CHAPITRE 5.
Ari était heureux.
Il n'avait jamais ressenti ça auparavant. Il se levait le sourire aux lèvres, il traversait chaque journée le coeur léger. Il acceptait même de se rendre dans le bureau de son père tous les soirs, et écoutait avec attention les comptes rendus commerciaux qu'il lui faisait.
Louis accompagnait chacune de ses pensées.
Il n'avait pas le temps de se sentir stupide, ou niais, ou terriblement amoureux. Il n'y pensait même pas. C'était juste comme ça, un ciel bleu perpétuel dans son esprit (bleu comme les yeux de Louis). Sa soeur le chambrait allègrement dès qu'ils se croisaient dans la maison, parce qu'il multipliait les maladresses. Au déjeuner, il avait réussi à boire l'eau du vase des fleurs. Dans le jardin, il restait des heures à observer l'océan et à écrire de la poésie. Heureusement que Louis n'avait pas connaissance des lignes de poèmes qu'il lui dédiait, car il s'enfuirait certainement en courant.
Nilla et Lima avaient essayé de lui en parler, mais Ari leur avait simplement répondu assez énigmatiquement qu'il avait l'impression d'avoir enfin trouvé un sens à sa vie.
Et c'était vrai.
Il ne vivait plus que pour les trois jours de la semaine où il voyait Louis. En fin de soirée, après sa journée de travail, et parfois pendant des heures entières. Ils restaient très souvent à la bibliothèque, plongés dans l'apprentissage du latin. Louis, qui avait été un peu dissipé au début, semblait maintenant prendre un réel plaisir à décoder des textes. Ari adorait l'observer, front plissé et le bout de sa langue coincé entre ses dents, penché sur un manuscrit, les doigts tachés d'une encre bon marché. Lorsqu'il arrivait à lire une phrase, il relevait la tête, les joues roses, les yeux brillants. Il avait l'air si heureux que le coeur de Ari explosait, invariablement.
Ils passaient aussi des heures à se promener dans les rues. Ils aimaient le confort de la ville, la fausse intimité qu'elle leur laissait : juste assez pour qu'ils se sentent invisibles au milieu de la foule, mais tout de même trop exposés pour qu'ils en viennent à se fondre l'un contre l'autre. Ils n'étaient pas retournés à la rivière, comme d'un commun accord. Mais ils parlaient, beaucoup. Ari racontait des mythes à Louis, qui trouvait ça très drôle (surtout les affaires amoureuses de Zeus). Louis racontait la Grèce à Ari, la mer brillante sous le soleil, les roches blanches, les oliviers aux troncs secs et tortueux. Parfois, ils se parlaient dans cette langue. Louis butait sur les mots mais avait un bien meilleur accent que Ari qui s'emmêlait souvent dans des phrases trop longues. Ils se regardaient alors en riant et se remettaient à parler en latin, que Louis maniait très bien.
Ils passaient des heures assis à l'ombre des statues du forum. Le soleil mordait la pierre au-dessus d'eux, mais ils ne se rendaient pas compte, immobiles dans une flaque de fraîcheur. Les souvenirs d'enfance d'Ari passionnaient Louis qui lui posait beaucoup de questions. Ari, lui, aimait lorsque Louis faisait le récit de toutes les aventures qu'il avait vécu sur les mers. Il le soupçonnait un peu de se donner un rôle qu'il n'avait pas eu en réalité, mais peu lui importait. Louis était un pirate des mers, un héros, il était Homère et avait vaincu les sirènes.
Ils riaient comme des gamins, se poursuivaient à la tombée de la nuit dans les rues résonnantes de musique, et parfois se retrouvaient l'un contre l'autre, cachés par le pan d'un mur épais, au milieu du silence. Alors Ari serrait Louis contre lui, respirait l'odeur de son cou. Leurs respirations démultipliées semblaient assourdissantes, leurs bouches se cherchaient dans le noir mais Louis finissait toujours par avoir un mouvement de recul, il repoussait Ari et s'enfuyait.
Ari ne comprenait pas au début. Mais peu-à-peu, dans les regards de Louis, il avait compris qu'il avait sûrement peur. Lui aussi avait peur à vrai dire. Il avait peur de s'avouer qu'il était amoureux. Mais c'était un peu tard, il était incapable de le repousser.
Alors il patientait. Ce n'était pas si difficile. La présence de Louis si souvent à ses côtés lui suffisait. Il aimait ses facéties, son air perpétuellement insolent, sa facilité à voler des fruits sur les étals des marchés, et puis à les fourrer dans les mains d'Ari en riant comme un idiot. Il aimait venir le chercher à la sortie du lupanar quelques soirs, et se rendre avec lui dans les tavernes de la ville, boire du vin trop épicé et chanter en choeur avec tous les ivrognes de Pompéi. Il aimait leurs égarements quelques fois, aux abords de la ville.
Il aimait se souvenir de ce jour un peu plus frais où le ciel couvert les avaient poussé à se réfugier entre les colonnes de l'amphithéâtre. Il avait commencé à pleuvoir, et Louis lui avait pris la main, doucement. Sa paume était chaude dans la sienne. Ils s'étaient glissés à l'intérieur du bâtiment, par une porte dérobée que Ari n'aurait jamais soupçonné. Ils étaient tout en bas du théâtre, à la hauteur de la scène. Une pièce était en train d'être jouée, une farce facile qui faisait s'esclaffer les spectateurs. Ari n'avait rien suivi de l'intrigue, trop occupé à regarder Louis qui riait, riait tant que de minuscules rides se formaient au coin de ses yeux. Il était beau, douloureusement beau. Ari avait eu tellement envie de le coller au mur et de l'embrasser à en perdre le souffle, de lui dire tous ces mots qu'il écrivait pour lui. Il avait tellement eu envie de lui murmurer qu'il était la personne la plus merveilleuse de cet univers, et que si les Dieux venaient à lui faire du mal, il mourrait pour lui. Mais au moment où il s'apprêtait à lui dire tout ça, un homme travaillant pour l'amphithéâtre était apparu au bout du couloir et les avait fait déguerpir en vitesse. Louis avait l'air un peu déçu, lui qui aurait voulu connaître la fin de la pièce. Mais Ari était heureux, parce qu'il tenait toujours sa main dans la sienne, et que leurs doigts s'étaient enlacés.
*
*
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Peut-être que tout aurait pu continuer comme ça, indéfiniment.
Les leçons, les rires faciles, les mains qui se frôlent, les après-midis à s'épuiser de soleil et de mots, les commentaires sarcastiques de Louis, les maladresses d'Ari.
Peut-être qu'ils auraient pu continuer comme ça, indéfiniment.
En ignorant l'Amour.
*
*
*
Louis se balançait d'avant en arrière sur sa chaise, les yeux rivés vers le ciel qui apparaissait derrière le volet de la bibliothèque. Un orage se préparait, le premier de l'été. Il faisait gris et l'air qui montait de l'océan était lourd et gorgé de pluie.
Ari déposa une petite pile de manuscrit devant lui et se rassit.
— Tu n'as pas l'air très motivé aujourd'hui.
Louis haussa les épaules.
— Je n'ai pas très bien dormi.
— Pourquoi ?
— J'avais mal au dos.
Il détourna le regard. Ari n'insista pas. Louis avait l'air gêné, et c'était si rare qu'il préféra respecter son silence. Ils travaillèrent une bonne heure, chacun penché sur ses manuscrits. Ari, qui jetait régulièrement des coups d'oeil à Louis, se rendait bien compte que celui-ci n'avançait pas. Il avait plutôt l'air plongé dans une sorte de rêverie mélancolique, se mordillant la lèvre inférieure. Et il poussait de longs soupirs réguliers. C'était étrange de le voir aussi éteint, lui qui débordait d'habitude de vie.
Au bout d'un moment, Ari se racla la gorge et se décida à demander :
— Louis ? Tu veux faire une pause ?
Le jeune homme sursauta légèrement et hocha la tête. Ses yeux se fixaient partout, sauf sur le visage de son compagnon. Ari se leva, et rangea ses affaires. Il parlait pour eux-deux, voulant, sans vraiment savoir pourquoi, changer les idées de Louis.
— Il vaut mieux qu'on parte de toute façon, il va bientôt se mettre à pleuvoir et il est déjà tard. Et puis on va s'abimer les yeux à force de travailler comme ça tout le temps. Tu sais que la semaine prochaine, on pourrait aller voir un spectacle pour changer. Je nous prendrais des places. Tu es déjà allé au théâtre ?
Louis grommela quelque chose que Ari ne saisit pas. Peut-être que sa question était stupide, en même temps. Bien sûr que Louis n'était jamais allé au théâtre. Il n'était pas un citoyen, il n'était qu'un esclave. Pire : il se prostituait. Qu'il arrive à rentrer dans cette bibliothèque sans que personne ne lui ait jamais rien dit était déjà, en soi, un exploit. Il était condamné à se cacher dans les recoins de l'amphithéâtre pour pouvoir rire à une farce. Pour la première fois, la différence entre eux frappa Ari. Et c'était triste, parce qu'indépassable.
Ils sortirent de la bibliothèque. L'air était très lourd, bien plus qu'en début d'après-midi. Une sorte de moiteur qui montait de l'océan rendait les vêtements collants et désagréables. Ari leva les yeux vers le ciel. Il était gris sombre, et un amoncellement de nuages épais surmontait la ville, inquiétant.
— Tu devrais peut-être rentrer chez toi, lança Louis derrière lui.
Ari haussa les épaules. Ils avaient pris l'habitude de marcher tous les deux jusqu'au forum lorsqu'ils rentraient, parce que Ari disait qu'il aimait bien écouter les hommes politiques et les philosophes qui s'y trouvaient, à toute heure de la journée. En réalité, le forum qui était à l'opposé de la maison d'Ari, était surtout un prétexte pour rester un peu plus longtemps avec Louis.
— Non, faisons comme d'habitude. Je ne suis pas en sucre de toute façon.
— Comme tu veux, souffla Louis.
Ils se mirent à marcher, silencieux. Il semblait à Ari que Louis avait le coeur aussi lourd que le ciel au-dessus de leurs têtes. Les Dieux lui avaient-ils fait parvenir une mauvaise nouvelle ? Ou était-ce autre chose ? Une simple mélancolie soudain trop lourde à porter ? Le jeune homme était conscient que la vie de Louis n'était pas très drôle, et il se demandait souvent comment le garçon trouvait encore le courage de rire et d'inventer mille et une bêtises. Lui ne pourrait pas, dans de pareilles conditions. Il admirait beaucoup Louis, pour ça et tout le reste.
A la moitié du chemin, une pluie fine et chaude commença à leur tomber dessus, infiltrant le tissu de leurs vêtements et s'écrasant sur leurs peaux poussiéreuses. Louis s'arrêta au milieu du trottoir et leva les yeux vers le ciel, paupières fermées. Il était beau, dans cette lumière apocalyptique, ses cheveux trop longs tombant presque sur ses épaules, ses joues mal rasées et creuses, son corps délié d'adolescent trop vite abîmée par la vie. Ari n'avait jamais été marqué par ça, par la beauté entière de Louis, une beauté qui n'avait rien de poétique mais qui était juste vivante, réelle, cassante. Louis n'était pas parfait, ses yeux étaient cernés, ses hanches et ses cuisses trop pleines, ses bras trop fins, et pourtant, aux yeux d'Ari, il était un tout absolument sublime.
Il s'avança, se planta devant lui, à quelques centimètres de son visage. La pluie tombait plus fort encore, autour d'eux les gens courraient s'abriter dans les maisons, les commerçants fermaient leur devanture, le vent soulevait les déchets sur le trottoir. Un chien clopinait, la queue entre les jambes, et les dépassa. Ari ne faisait attention à rien d'autres qu'aux yeux océans de Louis, maintenant ouverts et plongés dans les siens. Des yeux qui n'avaient plus la même profondeur que d'habitude, mais qui avait pris la couleur de fin du monde du ciel, un gris presque noir, métallique.
Louis l'enlaça. Ce n'était pas doux, ni violent, c'était juste brusque et imprévu. Ses mains s'agrippèrent aux pans de sa tunique, serrant le tissu. Son front posé sur la poitrine d'Ari. Ils étaient seuls dans la rue balayée par le vent et la pluie, une tempête tropicale, brûlante et moite. Ils étaient seuls et Ari avait oublié le monde entier. Il releva le visage de Louis, sa main doucement posée sur sa joue. Il murmura : Louis...
Louis ne lui laissa pas le temps de continuer. Il l'embrassa, enroulant ses bras autour de son cou, ses doigts se perdant dans ses cheveux, finissant de défaire son chignon déjà malmené par le vent. Sa bouche était chaude, ses lèvres douces. C'était la première fois qu'ils s'embrassaient.
Le tonnerre fit gronder la terre.
Ils se serrèrent davantage l'un contre l'autre, aveugles au monde alentour.
La seule chose qui comptait étaient leurs corps enlacés, leurs coeurs battant avec la même force, leurs mains qui se touchaient, se frôlaient.
Brusquement, il y eut un bruit de course. Une charrette qui dévalaient la rue et les arracha l'un à l'autre. Ils se regardèrent une seconde, pupilles dilatées, souffle court. Louis attrapa la main d'Ari et ils se mirent à courir dans la rue, le cuir de leurs chaussures gorgé d'eau, leurs cheveux collant à la peau de leurs visages. Louis se retourna vers Ari, il riait comme un gosse, exactement comme lorsqu'il s'enfuyait après avoir volé une pomme sur un étalage, mais cette fois, c'était beaucoup plus, Ari pensa, c'est mon coeur qu'il tient entre ses mains, c'est mon coeur qu'il vient de m'arracher.
Et il s'en sentait si léger.
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Ils grimpèrent jusqu'à la chambre de Louis, fermèrent la porte derrière eux. Leurs respirations étaient sifflantes à cause de leur course effrénée. Louis s'appuya contre le mur, fermant les paupières quelques instants. Ari, lui, s'assit sur son petit coffre, mains entre ses cuisses. Par la fenêtre, il voyait les arbres pliés par le vent, et la pluie qui tombait en rafale. Le spectacle aurait pu l'effrayer un autre jour, mais il se sentait beaucoup trop euphorique pour y faire attention.
Il se tourna vers Louis. Le silence soudain qui imprégnait la pièce rendit leurs gestes plus doux, lents. Ari se releva et s'approcha de lui, enroula ses bras autour de sa taille, et ils s'embrassèrent à nouveau. La bouche de Louis tremblait légèrement, et Ari recula lorsqu'il sentit une larme s'écraser sur sa joue.
— Ça va ?
Louis hocha la tête, reniflant. Ari se recula, les joues rouges.
— Pardon... Je, tu aurais du me dire que tu ne voulais pas...
— Non.
Louis tendit la main et attrapa son poignet.
— Ce n'est pas ça. C'est très bien. C'est (il rit un peu, entre ses larmes), c'est même beaucoup mieux que bien. C'est juste...
Il fit un petite grimace. Ari haussa un sourcil.
— C'est ?
Louis baissa la tête. Il lâcha le poignet d'Ari.
— J'ai mal au dos.
Ari ne s'attendait pas vraiment à ça. Et pourtant, Louis fondit à nouveau en larmes, les épaules secoués de sanglots. C'était déstabilisant. Ari avait envie de le secouer, de lui dire : non non Louis, t'as pas le droit de craquer toi, t'es fort, je t'ai toujours cru comme ça, t'as pas le droit d'avoir mal quelque part, ou de n'en plus pouvoir.
Il le fit asseoir sur son lit, et lui apporta un bol d'eau. Louis but, se calmant peu à peu. Le blanc de ses yeux était rougi, Ari avait mal au coeur.
— Tu veux m'expliquer ?
Louis renifla.
— J'sais pas.
— Tu veux me montrer alors ? Je peux t'emmener chez notre médecin.
— Non.
Louis écarquilla les yeux, un mouvement de répulsion le faisant reculer. Ari lui reprit les mains, caressant doucement sa peau.
— D'accord, d'accord. Tu t'es blessé ?
— Non. Pas vraiment... Ce sont... Ce sont des douleurs anciennes, qui reviennent souvent.
— Des douleurs anciennes ? Avant Pompéi ?
— Oui.
— À Rome ?
— ... Oui.
Ari fronça légèrement les sourcils.
— Tu es certain que tu ne veux pas me montrer ?
Louis hésita longuement. Il respirait fort, observant l'eau dans son bol. Puis au bout d'une minute, il posa l'ustensile près de lui et se leva.
Ari l'observa se déshabiller. Louis n'avait aucune pudeur. Ce n'était pas dans les moeurs ici, mais Ari ne put pas s'empêcher de détourner le regard jusqu'à ce qu'il se mette dos à lui. Voir Louis nu le... Perturbait. Lorsqu'il tourna à nouveau la tête, Louis était assis.
Ari ferma les paupières quelques secondes. C'était douloureux. Il avança lentement la main vers la colonne vertébrale de Louis, fit glisser ses doigts entre ses os ronds. Comment avait-il pu ne pas voir ça, les deux fois où ils s'étaient rendus à la rivière ? C'est vrai qu'il n'avait pas osé regarder Louis de trop près, mal à l'aise. Et il n'avait que le vague souvenir de sa peau brune, striée par les rayons du soleil entre les feuilles mouvantes des arbres. Ce qu'il avait surement pris pour de simples ombres étaient en réalité des lézardes blanches, rappelant les lanières d'un fouet de cuir, qui avaient du s'abattre sur le dos de Louis chez son ancien maître, à Rome. S'y mélangeaient de griffures plus rouges, bien plus récentes.
La voix d'Ari était blanche lorsqu'il demanda :
— Qui t'a fait ça ?
Louis ne répondit pas. Il tourna légèrement la tête, lui jetant un regard sombre.
— C'est à Rome ?
— Oui.
— Et ça ?
Il frôla une griffure rouge. Louis frissonna, son dos se tendit.
— Avant-hier. Un client.
Ari serra la mâchoire. Louis n'était pas un putain d'objet. Qui se permettait de lui lacérer la peau de cette façon ?
Le jeune homme se retourna, se mettant face à lui. Il sourit, ses yeux encore humides.
— C'est rien tu sais. Les griffures, ça va partir. Le reste, je ne crois pas.
Ari tremblait un peu. De colère. C'était la première fois. Il prit la main de Louis, embrassa ses phalanges, les yeux plongés dans les siens.
— Tu ne sais pas qui est ce client ?
Louis haussa les épaules. Non. Il n'avait pas accès au registre, et il ne se souvenait pas vraiment de son visage. Comme tous les autres.
— C'est mon métier tu sais. J'ai pas le choix. Ce n'est pas grave. Les douleurs ne viennent pas des griffures. C'est le reste.
— Mais si c'est grave.
La voix d'Ari était plus grave que d'habitude, sourde. Louis posa sa main au creux de son cou, approchant son visage du sien. Il l'embrassa longuement. Ari s'appuya sur ses cuisses nues, s'avançant davantage. Il souffla contre la bouche du jeune homme :
— Tu ne feras pas ça toute ta vie Louis, je te promets que je te sortirais de là.
Louis rit un peu. Un rire habituel, moqueur et sarcastique. L'ambiance était plus légère. Il mordilla la lèvre d'Ari.
— Ah oui ? Est-ce que tu voudrais me racheter pour que je sois ton esclave attitré ?
— C'est pas drôle, gémit Ari. Je ne veux plus que tu sois un esclave.
— Pourtant je le suis. Je suis né comme ça. On ne peut pas changer son destin de cette manière, Ari.
Ari secoua la tête. Il s'en fichait. Là, tout de suite, il n'avait pas vraiment la tête à réfléchir à la manière dont il allait sortir Louis de ce fichu lupanar, mais plus tard alors, oui, il verrait.
Pour le moment, il était trop occupé à sucer la peau du cou de Louis.
— Dis... Tu as vraiment très très mal ou... ?
Louis rit à nouveau. C'était si agréable de le retrouver comme ça. Ari comprit, dans ce rire là, soulagé, que Louis devait avoir envie de lui dire depuis longtemps, pour ce dos laminé.
— Je croyais que tu ne voudrais jamais connaître l'étendu de mes talents.
Ari secoua la tête en pouffant.
— Tu es fou. J'y pense tous les jours.
— Vraiment ?
Les doigts de Louis passaient et repassaient sur sa joue, légers.
— Hm. Enfin...
Louis le coupa en l'embrassant. Ari comprit que le jeune homme ne voulait pas en entendre davantage. Peut-être qu'il avait peur de ce qu'il pouvait dire. Et à vrai dire, Ari aussi avait un peu peur d'avouer à voix haute que ce qu'il ressentait n'était pas qu'une simple attirance charnelle. C'était tellement plus.
Il se tut, supposant que de toute façon, ses yeux disaient tout pour lui.
Lentement, il enroula ses doigts autour des hanches de Louis, l'attirant plus près. Il mourrait d'envie de sentir son corps contre le sien, de le découvrir dans la moiteur de cette minuscule chambre, dans cette lumière de fin du monde. Mais il n'osait pas le dire. Comme un adolescent découvrant l'amour entre les bras d'un homme plus expérimenté, il se laissait guider, tout entier offert à Louis.
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(Ce fanart m'a totalement inspiré la fiction...)
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Louis avait l'impression qu'il allait se liquéfier, là, sur place, entre les bras d'Ari... C'était... trop. Il avait déshabillé le jeune homme. Lentement. Avec une tendresse qu'il ne se connaissait même pas et qui lui avait fait un peu peur. Il n'avait pas besoin d'être doux avec ses clients, c'était juste, comme ça. Il leur demandait ce qu'ils voulaient, et il le faisait. Point. Tout était mécanique, parfaitement huilé. Il savait où poser ses doigts, il savait comment avoir l'air attirant. Mais là... Ari lui faisait en quelque sorte perdre ses moyens. Parce que tout ce qu'il faisait avait l'air important, et merveilleux. Le jeune homme le suivait des yeux, pupilles assombries par le désir, les joues colorées. Il était beau. Le déluge qui leur était tombé dessus avait fait boucler ses cheveux. Ils étaient toujours attachés d'habitude, et Louis n'avait jamais remarqué qu'ils étaient aussi long et épais. Il passa la main dedans, et Ari frémit. C'était étrange, cette façon qu'il avait de le dévorer du regard. C'était étrange toute cette sensualité inconnue que Louis ne percevait pas auparavant et qui lui donnait envie d'être lent, terriblement lent, pour que Ari le supplie.
Parce que le plus étrange dans tout ça, c'est que Ari se laissait entièrement faire, sans lui donner aucune indication sur ce qu'il voulait... Louis était assis sur lui, ses cuisses entourant ses hanches. Et Ari avait l'air tellement... Soumis ? Louis était un peu effrayé par cette position. Ce n'était pas comme ça que ça devait se passer, normalement. Tous les clients de Louis étaient au-dessus parce que c'était, eh bien, la règle ? Est-ce que Ari ignorait ça ? C'était impossible.
Il laissa lentement trainer sa main sur le torse du jeune homme, caressant le grain de sa peau jusqu'à son nombril. Le corps d'Ari était doux. Et il sentait bon. Louis avait pressenti que ce serait le cas, mais il était si heureux que ce soit vrai. Ari ne sentait pas la transpiration ou le mauvais vin ou le poisson grillé comme c'était le cas de beaucoup d'hommes qu'il était obligé d'étreindre... Ari était juste, il était juste parfait. Louis voulait le dévorer.
— Lou ?
Lou ? Il rougit un peu. Heureusement que l'obscurité envahissait déjà la pièce, ne laissant que des ombres traînantes sur leurs visages.
— Oui ?
— Tu veux pas, euh... Enfin j'ai un peu froid.
C'est vrai qu'ils étaient immobiles depuis de longues minutes maintenant. Louis se sentit stupide. Il n'avait même pas remarqué que Ari frissonnait, tout à sa contemplation.
— Pardon. Tu veux une couverture ?
— Non. Je te veux toi. Viens.
Ari prit ses bras, l'attirant contre lui et Louis se retrouva à moitié allongé sur son corps. Le jeune homme passa sa main dans ses cheveux, puis sur sa nuque. Il l'embrassa. C'était doux, comme tous les autres baisers qu'il lui avait donné. Ses mains passaient et repassaient dans son dos, légères, comme pour panser toutes ses plaies. Louis soupira de bonheur.
— Ça va pas ?
La voix d'Ari était basse et ses yeux sondaient le visage du garçon, un peu inquiet.
— Si, si.
— Tu as l'air... Bizarre.
Puis, plus bas, il chuchota :
— J'te plais pas ?
Louis écarquilla les yeux et s'empressa de le détromper :
— Quoi ? Bien sûr que si ! Je veux dire, t'es si... Putain, t'es magnifique Ari.
— Alors qu'est-ce qu'il se passe ?
— Je sais pas... Je réfléchis trop je crois...
Ari se mit à rire.
— Ah oui ? Bizarre, toi qui es si spontané d'habitude.
— Faut croire que je ne le suis pas pour tout, grommela Louis.
Il enfouit son visage dans le cou d'Ari. Il se sentait comme un gamin maintenant, absolument démuni. Comment dire à Ari que...
— Tu as déjà fait l'amour avec quelqu'un Louis ?
Il se redressa, s'appuyant sur un coude.
— Ari. Je me prostitue ? Bien sûr que oui je l'ai déjà fait.
— Non.
Ari posa sa main sur sa hanche, y laissant trainer ses doigts. Louis essaya d'ignorer à quel point cette caresse était douce.
— Je veux dire, faire l'amour avec quelqu'un que tu ai- apprécies. Pas avec des inconnus pour de l'argent. Faire l'amour vraiment, en y mettant toute ton âme, en... En te laissant guider par tes émotions ? Quelque chose comme ça.
Louis resta un moment silencieux. D'accord. Il avait compris. Il devait juste arrêter de réfléchir au moindre de ses gestes, parce que Ari n'était pas un client. Il était un humain, l'humain qu'il aimait, pour une raison qu'il ne s'expliquait pas vraiment.
Lentement, il avança sa main et frôla du bout des doigts les côtes du garçon. Les yeux d'Ari brillaient dans le noir, comme deux pierres précieuses. Louis se pencha pour l'embrasser et contre sa bouche, il souffla :
— Non, je ne l'ai jamais fait, c'est la première fois.
Alors ils s'embrassèrent. Cette fois, Louis ferma les yeux, se sentant partir. Partir dans un endroit où seul le corps brûlant d'Ari existait. Il s'enlacèrent plus fort, et Louis se glissa entre les jambes du jeune homme. C'était brouillon, plein d'une fièvre frissonnante. C'était bon. Tout était bon. La langue d'Ari dans sa bouche, ses mains fourrageant dans ses cheveux, le faisant doucement gémir, la pression de ses hanches sur les siennes, et bordel, leurs sexes se frottant l'un contre l'autre.
Louis n'aurait pas pu dire qui de lui ou de Ari était le plus surpris par la force de leur étreinte. Peut-être lui, en réalité, parce qu'il avait cessé depuis longtemps d'imaginer l'amour comme quelque chose d'agréable. Et pourtant... entre les mains d'Ari, il lui sembla qu'il existait enfin, que tout avait un sens, que tout devenait lumineux.
Leurs hanches ondulaient de plus en plus fort, et il se mordit la lèvre inférieure pour retenir un cri de plaisir. Ari haletait en-dessous, s'agrippant à ses épaules. Lorsque son dos se cambra légèrement, Louis sentit tout son sang affluer dans son bas ventre. Il laissa échapper un gémissement plus rauque et Ari recommença son mouvement.
Merde.
Cette pression allait le rendre fou.
Il ferma les paupières, tentant de reprendre ses esprits. Il ne voulait pas être le premier à... Il ne pouvait pas...
Soudain, Ari se redressa et attrapa la nuque de Louis entre ses mains, plongeant à nouveau sa langue dans sa bouche. Louis lui rendit son baiser, effréné. Il était en quelque sorte assis sur les jambes d'Ari, qui glissa sa main sur ses fesses pour le soutenir. Louis rompit le baiser, sa respiration beaucoup trop saccadée. Ari haletait contre son oreille, les doigts tremblants de désir.
— Lou... T'es, t'es magnifique... Je te veux, tellement...
— Moi aussi, tellement... murmura t-il la voix rauque.
Ari recula un peu, collant leurs visages l'un à l'autre. Louis caressa sa joue.
— Depuis le tout premier soir où je t'ai vu... Depuis ce moment là je rêve de toi.
Louis sourit dans le noir. Il posa tendrement ses lèvres sur celles d'Ari. Doucement, ils recommencèrent à se frotter l'un contre l'autre, enlacés. C'était si doux, si lent. Et puis la bouche d'Ari était collé à son oreille, et la bouche d'Ari disait : si tu savais Louis, si tu savais comme tu es merveilleux et, putain... parfait... si tu savais comme ton corps est beau et comme j'aime tes yeux, et à quel j'ai-j'ai toujours envie de t'avoir contre moi, la nuit, de me réveiller, de me réveiller en sentant ta peau contre la mienne, et comme je déteste savoir que d-d'autres gens te touchent, je voudrais être le seul parce que tu es, tu es trop précieux et moi je je t'-
Louis gémit plus fort. Il ne voulait pas entendre. Il ne sut pas si Ari l'avait dit ou non. L'instant d'après, le dos du jeune homme se cambra plus fort et il se mit à trembler, en murmurant son prénom. Louis le serra contre lui, embrassant sa peau comme un fou. Ari écarta légèrement les cuisses, se laissant retomber en arrière, et Louis se frotta plus fort contre lui jusqu'à jouir à son tour. Il reprit sa respiration, le visage contre le torse d'Ari, le coeur battant.
Ils se regardèrent un moment, et Louis se demanda de quoi il avait l'air avec ses cheveux en bataille et ses joues qui le brûlaient.
Ari lui donna très vite la réponse, parce qu'il l'attira à nouveau vers lui en soufflant :
—Pourquoi est-ce que tu es aussi beau ? J'ai encore envie de toi.
Louis n'aurait pas mieux dit.
/// À SUIVRE... ///
Lentement, Louis accepte Ari et lui dévoile son passé !
J'espère que ce chapitre vous aura plu. 💙 Pour ma part, je vais être en concours pendant une semaine *pleure*. Je n'aurai pas le temps d'écrire mais le prochain chapitre est déjà prêt donc il sera là dimanche prochain sans faute !
Bonne journée. 🌸
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