pour s'asperger le visage et but longuement. Quand il se remit à marcher, il se sentait déjà un peu mieux, moins vacillant. Il descendit la grande rue. Deux mendiants dormaient au pied d'une statue. Louis les reconnut, ils faisaient souvent la manche près de la bibliothèque, trainant leurs guenilles en interpellant tous les passants. Ari leur donnait des pièces, souvent.
En continuant son chemin, Louis se dit qu'il pourrait faire la manche. Mais il n'avait sans doute pas l'air assez miséreux. Et Julia ne le laisserait certainement pas vagabonder dans les rues pour gagner de l'argent à son insu. Il lui appartenait, après tout.
Il descendit un chemin de terre et se retrouva à nouveau face à la maison. C'était comme la dernière fois : dans la nuit noire, la villa semblait majestueuse, à la fois inquiétante et baignée dans un calme reposant. Lorsqu'il fut dans le jardin, il se rendit cependant compte que des lumières étaient allumées à l'arrière. Lentement, frôlant le mur, il s'avança vers la porte en bois et regarda à l'intérieur par un interstice. Il reconnut très vite la jeune fille qui était venu le voir de la part d'Ari, au travail. Elle était en train de plier des linges blancs, chantonnant un air qui lui rappelait vaguement quelque chose, une enfance sous le ciel bleu de la Grèce, entre les bras de sa mère. Il se racla la gorge et poussa la porte. La jeune femme se retourna brusquement, étouffant un petit cri, les yeux écarquillés. Quand elle le vit ses épaules se détendirent immédiatement et elle lui adressa une moue agacée.
— Qu'est-ce que tu fais là toi ?
Louis avait envie de rire. Les femmes à Pompéi étaient assez libres, mais c'était rare de rencontrer une esclave parler avec cet aplomb.
— J'avais envie de te voir, dit-il avec un grand sourire.
Elle leva les yeux au ciel et lui tourna le dos, grommelant :
— Bien sûr bien sûr, tu ne sais même pas comment je m'appelle.
— Moi c'est Louis.
— Ce n'est pas une raison pour que je te le dise.
— Je demanderais à Ari alors.
— C'est pour lui que tu es là, non ?
Elle lui fit à nouveau face, un drap plié entre ses bras.
— On ne peut rien te cacher décidément...
— Hum... Et laisse moi deviner : tu vas me demander de t'accompagner dans la maison pour trouver sa chambre.
— En gros, c'était le plan oui.
Louis lui décocha à nouveau un large sourire, mais visiblement sa technique de séduction avait des limites puisqu'elle se contenta de soupirer, lui fourrant une pile de draps fraîchement lavés dans les mains.
— Tu sens le vin et je déteste les hommes qui boivent. Viens m'aider à étendre ça.
Louis ne rétorqua rien et la suivit docilement. Lui aussi détestait les hommes ayant une haleine d'alcool, à vrai dire. Et il en voyait défiler beaucoup.
La jeune femme l'emmena jusqu'au bout du jardin, où ils entreprirent d'étendre le linge sur de grands fils de corde tendus entre deux arbres. Elle n'était pas très bavarde, alors Louis décida de lui poser des questions, parce que lui n'aimait pas vraiment le silence.
— Il y a beaucoup d'esclaves ici ?
— Une cinquantaine je pense.
— Oh. Ils sont très riches alors, non ?
— Tu dois savoir j'imagine. Tu connais Ari mieux que moi.
Louis tiqua, s'arrêtant d'accrocher la tunique qu'il avait entre les mains.
— Qu'est-ce que tu insinues ?
— Rien.
— Si.
— Non.
Elle se mit à rire. Un rire cristallin, qui laissa Louis silencieux quelques secondes. Elle le fixa dans le noir, haussant les épaules.
— Quoi ? Tu vas me dire que tu couches avec lui sans savoir qu'il est certainement un des plus riches citoyens de Pompéi ?
— ... Oui. Enfin... (il se remit à étendre ce qu'il restait dans le panier, un peu vexé), je ne lui ai jamais posé la question. Je savais qu'il était riche mais pas à ce point. Son père est marchand c'est ça ?
— Oui. Il part souvent en voyage d'affaire. Il aimerait bien que Ari l'accompagne je crois.
— Il ne veut pas ?
— Je suppose que non.
Louis n'insista pas. La jeune femme vivait ici, elle devait savoir bien plus de choses que ce qu'elle laissait entendre mais, soit. C'est qu'elle ne lui faisait pas encore confiance. Au fond de lui, Louis se doutait qu'elle cherchait juste à protéger Ari.
Ils terminèrent d'étendre une nappe, puis retournèrent dans la petite pièce où Louis l'avait surpris. La jeune femme déposa son panier dans un coin et s'étira en baillant.
— J'ai fini ma journée. Il faut que j'aille dormir.
Louis croisa les bras sur sa poitrine.
— Je t'ai aidé en échange d'un service il me semble.
— Ah oui ? Quoi ?
— Ne fais pas l'idiote. Il faut que je vois Ari.
— Pourquoi ?
La question le décontenança légèrement.
— Pourquoi... Je ne sais pas. Juste, comme ça. J'ai envie de le voir.
Etonnement, elle se mit à sourire puis acquiesça.
— Viens alors.
Elle ouvrit une porte arrière et Louis ne se fit pas prier.
C'était la première fois qu'il entrait dans une maison aussi belle. Tout semblait immense, et les couloirs étaient si beaux, parsemés de fresques aux couleurs douces. Le sol aussi était magnifique, et Louis avait presque honte de marcher sur la mosaïque multicolore avec ses sandales poussiéreuses. Mais il n'eut pas le temps de s'arrêter pour apprécier davantage le décor intérieur, car la jeune femme marchait vite et il ne voulait pas la perdre.
Ils passèrent devant ce qui sembla à Louis être une salle à manger, et se retrouvèrent dans un couloir étroit, avec des murs peints en rouges et décorés de motifs argentés. Une voix les arrêta net.
— Qui est-ce ?
C'était une femme, jeune. Louis la voyait à peine dans l'obscurité mais il sentit sa guide se tendre, comme pour le cacher derrière son dos. Mais bien sûr, l'autre l'avait vu et s'avança davantage dans le couloir, serrant ses bras autour de sa chemise de nuit.
— Sami ? Qui est ce garçon ?
(Sami. C'était donc son nom.)
Il allait s'avancer pour répondre, ne voulant pas mettre la jeune femme dans l'embarras mais elle le devança, mentant avec assurance.
— Le nouvel esclave de votre frère.
La soeur d'Ari, alors. Louis l'observa davantage. C'est vrai qu'ils se ressemblaient vaguement, même si les cheveux de la jeune femme étaient bien plus sombres, et que ses yeux n'avaient rien de la profondeur de ceux de son frère. Elle avait une voix très douce, aux intonations un peu chantantes.
— Ah oui ? Je ne savais pas... Comment t'appelles-tu ?
Louis se risqua à donner son vrai prénom et la jeune femme acquiesça, puis leur jeta un dernier coup d'oeil appuyé avant de disparaître dans ce qui devait être sa chambre. Louis entendit distinctement Sami marmonner un juron entre ses dents avant de reprendre sa marche. Il ne dit rien. Il se sentait assez mal en réalité, car il ne voulait pas lui causer de problèmes. Comment Sami allait-elle expliquer à la soeur d'Ari demain matin que l'esclave de son frère avait disparu ? Car il ne comptait certainement pas rester dans cette maison jusqu'au matin.
Décidément, il n'aurait pas du boire. Cela ne lui apportait que des soucis.
Sami s'arrêta à nouveau. Ils étaient au bout d'un autre couloir, assez excentré de la maison. Louis se dit que cela convenait parfaitement à Ari, de s'isoler du reste du monde. Sami frappa à la porte. Elle avait l'air assez mal à l'aise, regardant Louis en se mordillant la lèvre.
Ari ne mit pas longtemps à ouvrir. Il était quasiment nu, le bas du corps entouré d'une serviette de lin qu'il tenait de sa main droite, les yeux ensommeillés. Louis allait s'étouffer avec sa propre salive, il était si beau.
Pourtant quand Ari le vit, il n'eut pas la réaction qu'escomptait Louis. Au lieu de paraître ravi et de l'attirer contre lui pour l'embrasser, il écarquilla les yeux et bredouilla, livide :
— Louis ?! Mais qu'est-ce que tu fais ici ?
— Euh... Surprise ?
Louis écarta les bras comme pour l'inviter à se blottir contre lui, un sourire un peu gêné sur le visage. Ari lui prit le bras et le poussa jusque dans sa chambre, puis referma la porte sur lui. Louis se retrouva tout seul dans la petite pièce. Oups. Il avait peut-être fait une bêtise. Dans le couloir, il entendait les voix de Sami et d'Ari qui chuchotaient. Ce n'était pas une dispute, mais il comprit que Ari réprimandait la jeune esclave. Merde. Il aurait mieux fallu qu'il reste chez lui finalement.
Il s'assit sur le lit, regardant autour de lui. La pièce était petite, comme c'était presque toujours le cas dans ce genre de villas. Il y avait une fenêtre ouverte sur le jardin, et il pouvait voir l'ombre de grands cyprès verts onduler lentement sous la caresse du vent. Sous la fenêtre était posée un bureau qui prenait presque tout le mur. Ari y avait installé son matériel d'écriture et Louis pouvait également discerner plusieurs rouleaux de papyrus. Etaient-ils vierges où Ari les avaient-ils déjà noircis de son écriture un peu penchée ? Il mourrait d'envie d'aller regarder mais il n'était de toute façon pas sûr d'être capable de les lire — même s'il s'était beaucoup amélioré !
La porte se rouvrit soudain et Ari apparut à nouveau. Le coeur de Louis se serra étrangement. Dans le noir, il ne percevait que le blanc trouble de ses pupilles. Ari appuya son dos contre le mur et soupira. Il avait l'air lasse.
— Qu'est-ce que tu fais là Louis.
Ce n'était pas vraiment une question, plutôt quelque chose qu'il se murmurait à lui-même. Louis ne répondit donc rien, attendant la suite qui ne vint pas. Alors il se leva, et s'approcha lentement du jeune homme qui releva la tête pour lui sourire. Un sourire doux, et un peu triste aussi. Louis posa lentement ses doigts sur sa bouche, en redessinant le contour. Il sentait le souffle d'Ari, lent, chaud. Quelque chose en lui lui criait de s'excuser, de partir, de ne plus jamais revenir, mais il en était incapable. Ari lui prit le poignet, embrassa ses phalanges une à une. C'était si tendre. Louis sentit son coeur exploser lentement dans sa poitrine, en de minuscules particules qui se répandirent dans ses veines.
C'était donc ça, que lui avait fait Ari : il le rendait vivant.
Peut-être qu'Ari pensait à la même chose, parce que sa main trouva le chemin de la nuque de Louis et il l'attira contre lui pour l'embrasser, comme il le faisait chaque fois que ses sentiments semblaient le dépasser. Il n'avait jamais rien dit, mais Louis le savait. Il le savait parce qu'il ressentait la même chose. Il le savait parce que lui aussi, mourait d'amour et de peur.
Entre ses lèvres, Ari souffla doucement :
— Sami m'a dit que ma soeur t'a vu.
— Oui.
Louis se rapprocha de lui. Il ne s'était pas rendu compte avant que la serviette de lin que tenait Ari était tombée par terre. Il se glissa entre l'espace brûlant de ses cuisses, lui arrachant un petit soupir de plaisir. Ses yeux papillonnèrent un instant puis se fixèrent à nouveau sur Louis.
— Attends... Qu'est-ce que je vais lui dire moi ?
— J'sais pas.
A cet instant précis, Louis s'en foutait. Il ne voulait que dévorer le cou d'Ari de baisers.
— C'est sérieux Lou.
Il le repoussa gentiment. Louis fronça les sourcils.
— Tu n'auras qu'à lui dire que tu m'a renvoyé.
— Pourquoi est-ce que j'aurais fait ça ?
Louis haussa les épaules et prit un air malicieux, celui qui faisait instantanément rougir Ari.
— Eh bien... Parce que je me suis très mal comporté avec toi. Que je n'ai pas obéi. Que j'ai été un très très vilain garçon.
Ses doigts glissaient lentement sur le ventre d'Ari, y dessinant des serpents s'enroulant autour de son nombril. Le jeune homme entrouvrit la bouche mais ne dit rien. Ses yeux brillaient et Louis y reconnut un désir brûlant.
Ils se jetèrent l'un sur l'autre. C'était brouillon, désordonné. Ari fit glisser la tunique de Louis par terre, la déchirant presque sur le coté et ils se frottèrent l'un contre l'autre, debout, le dos d'Ari toujours appuyé au mur. Louis enroula ses doigts dans ses boucles, les tirant doucement, lui murmurant à l'oreille toutes les manières dont il pourrait lui désobéir.
Et Ari avait l'air d'adorer ça. Louis était presque surpris de voir à quel point de simples mots pouvaient lui faire perdre ses moyens. Il s'accrochait à lui, serrant sa taille pour l'inviter à se frotter plus fort contre sa cuisse, haletait dès que Louis lui mordillait le lobe de l'oreille.
Et puis soudain, Ari attrapa Louis par l'arrière de ses cuisses et le porta jusqu'au lit, en trébuchant un peu. Ils se mirent à rire à s'écrasant sur le matelas, et leurs caresses se firent plus lentes, plus douces, et pourtant toujours aussi intenses.
Ari se mit entre les jambes de Louis, entreprenant de caresser lentement la peau de son ventre, de son torse, léchant le contour de ses tétons. Louis ne pouvait pas s'empêcher de se tordre légèrement, le visage rouge et le souffle court.
— Pourquoi, pourquoi tu fais ça, haleta t-il, les paupières à moitié closes.
Ari releva la tête, ses cheveux caressant toujours la peau brûlante de Louis.
— Pourquoi je ne le ferais pas ?
— C'est à moi de faire ça normalement...
Louis se mordillait la lèvre, subitement mal à l'aise. C'est vrai. C'était son travail, et en tant qu'esclave il n'avait rien à recevoir d'Ari. Il devait tout donner.
— Lou...
Ari planta ses mains autour de son visage, et l'embrassa lentement avant de murmurer :
— Louis, j'ai envie de faire ça. J'ai envie de te faire plaisir. Ça ne te plaît pas ?
— Si, si bien sûr... Mais... Normalement.
— On s'en fout ! On s'en fout de ce qu'il faut faire normalement !
Il se redressa. Son ombre dans le noir semblait immense. Louis tendit la main. Ari semblait briller dans le noir. Ari disait tout ce qu'il avait toujours eu besoin d'entendre. Ari était en train d'envoyer voler toutes les règles régissant leur monde, Ari était sublime.
— Je m'en fous que tu sois un esclave, je m'en fous que tu te prostitues, je m'en fous que tu ai peut-être fait des choses illégales par le passé, et que tu en fasses encore, je m'en fous que tu vives dans un immeuble minuscule et branlant, avec des murs qui sentent la pisse et des voisins louches, je m'en fous que tu ne saches pas parfaitement lire et écrire, que tu ne sois pas un savant, un philosophe, une jeune fille riche avec des tas de bijoux, qui sache jouer de la musique et danser, je m'en fous de tout ça, depuis la première fois, à la rivière, la seule chose qui importe c'est ton sourire, ton rire, ta façon de te moquer de tout, ton courage, tes yeux si bleus, c'est ça, merde Louis, c'est ça qui importe et c'est pour ça que je veux t'embrasser, te caresser, te rendre tout ce que tu m'offres parce que tu me rends tellement tellement heureux et moi aussi je veux te rendre heureux, j'veux qu'on soit heureux ensemble, si tu veux bien, si ça te dis, j'veux qu'on regarde les étoiles tous les deux en se tenant la main, qu'on passe des heures au bord du lac, qu'on se promène dans les rues de la ville en faisant les cons, qu'on se lise des histoires, qu'on aille au théâtre pour rire ensemble et puis qu'on rentre le soir et qu'on se couche dans le même lit et qu'on fasse l'amour jusqu'au petit matin, tout ça parce que, je t'aime, je t'aime tellement, tellement...
Louis tremblait sous lui, les yeux écarquillés. Il se redressa, le prit dans ses bras, le serrant de toutes ses forces. Ari continuait de lui murmurer des je t'aime en pagaille, des mots d'amour dont il ne savait que faire. Il n'était pas capable de faire d'aussi jolis discours, il ne savait même pas quoi répondre.
Il savait que ça arriverait un jour, parce que Ari avait tout cet amour qui débordait, tout le temps, mais là, maintenant, si vite ? Louis se mit à pleurer, parce que c'était trop, qu'il n'y comprenait rien, que ça ne pouvait pas être à lui qu'on venait de dire tout ça. Il voulait bien être fort, tenir tête à un maître qui le fouettait sans arrêt, fuir en pleine nuit, passer des mois à traîner dans les rues de Rome, à manger ce qu'il trouvait dans les égouts et à voler dans des maisons quitte à passer deux semaines en prison, il voulait bien errer sur les rues d'Italie, se cacher dans des bosquets la nuit, se battre contre des voleurs, être récupéré et à nouveau vendu sur un marché d'esclaves, il voulait bien vendre son corps, se laisser griffer par des gros porcs, ouvrir les cuisses à la demande, il voulait bien tout ça, mais accepter que quelqu'un en ce monde n'ait d'amour que pour lui, c'était un peu trop.
La seule chose qu'il finit par trouver à dire entre deux reniflements ce fut :
— Alors, si tu m'offres des cadeaux... C'est pas pour m'acheter ? C'est bien parce que tu m'aimes ?
Ari enfouit sa tête dans son cou.
— Idiot, mais oui, bien sur que oui. Tu n'as quand même pas cru... ?
Louis haussa les épaules. Il se recula pour pouvoir essuyer ses larmes, et Ari lui prit à nouveau doucement les poignets, embrassant ses mains. Louis ne savait pas pourquoi il faisait ça mais c'était agréable.
— Non, marmonna t-il.
Ari secoua la tête.
— Louis. Je t'aime de toute mon âme. Si tu me le demandais je te couvrirais d'or, tu sais.
— Je ne veux pas.
— Je sais. C'était seulement pour te dire que ce que je fais pour toi c'est parce que... Parce que je veux te rendre heureux. Même si on ne couchait pas ensemble, je continuerais à te faire des cadeaux. Tu n'es pas une marchandise à mes yeux tu es... t'es une étoile.
— Une étoile ?
Louis émit un petit rire encore mouillé de larmes et Ari le renversa en arrière sur le matelas, couvrant son visage de baisers en lui donnant mille et un surnoms niais.
Et c'était bon. C'était doux.
Louis n'aurait échangé sa place contre rien au monde. Il aimait ce garçon au corps immense, aux jambes maladroites qui ne cessaient de se prendre dans les marches du trottoir, il aimait ce garçon à la peau claire et aux doigts longs, il aimait ce garçon aux cheveux bouclés, aux yeux verts et aux fossettes.
Il ne dit pas tout ça, mais il savait que Ari pouvait le lire dans ses yeux, pendant qu'ils firent l'amour. Le corps d'Ari doucement penché au-dessus du sien, la sueur de son torse roulant vers son nombril. Pour la première fois, Louis offrait son corps à quelqu'un qu'il aimait, et qui surtout le respectait. Pour la première fois, Louis se laissa aller, ferma les yeux. Pour la première fois, il laissa les mains d'un homme glisser sur sa peau, en affronter les aspérités, les douceurs, les rondeurs, les creux. Pour la première fois, il ne retint pas ses gémissements, ne les étouffa pas dans le creux de sa main. Pour la première fois, il ne ressentit pas de vague dégoût en ouvrant les yeux et en voyant un corps contre le sien. Parce que le corps entre ses jambes, c'était celui d'Harry. C'était ses hanches qui se mouvaient contre les siennes, c'était son sexe figé en lui, c'était ses épaules qui roulaient au rythme de ses mouvements, c'était son visage qui se crispait de plaisir, ses yeux qui ne le quittaient pas, sa bouche qui lui murmurait sans cesse, je t'aime, je t'aime Louis, je t'aime tellement, tu ne peux pas savoir à quel point, tu peux pas savoir comme tu es partout autour de moi, tu peux pas savoir, je crois que je pourrais donner ma vie pour toi.
Pour la première fois, Louis jouit en premier, vraiment, le corps tendu, les mains liées dans celle d'Ari, le regard plongé dans le sien, pour la première fois il jouit un prénom, sans se retenir, jusqu'à sentir sa gorge le brûler, pour la première il sentit une vague gigantesque, chaude et lente déferler sur son corps, le remplir tout entier. Pour la première fois, il se sentit heureux de voir Ari se redresser, le dos cambré à son tour, et avoir un orgasme. Pour la première fois, il admira un visage humain au sommet de l'amour, et il se sentit fier d'y avoir participé.
Et pour la première fois ensuite, quelqu'un le prit dans ses bras, embrassa chaque infime partie de son corps, et lui dit :
— Louis, je suis si bien avec toi.
Et pour la première fois, il put dire la même chose.
Parce que c'était vrai, il était si bien avec Ari.
A présent, même si le futur restait vague, il savait qu'il ne désirerait rien d'autre que ça :
Etre avec lui, même dans l'éternité.
/// À SUIVRE... ///
Hello !
J'espère que ce chapitre vous aura plu. :) Beaucoup de Larry... Et la méchante Athis ahah ! Comment Louis va t-il s'en sortir... Vous le saurez au prochain épisode *super teasing*
Bon dimanche. 💙
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