CHAPITRE 10
— Je me sens un peu mal, quand même, souffla Nilla en trempant son morceau de pain dans son ragoût de légumes secs.
Lima lui coula un regard compréhensif, soupirant :
— On a fait ce qu'il fallait... Tu as entendu ce que nous a dit cette fille.
— Oui, évidemment...
Il y eut un silence pendant lequel Nilla mâcha lentement sa nourriture, puis il reprit :
— J'ai l'impression d'avoir trahi Ari, d'une certaine manière.
— On ne fait que l'aider, murmura Lima comme s'il voulait se convaincre lui-même.
Nilla hocha la tête.
— Bien sûr. Je le pense aussi. Mais... Enfin, je me dis qu'on aurait peut-être pas dû s'immiscer dans ce pan de sa vie privée. Ses relations amoureuses ne nous regardent pas, après tout.
Liam se tourna vers lui, posant une main rassurante sur son avant-bras.
— « Relation amoureuse » ? Tu as entendu ce que nous a dit cette Athis... Louis est avec Ari seulement pour pouvoir le dépouiller. Ce n'est pas ce que j'appelle de l'amour. C'est juste... C'est du vol. Il abuse de sa confiance, et tu sais tout comme moi que Ari est du genre à offrir sa confiance à tout le monde. « Traite les gens avec gentillesse », tout ça.
Nilla eut un petit rire. Ari n'arrêtait pas de leur répéter cette phrase dès qu'ils médisaient sur quelqu'un lorsqu'ils étaient encore adolescents.
— C'est vrai... Je lui ai toujours dit qu'il faisait une erreur de toute façon, à traîner avec cet esclave.
— On aurait dû s'interposer plus tôt, ajouta Lima.
— Hm... Mais il avait l'air si... heureux. Je ne l'avais jamais vu comme ça auparavant. On aurait dit une autre personne.
— C'est vrai qu'il était vraiment épanoui... Je suppose qu'il le sera à nouveau lorsqu'il aura rencontré l'Amour, le Vrai. Et pas les sentiments factices que lui offre ce Louis.
Nilla hocha la tête. Ils finirent de manger en silence, incapable pourtant de se sentir pleinement légers.
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Ari descendit le petit fossé, et se pencha, attrapant une pierre entre ses doigts. Il resta silencieux quelques instants, puis la lança quelques mètres plus loin. La terre était sèche sous ses pieds, striée de minuscules petites fissures dû à la chaleur.
— Tu avais raison... Il n'y a plus d'eau.
Il mit ses mains sur ses hanches, plissant les yeux pour tenter de voir la rivière au-delà du petit pont de pierre. Comme s'il avait compris ce qu'il cherchait à faire, Louis s'approcha et descendit à son tour dans le fossé maintenant vide.
— La rivière est trop longue... Je pense que l'éboulement a eu lieu plus loin. Jusqu'où est-ce qu'elle va ?
— Hm... Jusqu'au mont Vésuve, je crois.
— Peut-être que des pierres sont tombées de la montagne, alors, proposa Louis.
Ari haussa les épaules.
— Sûrement... En attendant, on ne peut plus se baigner.
— On pourrait aller aux thermes ?
Ari fit une petite grimace.
— Je suis un peu trop connu aux Thermes de Stables et à ceux du Forum...
Depuis l'incident de la bibliothèque, Ari préférait se faire petit et se montrer avec Louis était devenu difficile. Son père avait été mis au courant qu'il avait frappé Marcus et qu'il n'avait plus le droit de venir étudier à la bibliothèque, et Ari avait dû lui servir un mensonge assez vaseux, marmonnant que Marcus l'avait insulté et qu'il n'avait rien pu faire d'autre que se défendre. Son père avait été vraiment énervé.
— Je comprends, souffla Louis en liant doucement ses doigts aux siens. Et ceux du Centre ? Ils sont plus populaires, non ? Il y aurait moins de chances que quelqu'un connaissant ton père y soit.
— Pas possible. Tu n'as pas entendu les gens en parler ? Une partie de l'aqueduc acheminant l'eau vers les Thermes s'est effondré. Ils sont fermés pour le moment.
Louis fronça légèrement les sourcils.
— On a pas de chance...
Ari ne répondit pas. Ils remontèrent lentement vers la berge, et décidèrent de retourner à l'insula de Louis, même s'il y faisait une chaleur terrible. Sur le chemin, ils s'arrêtèrent au marché et Ari leur acheta un panier rempli de fruits gorgés de soleil. Pendant qu'il payait la vendeuse, Louis s'attarda devant un étal de bijoux. Il y avait plusieurs anneaux, à des prix plutôt abordables.
— Qu'est-ce que tu fais ?
Louis sursauta, se retournant vers Ari qui lui souriait. Sa peau était bien plus bronzée qu'il y avait quelques mois, lors de leur première rencontre. Ses yeux aussi, semblaient avoir volés au soleil quelques uns de ses rayons les plus lumineux. Il était sublime. Louis cligna des paupières, et se rendit compte qu'il avait cessé de respirer pendant quelques courtes secondes.
— Euh... Rien.
Ils reprirent leur chemin. Louis mourrait d'envie de prendre la main de Ari dans la sienne, d'entremêler leurs doigts. Il mourrait d'envie de le plaquer là, tout de suite, contre un mur et de l'embrasser jusqu'à ne plus avoir de souffle. Mais à la place, il dit :
— Est-ce que tu envisages vraiment un jour d'être commerçant comme ton père ?
Ari ne parut pas surpris par la question — peut-être qu'il y avait longtemps qu'il s'était habitué au fait que Louis disait tout ce qui lui passait par la tête.
— Je crois que je n'ai pas vraiment le choix ? Ce n'est pas comme si j'étais doué pour quelque chose.
— Mais tu écris bien, répondit Louis en haussant les épaules.
— Tu dis ça parce que je t'ai écrit des poèmes.
Il leva la main vers Louis, et la passa doucement contre sa nuque. Ils étaient en pleine rue, mais personne ne faisait vraiment attention à eux. Louis sourit au contact, mais secoua la tête.
— Un peu. Je n'ai pas une grande culture littéraire mais pourtant je t'assure que ce que tu écris... J'aime beaucoup. C'est beau. C'est lumineux. C'est différent de tous les textes que nous avons étudié ensemble.
Ari pinça légèrement les lèvres. Il resta silencieux un moment, les sourcils froncés, et Louis comprit qu'il avait sans doute touché une corde sensible.
Ils tournèrent au coin d'une rue plus tranquille, et Ari s'arrêta soudain, attrapant la main de Louis entre la sienne pour le rapprocher un peu de lui.
— Je n'ai pas envie de devenir commerçant, tu as raison. Ça ne m'intéresse pas.
— Tu l'as déjà dit à ton père ?
— Non !
Les yeux d'Ari s'écarquillèrent légèrement, comme si l'idée même de lui en parler était incongru. Devant l'air un peu perdu de Louis, il souffla :
— Il ne comprendrait vraiment pas. Il n'aime pas l'art, la littérature et... Enfin, bref. Il serait très en colère. Et je pense que ce n'est pas en ce moment qu'il faut que je lui dise que je n'ai pas envie de suivre la même voie que lui.
Louis hocha la tête. Il avait déjà cru comprendre, à travers ce que lui racontait Ari, que le père de ce dernier n'était pas très attentif au bonheur de son fils.
Ils restèrent silencieux jusqu'à l'insula, leurs doigts se frôlant tandis qu'ils marchaient sans vraiment oser se prendre la main.
Mais c'était suffisant.
Et Louis savait, dans le silence d'Ari, que celui-ci était soulagé d'avoir pu parler de ça avec lui. Quand ils seraient seulement tous les deux, dans l'obscurité rassurante de la nuit, Louis se promit de lui dire que peu importe le futur qu'il envisageait, il le soutiendrait. Toujours.
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Ce ne fut que le lendemain que Louis décida de retourner au marché. Ari était rentré chez lui tôt dans la matinée et avait prévu d'y rester toute la journée, ne voulant pas s'attirer un peu plus les foudres de son père. Le jeune esclave avait pris presque tout son pécule avec lui, et les pièces teintaient contre sa jambe. Il se sentait heureux.
Cet argent, il avait d'abord envisagé de l'utiliser pour racheter sa liberté... Mais c'était de l'argent volé. De l'argent gagné malhonnêtement. Si un jour il parvenait à se libérer de ses chaînes, il voulait en être fier.
Cet argent, il allait donc s'en débarrasser et acheter un joli anneau à Ari. Ce n'était peut-être pas mieux symboliquement, mais Louis n'aurait jamais l'opportunité de faire plaisir à Ari sans ces quelques sesterces. Et il voulait lui faire plaisir.
(Peut-être aussi voulait-il que Ari puisse porter quelque chose de lui lorsqu'ils n'étaient pas ensemble, mais ça, il ne l'avouerait pas.)
Il s'approcha de l'étal du commerçant qu'il avait repéré la veille et déposa toutes ses pièces sur la table.
— Il me faudrait un joli anneau. À faire graver.
L'homme lui sourit.
— Un anneau plutôt féminin ?
Louis haussa les épaules. Depuis quand les anneaux avaient un genre ? Il se pencha sur les bagues que lui présentait le commerçant, une petite moue sur le visage. Ce n'était pas vraiment à son goût. Le métal brillait trop, ou alors il y avait un détail qu'il trouvait déplaisant. Finalement, l'homme sortit d'un petit sachet une bague assez fine avec une petite pierre noire au centre. Louis la pris entre ses doigts. Celle-ci était très belle. La pierre n'était certainement pas d'une très grande valeur mais elle étincelait suffisamment. C'était tellement ce qu'aimait porter Ari : discrètement resplendissant.
Louis l'acheta.
Il rangea soigneusement la bague dans sa sacoche. Il n'allait pas l'offrir à Ari tout de suite, non. Il allait attendre un peu, mercredi peut-être. Ils avaient prévu de manger tous les deux près de la rivière, bien qu'elle soit tarie.
Il sourit.
Il était certain que Ari allait l'adorer.
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(ceci est la vraie nouvelle bague du vrai Harry... Louis a acheté un anneau sur les trois !)
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Ari était grimpé sur les hanches nues de Louis, la paume de sa main appuyée contre son torse, ses genoux enfoncés dans le matelas, et il était définitivement trop proche de l'orgasme lorsque le premier tremblement de terre eut lieu.
D'abord, ils n'y firent pas attention.
Ari, entre les limbes brûlantes du plaisir, ne sentait que la façon dont il se contractait autour du sexe de Louis — cette pression extraordinaire dont il avait l'impression qu'il ne pourrait jamais plus se passer. Il ne vit même pas les braises froides du braseiro se renverser sur le sol à cause de la secousse, bien trop occupé à se noyer dans les yeux de Louis, noircis par le désir, immenses et tremblants. Il n'entendit pas non plus la rumeur sourde d'un muret s'écroulant dans un jardin attenant. Il n'y avait que Louis, la façon dont il gémissait son prénom sans aucun retenue, le bruit de leurs peaux s'entrechoquant.
La deuxième secousse fut plus forte. Ari s'arrêta un instant de bouger, mais Louis releva les hanches comme pour l'inviter à continuer, apparement inconscient du danger, et râla :
— Qu'est-ce qu'il y a ?
Ari se lécha la lèvre inférieure, secouant vaguement la tête. Il n'arrivait plus vraiment à réfléchir, quand Louis le regardait de cette façon là, ses joues roses de plaisir. Alors il reprit ses mouvements.
Ils entremêlèrent leurs doigts, et Ari se pencha pour embrasser Louis avant de dévier dans son cou qu'il se mit à mordiller. Le rythme rapide de ses coups de bassins avaient été brisé, et il se fit plus lent, roulant ses hanches contre celles de Louis qui se mit à haleter de plus en plus rapidement.
Ari adorait le fait que Louis soit particulièrement bruyant au lit. Il adorait aussi la façon dont sa voix était légèrement plus écorchée lorsqu'il parvenait à l'orgasme. Il adorait sentir les mains de Louis s'agripper à ses fesses pour qu'il reste en lui, qu'il ne bouge pas, surtout pas, pendant que son corps s'arquait brusquement.
Mais cette fois, ceci n'eut pas lieu.
Le troisième tremblement de terre les arrêta net.
Il y eut un long craquement, et une fissure se dessina sur le mur face à eux, le lézardant presque jusqu'au plafond.
— Merde, putain... Merde, Az.
Louis se redressa, posant sa main sur le torse humide de Ari pour le repousser légèrement. Celui-ci fixait le mur d'un air totalement paniqué, ne sachant absolument pas ce qu'il était censé faire. Il n'y avait pas eu de tremblement de terre depuis qu'il était enfant. Il se souvenait vaguement de la peur qui l'avait étreint, à cette époque. Il devait avoir une dizaine d'années, c'était pendant l'après-midi, à l'heure où il prenait des cours de géographie. Son professeur avait totalement paniqué et avait abandonné Ari dans la pièce où ils étudiaient en sentant le sol bouger. Ari était resté tout seul, caché sous une table, et il avait pleuré jusqu'à ce qu'un esclave le retrouve et l'emmène dehors. Quelques minutes après, tout le toit de la pièce s'était effondré. Ari avait fait des cauchemars pendant des mois après cette épisode.
Louis, lui, semblait conscient qu'il fallait bouger, et vite. Il fit rouler Ari sur le côté, et se précipita vers leurs vêtements, lui lançant sa tunique.
— Enfile ça. Dépêche toi.
— Lou, on... Qu'est-ce qu'on fait ?
Louis se retourna. Ari s'était à moitié recroquevillé sur lui même, les yeux écarquillés. Il avait les cheveux totalement emmêlés, son corps était moite de transpiration, et ses mains tremblaient sur ses cuisses. Pour la première fois, Louis prit conscience qu'il était plus jeune que lui, plus fragile. Comment allaient-ils faire, s'ils devaient vraiment s'enfuir et vivre comme des vagabonds ? Il n'était pas certain que Ari soit prêt à réagir de la bonne façon en cas de danger.
Il s'avança donc à nouveau vers lui, s'agenouilla et posa brièvement ses mains sur ses joues pour l'embrasser. Puis, contre sa bouche, les yeux plongés dans les siens, il souffla :
— Habille toi tout de suite, et descends l'escalier. Ne t'arrête pas, je te suis. Et dans la rue, prends immédiatement à droite pour t'éloigner des insula à cause des éboulements.
Il le lâcha et se détourna, courant à nouveau vers sa tunique pour l'enfiler. Puis il alla ouvrir son coffre et pris sa sacoche où se trouvait toutes ses affaires précieuses — c'est-à-dire, la bague qu'il devait offrir à Ari dans trois jours.
Quand il se releva, Ari était habillé à peu près correctement, la main sur la porte, et le regardait avec hésitation. Une quatrième secousse sembla lui répondre et il ouvrit enfin, avant de courir dans l'escalier. Louis le suivit, et lui offrit un sourire qui se voulait rassurant lorsque Ari jeta rapidement un coup d'oeil par-dessus son épaule. Ils dévalèrent l'escalier à toute vitesse, et constatèrent que l'insula était déjà vide. Dehors, une petite foule s'était amassée autour du puits, fixant les murs des maisons. Pourtant, ils ne semblaient pas inquiets plus que ça. Louis ralentit le pas et Ari s'arrêta en même temps que lui.
— Ça ne sert à rien de se mettre à l'abri, leur cria une femme entourée de ses deux enfants, c'est fini.
Le tremblement de terre n'avait pas du être très violent car aucune maison ne s'était effondrée dans le quartier. Il n'y avait que des murs fissurés, et des hommes promirent de réparer du mieux qu'il le pouvait. Un vieil homme assis sur une pierre d'un trottoir secoua la tête en grognant :
— Si vous aviez connu le tremblement de terre d'il y a dix ans... Tout était démoli ! Pas de quoi paniquer pour celui là...
Louis se détourna. Il comprenait maintenant pourquoi il n'avait pas senti les secousses tout de suite... Il s'apprêta à se tourner vers Ari pour blaguer à propos du fait qu'ils avaient du interrompre leur activité pour un simple petit tremblement de terre de rien du tout mais celui-ci était un peu en retrait, et continuait de fixer la fissure qui s'étendait le long du mur de l'insula, blême. Il avait l'air vraiment secoué par ce qu'il venait de se passer, et Louis s'avança vers lui.
— Az ? Tu veux qu'on marche un peu ?
Ari hocha silencieusement la tête.
Ils s'éloignèrent. Les gens s'étaient tous rassemblés sur les places, et les jardins aux alentours de la ville étaient vides. Ils finirent donc par se laisser tomber dans l'herbe d'un petit champ, contre un arbre fruitier aux feuilles jaunies par le soleil.
Louis prit doucement la main d'Ari entre la sienne, et la porta à sa bouche pour embrasser ses phalanges.
Et.
Ari fondit en larmes.
C'était tellement soudain que Louis mit quelques secondes à réagir et à l'attirer contre lui, enlaçant ses épaules, serrant son visage contre son torse. Il embrassa le haut de son crâne et de son front, passa de nombreuses fois ses doigts le long de ses joues. Ari hoquetait contre son cou, incapable de se calmer.
— J-J'ai eu, tellement peur que-que ça tremble encore et que-que tu disparaisses derrière m-moi...
Louis prit fermement son visage entre ses mains, et chercha son regard humide.
— Az, enfin... Mais non... Ce n'était qu'un petit tremblement de terre. Il fallait partir vite au cas-où mais... Mon amour, je suis là. C'est fini maintenant, d'accord ? Il n'y a rien eu de grave. Je suis toujours là, toujours.
Ari hocha la tête, même si les sanglots continuaient de lui secouer les épaules.
Ils s'allongèrent dans l'herbe l'un contre l'autre, se fichant que quelqu'un les surprenne dans cette position, et Ari enlaça Louis de toutes ses forces, respirant l'odeur de son cou. Louis lui frottait doucement le dos, cherchant à l'apaiser. Quand Ari eut repris une respiration plus régulière, il s'excusa du bout des lèvres, la voix lente.
— Ne t'excuse pas, répondit Louis. Ce n'est pas grave. Tu as le droit d'avoir peur, et de pleurer.
L'obscurité était en train de tomber entre eux et ils roulèrent sur le côté pour admirer le soleil qui se couchait derrière le mont Vésuve. Louis s'était rassis, et Ari avait posé sa tête contre ses cuisses, laissant le jeune homme lui caresser doucement le nez, les joues, les paupières. C'était doux. C'était tout ce dont ils avaient besoin après cette avalanche d'émotions.
— Tu n'avais jamais vécu de tremblement de terre ?, finit par demander Louis, la voix légère.
— Si.
Louis baissa les yeux vers lui. La bouche de Ari était un peu pincé, ses yeux fermés. Il comprit qu'il ne lui disait pas tout, mais il n'insista pas. Si Ari n'avait pas envie de se confier sur ce qui avait peut-être été un moment traumatisant de sa vie, il respectait cela. Il reprit donc, la voix douce :
— J'ai l'impression qu'il va y en avoir beaucoup cet été... Tu vas avoir le temps de t'habituer.
— Pourquoi est-ce que tu dis ça ?
— Je ne sais pas... Mais il y a déjà eu la rivière qui est sûrement bouché par un éboulement de pierres, l'aqueduc qui s'est écroulé, et puis maintenant ça. En Grèce, les tremblements de terre étaient réguliers. Il ne faut pas s'inquiéter.
Ari resta un moment silencieux, le regard fixé vers le Vésuve baigné dans les dernières lueurs orangées que le soleil déversait sur son sommet.
— Est-ce que tu crois que les Dieux nous en veulent ?
Louis sourit.
— Avons-nous fait quelque chose de mal ?
Ari pouffa, un peu tristement :
—J'espère que non.
Louis se pencha et l'embrassa du bout des lèvres avant de souffler :
— Tu sais, je ne pense pas que Vénus nous en veuille. Je suis sûr qu'elle nous protège. Au même titre qu'elle protège tous les gens qui s'aiment.
— J'en suis certain aussi, Lou.
Ils se sourirent.
Le soleil disparu totalement.
Le Vésuve fut plongé dans le noir,
Et leurs lèvres qui s'aimèrent, aussi.
*
*
*
*
Louis avait toujours apprécié la vie à Pompéi, parce qu'elle semblait légère et douce. Certes, il y avait de la pauvreté, des gens à la rue, des mendiants, des affamés, mais dans l'ensemble, il régnait toujours dans la ville une sorte de liesse générale. Il avait détesté la vie à Rome, par exemple. La Cité était trop grande, il y avait trop de monde. Les meurtres étaient courants de nuit comme de jour, les matrones jetaient leurs pots de chambre par les fenêtres sans même faire attention à regarder si la rue en bas était vide, une sorte de puanteur stagnait en permanence, il y avait des vols, du bruit, l'air était épais.
Louis respirait à Pompéi.
Il avait appris à aimer ses allées plus tranquilles, la couleur du soleil se reflétant sur l'océan au loin, l'odeur des jardins bien entretenus, la façon de parler des habitants, le ciel d'un bleu si pur, la chaleur sans tendresse de son été.
Peut-être qu'il aimait Pompéi à cause d'Ari, aussi. La ville était pour lui cernée par la présence du garçon qu'il aimait. Marcher près des thermes lui rappelait la façon dont les cheveux d'Ari bouclaient après un bain. Se promener le long de l'amphithéâtre, c'était sentir à nouveau la douceur des doigts d'Ari se liant aux siens pour l'entraîner derrière les hauts murs, et l'embrasser en riant comme un enfant. Dévaler la petite descente menant à la rivière c'était revoir ce premier soir, celui où Ari lui était apparu, évanescent dans sa tunique blanche, les yeux brillants, miraculeux.
Souvent, lorsque Louis était seul, il pensait à Ari et son coeur se serrait — mais pas de tristesse de colère ou de peine, non, son coeur se serrait d'amour, un amour immense, dévorant, un amour qui le dépassait lui-même tant il occultait tout le reste.
Louis savait que si Ari venait à le rejeter pour une raison ou pour une autre, il en mourrait. La vie sans lui n'aurait plus de sens. Il était tout.
Peut-être que c'était imprudent, d'aimer autant. Louis avait toujours été habitué à conserver une forme de liberté. Ne pas s'attacher, c'était la ligne de conduite qui avait guidé sa vie jusqu'à présent. Le premier déchirement qu'il avait ressenti en quittant la Grèce de son enfance, il s'était juré de ne plus jamais le ressentir. Il était passé au-dessus des êtres en fermant les yeux, il avait repoussé d'éventuels amis, il avait dispersé des sourires sans y croire, il avait dit des mots qui n'avaient aucun sens.
Il avait survécu, parce que c'était ce qu'il fallait.
Mais il n'avait jamais vécu.
Jamais comme maintenant il le faisait, sans réfléchir, prenant tout, ne refusant rien.
Louis s'affamait pour mieux dévorer toute cette vie que Ari lui offrait sans concession.
Et il savait qu'il était bien trop tard, maintenant, pour revenir en arrière. Avait-il même seulement tenté de repousser Ari ? Quand il y réfléchissait bien, la réponse lui apparaissait clairement : Ari avait toujours été là, sous ses paupières, il avait brûlé la peau de Louis, ses yeux étaient la seule lumière qui existait pour lui. Louis était prisonnier de cet amour, il s'était enchaîné lui-même, dès le début.
Mais était-ce quelque chose de négatif ?
Quand il observait Ari rire, quand son visage se renversait légèrement, quand ses yeux brillaient et que ses fossettes se creusaient au coin de sa joue, alors Louis se sentait si heureux qu'il savait, évidemment, que Ari était la meilleure chose qu'il lui soit arrivé.
Peu importe ce que leur réservait l'avenir, Louis avait aimé un homme au-delà de sa propre vie, il avait touché du bout des doigts l'éclat incandescent d'un Soleil, il avait rempli tous les vides de son existence, il n'était plus seulement Louis, il était Louis&Ari, et cela, rien ni personne ne pourrait le lui enlever.
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Ari était assis dans le jardin de sa maison, le dos appuyé contre un mur de pierres, le visage tendu vers le ciel, les yeux fermés. Il écoutait l'écho léger de la harpe dont sa soeur jouait dans un pièce de la maison. Dans un arbre face à lui, un petit oiseau rouge chantait un air doux et lancinant.
Il fut tiré de sa rêverie par un bruissement de feuilles, juste derrière lui. Il ouvrit lentement les yeux, et sourit à sa mère qui arrivait, un bouquet de fleurs entre les mains.
— Ari, qu'est-ce que tu fais là ?
La voix de sa mère était si douce. Elle avait l'air un peu ailleurs, les yeux flous. Elle avait toujours l'aspect d'une muse particulièrement évaporée, et aujourd'hui plus encore, légère dans sa robe de lin blanc.
— Rien, souffla Ari, je réfléchis.
À sa surprise, sa mère s'assit à coté de lui, repliant ses jambes de façon à coincer sa robe sous ses genoux. Le vent léger qui soufflait aurait suffit à dévoiler sa peau blanche. Elle déposa le bouquet de fleurs près d'Ari et plongea ses yeux dans les siens.
Comme d'habitude, Ari voulut détourner le regard, mal à l'aise, mais sa mère attrapa son menton entre ses doigts pour l'empêcher de s'échapper, et le dévisagea un long moment avant de murmurer :
— Toi, tu aimes.
Ari sentit ses joues rosir bien malgré lui. Il se dégagea de l'étreinte maternelle, et passa rapidement une main dans ses cheveux.
— Pourquoi est-ce que tu dis ça ?
Un petit rire s'échappa des lèvres de sa mère.
— Ton père dit toujours que je suis presque folle, je le sais. C'est peut-être le cas...
Elle pencha légèrement la tête sur le côté. Pour la première fois, Ari se demanda si sa mère souffrait de ce qu'on disait d'elle. Il n'y avait jamais pensé... Il avait toujours eu tellement l'impression qu'elle n'entendait rien, que son esprit était constamment ailleurs. Aujourd'hui, dans l'éclat si fragile de ses yeux, il perçut la douleur, terrible et brutale. Elle cligna lentement des paupières, et avança à nouveau la main vers Ari, pour lui caresser la joue.
— Je sens certaines choses. Depuis toujours. Tu me crois ?
— Oui, souffla t-il.
Il avait à peine hésité. Parce que oui, il l'a croyait. Il savait que sa mère était différente. Qu'elle avait quelque chose en plus de tous les autres. C'était ce qui le mettait mal à l'aise. Il avait conscience qu'elle était capable de lire en lui.
— Je crois que toi aussi, Ari. Tu es plus sensible que ta soeur.
Sa main glissa et se posa sur la poitrine du jeune homme, à l'endroit où son coeur battait.
— Tu l'étais avant mais tu l'es encore plus maintenant. La lumière autour de toi a changé. Je sais que c'est parce que tu aimes.
Ari resta silencieux. Que pouvait-il dire face aux yeux immenses de sa mère qui semblaient tout savoir de lui, avoir conscience de l'étendu immense de son amour pour Louis ? Il ne pouvait pas acquiescer. Il ne voulait pas que sa mère l'interroge davantage.
Le silence s'étira autour d'eux. Ari se demanda depuis combien de temps il n'avait pas été proche de sa mère, depuis combien de temps est-ce qu'ils s'étaient assis de cette façon, ensemble, à observer le jardin qui frémissait sous la caresse du soleil. Il avait le souvenir d'avoir été cet enfant suivant sa mère un peu partout, accroché au pan de sa robe si longue. Il avait le souvenir de ses doigts doux dans ses cheveux, d'une chanson qu'elle lui chantait lorsqu'ils se promenaient le long de l'océan, de l'odeur du parfum dans le creux de son cou.
Et puis, il avait grandi, et sa mère avait changé. Elle était devenue plus sombre, absente. Ses yeux avaient cessé de s'intéresser à Ari, elle n'avait rien dit lorsqu'un jour, il avait coupé les boucles brunes et souples de ses cheveux avec la dague de son père. Elle s'était muée en un élément du décor de la maison, élément discret et qui pourtant semblait tout percevoir, élément qui mettait Ari mal à l'aise, auquel il cherchait constamment à échapper.
Il avait eu tort, sans doute. Dans le silence de sa mère, enfin, il se rendait compte qu'elle était sans doute la seule personne à pouvoir le comprendre, sans le juger. Il avait envie de lui parler de Louis, de lui décrire ses yeux, la façon dont il riait en posant sa main sur sa bouche. Il avait envie de lui raconter la façon dont son coeur s'emballait lorsqu'il lui prenait la main. Il voulait lui raconter leurs sorties, les après-midis passés à apprendre par coeur la peau, l'âme, les pensées de l'autre. Il voulait lui demander si elle trouvait ça grave, elle, d'inverser les rôles.
Il voulait l'entendre dire : « Aime, Ari, de toute tes forces. Aime car il n'y a rien de plus beau au monde. Aime car c'est sans doute la seule chose qui compte. Aime jusqu'à en devenir fou. »
Mais il ne dit rien. Car en tournant à nouveau les yeux vers sa mère, il devina dans son sourire qu'elle avait déjà tout compris. Elle n'avait pas besoin des mots. Le silence lui suffisait.
Elle se releva lentement. Sa robe ondula autour de sa taille fine, ses cheveux sentaient l'eau parfumée qu'elle se vaporisait tous les matins. Ari lui tendit son bouquet de fleurs, mais elle secoua la tête.
— Je l'ai cueilli pour toi.
Sa mère tourna légèrement la tête. Ses yeux se perdirent sur l'océan qui s'étalait à perte de vue, à l'horizon. Puis elle murmura :
— Ari... Connais-tu ces vers de Properce : « Solus amans novit quando periturus » ?
— « Seul l'amant sait quand il mourra » ?, traduit Ari, un peu perdu.
— Oui. Souviens-toi de cette phrase, s'il-te-plaît.
— Pourquoi ?, murmura t-il.
Sa mère se tourna une dernière fois vers lui. Ari avait envie de se lever, de se jeter contre elle, d'entourer son corps frêle de ses bras. Le regard de sa mère avait la douceur vaporeuse du ciel et de l'océan aux vagues lentes. Il lui faisait mal au ventre. Il lui hurlait ce qu'il ne voulait pas entendre, surtout pas. Alors il ferma les yeux lorsqu'elle chuchota :
— Pour te sauver la vie, au moment où le monde se déchirera.
Il resta assis, les fleurs entre ses doigts, jusqu'à la tombée de la nuit.
Les yeux rivés sur la silhouette du Vésuve.
Une peur étrange flottant dans son ventre.
*
*
*
Il se réveilla très tôt le lendemain. Il avait mal dormi, rêvant, comme il le faisait depuis quelque jours maintenant, que la terre s'était ouverte sur Louis et l'avait englouti.
Il se leva et alla se passer de l'eau sur le visage.
Il avait vraiment besoin de voir Louis. De le prendre dans ses bras, de respirer son odeur familière, d'embrasser ses lèvres et d'avoir le goût de sa langue sur la sienne. C'était terrible, à quel point Louis lui manquait lorsqu'ils étaient séparés plus d'un jour.
Il soupira. Le problème, c'est qu'il avait promis à son père de l'accompagner sur le forum. Ils devaient discuter avec ils ne savaient plus quel homme politique qui avait promis à son père des avantages commerciaux. Une histoire ennuyeuse.
Il enfila une tunique propre et coiffa un moment ses cheveux. Il savait à quel point Louis adorait ses boucles brunes, mais parfois il avait seulement envie de les couper un peu. Ils lui arrivaient presque aux épaules à présent, et lui tenaient bien trop chaud.
Il allait se mettre à son bureau pour écrire un peu lorsqu'un mouvement au fond du jardin attira son attention. C'était Sami, occupée à éteindre des draps. Ari hésita une seconde mais finit par sortir de sa chambre pour aller la rejoindre.
L'aube était à peine en train d'étaler ses doigts de rose sur le ciel. Il s'arrêta un moment, levant les yeux pour observer le mouvement lent des nuages, encore entourés d'un voile sombre, celui de la nuit qui se déchirait. L'air était frais autour de lui, les herbes humides.
Sami se retourna en l'entendant arriver, et lui sourit.
— Ari. Vous êtes bien matinal !
— Je n'ai pas très bien dormi, avoua t-il. Et, tutoies-moi Sami, s'il te plaît.
La jeune femme haussa vaguement les épaules. Ari lui répétait cela sans cesse, mais elle avait vraiment du mal à s'y faire.
— Est-ce que c'est pour ton père, que tu restes ici ?, finit-elle par demander d'une petite voix.
Ari l'observa, un peu surpris de la question. C'était... Direct. Mais c'était aussi ce qu'il appréciait chez elle. Alors, il répondit honnêtement :
— Oui. Je ne veux pas qu'il trouve encore plus de raisons de me détester.
— Tu pourrais partir le soir et rentrer tôt le matin, non ?
Ari émit un petit rire :
— Je n'ai plus quinze ans Sami... Je n'ai pas envie de faire le mur pour rejoindre mon- Enfin. Mes amis.
Cette fois, ce fut Sami qui pouffa.
— Je pense que tu peux prononcer ce mot devant moi. Je sais très bien que c'est chez Louis que tu passes le plus clair de ton temps... Ce qui ne me regarde pas, évidemment !
Ari s'appuya contre un mur, l'observant éteindre le reste de linge. Il resta un moment silencieux avant de demander :
— J'aimerais bien ton avis, au contraire. Mes amis trouvent que je suis inconscient parce que je suis avec Louis. Pour eux, ce n'est pas une personne que l'on peut aimer.
Sami s'arrêta dans son travail.
— Je pense que tes amis ont tort.
— Pourquoi ?
La jeune femme se mordilla la lèvre, cherchant ses mots avant de murmurer, très vite :
— J'ai rencontré Louis plusieurs fois, je lui ai parlé. Je sais qu'il tient vraiment à toi. Je crois aussi que c'est une bonne personne. Je... Je pense que c'est quelqu'un à qui je pourrais faire confiance, s'il travaillait ici par exemple.
Ari ne put pas s'empêcher de sourire.
— Je savais que Louis t'avais charmé...
Les joues de Sami s'empourprèrent légèrement :
— Q-Quoi ? Mais non ! Pas du tout !
Ari éclata de rire. La jeune fille décrocha alors un morceau de tissu du fil à linge et lui jeta à la tête pour se venger, et iels finirent par se courir après dans le jardin en riant comme des gamins.
Plus tard, de retour dans sa chambre pour se changer car sa tunique était tâché d'herbe, Ari pensa que si son père l'avait surpris en train de s'amuser avec Sami, il l'aurait sûrement renié à tout jamais. Mais l'idée ne le dérangeait pas tellement. Il savait qu'il allait devoir discuter avec son père, un jour ou l'autre, et lui annoncer qu'il ne voulait pas prendre le même chemin que lui. Il savait que cela ne lui plairait pas. Mais il s'en fichait.
Il sortit dehors pour regarder le lever du soleil sur l'océan. La journée allait être brûlante. La journée allait être belle, comme toutes les autres depuis maintenant des mois, depuis Louis.
Il ne se sentait plus vide.
Tout avait un sens.
Les odeurs, les couleurs, les bruits.
Tout avait maintenant un relief.
Et lui se sentait si libre.
Rien ne pourrait jamais l'empêcher d'être heureux.
Rien.
Il se détourna, plongeant à nouveau dans la maison, laissant la silhouette du Vésuve derrière lui.
*
*
*
*
*
*
Louis aurait bien aimé pouvoir voir Ari au moins une fois dans cette journée. Mais elle s'était déroulée dans une lenteur impitoyable, sans qu'une seule fois le garçon qu'il aimait ne passe la porte du lupanar. Il faisait une chaleur affreuse, et Julia était exécrable car une partie du bâtiment s'était effondré — heureusement, ce n'était pas la pièce réservée à Louis. Il s'y était donc retranché toute la journée, avait accueilli les hommes qui venaient le voir avec le même sourire égal, avait posé ses lèvres sur des peaux transpirantes, avait fait semblé de prendre du plaisir aux coups de bassins trop forts d'un cinquantenaire, n'avait rien dit lorsqu'un jeune homme lui avait mordu l'épaule en grognant de plaisir.
Il s'était senti tellement dégoûtant qu'à la fin de la journée il s'était mis à pleurer, recroquevillé contre le pot rempli d'eau qui lui servait à se laver. Ça n'avait pas duré longtemps, seulement des sanglots coincés dans sa gorge qu'il n'avait plus réussi à réprimer, mais cela avait suffi à lui faire comprendre qu'il n'était pas bien. Et qu'il avait besoin de Ari. Un besoin terrible.
Il quitta le lupanar, ne cherchant même pas à savoir si Athis y était encore. Il devait la rejoindre dans deux heures derrière l'amphithéâtre, et rien que l'idée lui donnait envie de vomir. Il prit directement le chemin menant à la villa de Ari. Il se foutait que quelqu'un puisse l'apercevoir, que le père de son amoureux le surprenne dans son jardin, il voulait juste : le voir.
La maison était silencieuse lorsqu'il arriva à son abord. Il n'y avait personne dans le grand jardin, mais en plissant les yeux il pouvait voir des hommes travaillant dans un champ de vignes un peu en retrait. Il se faufila entre les colonnes de la villa, et se mit sur la pointe des pieds pour pouvoir jeter un oeil par une fenêtre.
La pièce qu'il contemplait donnait sur un petit bassin intérieur, où nageait deux gros poissons aux écailles dorées. Mais là encore, il n'y avait personne.
Il fit le tour de la bâtisse, et finit par trouver une porte qui donnait sur un couloir. Il y avait du bruit, sûrement venant d'une cuisine. Louis hésita un peu. Il ne se souvenait pas vraiment de l'endroit où était placé la chambre de Ari. Il était à chaque fois venu en pleine nuit après tout.
Pourtant, il finit par s'aventurer dans la maison, se perdant dans un dédale de couloirs, ne voulant absolument pas se retrouver dans une pièce de vie commune.
C'était imprudent, bien sûr, mais il se décida à ouvrir des portes au hasard. Il tomba sur deux chambres vides, et ce fut lorsqu'il entrouvrit la troisième qu'il tomba nez à nez avec une femme d'une cinquantaine d'années.
Il fallait vraiment qu'il arrête de jouer à l'apprenti voleur.
Mais aussi étrange que cela puisse paraître, la femme ne sembla pas du tout surprise de le voir. Elle lui sourit vaguement, ses yeux le dévisageant d'une drôle de manière, qui mit Louis mal à l'aise, puis elle souffla :
— Ari n'est pas encore rentré. Mais je peux te conduire dans sa chambre si tu veux l'attendre.
Louis recula. Il ne savait même pas quoi répondre. Qui était cette femme ? La soeur de Ari ? Non, elle ne ressemblait pas à ça dans son souvenir. Alors sa mère ? Mais pourquoi lui parlerait-elle de cette façon ?
Dans tous les cas, il se laissa docilement guider à travers la maison, trop hébété pour demander quoi que ce soit. Lorsque la femme s'arrêta devant une porte de bois sombre, il reconnut le couloir où était la chambre de Ari.
— Merci, souffla t-il.
— C'était un plaisir de vous rencontrer, Louis, répondit-elle avec le même sourire doux qu'avant.
Louis la regarda s'éloigner, totalement éberlué. Il ne lui avait pas dit son prénom. Comment le connaissait-elle ? Il finit par rentrer dans la chambre, ne voulant pas rester dans le couloir plus longtemps, et oublia bien vite l'étrange inconnue en se retrouvant au milieu des affaires de Ari. Il sourit en voyant tous les papiers éparpillés sur son bureau. Certains étaient froissés, d'autres mis les uns sur les autres. Il avait laissé un petit pot d'encre noire ouvert, et Louis s'avança pour le refermer. Il ne fallait pas que l'encre sèche.
Puis, il se laissa tomber sur le lit du jeune homme et attrapa une tunique tâchée d'herbe qui était roulé en boule près de son oreiller. Il enfouit un instant son visage dans le tissu, inspirant lentement l'odeur de Ari.
C'était stupide, mais il se sentit mieux une fois qu'il eut fait cela.
Alors, seulement, il s'allongea totalement sur le lit, la tunique serrée contre sa poitrine, et il fixa le plafond.
Il avait perdu beaucoup de temps en venant ici. Ari n'était pas là. Mais c'était peut-être mieux, non ? Louis ne voulait pas lui avouer qu'il avait quelque chose à faire à l'autre bout de la ville. C'était une mauvaise idée de venir ici. Il ferma les yeux.
Il avait peur.
Bien sûr qu'il avait peur.
Mais c'était de sa faute. Il n'aurait pas du vouloir affronter ses problèmes tout seul. Il n'aurait pas du se laisser prendre au jeu de Athis. Quel idiot. Maintenait il était coincé. Il allait devoir la retrouver derrière ce fichu amphithéâtre.
Lentement, il se releva du lit de Ari.
Il s'arrêta devant le bureau, hésitant à lui écrire quelque chose pour signaler qu'il était venu. Il savait que Ari serait heureux d'apprendre ça. Mais... Mais Louis avait peur d'écrire mal. Et il ne savait même pas quoi dire. Il y avait trop de choses qu'il avait besoin d'exprimer.
Tu me manques. J'ai besoin de toi. Ton odeur me manque. Tes bras aussi. Ça fait seulement un jour. Je crois que je suis fou amoureux de toi. Je crois que tu le sais déjà. Emmène moi loin de ce monde, restons juste tous les deux, mon amour. Je te promets qu'un jour, nous nous tiendrons la main et que le monde entier sera notre maison. Je te promets qu'il n'y aura que nous deux, même dans l'éternité.
Alors, sans savoir vraiment pourquoi, il sortit de sa sacoche la bague qu'il voulait lui offrir le lendemain.
Il la déposa au milieu du lit.
Un rayon de soleil l'éclaira, et le métal se mit à briller.
*
*
*
Peut-être qu'il avait eu le pressentiment que quelque chose n'irait pas.
Dans tous les cas, il avait bien fait d'abandonner la bague.
Derrière l'amphithéâtre, Athis n'était pas seule. Elle se tenait bien droite, son air terriblement moqueur et perfide sur le visage. Louis ne recula pas en voyant qu'elle était entourée par quatre personnes : deux gardes, un homme au ventre légèrement rebondi, et une jeune femme dont le visage ne lui était pas inconnu. Ses deux derniers avaient l'air riches, et Louis comprit bien vite qu'ils étaient de la famille de Ari. Sûrement son père et sa soeur.
Il arriva vers eux, le coeur battant un peu trop fort, et il ne cilla pas lorsque le père de Ari prononça d'une voix forte :
— C'est lui ! Je le reconnais.
Immédiatement, les deux gardes l'attrapèrent et l'immobilisèrent. Comme si Louis pouvait tenter quoi que ce soit... Il savait qu'il devait garder son calme. Il planta ses yeux dans ceux du père de Ari, et dit calmement :
— Je pense qu'il y a erreur. Je ne vous connaît pas monsieur.
Il détourna les yeux, ne lui répondant pas. La soeur de Ari fit alors un mouvement de tête vers Athis, et celle-ci s'approcha de Louis, la voix chantante :
— Ce n'est pas la peine de mentir Louis. Tout le monde ici sait pour le vol.
Le vol ? Louis fronça les sourcils. Il savait qu'il ne pouvait pas nier ce vol... Mais pourquoi est-ce que le père de Ari et sa soeur étaient là ? Ils n'avaient rien à voir avec cette histoire. Ce n'était pas chez eux qu'il avait pris les bijoux. Pourtant, il sentit une goutte de sueur froide couler le long de son dos lorsque Athis continua :
— J'ai mis au courant la fille de l'honorable Lucius Petronius Mercator de tes agissements avec son fils. J'ai aussi tout dit de ce que tu m'avais raconté l'autre jour, tu sais, à propos du vol des bijoux. Or, il se trouva que la femme de Lucius a justement perdu des bijoux...
Louis secoua la tête. Qu'est-ce que c'était que ce délire ?
— Je n'ai rien volé chez Ari !
— C'est ce qu'on va voir, grogna un des gardes.
Ils lui faisaient mal aux poignets, à force de serrer. Il bougea légèrement, tentant de se dégager de leurs étreintes mais les deux colosses l'encadrèrent un peu plus et le père de Ari finit par reprendre la parole, visiblement un peu las :
— Conduis-nous à l'endroit où vit cet esclave, Athis.
Putain. Louis serra les dents, se retenant d'insulter la jeune femme de tous les noms. Il se laissa traîner dans la rue, baissant la tête pour ne pas en plus subir l'humiliation des regards des gens de son quartier. Il n'arrivait pas à croire que Athis ait pu lui faire un coup pareil... Elle avait donc discuté avec la soeur de Ari. Comment avait-elle fait pour l'approcher ?
De toute façon, il savait que son plan n'allait pas marcher. Les bijoux du vol, il les avaient tous revendus et il n'avait même plus l'argent du butin, puisqu'il avait acheté la bague de Ari avec ce qu'il restait. Athis allait bien être obligée d'avouer sa défaite en arrivant chez lui.
Il dut monter les escaliers exigus de l'insula, serré entre les deux gardes, et fut soudain pris d'un vent de panique en pensant que si ça se trouve, Ari l'attendait à l'intérieur... C'était courant qu'il rentre chez lui et que le jeune homme soit là, totalement nu sur sa paillasse, un sourire félin sur le visage. Et. Ce serait plutôt très malvenu, cette fois.
Mais heureusement, il n'y avait personne dans la petite pièce qu'il occupait. Les gardes le poussèrent jusqu'au coffre et Athis le souleva lentement.
Il laissa échapper un cri.
Il y avait des bijoux dans le coffre. Des bijoux qu'il n'avait jamais vu de sa vie.
— Je n'ai pas volé ça !, hurla t-il.
Athis le fixait avec un sourire vainqueur, apparement terriblement amusée de la situation.
— Leur présence dans ton coffre va être difficile à expliquer, alors...
Le père de Ari se pencha vers l'avant, et confirma que les bijoux étaient bien ceux de sa femme.
— Mais je ne les ai pas mis là !, continua Louis, s'écorchant inutilement la voix.
Les gardes ne l'écoutèrent même pas, et permirent au père de Ari de reprendre les bijoux. Ils lièrent les mains de Louis avec une corde, lui serrant si fort les poignets qu'il sentit sa peau le brûler, puis il lui enlevèrent sa sacoche et en jetèrent le contenu à terre.
Il n'y avait presque rien, mis à part une pomme volé sur le marché quelques heures auparavant, son couteau et deux pièces. Toute sa misérable vie étalée sur le sol de bois.
Athis ricana.
Louis fut tiré hors de l'insula, et cette fois il ne put échapper aux sifflements de ses voisin.e.s. Une femme lui jeta même un seau d'eau sale sur le dos, et il courba l'échine, ravalant ses larmes. Il ne comprenait absolument pas ce qu'il se passait, et comment il pourrait s'en sortir. C'était juste...
Il releva les yeux, juste à temps pour voir Athis s'attarder avec le père de Ari et sa soeur, certainement pour recevoir de l'argent de leur part.
Louis la détestait.
Il la détestait plus que n'importe qui au monde.
Alors il hurla, jusqu'à ce qu'un des deux gardes lui assène un coup sur la mâchoire, mais le sang dans sa bouche n'empêcha pas de crier. Il lui hurla qu'il la maudissait, qu'elle ne méritait pas de vivre. Il lui hurla qu'il espérait que les Dieux la punisse de la plus horrible des façons. Et il hurla que Ari ne le laisserait pas croupir dans une prison, qu'il viendrait le sauver, qu'elle ne gagnerait pas, jamais.
Il se débattit ensuite, alors que les gardes le traînaient sur les trottoirs poussiéreux, s'attirant les regards vaguement effrayés des passants. Celui qui lui avait déjà abîmé la mâchoire lui envoya un coup dans les mollets pour qu'il arrête de bouger et il se plia en deux à cause de la douleur, laissant ses genoux racler le sol brûlant.
Lorsqu'ils le jetèrent dans une des cellules de la prison de la ville, il attendit d'être plongé dans le noir pour se mettre à pleurer. Ses larmes avaient le goût du sang dans sa bouche, et ses poignets le faisaient atrocement souffrir, boursouflés à cause de la pression de la corde rêche.
Il n'y avait aucun bruit autour de lui. Il n'entendait même plus la rumeur habituelle de la ville. Comment Ari allait-il le retrouver ? Allait-il même chercher à le faire ? Et si quelque chose l'en empêchait ? S'il ne revoyait jamais Louis ? S'il disparaissait, sans lui ? Si tout se terminait comme ça, dans l'obscurité humide d'une prison ?
Louis se pencha en avant et se mit à vomir.
*
*
*
À l'autre bout de la ville, Ari était allongé sur son lit, le coeur battant, sourire aux lèvres. Il serrait contre lui la bague de Louis, caressant doucement les mots que le garçon qu'il aimait avait fait graver autour de l'anneau. Des mots qui résonnaient en lui, plus que n'importe quels autres.
« Je sais que je vivrai le temps que tu vivras. »
/// À SUIVRE... ///
(si vous avez le temps, lisez la note entièrement mais sinon allez directement au "ps" final parce que j'y pose une question importante pour vous et moi !)
Hey ! Je suis désolée de poster ce chapitre aussi tard. Je l'ai modifié, remodifié et reremodifié un nombre incalculable de fois... Je crois que j'en suis à peu près satisfaite maintenant, mais bon, voilà. J'ai eu du mal à l'écrire. J'espère que vous avez aimé ! 💙
C'est un peu un chapitre de transition, et j'avais besoin de réintroduire les personnages de Lima et Nilla, et la mère de Ari (que j'adore)(parce qu'elle est super mystérieuse).
Pour le tremblement de terre....... J'espère que mon petit coup de pression vous aura fait paniquer un peu mdrrr. Non mais en vrai, ce n'était pas seulement pour faire un énième rebondissement, ce tremblement de terre a vraiment eu lieu dans les jours précédents l'éruption. Je ne pouvais pas ignorer ce fait ! :)
Pour l'histoire de la bague que Louis offre à Ari, c'est une référence à la nouvelle bague de Harry, où il a fait graver " Treat People with Kindness " en latin. LE VRAI HARRY AIME LE LATIN. Quelle joie. Bref, je ne pouvais passer à côté de cette aubaine, même si pour le coup, j'ai changé la phrase gravée sur la bague. Celle de ma fiction vient d'un poème de Alain Duault, parce qu'elle a un sens parfait pour mes personnages !
(cette note est super longue, pardon 😭)
Dans les commentaires de la fiction sur le chapitre précédent, @Horan_Lourry m'a partagé le lien d'une vidéo d'un youtubeur visitant Pompéi donc je vous met le lien si ça vous intéresse ! (&feature=youtu.be) La visite de Pompéi commence à 5min30 ! Sa vidéo est bien si vous voulez voir les rues de la ville etc mais il ne montre pas trop l'intérieur des maisons, ce que je trouve dommage parce que certaines sont hyper bien conservées. :(
Du coup, si vous voulez un peu plus de détails, il y a cette vidéo (&t=1510s) de C'est pas sorcier qui est assez complète !
Et j'ai aussi trouvé une vidéo retraçant une visite de la villa dei misteri (la maison d'Ari). Ce n'est pas la plus passionnante parce qu'il n'y a pas d'explications ni rien mais si vous voulez voir un peu l'intérieur de la villa, je vous conseille d'y jeter un oeil !
Voilà voilà... Merci d'avance pour vos retours sur ce chapitre ! 💞 J'imagine que vous vous en doutez, dans le prochain, Ari va niquer des mères mdrrr. (Ou pas) Ah et bien sûr, la vraie éruption approche à grands pas. :)
Bonne nuit à tou.te.s ! 🌋
ps : j'y réfléchis de plus en plus mais... ça vous plairait d'avoir cette histoire en roman papier comme pour Sensations ? Au début je ne pensais pas le faire mais je mets tellement de moi dans cette fiction et j'aime tellement mes personnages que je crois que j'ai besoin de pouvoir tenir SLSQIM entre mes mains, une fois que l'histoire sera terminée... Donc voilà. Dites moi ce que vous, vous en pensez ! :) (enfin si vous êtes allé.e.s au bout de cette note 😂)
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